A Saint Fons, square de l’Europe, ces familles qui se trouvaient auparavant route de Vienne, avaient pourtant cru un moment que la Sénatrice-Maire de leur ville avait une vision plus humaniste de leur condition.
Quand ils ont été gazés par la police en novembre 2010, Madame la Sénatrice n’avait en effet pas hésité à saisir la CNDS (aujourd’hui Défenseur des Droits) pour dénoncer des "agissements policiers insupportables qui rappellent l’époque la plus noire de notre histoire".

Finalement chassés de la route de Vienne, il se sont installés un peu plus loin, square de l’Europe… C’est probablement par hasard que l’endroit qu’ils ont choisi porte un nom synonyme, pour eux, au moins, de libre-circulation et d’espoir : « Europe ». A moins que, citoyens européens eux aussi, ils ont cru qu’ils seraient mieux acceptés à cette adresse.

Et bien non, européens ou pas, la France ne veut pas de vous mesdames et messieurs les Roms. Européens ou pas, la mairie socialiste de Saint Fons, comme celle de Lyon, ne veut pas de vous non plus, du moins, pas chez elle… Ce n’est pas parce qu’on est membre de la Commission des Affaires Sociales du Sénat et membre du Parti Socialiste qu’on traite les Roms différemment de monsieur Sarkozy, c’est-à-dire par l’expulsion et l’exclusion.

Pour bien vous le faire comprendre, elle vous a assigné en référé pour demander votre expulsion immédiate. Pour avoir l’air de ne pas trop bafouer les principes qu’elle défend pour tout le monde sauf pour vous : tolérance, révolte contre les injustices, la mairie a avancé, sans pouvoir le prouver, que le terrain était pollué, que le site était dangereux, qu’il n’y avait pas de sanitaires… Faisant mine de s’offusquer qu’un squat, ce n’est pas un hôtel 4 étoiles…

Le juge a entendu les arguments des 2 parties et il a tranché. Au passage, il a appelé au respect du droit, pour tous, mais également à un peu d’humanité.

S’il reconnaît que l’occupation du terrain constitue un trouble manifestement illicite et qu’il est légitime de le faire cesser, il rappelle qu’en France, un logement c’est un droit : « l’objectif de valeur constitutionnelle que représente le droit pour toute personne de pouvoir disposer d’un logement décent, exige également que les occupants aient une possibilité effective d’hébergement »

En ce qui concerne les dangers supposés que la mairie avance pour demander l’expulsion immédiate, le juge balaie ces arguments d’un revers de la main :
« En l’espèce, malgré les conditions particulièrement sommaires du campement installé sur les lieux, les modalités d’occupation constatées par l’huissier ne font toutefois pas ressortir de gêne ou de danger objectif pour la santé et la sécurité des occupants… »

Le juge a donc donné un délai de 2 mois et enfoncé le clou : « … d’autant que la partie de talus qu’ils occupent, située en contrebas du square de l’Europe, ne fait l’objet d’aucune utilisation effective… » a-t-il ajouté.

Les habitants de ce site, expulsés des garages où ils vivaient il y a quelques mois par les policiers qui les avaient gazés avaient commencé à reconstruire leur vie. Ils avaient trouvé un nouveau chez eux où ils ne dérangeaient personne sauf la mairie et le front national.

Aujourd’hui, ils sont à nouveau jetés à la rue par la police, sous l’œil satisfait des élus socialistes et du préfet qui pourra se vanter d’un nouveau « démantèlement de campement illicite de Roms ». Des vieillards, des femmes enceintes, des nourrissons, tous sont livrés une nouvelle fois aux dangers de la rue.

Anticipant la venue de la police, ils ont pu échapper à la remise d’OQTF à la volée. Il fallait voir la tête des policiers de la Police de l’Air et des Frontières avec leurs pochettes bourrées de documents. On aurait dit des enfants à qui on aurait confisqué leur jouet préféré. Ils avaient vraiment l’air dépités. Bien sur, ce n’est qu’une supposition de ma part. On aurait pu aussi penser qu’ils étaient heureux. Heureux que cette fois ils ne seraient pas obligés de distribuer des documents bâclés, élaborés à la chaîne, qui comportent de nombreuses inexactitudes. Heureux de ne pas casser la vie de pauvres bougres sous le seul prétexte qu’ils sont Roms.
Mais bon, je n’y crois pas trop.

Cette fois-ci, heureusement, on a échappé à ces scènes auxquelles personne n’arrive à s’habituer : des enfants qui hurlent, des femmes en pleurs, des hommes qui portent une ou deux valises ou qui poussent un chariot dans lequel ils vont emporter tout ce qui leur reste de leur vie.
Malheureusement on a encore vu les bulldozers rentrer en action et écraser les baraques aux toits colorés et aux intérieurs encore remplis de souvenirs.

Ils devront tout recommencer à zéro. Zorin, Maria et leurs 5 enfants dont le plus petit à 9 mois… Bobby et sa grand-mère, Strugurel, sa petite fille de 6 ans et sa femme enceinte de 8 mois… Et ils recommenceront. Et que dire de Leo…, né depuis quelques jours et déjà expulsé. Bienvenue au monde. Mais ils recommenceront. Tous. Parce qu’ils ont décidé de faire leur vie ici en France, et rien ne les empêchera, même si ce n’est pourtant pas facile quand on sait que pour certains, ce sera le 7^e déménagement depuis leur expulsion de Paul Bert, il y a 10 mois.

Alors plutôt que de se les renvoyer de ville en ville, de site en site, ne pourrait-on pas un jour, envisager d’autres solutions ? Il faudrait pour cela des responsables politiques volontaires et courageux. Une espèce en voie de disparition… Sylvie Guillaume avait fait des propositions en février… Qu’en est-il ?

Je me demandais comment on pouvait se réclamer du socialisme et participer à cette politique désastreuse qui ne fait que renforcer la droite extrême. Alors que la campagne des primaires va être lancée, je suis tombé sur l’article 1 de la déclaration de principe du Parti socialiste :
« Être socialiste, c’est ne pas se satisfaire du monde tel qu’il est, c’est vouloir changer la société. L’idée socialiste relève, à la fois, d’une révolte contre les injustices et du combat pour une vie meilleure. Le but de l’action socialiste est l’émancipation complète de la personne humaine. »
Je ne sais pas si on doit en rire ou en pleurer.

A Lyon et à Saint Fons, en été, comme à Vaise sous la neige, on se fait une autre idée du socialisme. Ici, on préfère aggraver les injustices envers les plus démunis et les plus fragiles plutôt que les combattre. On dirait bien que la chasse aux voix des électeurs d’extrême droite est déjà ouverte. Il n’y a plus de saison.

Un dimanche, dans la torpeur du mois de juillet pour répondre à une sortie nauséabonde du Front National, la première secrétaire du PS a pourtant déclaré : « il est temps d’instaurer une digue entre la République et l’extrême droite". Il serait bon que nos élus qui se proclament républicains s’en inspirent et commencent à construire cette digue en revoyant leur politique à l’égard des Roms.
En son temps, un autre maire de Lyon, qui n’était pourtant pas socialiste, avait dit : « Je préfère perdre une élection plutôt que de perdre mon âme… ». Une autre époque.

Ah, j’allais oublier… Pour la prochaine fois où les Roms n’auront pas la possibilité d’anticiper l’expulsion, il faudra demander au préfet d’éviter d’envoyer les mêmes fonctionnaires de police qui ont gazé le squat de la route de Vienne. Si jamais il y avait une bavure, ce serait du plus mauvais effet, non ?
Vous me direz, Madame la Sénatrice pourra toujours saisir le Défenseur des Droits…

Philippe ALAIN