Confessions d’une mangeuse de viande

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Une présentation de l’essai de Marcela Iacub sur le végétarisme qui est paru il y a quelques semaines.

« Il y a quelques mois, un évènement tragique a complètement transformé l’idée que je me faisais de mon passé. Depuis, je sais que la seule chose digne d’intérêt qui me soit arrivée, c’est le fait d’avoir mangé de la viande. » Ainsi s’ouvre l’essai que Marcela Iacub, intellectuelle réputée, consacre à la prise de conscience qui l’a frappée comme la foudre après une vie où manger de la viande a été un plaisir passionné, féroce. Toute personne respectueuse des animaux doit faire face à ce problème éthique : comment manger, autrement dit effacer de la terre, détruire de façon complète et irrémédiable, ces vies qui touchent pourtant son cœur ?

Dans son ouvrage court et limpide, structuré un peu à la façon d’une tragédie antique, Marcela Iacub raconte comment cela a été possible pour elle, avec droiture, avec le désir de ne rien dissimuler de ce dont elle pourrait avoir honte maintenant qu’elle est végétarienne (suivant en cela, outre par ailleurs Saint Augustin, la figure tutélaire de l’exercice dans l’histoire des lettres : Rousseau) Le premier chapitre de son histoire après le prologue est une description de son ancien gout immodéré de la viande qui peut susciter même le malaise : « J’adorais avaler des animaux préparés selon toutes les modalités des cultures humaines. » L’auteure se fait provocante en évoquant, à l’époque de sa passion, son opinion du cannibalisme dont elle jugeait la peur « incompréhensible chez les mangeurs de viande » !

Toutefois elle précise que jusqu’à ses 12 ans elle n’aimait pas manger de la viande et qu’on devait l’y forcer. Son amour de la viande n’était donc pas aiguillonné à l’origine par un instinct implacable et souverain. Elle montre plus largement que son rapport avec les animaux a été l’objet d’un certain conditionnement rabaissant pour ces derniers : « La première idée politique que j’ai entendue, avant même que je puisse la comprendre (…) c’est qu’il n’y a rien de plus grand, de plus merveilleux, de plus absolu que l’Homme. » L’entourage de l’auteure lui inculquait un amour de l’Homme quasi exclusif. « Il fallait avoir un cœur qui batte pour toutes les créatures humaines, même les plus lointaines et les plus monstrueuses » mais pas pour les animaux dont l’intelligence moindre justifiait sinon le mépris complet du moins la servitude tant que l’Homme y trouvât son compte. Si Marcela Iacub peut à présent démonter facilement la fausseté de ces idées et, parfois, leur hypocrisie elle déplore qu’en ce temps reculé de sa vie « quoiqu’il en fut, en dépit des interrogations ponctuelles que cette philosophie avait pu susciter en moi, j’ai cru et adhéré à tout… »

Que fallait-il donc pour ébranler cette « humanisme carnivore » ? Peut-être, pour un tempérament cérébral, des lectures de philosophes animalistes ? Non. Une simple petite chienne de six kilos, à la race indiscernable, Mademoiselle L. (Que l’on songe au Faust de Goethe où Méphisto apparait au héros sous la forme d’un caniche noir !) Après un début de relation difficile Marcela Iacub en est venue à s’éprendre follement de sa chienne dont elle a découvert toute la richesse bouleversante. Ceci l’a fait remettre en question sa vision des animaux domestiques dans leur ensemble et des rapports que les hommes pourraient entretenir avec eux : « Nous préférons transformer en steaks, terrines, grillades, brochettes et saucisses des êtres qui pourraient nous faire comprendre ce que nous sommes, ce qu’aimer, vivre et ressentir signifie, des êtres qui pourraient nous ouvrir à des formes de relations et de communication que nous ne soupçonnons pas, nous permettre d’élargir notre imagination, de transformer notre organisation sociale… »

Malheureusement, les animaux auxquels cet esprit pensait si généreusement y demeuraient justement des plus abstraits. « Et que peut une idée vague, que peuvent les animaux conceptualisés (…) comparés aux pulsions irrésistibles qui m’amenaient à dévorer des brochettes d’agneau, des canards à l’orange, des saucisses de Toulouse ? » C’est un problème général de nos sociétés de vivre dans la coupure. Entre la production des biens et leur présence sur les étalages des magasins il y a un mur épais de derrière lequel, en l’occurrence, les cris des animaux, réduits à de la simple matière première pour satisfaire non seulement la faim mais la gourmandise non tempérée et meme un gaspillage immense (1,3 milliard de tonnes de nourriture par an selon la FAO !), ne nous parviennent pas.

Si finalement un petit chien ne parvint pas à déciller les yeux de l’auteure, ce fut au tour d’un poney de la faire basculer à nouveau dans le trouble. Une affaire étrange que celle de ce poney qui dut subir les assauts sexuels d’un homme. La condamnation relativement lourde, à la mesure de « sévices graves » et « d’actes de cruauté », que celui-ci reçut en justice fut une énigme pour Marcela Iacub en ce que le poney n’avait pas souffert de violence réelle. Elle chercha pendant longtemps ce qui clochait là-dedans. Passer devant une boucherie chevaline près de chez elle lui put lui donner un premier indice « Le fait de tirer des jouissances sexuelles d’un animal sans lui causer la moindre souffrance (…) est interdit. Le fait de tuer un tel animal pour jouir du gout de sa chair est autorisé » Mais ce n’est qu’après un certain « événement tragique » que l’auteure débrouilla le nœud : la législation « avait fait de l’animal un être sensible sans lui avoir octroyé, dans le même temps, le droit à la vie » Le droit à la vie… C’était à la fois transparent et impossible à voir pour quelqu’un mangeant de la viande. Le droit à la vie… Un vertige quand ses yeux s’ouvrent enfin !

Mais quel est cet « événement tragique » qui est la clé de cet essai où la rigueur intellectuelle se pare de la plus grande simplicité, ce qui pour Albert Camus était la marque des grandes œuvres ? Il est annoncé dès le départ, comme il se doit dans une tragédie grecque, il est dissimulé jusqu’au terme des confessions, jusqu’à ce que la dernière goutte du calice amer soit bu. Pour cela il ne m’appartient pas de le révéler ici. Le lecteur devra parcourir une à une les pages des confessions de Marcela Iacub où il ne manquera pas de se retrouver lui-même. Une des forces du livre réside en ce que le récit intime que l’auteure accomplit a une valeur universelle. Une autre encore est qu’il est rédigé sans l’agressivité du disciple fraichement converti, écueil auquel votre serviteur (végétarien depuis trois ans seulement) admet devoir faire attention pour sa part : les vérités dures qu’il contient brillent ainsi d’une lumière plus claire comme celle qu’il y a dans les yeux d’un animal quand on ne les fuit plus.

Marcela Iacub, Confessions d’une mangeuse de viande, Fayard, 2011

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P.-S.

Mon blog : lelapinsauvage.blogspot.com

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