Banlieues : n’attendons pas il y a cinq ans !

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À l’heure où l’Allemagne a célébré jusqu’en demi-finale l’épopée en Coupe du monde d’une équipe nationale à l’image du pays, un rapport de cause à effet est établi entre le problème des banlieues françaises et le fiasco des Bleus. Procédé inductif dont tout le monde connaît les dangers, lier les deux est réducteur. Il est insensé de considérer le comportement des onze titulaires de l’équipe de France comme révélateur de quoi que ce soit. C’est une insulte aux jeunes des banlieues tout à coup montrés du doigt parce qu’un milliardaire issu du même milieu social se paye le culot de lâcher un « fils de pute » du haut d’une place que beaucoup lui envient. D’autre part, en terme de représentation, on aurait pu mieux faire. Où sont les femmes et les autres générations ?

En plus d’être réducteur, ce rapport de cause à effet est falsifiable. Prenons le mondial de 1998 ; il y a douze ans, on célébrait fièrement le succès d’une France multiculturelle et propulsait un fils d’algériens kabyles au rang de héros national. Pourtant, il y a douze ans, les cités existaient déjà et elles allaient déjà très mal. Mais dans l’euphorie du sentiment nationaliste, le problème ne méritait pas d’être posé. La souffrance n’est pas une raison suffisante pour s’interroger ; il nous faut des novembre 2005, il nous faut des catastrophes. En 2010, la médiocrité de l’équipe de France exige un coupable ; on stigmatise les banlieues.

Si le lien de causalité est invalide, les deux parties sont indépendamment indéniables : le mondial 2010 de l’équipe nationale a été un fiasco et les banlieues françaises vont très mal - depuis des décennies, serait-il bon d’ajouter. Pour ce qui est du football, la question est suffisamment traitée. Interrogeons seulement le philosophe Alain Finkielkraut quant à ses déclarations sur Europe 1 et France Inter. « On ne peut pas sélectionner en équipe de France des gens qui se foutent de la France », a-t-il dit avant d’inviter à recruter des « gentlemen », prenant l’exemple d’un footballeur s’exprimant dans « une langue élégante et irréprochable ». Pourquoi un footballeur devrait-il s’exprimer dans un français élégant et irréprochable, a fortiori quand les jeunes générations, tout milieux sociaux confondus, en sont incapables ? Plus intéressant, les « gens qui se foutent de la France » sont tout aussi français qu’Alain Finkielkraut. Pourquoi des gens se foutent-ils de la France et d’autres pas ?
Les frasques de l’équipe nationale et le rapprochement illégitime avec la situation des banlieues est une aubaine ; elle offre une possibilité de s’interroger. Pourquoi les banlieues françaises vont très mal ? Les gens des cités sont en colère ; certains jeunes des cités le manifestent. Le problème ? Les solutions apportées n’en sont pas. Le gouvernement cherche vainement à éradiquer ces manifestations de colère, non pas à la comprendre. Le flicage à outrance met de l’huile sur le feu, multipliant les injustices. Pourquoi un jeune Français issu de l’immigration maghrébine a-t-il mille anecdotes de contrôles policiers à raconter quand le jeune Français blanc de peau n’en a pas ? Pour les délits effectifs tel le trafic, la répression policière est un facteur aggravant. Les prisons sont surpeuplées, les juges ne savent plus où placer les délinquants. Vendre de la drogue n’amuse personne, dealer est un recours pour survivre quand on est victime de discrimination à l’embauche. On rate lamentablement le coche ; on envoie les dealers de marijuana en prison, pas les recruteurs racistes. Les lois anti-immigration et celles sur la laïcité visant en réalité l’islam accroissent le sentiment d’exclusion et on s’apprête à semer la guerre au sein des familles elles-mêmes avec le projet de loi sur la responsabilité des parents de délinquants mineurs.

Le débat sur l’identité nationale aurait été une idée constructive s’il avait été mené de bonne foi, c’est-à-dire, s’il n’avait pas été un cri de panique visant à ressusciter des valeurs qui prévalaient jusqu’à il y a soixante ans mais la verbalisation de faits : la société s’est transformée et ces valeurs-là n’existent plus. La France est faite de citoyens à l’identité culturelle multiple, on ne plus continuer de l’ignorer. Tant que ce sera le cas, les Français nationalistes se mentiront à eux-mêmes et des Français descendant d’immigrés continueront d’être en colère. Le mensonge engendrant l’immobilité et la colère, la cécité, nous n’avancerons pas sans reconnaître l’évidence.

Ce comportement nihiliste suscité par la peur, probablement liée à l’incapacité française de reconnaître un passé colonialiste, rend le problème insoluble et ce sera le cas tant que les gens voteront pour des politiques aux actions répressives. La première réponse n’est même pas celle de l’éducation prônée par certains opposants auxdits politiques. La première réponse est une question d’acceptation et ce n’est pas aux exclus qu’il incombe d’y répondre !

Il faut au plus tôt et radicalement changer de perspective. Cela signifie accepter que les descendants d’immigrés sont des citoyens français à part entière et cesser de les stigmatiser puisqu’ils sont partie intégrante de la France. Il est grand temps de construire ensemble un pays commun et de balayer la peur sédentaire qui le pourrit, c’est-à-dire faire le deuil de valeurs qui n’existent pas pour vivre dans le présent. Les situations de crise sont nécessaires ; elles offrent aux sociétés la possibilité d’inventer et de construire en s’émancipant de ce qui ne fonctionne plus.
Il est urgent d’arrêter de se renfermer sur soi-même pour adopter une posture ouverte, en termes autant géographiques qu’humains. Dans les villes, l’embourgeoisement des quartiers populaires doit cesser et celles-ci, elles-mêmes cesser de se fermer aux périphéries. La dé-ghettoïsation de la France passera par une évolution des mentalités des citoyens, des acteurs du marché du travail et des politiques.
Et à qui rétorque que le bien vivre ensemble d’individus issus de milieux sociaux, de culture ou de niveaux d’éducation différents est un leurre, répondons que l’effort, non seulement de respect mais aussi d’intérêt pour autrui, est un travail avant tout individuel. La première responsabilité d’un être humain est sa propre personne ; pourquoi ne pas commencer par s’ouvrir l’esprit avant de préparer la révolution, avant de voter extrême droite, avant de brûler des voitures ? Demandons-nous pourquoi la colère existe avant de prendre des mesures contre. Questionnons dès aujourd’hui les mauvaises réponses des politiques ; le changement est un effort de longue haleine et l’état actuel de la France ne nous offre pas le luxe d’être pessimistes.

Par Élisabeth Chevillet, écrivaine

Écouter les interviews d’Alain Finkielkraut sur Europe 1 et France Inter où celui-ci explique que les cités ont tout à voir avec les évènements du mondial car on y retrouve les mêmes divisions ethniques et religieuses avec exclusion du premier de la classe.
Dans le livre La guerre des banlieues n’aura pas lieu (Cherche Midi, 2010) l’écrivain et musicien Abd al Malik note qu’on n’agit pas de la même manière selon qu’on se trouve au centre ou à la périphérie des choses.

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