A ceux qui se désolidarisent dun certain « type daction »
" Les étudiants grévistes devraient publiquement se désolidariser de ce type d'action. "
Voilà ce qu’a déclaré à chaud un professeur au journaliste de Lyon Capitale, suite au scandaleux pillage de quelques légumes par les étudiants mobilisés de Lyon 2, le 28 novembre. Par pitié, nous tairons le nom de cet universitaire : nous ne pratiquons pas la calomnie contre ce type de prof. Surtout, ce réflexe idéologique de désolidarisation n’est pas le fait d’une seule personne, il a déjà traversé bien des in-consciences. C’est pourquoi il semble nécessaire de faire quelques mises au point, mises au point qui paraîtront évidentes à ceux et celles qui n’ont pas sombré dans la confortable facilité, celles et ceux qui n’ont pas hurlé avec la meute au premier dérapage venu.
Juger et diviser
D’abord, il faut déconstruire l’illusion qui consiste à croire qu’on peut condamner telle action sans en condamner les auteur.e.s. C’est encore le discours de l’euphémisme qui sévit ici : il est évident que se désolidariser de l’action « supermarché gratuit », c’est se désolidariser de la cinquantaine de personnes qui l’a menée. Pire, ce type de propos invite plus ou moins à se désolidariser des inculpé.e.s. Au mieux, le prof sera solidaire des inculpé.e.s « innocent.e.s », mais il invite clairement à se désolidariser du copain qui a avoué en garde à vue avoir participé à cette action. On devrait donc abandonner ce jeune étudiant aux mains de la police-justice, parce qu’on trouve que cette action était immorale ou malvenue stratégiquement ?
> Solidarité avec tous les inculpé.e.s, même les innocent.e.s !
Autre vice idéologique typique du discours dominant (mais que l’on retrouve hélas dans le discours des opposant.e.s), la division. Ici elle est claire : il y aurait deux entités : les grévistes d’une part et les auteur.e.s de ce type d’action d’autre part. Faut-il rappeler que la cinquantaine de participant.e.s à cette action étaient des étudiant.e.s grévistes mobilisé.e.s contre la LRU et le gouvernement Sarkozy dans son ensemble ? Comment pourraient-ils se désolidariser d’eux-mêmes ? Exemple mémorable du travail de division, pendant les révoltes de 2005, Pascal Clément, Garde des Sceaux déclarait : « Je souhaite que nous puissions adresser un message clair aux Français d'une part, aux délinquants d'autre part. » (Le canard enchaîné, 9/11/2005.) La division par le discours s’exerce de façon quasi imperceptible, et il n’est même pas besoin de postuler que les auteurs de ces propos le font exprès… La logique est toujours la même, de bons français ne peuvent brûler des voitures, de bons étudiants grévistes ne peuvent commettre un acte aussi grave que voler en réunion des légumes. Et pourtant.
L’éternel mythe du complot
N’en déplaise aux donneurs de leçons du politiquement correct, cette action n’a pas été fomentée par les RG pour casser le mouvement, ni par des bandes anarchistes-extrémistes-nihilistes-**** (remplir avec d’autres mots qui font peur). Encore une fois, il faut rompre avec les pensées du complot. A chaque fois qu’il se produit un événement hors du triste commun, les gens ont du mal à l’admettre, et il se trouve toujours des génies pour recourir à des explications magiques. Non, les réseaux Foccart ou les services secrets n’ont pas organisé en sous-marin cette action du Leader Price pour piéger les étudiant.e.s et enterrer le mouvement, pas plus qu’ils n’organisent la venues de jeunes des quartiers populaires pour « dépouiller » des manifestant.e.s et faire éclater les cortèges. (Notons que ces mythes traduisent une ignorance totale des réalités sociales qu’elles prétendent expliquer…) Le recours paniqué à la théorie du complot traduit souvent une peur de voir la réalité en face. Oui, une certaine spontanéité, demeure chez les étudiants. La lutte est parfois enivrante et donne des ailes à la vie, une cinquantaine de personnes peut décider, sans manipulation, d’aller chercher à manger dans un grand supermarché, sans payer. Les normes et l’autocensure peuvent s’effondrer dans une situation – follement peut-être.
Question : pourquoi la police, comme les petits-chefs d’orgas politiques dépassées, ne peuvent admettre que ce genre d’actions apparaisse spontanément ? Peur de la vie qui se joue sans eux, et du signifiant politique exprimé ? Quand des révoltes éclatent dans les quartiers populaires, c’est Al Qaïda, bien sûr. Quand la fracture sociale entre les quartiers et un mouvement étudiant se révèle violemment dans une manif (« dépouillages »), ce sont les RG, bien sûr. Quand une très modeste tentative de réappropriation collective se joue dans un Leader Price, on a le choix : c’est peut-être les « totos » (réalité mystérieuse s’il en est…), ou bien la police. Drôle de grand écart explicatif, peu importe ! Il faut trouver des raisons, et vite.
La sacro-sainte image de notre lutte
En résistance, il faut soigner son apparence, savoir rester propre. Pas de gros mots en manifs, et soyez bien rasés avant d’intervenir en AG. Pas d’alcool dans l’occupation, ça fait mauvais genre. Quant aux joints, n’en parlons même pas. Et puis d’abord, c’est interdit. Pas de tags, ça fait sale, et puis surtout ça dégrade l’outil de travail (tout le monde sait qu’il est physiquement impossible de faire cours dans une salle où un tag crie « Pas de justice, pas de paix ! »). Quand la police charge pour disperser une manif, ne résistez pas, ne jetez rien sur les flics, sinon tout le monde dira qu’on n’est pas des acteurs politiques raisonnables. Quand un président ou un doyen se fout de votre gueule en disant « Sachez bien que je ne suis pas contre vous, seulement les cours doivent reprendre », ne lui crachez pas à la gueule, ne le mordez pas, ça se fait pas. Les caméras ? Ok, on les démonte pendant l’occupation, mais alors promis, on les remet à la fin du mouvement. Si jamais elles sont cassées, la fac devra payer le remboursement. Eh oui, c’est l’outil de travail, on ne peut pas faire cours sans caméra. Voler un Leader Price à cinquante, et avec le sourire ! Quoi de pire pour l’image du mouvement ?! Vous n’avez rien compris, l’heure n’est pas à l’action, il faut MA-SSI-FIER.
« Ce type d’action »
Quel est donc ce type d’action dont il faudrait se désolidariser ? L’action péage gratuit, déjà pratiquée à Lyon pendant ce mouvement, entre-t-elle dans ce type ? A priori, oui : c’est totalement illégal, et ça coûte très cher aux services d’autoroute, bien plus qu’une action Leader Price ! (Si en quelques dizaines de minutes les étudiant.e.s rapportent 300 euros, ça en coûte au moins 1 000 aux gérants du bitume, vu que les usager.e.s donnent par exemple 2€ à notre caisse de solidarité, quand leur péage coûte 8€.) En fait, la seule différence est que l’action péage gratuit n’a pas (encore) été réprimée, alors que l’action supermarché gratuit l’a été immédiatement, et dans la précipitation généralisée. On peut imaginer qu’en fin de mouvement, si une nouvelle action péage gratuit était entreprise, le pouvoir pourrait se faire un point d’honneur à la mater, et par exemple à faire des arrestations. Faudra-t-il se désolidariser de « ce type d’action » ? A l’inverse, quand une action supermarché gratuit réussit (ce fut le cas pendant le mouvement du CPE), quand des client.e.s et des manifestant.e.s quittent le magasin dans la bonne humeur, les bras chargés de nourriture, trouve-t-on des donneurs de leçons pour crier qu’il faut se désolidariser de ce genre d’actions, quand tout le monde se dit « ouah c’était génial ! » ?
On voit bien que la prescription moralisante dépend de la réaction du pouvoir à ces actions, et il est dommage qu’au sein des résistances des voix se fassent entendre pour dire « c’est mal », au même moment où les garant.e.s de la domination ont décidé que cette fois, ça ne passerait pas. De grâce un peu de cohérence dans votre désolidarisation, tout comme nous restons solidaires, que l’action soit un succès ou non.
Il ne s’agissait pas ici d’attaquer violemment des personnes dont on peut comprendre, à défaut d’admettre, les doutes et les réflexes défensifs (« c’est pas nous, c’est eux ! »), mais bien de rappeler qu’au sein des dynamiques résistantes, nous ne pouvons nous payer de le luxe de nous diviser, de nous désolidariser. (Ce qui n'empêche pas, bien sûr, de réflechir sur le caractère naïf et peu organisé de cette action...) Résolument, quand des révolté.e.s brûlent des voitures (et aussi des écoles), nous sommes solidaires, quand des casseurs brisent des vitrines, nous sommes solidaires, quand des étudiants se lancent dans une action farfelue, nous sommes solidaires. Car de fait, aussi variés soient nos modes d’action ou expressions de révolte, nous sommes du même côté de la barricade.
Que nous ayons participé ou non à ce type d’action, qu’elle ait été pertinente ou non, évitons les fausses divisions et les condamnations grandiloquentes.
Car en face, ils resteront solidaires.
dans cette épreuve. En témoigne le communiqué voté en AG le jeudi 29 : http://rebellyon.info/article4666.html
Cette solidarité fut bien fragile. Il devient difficile de rester dans l'échange courtois quand on lit sur un tract des étudiants grévistes, diffusé à des centaines d'exemplaire sur le campus des Quais le 4/12 :
" L'opération "supermarché gratuit", organisée indépendamment du mouvement, ayant donné lieu au vol de quelques fruits et légumes au supermarché du coin, a servi de prétexte et de justification à la présidence de l'Université pour tenter d'écraser le mouvement de grève, s'efforçant de faire passer les "bloqueurs" pour des voyous et des criminels de droit commun. "
On savait qu'il ne fallait pas trop attendre d'un mouvement étudiant, mais là, le dérapage est énorme, bien plus grave que l'action ratée. Il est dramatique que des bureaucrates (qui donnent des leçons de politique à tout le monde) écrivent ce genre d'horreurs. C'était vraiment trop dur pour vous de dénoncer, à juste titre, l'hypocrisie de la présidence, sans reprendre et répandre le venin idéologique...
Qui divise le mouvement social ?!
En deux mots, parce que vraiment, c'est décourageant de connerie :
- on appréciera le mensonge du "indépendamment du mouvement", soigneusement mis en italique dans le tract. Les gens qui ont mené cette action, se sont peut-être trompés, mais que vous le vouliez ou non, ce sont des grévistes, engagés contre la LRU, et qui ont pensé et mené cette action DANS le mouvement (tracts diffés dans le magasin, et annonce politique au mégaphone...).
- mais le plus révoltant, c’est le mépris bourgeois pour les dits « voyous et des criminels de droit commun » (et on sent combien le mot « racaille » brûle vos lèvres puantes). Abrutis : qui sont ces voyous dans notre société, dont vous cherchez tant à vous démarquer ? Les noirs, les arabes, les pauvres ? Vous qui êtes si malins, dites nous qui peuple les prisons, qui sont les criminels ?
Salauds.
Allez-y, massifiez votre mouvement auprès du prolétariat onirique ! Nous, nous resterons du côté des voyous (à défaut d’être de vrais voyous, car il faut reconnaître que nos gesticulations illégalistes demeurent bien ridicules). Heureusement, vous êtes déjà morts depuis longtemps sinon, en effet, nous aurions des envies criminelles.
Résolument, face à la racaille politicarde,
NOUS SOMMES TOUS DES VOYOUS.
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- Mises au point sur l’affaire du Leader Price
- « On ne fait pas la loi à qui risque sa vie devant un pouvoir. » (Rappel au désordre contre ceux qui désapprouvent des révoltes)