Eau secours !

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Quelques précisions sur la nécessité et la possibilité de baisser le prix de l’eau à Lyon et sur les raisons qui poussent nos dirigeants à laisser le privé s’immiscer dans la gestion de ce bien commun...
- lire aussi L’eau, pour un retour en gestion publique

En janvier, le maire et président du Grand Lyon déclarait : « je suis plutôt, à titre personnel, partisan de la concession » [1]. La concession ? Pas en politique bien sûr, ni dans le dialogue avec les syndicats, par exemple lors de la grève des éboueurs. Non : la concession, ou la « délégation de service public », c’est la décision de la collectivité de confier à un opérateur privé la gestion d’un service public. En l’occurrence, nous parlons de l’eau, car l’eau, ça se boit certes, mais surtout, ça se « produit », ça se distribue, ça s’achète et ça se vend, voilà notre problème. Dans l’agglomération, l’assainissement de l’eau est « en régie », c’est à dire géré directement par le Grand Lyon, tandis que la « production » et la distribution sont assurées par deux petites entreprises prospères : Véolia (pour 85 % du territoire) et SDEI (filiale de Suez, pour le reste). Le contrat qui nous lie à ces deux-là prend fin le 2 février 2015. Alors, que va-t-il se passer ?

Nos élus en décideront lundi prochain, lors d’une réunion du conseil de communauté. A moins que ce ne soit déjà décidé... Depuis longtemps déjà, des voix se lèvent pourtant pour réclamer le retour en régie publique. En particulier, les États généraux du service public du Rhône (EGSP69) expliquent dans un tract récent que la régie est « le plus économique, le plus démocratique et le plus écologique des modes de gestion ».

Le lecteur étant pressé (et intéressé), nous nous arrêterons sur le premier point. Voyons ma facture : 36,60€ d’abonnement semestriel en avril dernier, puis 37,02€ en octobre, soit 73,62€ pour les 12 derniers mois. Ensuite, le prix de la consommation : 2,61€ le mètre cube sur la facture d’avril, puis 2,65€ en octobre. La consommation de référence des ménages français est fixée à 120 mètres cubes, ce qui me donne 315,60€ si je pars du principe que j’ai consommé soixante litres avec l’ancien tarif, et pareil avec le nouveau. Bref, mon ménage moyen a payé 389,22€ d’eau cette année, soit 32,44 € mensuels. La somme est loin d’être anecdotique, d’autant moins quand on sait que selon les données du Grand Lyon, il y avait à la fin de l’année 2009, 77 590 ménages, soit 182 300 personnes qui vivaient sous le seuil de pauvreté (revenu inférieur à 1215 euros mensuels pour le fameux ménage « moyen » qui compte, toujours en moyenne, 2,3 personnes). Encore ce chiffre ne prend-t-il pas en compte les plus de 65 ans, les étudiants qui ne perçoivent de la CAF qu’une prestation logement et les régimes spéciaux). Au fait, existe-t-il un tarif social de l’eau ? Non. Il n’y a que le Fonds de solidarité pour le logement (FSL), dispositif national qui n’intervient qu’en cas d’impayés... Plus de 200 000 habitants en-dessous du seuil de pauvreté qui contribuent sans lever le ton aux bénéfices de grands groupes, voilà une belle réussite, digne d’une collectivité « socialiste ».

Certains parmi nos élus nous expliquent doctement qu’il est « possible que, même en passant en régie, le prix de l’eau ne baisse pas » (Gérard Claisse, vice-président (PCF) du Grand Lyon en charge de la participation citoyenne et chargé de négocier les tarifs avec Véolia, dans Lyon capitale en avril). Pourquoi ? « On devra moderniser l’outil de production, diversifier la ressource, la protéger, améliorer la qualité de service... ». Ce qui sous-entendu, ne sera pas fait par les entreprises privées ? On entend aussi, rapport bidon à l’appui, que les salariés d’un groupe privé coûtent moins cher que ceux du public, plus prompts aussi à la revendication, voire à la grève. Mais c’est oublier que Véolia (pour ne citer que l’entreprise qui a le plus gros marché) a réalisé 13 millions de bénéfices grâce au contrat de l’eau en 2009 (dernière année d’exercice dont les comptes ont été publiés), sans compter les combines financières qui ont permis à l’entreprise de grapiller quelques à côtés.

Il est difficile de comparer les prix d’une ville à l’autre car la qualité de l’eau et les contraintes de distribution ne sont pas les mêmes (Lyon est une ville plate et il faut des pompes pour la distribuer par exemple). Mais jetons quand même une œil à nos voisins grenoblois : la facture du ménage moyen (120 mètres cubes) s’élève à 330,31€ en 2012, soit 15 % de baisse. Gérard Claisse reconnaît lui-même que « toutes choses égales par ailleurs, le juste prix de l’eau potable serait de 25 à 30% de moins qu’actuellement » à Lyon.

Demeure une question centrale : pourquoi Collomb veut-il maintenir la mainmise de groupes privés ? C’est le refrain habituel dans notre monde complexe : des « questions techniques » imposent ce choix. D’abord, on a entendu que les contrats des travailleurs des boîtes privées allaient devoir être transformés en contrats publics (Rue 89 Lyon), ce qui serait source de contrainte. En réalité c’est faux, comme l’avoue le projet de délibération : ces salariés resteraient des salariés de droit privé. Ensuite, c’est « le temps nécessaire à la mise en place d’une régie », « estimé à 4 ans » (voir le projet de délibération) qui pose problème. C’est bête que les élus et les techniciens que nous payons de nos impôts n’y aient pas pensé plus tôt. Mais surtout, d’autres l’ont fait en aussi peu de temps (voir Paris notamment).

Mais nous avons gardé le meilleur argument pour la fin, trouvé dans le projet de délibération : le passage en régie « impose la création d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) » qui se verrait transférer « le pouvoir décisionnel, notamment les tarifs ». Or, « la Communauté urbaine souhaitant conserver la pleine autorité sur le service public de l’eau, ce mode de gestion n’a pas été retenu ». La « pleine autorité » grâce à la délégation de service public à une boîte privée, c’est peu de le dire ! Il suffit de lire ce que disent nos élus sur le « bras de fer » permanent avec Véolia et Suez pour tenter de faire baisser les prix, pour s’en convaincre. Ou d’essayer de savoir avec précision quels investissements pour l’amélioration du réseau ont été réalisés.

Une vraie piste de réponse est écrite par le journaliste Fabien Fournier dans Lyon capitale, le magazine lyonnais du groupe Fiducial, en avril dernier :

« Véolia environnement va inaugurer fin 2013 un siège interrégional flambant neuf au Carré de soie (...). Ce bâtiment de 12 000 mètres carrés, réalisé par le groupe Cardinal, sera l’un des fers de lance de ce nouveau quartier, sorte de deuxième Confluence à l’est. Par le choix de venir s’installer à Vaulx-en-Velin, l’ex Générale des eaux apporte un soutien précieux à ce projet d’agglomération (...). Ce ne serait pas la première fois que le groupe monnaie son engagement sur un territoire avec l’attribution d’un marché public ».

En définitive, le projet de délibération examinée ce lundi résume le débat : « la gestion en régie est plus avantageuse en raison de la fiscalité, de l’absence de marge et des conditions d’amortissement des investissements » tandis que « la gestion en délégation de service public est plus avantageuse en matière de charges de personnel et d’achats ». D’où cette question : ami Grand-Lyonnais, préfères-tu que ta facture aille dans la « marge » des actionnaires de Véolia et Suez, ou dans les « charges de personnel » ?

P.-S.

Rassemblement devant le Grand Lyon lors de la session du conseil communautaire, lundi 12 à partir de 15, 20 rue du Lac : L’eau, pour un retour en gestion publique

Notes

[1« Talk » le Figaro, 24 janvier 2012

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  • Le 13 novembre 2012 à 16:29, par greg

    Le résultat du vote est finallement tombé :
    La gestion de l’eau restera privée mais sous délégation publique pour une période 8 à 10 ans.

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