Il faut qu’on discute de notre usage de Facebook

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En octobre 2012, le collectif allemand Nadir a publié un communiqué traitant des implications de l’utilisation de Facebook, et plus largement de tout réseau social ou service internet (mails) centralisé. L’année 2013, en particulier grâce aux révélations de lanceurs d’alerte comme Edward Snowden, a confirmé le danger intrinsèque de ces services, et plus largement d’internet dans un cadre irraisonné. Traduction de leur texte, jamais diffusé en français à notre connaissance.

Depuis plusieurs années, nous fournissons des serveurs et une infrastructure de communication pour « la gauche » [1]. Nous avons fait de notre mieux pour garder les serveurs sûrs, et avons résisté, par divers moyens, aux requêtes d’accès aux données des utilisateurs par les autorités.

En bref : nous tentons d’offrir une forme libératrice de communication à l’intérieur de l’internet capitaliste.

Disneyland

Nous n’avions pas réalisé qu’après le stress des actions de rue ou les longues discussions collectives, beaucoup d’activistes semblent avoir ce désir de papoter à loisir sur Facebook, de tout et avec tout le monde. Nous n’avions pas réalisé que, même pour la gauche, Facebook est la plus douce des tentations. Que la gauche, aux côtés des autres, apprécie de suivre le subtil flux d’exploitation, là ou il ne semble faire aucun mal, et, pour une fois, sans avoir à résister. Beaucoup de personnes ont mauvaise conscience. Bien que cela pourrait leur permettre d’anticiper les conséquences fatales de Facebook, cela ne semble pas se traduire en actes.

Est-ce seulement de l’ignorance ?

Juste pour donner un aperçu du problème. En utilisant Facebook, non seulement les activistes rendent leur propres communications, leur opinions, leurs « likes », etc. transparents et disponibles à l’analyse automatisée. Mais ils exposent de plus -et nous considérons cela beaucoup plus important- des structures et personnes qui ont elles-mêmes peu ou aucun rapport à avoir avec Facebook.

Les capacités de Facebook à rechercher dans la toile des relations, similitudes, etc. sont difficiles à saisir pour les profanes. Les bavardages sur Facebook reproduisent des structures politiques, ainsi rendues disponibles aux autorités, et à des entreprises. Celles-ci peuvent être recherchés, triées, agrégées, non seulement pour obtenir des informations précises sur des relations sociales, des personnes clé, etc. mais également pour faire des déductions et anticipations à partir de motifs récurrents. À l’instar que les téléphones portables, Facebook est la plus subtile, économe, et efficace des technologie de surveillance actuellement disponible.

Les utilisateurs de Facebook comme informateurs inconscients ?

Nous avons toujours pensé que la gauche veut autre chose : poursuivre les luttes en ligne, et utiliser internet au service des luttes politiques. C’est le but, en ce qui nous concerne – encore aujourd’hui. C’est pourquoi nous voyons les utilisateurs de Facebook comme un danger réel pour nos luttes. En particulier les activistes qui publient des informations importantes sur Facebook (souvent sans savoir ce qu’ils font) qui est de plus en plus utilisé par les forces de l’ordre. Nous pourrions presque aller jusqu’à accuser ces activistes de collaboration. Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous avons encore espoir que chacun réalise que Facebook est un ennemi politique, et que ceux qui l’utilisent le rendent de plus en plus puissant. Les activistes utilisant Facebook nourrissent ce dispositif, et en conséquence, révèlent nos structures – sans aucune nécessité, sans aucun mandat de justice, sans aucune pression.

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Notre point de vue

Nous sommes conscients que l’on parle « de haut ». Pour nous, qui travaillons depuis des – parfois en gagnant notre vie – avec le net et les ordinateurs, l’administration de systèmes, la programmation, la cryptographie, ou autre, Facebook apparaît comme un ennemi naturel. Et comme nous nous considérons également comme faisant partie de la gauche, cela s’ajoute à l’analyse politique des fondements économiques de Facebook, où les « utilisateurs » sont transformés en produits, qui sont vendus, et deviennent consommateurs, en conséquence. Le jargon pour ceci est « la création de besoin ». Nous réalisons que tout le monde n’utilise pas internet avec autant d’enthousiasme que nous pouvons le faire. Mais pour des activistes, autoriser ce cheval de Troie nommé Facebook à faire partie de leur vie quotidienne est un signe d’ignorance d’un niveau critique.

Ceci est un appel : fermez vos comptes Facebook ! Vous mettez les autres en danger ! Prenez acte contre ce monstre de données !

Et de même : quittez Yahoo mail et autres ! À bas Google ! Contre la rétention des données ! Pour la neutralité du net ! Liberté pour Bradley Manning ! Longue vie à la décentralisation !

Luttez contre le capitalisme ! Aussi – et spécifiquement – sur internet ! Contre l’exploitation et l’oppression ! Aussi – et spécifiquement – sur internet !

Mettez vos camarades sur les nerfs. Appuyez sur le fait qu’en nourrissant Facebook, ils ont choisi le mauvais coté !

 nadir, octobre 2012

P.-S.

Notes

[1Note de traduction : « la gauche », notion relative par définition, résulte d’une volonté de traduire le texte original au plus proche, et fait bien évidemment référence ici à une sensibilité politique

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  • Le 12 août 2014 à 07:33, par

    Ce qui me semble intéressant avec la publication de ce communiqué :

    - le titre résume mon questionnement.

    - pouvoir s’interroger sur l’intérêt de FB dans nos vies à titre individuel et aussi collectif.
    - pourquoi un tel succès ? Sommes nous condamner à utiliser ce type d’outil ? Alternatives ou désintérêt total ? Détourner l’utilisation de l’outil ?
    - les règles de bases d’utilisation de ce type de media ? Mieux faire connaitre les « risques » d’utilisation ou bannir FB ?
    - conséquences sur nos rapports sociaux et sur la construction de nos rapports aux autres.
    ...

    Ce type de questionnements est aussi valable avec d’autres outils numériques (chronophages)...

    Le temps nous appartient...

    Bien le salut à vous !

  • Le 8 août 2014 à 10:48, par Hijo de la Libertad

    en fait c’est le débat sur la clandestinité 2.0 quoi... faut-il se cacher pour durer quitte à avoir d’énormes contraintes ou bien faut-il s’assumer quitte à subir la répression de plein fouet ?
    c’est un peu choisir entre deux cages.

  • Le 7 août 2014 à 13:07, par Redkomb

    C’est dommage parce que pour finir on ne discute pas de notre usage de Facebook, puisqu’apparement tout ce qu’on y fait est insipide ou dangereux pour les militants.

    Il faudrait se demander pourquoi Facebook rencontre un tel succès et l’attaquer sur ces bases-là, plutôt que de le faire passer pour un grand méchant loup : l’utilisation des données personnelles explose un peu partout, ayons un point de vue global.

  • Le 5 août 2014 à 23:57, par Parleur

    « Traduction de leur texte, jamais diffusé en français à notre connaissance. »

    Si. Depuis longtemps. Par eux-mêmes. Sur leur propre site.

    http://www.nadir.org/txt/il_faut_qu_on_parle_de_facebook.html

  • Le 31 décembre 2013 à 01:45, par Nadine2c

    Pour réagir au commentaire qui interroge le traitement d’un très grand nombre de données, sachez que la Big Data est à l’étude depuis déjà un certain temps. Les nord-américains ont développé un logiciel capable d’associer des données de sources totalement différentes (réseaux sociaux, SMS, vidéosurveillance...) pour soumettre à l’analyse humaine (tandem) des faisceaux d’indices sur n’importe quel sujet.

    Le module de cours sur la Société de la surveillance - Tandem et prédictif - de sciences po Paris retrace rapidement l’histoire de la création de ce logiciel dont je tais volontairement le nom, car sa simple citation sur Internet implique pour le site des visites localisées aux States et Canada.

    Bonne écoute : http://www.youtube.com/watch?v=hLorQx31DBE

  • Le 6 décembre 2013 à 13:37, par SiiL"

    https://www.facebook.com/rebellyon.info

    ...

    Pas parce qu’on honnit Cargnouf et son fonctionnement qu’on va pas y chercher sa bière, s’pas ?

    Son rôle (celui de Face de Bouc) est assez reconnu maintenant, de même que celui de Twitter - savez, l’interface pour gazouiller - dans certaines « révolutions » pas si anciennes. L’article reste utile dans le sens où il faut, de toute façon, connaître les limites d’un outil lorsqu’on s’en sert « dans un cadre irraisonné ». Je crois que c’est une remarque qui vaut pour beaucoup de domaines au sein du système ambiant. C’est la vieille dispute, concernant ce système : en faire partie et le transmuter de l’intérieur - ou s’en extirper complètement.

    Et ça dépasse de très loin le simple fait de s’inscrire sur Facebook : dans la même veine, fermez vos comptes Veolia et EDF ; fermez votre compte en banque ; refusez tout salariat ; et, rien qu’avec le 1% de document divulgué par Snowden, résiliez votre contrat FAi, jetez votre PC par la fenêtre - et votre téléphone par la même occasion.

    Je crois que ce qu’on évalue encore mal , c’est la façon dont le volume gigantesque de données intercepté est traité... On pourrait ajouter quelques termes du style Bugs Bunny ou Mossberg ou encore psyops, histoire d’augmenter les chances que cette page, par exemple, soit archivée quelque part. Et après ?

    La question, elle est là. N’importe qui peut accumuler des données, sur une personne ou une organisation ; mais comment les trier, comment les traiter ensuite - comment leur donner du sens, au final ? Et on peut imaginer que plus la masse de données est importante, plus ce « comment » devient problématique.

    https://en.wikipedia.org/wiki/Obfuscation

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