Calais : l’humanitaire en action

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Un bruit court à Calais. L’armée est à quelques kilomètres, des grilles de sécurité par-dessus la tête. Camions, barnum et radar accompagnent le campement installé à l’aéroport de Marck. Que trafiquent-ils ? Des charters militaires à la rescousse ? Les vœux de la maire Bouchart enfin exaucés ? « Non, non, » nous dit-on, « ils étaient là pour une manœuvre, ils remballent ». C’est qu’à force de voir associée l’action humanitaire aux opérations militaires, l’imagination va galopante. Et l’humanitaire justement, on en parle
 beaucoup depuis l’annonce de l’expulsion du camp.



Raison humanitaire, raison d’Etat.

 Le 26 septembre dernier, Hollande confirmait le démentèlement de la jungle dans « un délai très bref », ajoutant qu’il consisterait en « une opération humanitaire, mais la moins policière possible ». Le plan vise à faire monter 10 000 personnes dans des bus à destination des CAO (Centre d’Accueil et d’Orientation) pour vider le camp en dix jours. Direction les campagnes françaises. Le tout soutenu par une meute d’associatifs, Secours Catholique et L’Auberge des Migrants en tête, aliénés à coups de petits fours place Beauvau (certains se rêveraient-ils en futur Martin Hirsch ?) et le gouvernement 
instigateur du plus grand bidonville de France en devient, par un grossier tour de passe-passe, le sauveur inespéré. Hollande soigne sa gauche, les migrants disparaissent et tout le monde est content ! Sauf qu’emballement ou effet d’annonce, il a décidé de raser du même coup le CAP (adieu les 125 containers à 20 millions d’euros) et le camp des femmes de Jules Ferry. Rien de prévu pour le millier de mineurs isolés. Et pour ceux qui rêvent toujours de l’Angleterre ? Justement, pour ceux qui refuseraient de partir en classe verte, l’épuration a commencé.

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Classique prélude à l’expulsion, les arrestations massives se font sur réquisition et sans motif dans les rues qui mènent du camp au centre-ville, et de façon tout aussi arbitraire en gare de Calais-ville, Hazebrouck et Paris Nord. Un flic en civil fait mine de sympathiser "Tiens, tu veux une clope ? Sinon vous allez en Angleterre ?" Si l’intéressé répond oui, une équipe en uniforme déboule deux minutes plus tard et embarque tout le monde. C’est-à-dire qu’avec un objectif de 80 privations de libertés par jour, ils n’ont pas intérêt à chômer. L’UNSA Police grince des dents et réclame déjà des renforts pour l’opération humanitaire. À vos ordres ! Du 17 au 27 octobre, 19 Compagnies Républicaines de Sécurité et 15 Unités de Forces Mobiles s’ajouteront aux 150 policiers locaux (BAC comprise) pour démanteler, filtrer, sécuriser et surtout empêcher la réinstallation des migrants dans le Calaisis. Là-dessus comprenez "ratonner en toute liberté". Les passages à tabac font partie du folklore local pour les flics en mission sur le littoral. Cette année, ils auront même droit à une nouvelle attraction : un maxi laser aveuglant. La raison humanitaire est toujours la plus forte. Un argument imparable à l’effet performatif pour légitimer d’un claquement de doigt une opération coercitive. Quant à ceux qui ne s’y soumettent pas, ce ne peut être que des agitateurs malveillants. 
Il faut les écarter. 

Criminalisation et éloignement des indésirables. 

La nouvelle législation du droit des étrangers passe à la vitesse supérieure. En plus des placements en rétention, OQTF et expulsions (soit vers le pays d’origine, soit vers le pays d’arrivée en UE, responsable de la demande d’asile conformément à Dublin III), devrait bientôt s’ajouter une interdiction de retour sur le territoire français, prévue par la loi séjour du 7 mars 2016. Qu’ils partent, et pour de bon. Pour pérenniser tout ça, l’UE aménage des accords de renvois massifs vers l’Afghanistan (pays déjà considéré comme sûr par le Royaume-Uni, tout comme l’Irak puisqu’il faut bien justifier ses interventions militaires) et la construction de centres de rétention au Soudan. Tout cela moyennant une "aide au développement". L’Italie avait ouvert la voie lors des accords de Khartoum et bénéficie déjà de possibilités de déportation express vers l’Afrique de l’Est. Et pendant ce temps-là, Le Monde se félicite de voir la création d’un corps de gardes-frontières européen. Ce super Frontex serait une "avancée remarquable".

 Il faut aussi régler leur compte aux militants européens. L’UNSA Police prévient : « Au vu des événements de ce week-end, le démantèlement s’annonce très tendu surtout avec les extrémistes No Borders étrangers. [...]. Ces militants ne doivent plus pouvoir venir à Calais ». L’Etat sélectionne ses interlocuteurs parmi les associatifs dociles enclins à la collaboration, pour assurer le vernis humanitaire de son opération. On distribue le titre de No Border comme un adjectif disqualifiant à qui se met en travers du chemin. En juin, deux bénévoles anglais avaient reçu une OQTF pour s’être trouvés au milieu du champ de bataille, lors d’un dougar. La manœuvre vise à criminaliser une présence sans étiquette ou une ligne politique trop critique. Le préfet avait fait savoir, il y a quelques mois, que La Cabane Juridique n’était pas la bienvenue sur le camp de Grande-Synthe et la permanence de la jungle brûlait sous les yeux des flics au printemps. Quelqu’un verrait-il d’un mauvais œil la collecte de récits des violences policières ? Si l’intimidation ne suffit pas à calmer les militants de pays voisins, l’OQTF pourra désormais, grâce à la fameuse loi séjour, être assortie d’une interdiction de territoire comme il en a été distribuées des dizaines à Vintimille. D’autant qu’à force de contrôles, PV, insultes et vitres de voiture explosées, on n’est pas loin des pneus crevés à l’italienne...
Gare à ceux qui voudraient s’opposer à la destruction du camp. Une ONG mandatée par l’Etat distribue en douce des questionnaires aux exilé.e.s pour connaitre leurs plans lors de l’expulsion et exhorte les différentes forces en présence à se positionner "Mais qui donc ouvrira des squats ?" afin de jouer son rôle d’indic. La préfecture a d’ores et déjà demandé aux grosses asso’ de soumettre une liste de bénévoles, sous réserve d’acceptation, et personne ne moufte. Ceux qui voudront accéder au camp durant le démantèlement devront être munis d’une autorisation. Les humanitaires ont arrêté de distribuer des bouteilles de gaz et des vêtements pour se consacrer à la publicité des CAO jusqu’ici tant décriés. L’expulsion est entérinée dans beaucoup d’esprits et les agitateurs seront tenus à distance.
À quand les interdictions de Pas-de-Calais et les assignations à résidence de vilains "No border" ?

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« Si, il y a quelques années, les migrants fuyaient l’affrontement, ce n’est désormais plus le cas »



Les flics doivent garder les mains libres car raser le bidonville risque de ne pas être aussi simple. Certes, « jungle is no life » mais un hébergement cerné de fachos dans un bled de l’Isère n’apparait pas plus enviable quand on veut passer en Angleterre. Sans surprise, le plan d’évacuation du camp est une totale négation des aspirations de ses habitants. Personne ne criait "CAO" ou "Documents" lors de la manif avortée du week-end dernier, mais bien "UK ! UK !". 
La proposition du gouvernement est on ne peut plus précaire puisque les CAO ne sont réservés que pour trois mois... Après quoi, ils demanderont l’asile par dépit, sans garantie de l’obtenir, ou seront expulsés sans difficulté puisque non informés ou mal défendus, loin des réseaux militants et de leur communauté.

De fait, la prochaine bataille contre ces logiques racistes et gestionnaires sera délocalisée, loin de la frontière britannique. Elle se jouera dans toutes les villes de France prêtes à organiser une réponse le soir de l’expulsion. L’étape suivante de la lutte aura lieu dans les régions où les sans-papiers seront dispersés et désarmés. Son issue dépendra de notre capacité à nous mettre en réseau, à aller à la rencontre d’exilé.e.s parachuté.e.s en terrain hostile pour relayer de l’information, être vigilants quant aux expulsions, fournir des traductions ou diffuser du matériel juridique. Précieux outils de résistance lorsque l’on est confiné à l’isolement.

Certains reviendront à Calais, comme beaucoup de ceux qui ont tenté l’expérience depuis l’ouverture de ces hébergements en mars dernier, mais le problème ne sera plus visible, Hollande aura accompli sa mission et refilé le bébé. Une bonne partie des exilé.e.s n’en démord pas et veut traverser, coûte que coûte. Cette île, par beau temps, ils la touchent du doigt et ce n’est pas ce qu’on leur offre ici qui les retiendra. Alors oui les mecs s’organisent. Et attention, de façon "quasi-militaire" d’après le carnet de bord des policiers chargés de la sécurisation de l’A16. Ces derniers se plaignent que les migrants utilisent des branches d’arbres et mettent le feu à des pneus pour créer des embouteillages et ainsi se cacher dans les camions arrêtés. 
À force de réduire les gens à leur condition de demandeurs, de victimes, ou de bouches à nourrir, certains seraient presque surpris de tant de détermination.



Ce samedi 1er octobre, les pierres ont volé contre les forces de l’ordre. Visages masqués et gestes habiles, les migrants sont rodés aux affrontements, mais la riposte démesurée. Sept cents grenades ont été tirées et le canon à eau dégainé contre quelques deux cents personnes. Le nombre de balles de défense reste mystérieux, parait qu’ils n’en ont pas. Elles doivent pousser dans le sable. Rien de neuf sous le ciel gris, la routine, gazages massifs et tirs tendus. Un bras cassé, combien de blessés ? Tandis qu’on s’émeut des violences policières à chaque mouvement social comme au premier jour, Calais est la version paroxystique d’une violence diffuse sur le reste du territoire. Ici, les flics maintiennent la cadence depuis quinze ans, se font la main sur le nouveau matos et se préparent à une chasse à l’homme de plusieurs semaines pour s’assurer que les migrants foutent le camp. Tandis que le Défenseur des droits s’interroge bien au chaud, nous ne les laisserons pas seuls aux mains de la police humanitaire. À aucun prix, la jungle ne peut être détruite dans l’indifférence. L’accueil français mérite des pierres et ses collaborateurs d’entrepreneurs d’en payer la facture.



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