Créer sa propre Caisse de Solidarité

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Depuis une petite dizaine d’années une « Caisse de Solidarité » existe sur l’agglomération lyonnaise. L’idée est assez sommaire : s’organiser et lutter contre la répression. Lundimatin a décidé de prendre le temps de faire le point sur cette initiative. Et, qui sait, de donner envie à d’autres d’en créer une là où ils se trouvent.

Quelles sont les nécessités qui ont présidé à la création de cette Caisse de Solidarité ?

La situation normale, ici comme ailleurs, c’est l’impunité de la police quand elle intervient dans la rue. Ce sont les arrestations musclées en manifs, les contrôles de police qui dégénèrent pour un oui ou pour non, les gens qui finissent en taule pour des embrouilles avec les flics. On part de cette réalité ordinaire, des histoires de « violences policières ». Et donc de la nécessité de s’organiser par rapport à cette situation qui nous est faite. Pour maintenir l’ordre public, le geste du pouvoir est d’écraser chaque geste de révolte, chaque illégalité qui prend de l’ampleur. Pour diffuser massivement l’idée que tout se paye, que chaque acte d’insoumission (refuser un contrôle de police, caillasser un équipage de la BAC, etc.) finit par être puni. Sur ce plan-là, l’enjeu est de savoir qui aura le dernier mot. C’est là que la Caisse intervient. Est-ce que les gens vont être écrasés, condamnés, et emprisonnés et l’histoire se terminer là, dans la tristesse, ou est-ce qu’à partir de cette tentative d’écrasement, d’autres choses, d’autres possibilités vont naître ?

Comment vous définissez ce que vous faites ? Qu’est-ce que ça veut dire pour vous lutter contre la répression ?

Lutter contre la répression nous amène à entrer en contact avec des gens sur la base de ce qui leur est arrivé : des flics qui interviennent un soir dans une soirée pour « tapage nocturne », des gens arrêtés et emprisonnés après une manif trop remuante, un type (quand ce n’est pas toute la famille) arrêté et tabassé parce que soupçonné de vendre du shit dans un quartier, etc. Mais déjà il faut s’arrêter : « ce qui leur est arrivé » nous est tout aussi bien arrivé. C’est ce qui nous différencie de « l’anti-répression ». On ne va pas voir les gens parce que ce qui leur est arrivé est « dur », « injuste », etc. mais parce qu’il y a une nécessité à ce que les gens qui sont généralement la cible des interventions de la police s’organisent ensemble contre elle. Et le premier pas, c’est de se rencontrer et de se raconter nos histoires (« ah oui les flics de tel comico, c’est vraiment des chauds », « on a rencontré telle personne à qui il est arrivé telle histoire similaire »...). C’est en prenant le temps de discuter que se dévoilent (ou non) les évidences sur ce que c’est que la police, en quoi elle nous est ennemie, et plus généralement dans quel monde est-ce qu’on vit. Par exemple, les choses qui pour nous sont des certitudes (porter plainte contre la police est vain et n’aboutit jamais), les gens qu’on rencontre le présupposent globalement aussi. Ils sentent bien qu’après s’être fait tabassé, c’est pas l’IGPN qui va pouvoir faire quoi que ce soit. L’auto-organisation qu’on met en place ressemble un peu au principe des mutuelles de travailleurs du XIXe siècle qui permettaient de faire face ensemble en cas de coup dur pour un ouvrier (chômage, maladie, accident...) – avant qu’elles ne soient intégrées au fonctionnement de l’État...

Une « Caisse » signifie que l’un de vos principaux objets est de récolter et redistribuer de l’argent ? Comment faites-vous ?

On est amenés en effet à participer au paiement des frais de justice et des avocats dans les affaires que nous « suivons ». On peut être amenés aussi à chercher de l’argent pour faire « cantiner » quelqu’un qui est tombé en prison. Il y a donc les fonds propres de la Caisse, l’argent récolté en soirées et pendant des concerts. Et l’impôt révolutionnaire auquel se soumettent tous les mois de nombreux sympathisants. Mais on se pose aussi souvent la question : comment faire de l’argent ensemble, avec les gens qui viennent nous voir : « ah mais on pourrait organiser une bouffe dans le quartier », « vous connaissez des groupes de rap ? C’est trop bien on pourrait les faire jouer pour une soirée », etc. Il y a un intérêt à ouvrir ces questions ensemble avec les gens que l’on est amené à rencontrer et à ne pas juste se contenter de donner/recevoir de l’argent.

La Caisse dispose-t-elle de son propre réseau d’avocats ?

Nous essayons d’avoir des contacts avec des avocats que l’on peut joindre facilement et qui sont prêts à faire des défenses peu onéreuses. Voire à prendre l’aide juridictionnelle systématiquement et à ne rien faire payer (ou très peu). On les rencontre en général au fur et à mesure des histoires et c’est comme ça qu’on agrandit le « carnet d’adresses » : un mix d’avocats militants et désabusés vis-à-vis du système pénal. C’est comme ça qu’on peut échapper aux avocats commis d’office, qui n’ont pas le temps (ou plus souvent qui ne le prennent pas) de préparer sérieusement la défense de leurs « clients ». Ou aux fripouilles qui n’hésitent pas à demander des milles et des cents à des gens qui sont déjà dans la merde.

Vous proposez votre « aide », ou plutôt des moyens de faire face aux « violences policières ». La police (et la justice) étant par définition des organismes violents, est-ce que cela veut dire que vous êtes prêts à soutenir quiconque a maille à partir avec ces institutions ? Ou est-ce que vous avez des critères de sélection des affaires que vous décidez de « suivre » ? Dit autrement : est-ce qu’il y a une délinquance « politique » bonne à soutenir et une autre ?

Ce qui importe vraiment, c’est de ne jamais faire ce distinguo : ce n’est pas ce qu’avait dans la tête tel individu au moment de faire ce qu’il a fait, mais le simple fait qu’il y ait eu une embrouille avec la police. C’est sur cette base, cette rébellion aussi minime soit-elle, qu’on peut ensuite commencer à discuter et envisager des choses. En toutes circonstances, ne pas préjuger à l’avance de ce qui est politique ou non. La logique répressive qui vise à contenir ce qui déborde est la même, que les gens soient « politisés » ou non. Donc acte politique ou non-politique ça saute. De même qu’on évacue tout de suite la question coupable ou innocent (est-ce qu’il a vraiment mis une pépite à un policier ?). Toutes les distinctions judiciaires, on ne les reprend pas à notre compte.

J’imagine que la volonté de la Caisse est d’être repérable, joignable justement hors des cercles proches ou des milieux militants...

On a un numéro de téléphone portable, des articles sur Internet et des petits tracts qui tournent dans différents lieux, pendant les mouvements sociaux. Puis il y a le bouche à oreille qui fonctionne bien. Ce qui fait que parfois on arrive même pas à retracer la chaîne de personnes qui a permis que les gens apprennent notre existence et nous joignent.

Qu’est-ce que ça produit sur vous cette organisation autour de la répression ?

On apprend beaucoup sur le fonctionnement de la justice, de la police et de la prison. On en a une bonne connaissance pratique au bout d’un moment. On partage tout ça dans des tracts (diffuser des conseils en manif par exemple, des infos sur les convocations, comment les flics procèdent le plus souvent en interrogatoire, etc.). Ça rend moins opaque l’univers policiers et leurs techniques, donc ça rend plus fort et ça évite de faire des conneries (en garde-à-vue par exemple, ce moment où on est particulièrement vulnérable). Le fait de savoir qu’il existe ce genre de Caisse, que certains s’organisent contre la répression, ne peut que développer notre puissance à agir et à s’assurer de l’impunité. Pour ne pas se retrouver dans l’éternelle posture de dénoncer la toute-puissance de l’institution policière. Mais pour créer la nôtre. Malgré les apparences, et notre nom, on ne soutient pas des gens mais des gestes. La possibilité que ces gestes existent et se diffusent, la possibilité de ne pas toujours être des victimes.

La Caisse est juste un point de cristallisation de quelque chose d’en vérité très diffus. Ce qu’on fait, d’autres gens le font aussi sans appeler ça « Caisse de solidarité ». Le fait de s’entraider après une arrestation et de proposer de la thune à une famille, d’envoyer des mandats à des amis tombé en rate, d’avoir des conversations au téléphone sans se dire explicitement les choses (telle groupe de voisines qui s’appellent en se demandant si elle peut venir emprunter du sucre = les policiers sont en intervention dans le quartier, récupère vite tes enfants !), etc. Tout ça d’autres gens le font. Sur ça, on invente rien.

Au delà du fait que vous ne luttiez pas contre la faim dans le monde, mais contre l’arbitraire policier, qu’est-ce qui vous différencie des associations d’aide aux pauvres (ici je présuppose que les violences dont on parle touche plus généralement les classes populaires)...

Concrètement, ça veut dire qu’on part toujours du fait qu’on évolue pas dans une réalité différente ou surplombante, de celle des gens qu’on rencontre. On ne vogue pas au-dessus de « leur » réalité miséreuse ou je ne sais quoi. L’affect qui conduit à entrer en relation, ça ne doit pas être la pitié. Nous aussi on a nos soucis avec la police, nous aussi on a des amis qui ont connu la prison, qui y sont encore. Si on rencontre des gens qui, du fait de leur vie bien souvent, ou d’un écart, ont des embrouilles avec la police, c’est parce qu’on a nous-même des ennuis avec la police, du fait de nos existences.

Et le fait de poser ça d’emblée dans la rencontre permet de casser tout de suite le rapport de charité chrétienne qui se crée sinon très vite : les gentils membres de l’association venus « aider les pauvres gens » qui seraient dans le besoin, parce qu’ils éprouveraient de la miséricorde par rapport à leur histoire difficile. Quelle dégueulasserie ! Non la Caisse est envisagée comme un outil. La caisse n’est pas tellement un « collectif » mais plutôt le nom d’une stratégie politique. On pense qu’une part de la conflictualité contemporaine se joue dans la rue, dans le rapport à la police. On a pu le voir récemment par exemple aux États-Unis, à Ferguson ou à Baltimore. On pense que la Caisse est un petit véhicule qui nous permet d’entrer en relation avec tout un éventail de gestes qui se mettent en travers de l’ordre policier.

Ça demande de prendre au sérieux ces histoires et ce sur quoi elles peuvent déboucher, là où l’anti-répression écrit souvent des textes très critiques de dénonciation des pratiques policières, des crimes policiers, mais néglige souvent ce plan. Le plan du qu’est-ce qu’on peut construire ensemble ? Comment continuer après une incarcération, un assassinat policier ? Notre démarche n’est pas de faire connaître au plus grand nombre telle histoire qui serait exemplaire des exactions policières. Parce que vivre des injustices est précisément le lot commun. Donc, selon nous, vouloir faire connaître à la terre entière qu’untel a vécu une terrible injustice n’est pas la bonne option, et devient épuisant à terme. Parce qu’on s’expose à rencontrer de l’indifférence, ou des journalistes – ce qui n’est pas bien mieux. On n’est jamais en position d’attente : car il n’y aura jamais de super-institution vraiment impartiale qui viendra, enquêtera et dénoncera tel abus policier, et limogera les auteurs. Il n’y aura jamais d’énorme scandale qui fera « bouger les choses ». Cette situation n’arrivera jamais et cette attente expose à développer, à terme, beaucoup de frustration.

Si vous pensez mettre à disposition un « outil », qu’est-ce qui se passe entre vous et les gens qui l’utilisent ? Vous voulez « prendre au sérieux ces histoires » de violences policières et surtout, « ce sur quoi elles peuvent déboucher »... Justement, sur quoi débouchent-elles ?

En vérité, c’est la loterie. Parfois les rencontres ne donnent pas grand chose, on ne se revoit pas ou très ponctuellement, lors d’un procès par exemple. Même si les gens sont très contents de nous avoir captés, d’avoir partagé leur histoire et d’avoir reçu un peu de soutien. Des fois on revoit les gens lors de bouffes qu’on organise ensemble ou auxquelles on les invite. Mais ça peut aussi donner des choses vraiment chouettes, renversantes. Des fois la rencontre se prolonge dans le temps. Parfois c’est le jackpot, et des liens à la vie.

En tout état de cause, l’aspiration de la Caisse n’est pas de centraliser le plus possible tout ce qui touche à la répression, encore moins, pour ses membres, de devenir des sortes d’experts. On ne veut certainement pas que tout passe par nous (vu nos effectifs réduits), mais à l’inverse on espère plutôt être un canal pour diffuser des réflexes d’auto-organisation : « ah tel pote a telle histoire merdique avec les flics, va avoir un procès, bah tiens on va s’organiser pour qu’il ne soit pas en galère financièrement, voire pas en galère tout court », etc. Le but est la dissémination la plus large possible de toutes ces manières de se tenir ensemble. De faire front commun face aux flics et à l’organisation hautement policière de ce monde.

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Caisse de Solidarité - Témoins

  • Tel : 06.43.08.50.32
  • 91 rue Montesquieu 69007 Lyon
  • caissedesolidarite /at/ riseup.net
  • Autres infos : Permanence les 1ers jeudis du mois à 19h à la Luttine, 91 rue Montesquieu (Lyon 7eme) Possibilité de permanence en mixité choisie à 18h30, les 1ers jeudis du mois à la Luttine, 91 rue Montesquieu (Lyon 7eme). Pour les dons : -par chèque à l’ordre de Témoins-Caisse de Solidarité à envoyer au 91 rue Montesquieu 69007 Lyon -via le site helloasso : https://www.helloasso.com/associations/temoins-des-acteurs-en-mouvement/formulaires/2 La caisse de solidarité est membre du réseau RAJCOL https://rajcollective.noblogs.org/

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