Un soir à Misratah

Vendredi est le jour saint pour les musulmans. Ce vendredi soir avec les amis de la Katiba Nabaka nous avions convenu d’un repas spécial : un bazim (ou bazeem), plat traditionnel de Misratah, composé d’une pâte épaisse de céréales entourée de sauce, le tout servi chaud et mangé avec les doigts. En plus des combattants, je rencontre un homme plus âgé, que je connais bien, notable de cette ville : il me parle des premiers combats.
Après avoir été chassés de la ville le 20 février, par un soulèvement populaire, les forces kadafhistes ont tenté une première attaque le 27 février qui fut, malgré la violence engagée, un échec total. Presque un mois après, le 25 mars, les milices loyalistes revenaient, prenant pied dans la ville, malgré la résistance acharnée des insurgés. Ce que m’apprend mon ami, c’est qu’avant cette deuxième attaque la situation était déjà tendue et dangereuse :
Les milices de Kadhafi, fortes de l’expérience de leur échec à Benghazi (prise de la Katiba et de ses stocks d’armes par les insurgés), prirent de multiples précautions. Ils rassemblèrent dans un lieu sécurisé de l’aéroport toutes les armes lourdes. De plus, ils levèrent une armée dans les environs, en particulier à Kerzaz et al Giran. De nombreuses personnes disparurent durant cette période. A l’époque mon ami, qui est de Al Giran, rencontra le comité révolutionnaire de la ville pour lui demander de commencer les hostilités. Mais ceux-ci, qui n’en voyaient pas vraiment la nécessité, rétorquèrent que les rebelles ne disposaient d’aucune arme de guerre. Il est vrai que à cet instant seul des armes légères avaient été réquisitionnées dans les dépôts de la ville.
Pour contrer les forces kadafistes dans ce paysage fait de petites maisons traditionnelles en terre, de champs, et de plantations d’oliviers, mon ami et ses fils décidèrent de monter deux pièges :
Le premier, très simple, était constitué de miguelitos, sortes de chausse-trappes destinées aux voitures. Ils les produisirent en série, dans un atelier de mécanique leur appartenant, à partir de fers à béton. Il les disposèrent à plusieurs endroits, mais ils furent tout particulièrement efficaces dans le tournant d’une route de campagne près de l’aéroport. Une zone désertée de ses habitants où les forces loyalistes avaient pris l’habitude de circuler. Un convoi de 4X4 faisant route à vive allure en fit les frais. L’éclatement des pneus des premiers véhicules causa un accident terrible dans lequel cinq voitures furent complètement détruites et de nombreux soldats tués.
Le second piège était plus construit. Mes amis avaient récupéré des obus de tank qui, tels quels, étaient sans grand intérêt, et les avaient stockés dans un lieu à l’écart. Ils dévissèrent les fusées des obus, et fixèrent à la place des détonateurs électriques datant de la guerre contre les Italiens que le grand-père avait soigneusement conservés. Pour maximiser leur effet, les obus furent placés dans des barils d’essence (dont le prix est bien plus abordable qu’en France – environ 10L pour 1€). Ces barils furent placés au nombre de cinq sur le côté d’une route importante et dissimulés par des branchages. Les détonateurs étaient reliés entre eux et reliés à une source 220v (du 12v aurait suffit mais en raison du nombre de charges, ainsi que de la longueur et de la faible épaisseur du câble, une plus grande puissance électrique était préférable). Le père se plaça à un endroit surélevé d’où il était aisé d’observer l’endroit piégé et communiqua à un de ses fils les instructions concernant la mise à feu.

L’histoire que l’on me conte prend un tour des plus intéressant, mais la radio s’agite et trouble la quiétude de notre repas : les rebelles affirment que des hélicoptères survolent une nouvelle fois la ville, comme hier soir. L’OTAN rétorque ne pas avoir d’hélicoptère de combat engagé dans les zones en question. Nous sortons de notre abri et ouvrons la loupiote extérieure. Se dévoile alors devant nous un spectacle lumineux digne du Futuroscope. Des drones de l’OTAN se déplacent silencieusement à allure très lente se signalant par des stroboscopes lumineux sur leurs ailes. Et des rebelles persuadés d’avoir affaire à des engins ennemis les canardent à l’antiaérien. De grandes gerbes oranges et rouges partent d’un peut partout en ville et les balles 23mm explosent en constellant le ciel d’éclairs blancs. Mon ami, pas trop séduit par la beauté du spectacle, se saisit de la radio et gueule à tous ses camarades d’arrêter d’envoyer la sauce sur les alliés. Pour ma part, je ne peux réfréner un fou rire, pendant que les drones continuent leur ballet aérien, décrivant de grands cercles bien haut au dessus de cette agitation un peu vaine. Jamais l’OTAN ne demandera de cesser le feu ou n’avouera survoler la zone avec des drones.

La suite de l’histoire, je ne l’aurais qu’après. Le père, sur son point d’observation, vit donc passer un convoi de 4X4 allant vite, très espacés les uns des autres. Il laissa passer cette proie. Un second convoi s’approcha plus tard, composé de 4X4, mais aussi d’engins blindés. Le fiston déclencha les charges et ce furent de grandes flammes qui s’élevèrent au dessus de la route. Au moins trois engins blindés furent détruits, ainsi que des 4X4 et de nombreux soldats furent tués. Quant aux soldats qui s’en sortirent indemnes, ils venaient d’apprendre la peur : ce qu’il en coûte de s’attaquer à Misratah.
Quelle aurait été cette guerre si les hostilités avaient été engagées plus tôt ? Aurait-on évité des morts, des destructions, des traumatismes ?

Nous profitons de cette nuit pour une fois paisible ; dehors l’OTAN rode. Plus tard, le lendemain un jeune soldat me dira avoir vu un hélico de l’OTAN se positionner au dessus de sa batterie et attaquer les positions kadafistes en face, l’arrosant d’une pluie de douilles.
Malgré cette présence massive des occidentaux, les loyalistes enverrons une bordée de katiouchas ce soir. Une seule petite bordée vers minuit vingt, mais qui fera mouche. Le lendemain je me rendrai sur les lieux : trois réservoirs d’essence et de gasoil en feu. La ville en compte encore 10, espérons qu’ils n’auront pas ces 10 là.

Cet article a été publié dans Libye. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour Un soir à Misratah

  1. Quelle extraordinaire ingéniosité de la part des insurgés de Misratah. Chapeau bas.

    Quelle est la situation actuelle à Misratah, après la prise de l’aéroport par les insurgés ?

  2. Quelle extraordinaire ingéniosité de la part des insurgés de Misratah ! Chapeau bas.

    Quelle est la situation aujourd’hui à Misratah après la prise de l’aéroport par les insurgés ?

Laisser un commentaire