À Vienne, le lieutenant de Wauquiez veut pouvoir bétonner le patrimoine archéologique en paix

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Hormis le très bourgeois festival « Jazz à Vienne » [1], on pouvait déjà estimer que la culture n’est pas la première des priorités de Thierry Kovacs. Mais le maire de Vienne et proche du président de la région Rhône-Alpes-Auvergne s’illustre aujourd’hui dans une véritable guerre au patrimoine. Il veut tout simplement bétonner le forum romain et ses 2500 ans d’histoire ! Petite explication.

Premier acte : en 2014, Kovacs est élu maire de Vienne. Il remplace le vieillissant et très droitier Jacques Remillet (UMP) dont il était le deuxième adjoint. Dans une ville coincée entre le Rhône, l’autoroute et les collines, l’un de ses principaux arguments de campagne peut alors se résumer à « Plus de place pour les voitures » ! Sa mesure phare : un parking de 5 à 6 niveaux sous l’actuelle place François-Mitterand, face à la mairie. Cette place est pourtant connue pour avoir été réalisée sur le forum romain de Vienne. Le site du ministère de la Culture dédié à l’archéologie le présente ainsi :

Le forum se trouve sous le coeur de la ville actuelle de Vienne. Des constructions qui le composaient, deux éléments émergent encore : le Temple d’Auguste et de Livie qui dans l’antiquité se trouvait au centre de l’aire sacrée et, à l’ouest, la grande arcade qui donnait accès à l’angle sud-est de l’aire publique. Le reste du forum n’est connu que par quelques sondages ou quelques observations faites au XIXe siècle.
Le forum était le centre névralgique de la ville. Les monuments essentiels à la vie de la cité étaient organisés autour d’une vaste place dallée entourée de portiques. Le forum, lieu de rassemblement et de cérémonies assurait ainsi des fonctions politiques, administratives et judiciaires (basilique, curie et tribunal), des fonctions religieuses (capitole dédié à Jupiter, Junon et Minerve ou temple dédié au culte impérial), des fonctions financières (boutiques d’agents de change). Sur la place publique, se dressaient des monuments commémoratifs et des inscriptions honorifiques affichant aux yeux des promeneurs la dignité de la cité et de ses hommes illustres.

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Il faut dire que le précédent agent référent du service régional de l’archéologie [2], en poste jusqu’à l’année dernière, n’était pas connu pour être très regardant sur les projets de la mairie. Une fois élu, Kovacs dépose donc rapidement son permis de construire. Coût estimé des travaux : 5 M€ (augmenté à 6 M€ puis 9 M€).

Deuxième acte : en janvier 2016, comme avant n’importe quel aménagement conséquent dans une zone archéologique sensible, l’Institut national de la recherche archéologique préventive (Inrap) mène un diagnostic sur une partie de l’emprise du parking (1 500 m² sur 10 800 m²). Sans surprise, leurs sondages confirment ce que n’importe quel Viennois aurait pu deviner [3] : le sous-sol est truffé de vestiges archéologiques. Pire pour notre maire bétonneur : ils s’étagent sur 8,5 m d’épaisseur, du Ve siècle avant notre ère au XIXe siècle. L’Inrap rend en juin 2016 un rapport de 300 pages présentant les résultats scientifiques des premiers sondages. Ses conclusions ne laissent aucun doute : une fouille archéologique d’ampleur est nécessaire avant tout aménagement.

Troisième acte : la loi française sur l’archéologie préventive suit la logique du « pollueur = payeur ». Il faut comprendre par là que le coût des fouilles archéologiques, obligatoires, est à la charge de l’aménageur, en l’occurrence la mairie de Vienne. On imagine donc facilement la tête de Thierry Kovacs lorsque le service régional de l’archéologie (DRAC/ministère de la Culture) dresse le cahier des charges de la fouille à mener : 18 archéologues pendant 504 jours, soit deux ans [4]. La mairie de Vienne estime alors le coût des fouilles à 4,5 M€.

Plutôt que d’accepter l’évidence, à savoir l’absurdité d’un tel projet et son coût exorbitant, Kovacs attaque le service régional de l’archéologie (SRA), qu’il accuse d’"incompétence" et de rendre une décision "politique" (sans doute se considère-t-il plus compétent que les archéologues pour estimer le patrimoine...). Mener les fouilles ou laisser tomber le projet, le maire de Vienne refuse de choisir : il veut construire son parking, qu’importe s’il faut détruire 2 500 ans d’histoire pour cela. Il a donc lancé le 3 février un recours auprès du préfet de l’Isère, Lionel Beffre, espérant que celui-ci annulera les fouilles ou tout du moins en limitera l’ampleur. Que ce dernier s’oppose aux conclusions et à l’expertise des archéologues n’est a priori jamais arrivée jusque là. Et si le préfet ne bouge pas ? Alors Kovacs a d’ores et déjà annoncé qu’il porterait plainte au tribunal administratif, contre le SRA et le ministère de la culture !

Erratum 01/03 : C’est le préfet de région, et non pas le préfet du département, qui devra donner son avis dans un délai de deux mois à partir du 3 février.

La droite dure de Kovacs & cie, si prompte à fantasmer l’histoire de fRance, semble beaucoup moins regardante sur le passé lorsqu’il ne sert pas directement ses intérêts propagandistes et réactionnaires...

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L’emplacement du parking. Le batiment isolé à gauche de la photo est un temple romain conservé en élévation, pas besoin d’avoir BAC+8 pour se douter que le sous-sol est dense en vestiges...

Fouille et/ou parkings, les vestiges vont être détruits de toute façon ?

La question de l’archéologie préventive se pose régulièrement à l’occasion d’aménagement de grande ampleur. Lorsqu’on lutte contre un grand projet inutile (aéroport, TAV ou autoroute, au choix) il est tentant d’utiliser l’argument de la destruction des vestiges au même titre que celui de la destruction d’un écosystème ou d’un espèce animale protégée. Du point de vue de l’archéologie préventive, cet argument pose deux problèmes.

Le premier est que l’archéologie est une discipline par nature destructrice : fouiller une couche archéologique revient à la détruire, certes finement et avec minutie, mais à la détruire tout de même. Le but de l’archéologie préventive n’est pas de sauvegarder physiquement les vestiges (sauf cas exceptionnel), il s’agit de fouiller, d’analyser, de documenter les éléments dans leur contexte archéologique, en prélevant ce qui peut l’être à fin d’études (céramique, os, artefacts en métal ou éléments lapidaires).

Le second problème est que l’archéologie préventive est le premier maillon de l’aménagement : la fouille est payée par l’aménageur (certes contraint pas la loi) et détruit l’environnement où elle a lieu [5]. A ce titre la fouille archéologique, loin de s’opposer à l’aménagement, en est la conséquence et le premier acte. L’aménageur qui a déjà payé les fouilles est moins enclin à revenir sur son projet d’aménagement, d’autant plus que le milieu est déjà excavé, transformé, et donc partiellement détruit.

À défaut de permettre une sauvegarde « physique » des vestiges, l’archéologie préventive effectue une « sauvegarde par l’information ». Elle n’est finalement un frein à un aménagement que lorsque son coût financier, dû à la richesse des vestiges et à la durée des fouilles, remet en cause l’équilibre financier de l’aménagement et oblige l’aménageur à faire marche arrière. Le cadre légal de l’archéologie préventif n’ayant que peu bougé depuis le début des années 2000, les aménageurs prévoient en amont le coût des fouilles archéologique, et l’intègrent dans leurs montages financiers, particulièrement pour les grands aménagements (aéroports, centrer park) ou pour les aménagements linéaires (TGV, autoroute).

Pour revenir à notre parking viennois, il s’agit de se rappeler que du béton, de la place pour les voitures, ce n’est pas -sauf question financière- l’archéologie qui l’empêchera...


Notes

[1Dont le prix des places au théâtre antique ont écarté toute possibilité d’accès pour un public populaire depuis de nombreuses années tandis que Wauqiez, à peine élu doublait la subvention du festival pour atteindre 150 000 €/an !

[2Le service régional de l’archéologie (SRA) est le service de la DRAC (ministère de la culture) en charge des fouilles archéologique et de leur contrôle. Quelques explications sur le fonctionnement de l’archéologie préventive sur le site du ministère de la culture ou sur celui de l’INRAP.

[3Le maire lui même n’aurait eu qu’à demander à ses propres services pour avoir ce type d’information, car sa mairie emploie une archéologue municipale à temps plein ! Ce poste n’est évidement pas à l’initiative de l’actuel maire de Vienne, c’est une survivance de la gestion de la mairie par la Louis Mermaz (PS) entre 1971 et 2001.

[4C’est énorme par rapport aux fouilles archéologique « moyennes » menées dans la région, mais peu concernent une telle épaisseur de vestiges.

[5On peut nuancer entre le diagnostic, qui ne concerne qu’environ 10% de la superficie et la fouille à proprement parler dans un second temps, qui « ouvre » extensivement l’emprise où se situent les vestiges

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