25 ans après, les militants des Minguettes paient toujours...

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Jeudi 26 et vendredi 27 novembre 2009 se tenait à la cour d’assises de Lyon le procès de M.K., militant des Minguettes au début des années 80 et poursuivi pour des faits qu’il nie et qui datent de 1985 !

Au début des années 80...

L’ambiance était chaude aux Minguettes : on prenait 6 ans pour un vol de mobylette et 6 mois si on tuait un arabe. On envoyait des jeunes pour 5, 10, voire 20 ans en prison pour des faits qu’ils n’avaient pas commis parce qu’ils étaient au mauvais endroit et qu’ils étaient de la mauvaise couleurs. Et si en plus, ils avaient un statut d’agitateur politique, c’était pire... Les bavures policières appuyées par la justice ont poussé le quartier à se révolter comme dans beaucoup d’autres endroits mais avec une organisation particulière... Comme le dira le président de la cour « c’est la révolution des Minguettes ». Une association : SOS avenir Minguettes, des grèves de la faim pour soutenir les camarades embastillés, des collectif contre la double peine, et bien sûr, la marche pour l’égalité et contre le racisme qui traversa toute la France pour finir en apothéose à 100 000 personnes à Paris, les marcheurs de Vénissieux reçus par Mitterrand, qui sera ensuite accueilli à Vénissieux par une délégation dans laquelle il y avait M. K... On connait la suite de la marche : retour aux quartiers pour les protagonistes, récupération du mouvement qui pouvait devenir un sérieux contre-pouvoir, la naissance de SOS Racisme (les détails écrits ici et un documentaire sonore )...

M. K. faisait parti de cette bande de résistants, fondateur de SOS avenir Minguettes avec Toumi Djedja, gréviste de la faim et voilà qu’en décembre 1985 il se fait arrêter dans un squat’ où il y a un sac d’armes... On l’inculpe de deux braquages datant de septembre et novembre 1985. Le juge d’instruction ne lui demandera jamais sa version des faits, lui interdira toute visite durant sa détention préventive, à chaque convocation, il lui répètera « je vais te faire plonger 20 ans ». Au bout de 6 mois, M. K. est emmené à l’hôpital, il profite de son transfert pour fuir. Commence alors 22 ans de cavale !

« Je ne me suis pas évadé, j’ai pris la fuite »

M.K. veut qu’on souligne la nuance. Il connaissait le destin de nombreux de ses camarades passés à l’époque devant la justice d’abattage. « j’ai toujours été présumé coupable, le juge n’a jamais voulu m’entendre, avec mon avocat on a été expulsé de son bureau manu militari ». Il quitte donc le pays pour rejoindre l’Algérie où on le surnommera « Trompe-la-mort ». Il a de la famille là-bas qui réside dans « un fief terroriste », c’est le début des années 90 et la guerre civile bat son plein en Algérie : les villages sont bouclés, les attentats et assassinats sanglants prolifèrent, il échappe de justesse plusieurs fois à la mort. Il ne rêve alors que d’une chose : revenir en France. Il le fera en 1995.
« Pourquoi ne pas être revenu plus tôt ? » lui demande le président. « j’avais pas de papier, ça a été possible en 95 quand j’ai rencontré quelqu’un au port. » Il revient alors à Vénissieux, il émet le souhait de se rendre pour régler tout ça. Sa sœur et sa compagne vont voir son avocat qui les informe que M.K. a été jugé par contumace en 1992, il a prit perpétuité ! Évidemment ça le refroidit... Son statut de clandestin l’empêche de s’occuper de ses enfants, sa compagne le quitte et il tombe dans la dépression. Il développe un problème de santé grave, il ne se soigne pas, il sera conduit aux urgences in extremis pour des amphisèmes au poumon. Puis, soutenu par ses amis et sa famille, il finit par reprendre espoir. Jugé en 1992, les faits qu’on lui reproche seront prescrits en 2012 mais en novembre 2008, il se fait arrêter alors qu’il allait chercher les enfants de sa nouvelle campagne. Une arrestation comme on les connait qui choquera à vie l’enfant qu’il venait récupérer. Une arrestation qui révoltera même le corps enseignant qui écrit une lettre pour le soutenir dans cette nouvelle épreuve.

Cette histoire, M.K. la raconte au président et à 11 jurés. Ce sont les assises, il y a un jury populaire. Une trentaine de personnes a été pré-sélectionnée, elles sont dans la salle du tribunal ce jeudi matin à 9h30. Le président effectue un tirage au sort, l’avocat général (le procureur) comme l’avocat de la défense peuvent les récuser quand il se lève. On notera que le seul jeune beur sera récusé par le proc’. Il y a 9 jurés qui sont assis de part et d’autres du président et de ces deux acesseurs et 2 suppléants assis derrière. Le président leur rappelle la loi et leur rôle : ils doivent considérer le prévenu comme innocent « le doute doit bénéficier à l’accusé », ils doivent prêter serment, lever la main droite et dire « je le jure », chaque témoin fera de même.
Cette histoire, M.K. la raconte avec l’aide des témoins cités par le défense : ses anciennes compagnes, sa fille, sa sœur et Toumi Djedja.

« Vous êtes l’un des leaders de la révolution des Minguettes ? »

C’est la première question que le président pose à Toumi et c’est ce qui rend sympathique ce président. Qualifier de révolution les « évènements » du début des années 80 aux Minguettes, ça fait plaisir, et ça fait sourire le témoin. En effet Toumi a été le déclencheur et le symbole de la fameuse marche pour l’égalité de 1983. « Monsieur le président, aujourd’hui, ça aurait pu être moi à la place de l’accusé ». Tout est résumé dans cette phrase, délinquance ou pas, pour les personne d’origine maghrébine à l’époque, la justice c’est la loterie, il y a des faits, il faut des coupables, « les années 80, c’était une époque de fou, il fallait peu de chose pour se retrouver dans des situations de dingue ». Témoignage en finesse pour éviter les mots qui pourraient fâcher le juge comme bavure policière, justice complice... « On m’a accusé de vol, on m’a battu, on m’a attaché, j’ai bénéficié d’une grâce présidentielle ». Toumi a été gracié par Mitterrand. Les actions de l’époque (grève de la faim, marches, collectif de soutien) ont toutes été des actions non violentes. Toumi confirme que M.K faisait partit du noyau des militants fort partisan de la « non violence ».
Le témoignage écrit d’un sociologue du CNRS qui a réalisé des films à l’époque avec M.K. confirme que « c’était le plus intelligent du groupe », « celui qui écrivait les tracts »... On rappelle qu’à l’époque (mais c’est encore vrai) on mettait les jeunes des quartiers sur des voies professionnelles très tôt, alors que lui voulait faire du journalisme.

« Ces accusations sont fantaisistes »

Après la suspension de Jeudi midi, l’audience reprend avec l’examen des faits reprochés, deux hold-up.
Braquage n°1 : Crédit Mutuel de St Fons en septembre 85 : Z. rentre dans la banque avec un sac plastique contenant une baguette de pain. Il repart 5 minutes plus tard avec une vingtaine de milliers de francs en laissant sur place son sac à pain. On accuse M.K de l’avoir attendu dans la voiture devant la banque et d’être parti avec lui.
La voiture appartenait à Arménian, un bijoutier de Vénissieux qui l’avait prêtée à M.K. Mais M.K. l’avait lui même prêtée à Z. « pour faire une course ». Après le braquage, Z. ramène les clés à M. K. en lui annonçant qu’il a fait une connerie, ils vont tous les deux voir Arménian pour lui dire d’aller déclarer à la police le vol de sa voiture. Arménian s’exécute mais au poste, on lui annonce qu’il y a eu un braquage avec. Arménian avoue donc le prêt. Étonnamment, aucun policier ne viendra le soir même chercher M. K. qui est chez son frère. Quant à Z., il a été coincé quelque temps plus tard, confondu par ses empreintes digitales retrouvées sur le sac à pain, et il a reconnu les faits. Les empreintes d’une autre personne ont également été retrouvé et cette personne n’a jamais été inquiété (sic). Au moment du procès, M. K. a déjà pris la fuite. Le président lit la déclaration de Z. lors de son procès « j’ai braqué sur les ordres de M.K , il m’a dit que c’était facile à faire, il m’a dit d’acheter du pain pour paraitre normal à l’entrée de l’agence. Après le braquage c’est lui qui a gardé tout l’argent », bref il charge M. K. Le président demande naïvement « pour quelle raison vous met-il en cause ?
- bah, les absents ont toujours tort, répond M. K. j’étais en Algérie, il m’a tout mis sur le dos pour protéger son complice.
- Il vous met en cause et tout est faux ? renchérit le président.
- C’est n’importe quoi cette déposition, même un enfant de 5 ans n’y croirait pas, pourquoi il est pas là lui aujourd’hui ??? »
Ironie du sort, Z. a écopé d’une double peine (alors que M. K. avait milité contre), il a été expulsé après avoir purgé 11 ans de prison.
L’accusation repose donc sur la seule déclaration de Z. qui a chargé M. K. alors en Algérie, et sur le témoignage de l’arménien qui n’apportera rien de concret à la barre à part quelques sourires dans le public après un bon dialogue de sourd entre le procureur et le témoin : « Vous avez prêté la voiture ? Oui au café ! ».

Braquage n°2 : Agence de la lyonnaise de Banque à Vénissieux en novembre 1985. 2 hommes rentrent, braquent les employés avec une arme et repartent avec 43 000 francs. On accuse M.K. d’être un des ces deux hommes...
A la suite des faits, les témoins (les braqués) sont formels, le plus petit des deux malfaiteurs mensurait au moins 1m74-75 et avait des taches noirs sur la peau. M.K. fait 1mètre 65 et n’a pas de tache mais une cicatrice très apparenté, aucun des témoins ne l’a relevée.
Lors de la garde à vue, il est placé derrière une vitre sans teint à coté de son frère qui a les yeux bleus et avec des policiers. 2 des 5 témoins disent que c’est M.K. qui a le plus de ressemblance avec le braqueur. Un des témoins appelé à la barre aujourd’hui, répond qu’il a choisit M.K. parce que c’était la personne qui avait les yeux les plus noirs. L’avocat de la défense lui demande si une autre personne avait eu des yeux encore plus noir, est-ce qu’il aurait désigné cette personne ? « Sans doute » répond le témoin.
Cette fois l’accusation repose donc sur un tapissage plus que douteux dont les photos ont mystérieusement disparus du dossier.
Autre élément : un étrange témoin (absent aujourd’hui) a vu près de chez lui deux personnes changer de voiture près de chez lui. Il en a conclu que c’était pour abandonner une voiture et en voler une autre, il note la plaque d’immatriculation et appelle la police. Après quelques recherches, la police trouve une voiture des Minguettes que M.K. utilise occasionnellement, c’est pas le même numéro de plaque mais presque, pour la police (et le procureur) c’est une preuve !

M.K. conclut l’exposé des fait qui lui sont reprochés et cette première journée de procès par ces mot : « je persiste à dire que je n’ai jamais commis de Hold up »...

« C’est un professionnel »

Le vendredi matin, ce sont les monologues de l’avocat général et de l’avocat de la défense. Le premier a une robe surmontée d’une cape rouge comme le président et est perché, le second a seulement la cape noire classique et est au même niveau que le public. Les costumes sont propres, le décor est magnifique mais la sonorisation n’est pas terrible, il faudrait changer de régisseur sans parler des travaux de réfection de ce théâtre des 24 colonnes qui perturbent les débats. Bref joli spectacle sauf que parmi les acteurs et les spectateur, certains jouent leur vie.

Le proc’ commence donc son monologue en revenant sur le temps et « la difficulté de juger 24 ans après les faits » mais ces 24 ans ont « un seul responsable : M.K. qui a choisit la fuite » et c’est aussi lui « qui est le 1er bénéficiaire du temps qui a passé ». Sacré bénéfice en effet que de s’exiler par la force des choses dans un pays qu’il ne connait pas et de revenir clandestinement en France, de ne pas pouvoir avoir une relation normale avec les siens, d’avoir terni l’image de sa famille, d’être en prison depuis un an etc... La cavale doit être un jeu pour ce procureur qui regrette qu’on « est pas dans une série américaine, qu’on a pas encore l’ADN, que la vidéosurveillance n’est pas encore au point parce qu’on est dans les année 80 »... C’est vrai que depuis, tout a changé, preuve encore le matin du procès, avec à la une du progrès, le braquage d’une bijouterie en pleine presqu’ile « sous les yeux de la vidéosurveillance »... Et autant le procureur se souvient qu’on avait pas encore l’ADN dans les années 80 autant il a choisit d’occulter le contexte de l’époque pour les jeunes d’origine maghrébine aux Minguettes : « pourquoi n’a-t-il pas dit qu’il n’y était pour rien dans le dossier en 1986 ? ».
Pour ce qui est des faits, pour notre cher accusateur, les choses sont simples : M.K.était un toxicomane, il commanditait donc des braquages, la preuve avec l’astuce de la baguette de pain pour passer inaperçue, « il manquait plus que le béret ! », s’enflamme-t-il (cela sous entend qu’avec une baguette et un béret, on est un bon français donc innocent ?). Pour lui, il n’y a pas de doute, « c’est un professionnel » : confondu à cause de la voiture dans le premier braquage, « il change de technique : il change de voiture après le braquage ! Ce sont des preuves » martèle-t-il aux jurés. Il l’attaque un peu sur sa vie personnel en déclarant qu’« il n’a aucun regard critique sur lui » puis il conclut en demandant 6 à 8 ans de prison ferme ce « qui lui permettra d’envisager une vie plus cohérente »

Une suspension de séance est prononcée avant la scène de la défense. On sort de la chambre. Pour ré-entrer dans cette cour d’assise, on est passé au détecteur de métal manuel par les policiers. Étant là depuis 2 jours, ils nous reconnaissent et n’insiste pas enfin... c’est le cas quand on est blanc et qu’on est « étiqueté journaliste » mais pas quand on a un look de jeunes des quartiers...

« Le doute doit profiter à l’accusé »

Comme je le disais entre la sonorisation absente pour l’avocat de la défense et les travaux, il a été dure de bien entendre la plaidoirie de l’avocat de M.K. Il a précisé que le prévenu étant intelligent et connaissant très bien le dossier (comme énoncé auparavant par l’expert psychiatre), qu’il sait qu’il aurait tout intérêt à plaider coupable. L’ancienneté des faits et la reconnaissance rendrait la justice plus clémente mais le prévenu a dit à son avocat « je n’assumerai pas ce que je n’ai pas fait ». Il a ensuite rappelé une nouvelle fois le contexte des années 80 qui avait faisait de M.K. un présumé coupable. Pour étayer, il lit les PV de la police de l’époque, les officiers déclarent que MK ne dit pas la vérité et qu’il est coupable... C’est cette présomption de culpabilité qui a couté la vie à beaucoup de jeunes de cette époque et qui l’a conduit à fuir. L’avocat a aussi pointé le fait que « vivre caché pendant si longtemps est déjà une lourde peine » puis il a énuméré les détails ahurissants de l’accusation invraisemblable. IL a bien évidemment demandé l’acquittement pour les deux affaires.

C’est M.K. qui a conclu l’audience par ces mot :
« oui Monsieur l’avocat général, vous avez raison, j’ai été coupable... coupable de lâcheté : de ne pas m’être rendu pour les miens. » Puis se tournant vers les jurés : « Messieurs dames, je vous regarde tous droit dans les yeux, si j’étais coupable, je vous le dirait, je n’ai as peur !
Et maintenant si vous le permettez, je voudrais m’adresser à ma famille »
Le président acquiesce d’un geste de la tête, M.K. se retourne vers le public, et alors qu’il avait un ton assuré, fort et clair sa voix déraille un peu, ces phrases sont entrecoupées de silences forts :
« à tous je vous demande pardon... toutes ces années je vous ai fait souffrir... pardonnez moi... je vous aime »...
Émotion évidemment sur les bancs du public dans la famille mais pas seulement...

A la fin des année 2000...

Il est 11h45, Le jury se retire pour délibérer, retour prévu vers 14h... Des jeunes lycéennes qui étaient venus la veille avec leur classe sont revenus de leur plein gré aujourd’hui pour voir le résultat, elle pense qu’il est innocent. Elle sont de Vaulx en Velin, l’histoire de M.K. les a touchées, parce que « ça recommence pareil aujourd’hui entre les jeunes et la police ».
Comme moi elles seront déçu par le verdict. M.K. est acquitté pour le 2e braquage mais il est déclaré coupable pour le premier avec usage d’une arme (alors qu’il était censé être dans la voiture).
5 ans ferme.
La peine est lourde, le président se veut rassurant, il a déjà fait un an et il devrait sortir début 2011 avec les remise de peine.
La famille, elle, est soulagée, ça m’étonne, et les lycéennes aussi. Mais au moins pour eux c’est la fin de la clandestinité pour un des leur, c’est une page qui les a beaucoup affectée qui se tourne. Et puis, pour les anciens des Minguettes qui ont vu tant de jeunes se faire assassiner dans des crimes de beauf, des bavures policières, tant d’innocents plonger pour 20 ans sans jamais sortir ou être expulsé à la sortie, « 5 ans ça va ». C’est dire si pour eux, la justice à 2 vitesses a bien été intégré.

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  • Le 5 décembre 2009 à 15:08

    comment on choppe son numéro d’écrou ?
    contacts avec la famille ?

    la caisse

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