Chronique d’une comparution immédiate suite à la manifestation du 28 avril 2016 à Lyon

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Comptes-rendus de justice | Loi travail

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Vingt-deux ans à peine, ouvrier pâtissier boulanger, il est présenté lundi 2 mai devant la Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Lyon, en comparution immédiate. Il a été interpellé jeudi 28 avril sur la place Bellecour au terme d’une manifestation houleuse émaillée de violences policières. Il vient d’effectuer 48 heures de garde à vue suivies, sur décision du Juge des libertés et de la détention, de 48 heures de détention provisoire à la maison d’arrêt de Corbas.
Il est prévenu de "violences sur dépositaires de la force publique n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail", de "participation à un attroupement" et de "dissimulation du visage étant porteur d’une arme" en l’occurrence d’une bouteille en verre.

Il reconnaît les faits et demande à être jugé immédiatement renonçant ainsi à son droit de demander un délai qui lui permettrait de mieux préparer sa défense au risque, cependant, d’être maintenu en détention jusqu’à la date de comparution en audience ordinaire. Il déclare au juge qu’il répondra aux questions qui lui seront posées et qu’il a des déclarations à faire.

Il a été repéré et photographié une première fois au croisement du cours Gambetta et de l’avenue Garibaldi lors des affrontements qui ont opposé aux flics des groupes qualifiés « d’hostiles ». Il est parfaitement reconnaissable à sa tenue, un sweet à capuche vert portant une inscription très banale, « panama city droite et gauche ». Il jette un projectile en direction des policiers. Plus tard, il est à nouveau photographié sur la place Bellecour dans des conditions similaires.

Le jeune homme a été blessé sur la place Gabriel Péri. Un grenade de désencerclement a explosé devant lui et les projectiles libérés l’ont frappé aux jambes. A la fin de la manif, il se présente de son plein gré et de bonne foi à un flic pour déposer une plainte. Il se jette ainsi littéralement dans la gueule du loup. Il est interpellé après vérifications et confrontations aux photos sur lesquelles il apparaît. Il n’y a ni rébellion ni outrage de sa part.

Le policier qui a porté plainte contre lui ne s’est pas porté partie civile reconnaissant ainsi que les actes qui lui sont reprochés n’ont fait aucune victime.

A l’audience, après ce rappel des faits, le juge s’adresse à lui sur un ton ironique et humiliant. Le jeune homme portait un sac dont la fouille a mis à jour un tract du site Rebellyon.info qui donne des conseils en manifestation. Le juge en fait alors la lecture intégrale, une première sans doute dans un prétoire, et, cherchant à accabler le jeune homme l’accuse paradoxalement de s’en être inspiré pour préparer sa participation à la manif, préméditation, mais de ne pas l’avoir suivi à la lettre, naïveté.

Celui-ci déclare qu’il n’a pas lu ce tract et ne répond pas à la provocation du juge.

Puis le juge se livre à la lecture du procès verbal de l’interrogatoire en garde à vue. Le jeune homme s’explique. Il est venu à la manif avec son cousin. Lors des affrontements à hauteur de la rue Garibaldi, celui-ci s’est trouvé en mauvaise posture et le jeune homme a jeté une première bouteille pour tenter de lui venir en aide. Par la suite, il reconnaît avoir jeté une seconde bouteille et un pot de confiture en verre et qu’il a donné des projectiles à d’autres manifestants. Si les photos le montrent portant un foulard devant le visage c’est qu’il a du se protéger contre les gaz des grenades lacrymogènes. Puis il tient à dénoncer le violences policières dont il donne plusieurs exemples.

C’est lors de la lecture de l’enquête de personnalité que l’audience change d’allure. Car l’histoire de ce jeune trahit une existence misérable. Son parcours, très commun somme toute, n’est rien moins que celui d’un prolétaire au sens de celui qui n’a rien à perdre, au sens strict. Placé en famille d’accueil de l’âge de 3 ans à l’âge de 14 ans, mesure de protection contre un beau-père violent, il entre ensuite en Centre Educatif Fermé pour des bêtises d’ado. De cette date, il ne voit plus sa mère.

A sa majorité, il se retrouve à la rue. Il est maintenant père d’une petite fille de 10 mois dont la mère est décédée il y a trois mois. Titulaire d’un CAP de pâtisserie boulangerie, il travaille chez un artisan boulanger en CDI depuis cinq mois et s’occupe comme il peut de sa fille, aidé tantôt par une tante, tantôt par un cousin. Il est suivi par un éducateur en milieu ouvert mais son moral est au plus bas.

Son casier judiciaire est vierge.

Il déclare qu’il a manifesté parce que c’est son droit et qu’à aucun moment il n’a voulu blesser ou seulement toucher un policier. Les circonstances très violentes de la manifestation sont à l’origine de ses actes.

Le réquisitoire du Procureur de la République sont à la mesure du contexte et des circonstances qui ont conduit à l’interpellation de ce jeune homme. Après s’être livré à un vibrant éloge des nouvelles technologies qui permettent aujourd’hui d’identifier sans hésitation un manifestant, il tente de démontrer que l’inculpé est venu pour en découdre avec la police, que ses actes n’ont pas été spontanés mais préparés, ce dont la possession du tract de Rebellyon.info serait la preuve. Sa participation à la manifestation au sein d’un attroupement « avec arme » montrerait ses intentions hostiles, casser du policier. Puis il se lance dans un sermon faisant appel à la vulgate démocratique.

Ce jeune homme se serait dissocié de la manifestation et se serait en réalité dressé contre les autres manifestants et leur mouvement sur lequel ses actes auraient jeté le discrédit. Car comme tout citoyen honnête le sait, le droit de manifester est un droit imprescriptible pour autant qu’il soit défendu pacifiquement. A ce titre, le Procureur lance « un avertissement solennel et très ferme » et demande à la cour de « ne pas accepter ces comportements ». Il requiert 9 mois de prison dont 3 avec sursis et le maintien en détention.

La plaidoirie de l’avocat commis d’office est impeccable. Très efficace, il reprend les déclarations du jeune homme et fait la preuve qu’il n’est en aucun cas un « casseur ». Il n’en a pas le profil. Son casier est vierge, il travaille, il a surtout besoin de soutien et d’aide, sa détention provisoire est très sévère compte tenu de son état de jeune père de famille, il reconnaît les faits qui sont « certes inexcusables » mais au terme de 4 jours et 4 nuits d’incarcération « il a payé suffisamment son mauvais choix ». Déclarant trouver les réquisitions du Procureur très exagérées, il propose une peine de substitution, un Travail d’Intérêt Général peut-être.

Verdict : 3 mois avec sursis sur cinq ans. Pour faire bon poids, le juge conseille au jeune homme « d’être prudent pendant les manifestations ».

Cette audience aura été exemplaire à plus d’un titre :

- la stigmatisation d’un jeune révolté contre un système qui rend l’existence inhumaine ;
- une condamnation dont la conséquence recherchée est clairement de le maintenir longtemps éloigné des luttes sociales en faisant peser sur lui le risque d’une condamnation aggravée en cas de récidive ;
- le courage d’un prévenu qui n’a pas accepté d’être muselé et s’est défendu avec détermination ;
- la morgue et la duplicité du personnel judiciaire dont la fonction politique est de défendre l’ordre établi tout en propageant le mensonge d’une démocratie pacifique et du droit légitime de manifester qui seraient menacée par les explosions de colère injustifiées d’une jeunesse égarée ;
- enfin la détermination de ce système inique qui n’hésite pas à frapper durement toute tentative de contestation un tant soit peu déterminée qui pourrait bien devenir contagieuse.

Lundi, on était loin des fariboles dont on nous gave à longueur de commentaires dans les médias aux ordres.

Dans le box, il n’y avait ni casseur ni gauchiste patenté, il y avait un jeune prolétaire dont l’énergie de la révolte menace l’équilibre fragile du mythe d’une démocratie pacifique.

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