En finir avec les bougnouleries !

2157 visites

Le samedi 11 décembre dernier, l’Assemblée accueillait
en grandes pompes une cérémonie visant à mettre en
avant la réussite des « Français venus de loin ». A
l’initiative de cette bougnoulerie, le Haut Conseil à
l’Intégration avait pour objectif de rompre avec la
vision de TF1, que le sens commun a intériorisé, du
jeune issu de l’immigration en perpétuel échec.

Des
prix ont été remis de la main des hauts représentants
de l’Etat aux « français venus de loin » ayant réussi,
malgré tous les obstacles liés à leur condition
sociale, économique, et « ethnique », à s’élever
gracieusement du sol poussiéreux, et jonché de
seringues, d’une cité dortoir, vers les cieux plus
cléments de la nouvelle intelligentsia indigène versée
dans la culture d’entreprise et coltinée à tout ce qui
a un peu de pouvoir, peu importe la couleur politique
du détenteur. Ils ont été sélectionnés parmi la
« crème des beurs » à travers le réseau des acteurs de
l’intégration de France et Navarre, selon des critères
assez obscurs : acceptait-on un héritier de
l’immigration postcoloniale qui alterne les périodes
de chômage et de travail intérimaire ? Ou une fille
portant le voile ? Ou un immigré, usé par quarante
années de travail pour le capitalisme français,
survivant dans un foyer aux conditions sanitaires
exécrables ? Ou encore une mère de famille,
analphabète et parlant mal le français, mais qui a
donné sa vie pour ses enfants ?

Même si ces gens, le commun des mortels issus de
l’immigration postcoloniale vivant dans les cités,
avaient postulé, il semble peu probable quils aient
été sélectionnés. En quoi ces gens sont-ils moins
remarquables que l’élite indigène ? C’est parce que
ces curiosités médiatiques suscitent tellement de
surprise de la part des autorités, quelles ont
ressenti le besoin de les exhiber en public : voyez
braves gens, le modèle d’intégration à la française
fonctionne encore et toujours ! A l’heure où tout le
monde est accablé par l’échec de lintégration à la
française, il fallait bien une contre offensive pour
faire durer l’illusion. On nous affirme publiquement,
en filigrane : « Si ces « Français venus de loin » ont
réussi, c’est que la société française n’est pas
tellement inégalitaire, ségrégationniste et sexiste ;
si, eux, ont réussi, c’est grâce à leur mérite ». En
négatif, on comprend le sous-entendu de l’affaire :
les discriminations sont une affaire individuelle, si
on veut on peut. Par une pirouette
médiatico-politique, on renvoie la balle aux
dominé-es, la victime est coupable, le bourreau va le
responsabiliser, le culpabiliser, l’éduquer, le
civiliser, bref, l’intégrer.

On aurait pu croire naïvement qu’il s’agissait des
prémisses d’une lutte volontaire contre les
stéréotypes et représentations humiliantes qui
stigmatisent le jeune-arabe-intégriste-antisémite-
violeur-voleur etc.

Mais il n’en est rien. Par le mécanisme en négatif de ce
type de cérémonie, ces représentations sont
confortées, confirmées par les hautes autorités de
l’Etat. Le jeune est toujours dans sa cité, le
ministre est toujours dans son palais, le bougnoule de
service est toujours dans la chambre de bonne. Cette
mise en scène ne révèle finalement pas un aspect
inconnu des populations issues de l’immigration. Elle
révèle la crise de l’Etat face aux héritiers de
l’immigration. L’immigration postcoloniale, du fait de
son origine coloniale (et non à cause d’une culture
présumée ou de l’Islam), dérange profondément le socle
sur lequel s’est fondée la nation française, forgé par
la Révolution française et conforté par la Troisième
République et l’Empire : celui de l’homogénéisation
culturelle. Des récents travaux scientifiques ont
montré la caducité et l’hypocrisie de l’opposition
entre modèle français d’intégration et le modèle
« communautaire » (allemand, étasunien, anglais, selon
l’humeur du moment). Toutes les nations se sont
formées autour de l’unicité culturelle.

L’immigration postcoloniale pose problème pour l’Etat
français du fait de la persistance du rapport colonial
dans la France d’aujourd’hui. Ce rapport de domination
est au coeur de la crise politique et culturelle, mais
la pensée d’Etat préfère l’éviter, soit en agitant
l’épouvantail de l’intégrisme musulman, soit en
exhibant le nouvelle élite indigène pour justifier la
domination culturelle : la pathétique cérémonie à
laquelle la France vient d’assister relève de cet
aveuglement. On ne pourra pas inventer une mémoire et
une société communes sans la remise en cause radicale
de la construction nationale française en posant la
question suivante : sur quoi fonder notre vivre
ensemble ? La réponse ne peut pas être la culture au
sens large au risque de tomber dans la logique du choc
des civilisations. Peut-être est-il trop demandé à la
société française de faire une telle remise en
question ? Néanmoins il s’agit de la seule alternative
aux dérives ségrégationnistes et intégrationnistes,
modalités, opposées en apparence, mais liées en
réalité à la même idéologie : l’impérialisme culturel.

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info