En plein dans le M.I.L

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Alors que Jean-Marc Rouillan, membre d’Action Directe est entre la vie et la mort, hospitalisé à l’Hôpital Nord de Marseille pour une pneumopathie, sort le deuxième volet de ses mémoires. Sa demande de mise en liberté avait été rejetée une fois de plus. Florence Cassez semble, elle, avoir plus d’importance pour le pouvoir et les médias.

En plein dans le M.I.L.(Movimiento Ibérico de Liberación)

« Derrière le bruit et la fureur de Mai 68, que j’ai emportés avec moi dans les valises comme un précieux trésor, je garde une ancienne histoire de guerre. » Voilà qui pourrait résumer l’état d’esprit du jeune Jean-Marc Rouillan. Avec une addition en tête : 68 +36 = 1000 ! Pour les valises, Rouillan ne les a toujours pas déposés, même pas au comité N.P.A de Marseille.

La photo de couverture intrigue immédiatement : Mais pourquoi une photo de Belmondo sur une moto tirée d’un film avec James Dean ? La réponse survient dans les premières pages. Ce livre, récit des années du M.I.L, est aussi un hommage à Salvador Puig Antich, garrotté par le régime de Franco le 2 mars 1974, garotte vil. « Un peu distrait, c’est un garçon toujours raisonnable, …un gendre idéal… avec de faux-airs de Jean Paul Belmondo. »
A sa première rencontre, Rouillan le voit ainsi : Belmondo dans l’homme de Rio, un aventurier mais au service d’une cause. Salvador appartenait au M.I.L, ce groupe d’ultra-gauche qui sévit à Barcelone entre 1971 et 1973. À l’aube ( l’Alba) ces quelques jeunes hommes vivant dans une « situation de combat » proche de la tauromachie, à cause de l’Espagne franquiste mais aussi parce qu’ils lancent un défi à la dictature. Comme les toréros ou les taureaux qui sont seuls dans l’arène, ils lanceront « d’amples passes de capes » après êtres entrés sur la seule scéne qui vaille, celle de l’histoire : « Déjà nous nous habillons de lumière. »

On attendait impatiemment la sortie du nouveau volet des aventures de Jean Marc Rouillan. Mais c’est sa remise en prison qui est venue d’abord. Après avoir travaillé quelques mois aux éditions Agone à Marseille, des propos mal interprétés et publiés dans l’Express l’ont expédié de nouveau au Baumettes ; les éditeurs reviennent en préambule sur cette affaire et dénoncent la chasse aux exclusivités. Une phrase de Pierre Marcelle résume en soi l’affaire : « …L’ancien terroriste d’Action Directe a été réincarcéré pour des propos qu’il n’a pas tenus. »

Puig Antich sera garrotté pour avoir éliminé un agent. Rouillan ne nie pas que c’était un des buts de l’organisation en citant dans des passages tirés en retrait, les taches du guérillero urbain. Au fond, le MIL cherchait à publier des ouvrages pour la jeunesse espagnole et à soutenir les grèves dans ce pays. Pour cela il choisit l’expropriation, c’est-à-dire le braquage de banques pour récolter des fonds. « On entrait à peine masqués d’un foulard. Le plus souvent à visage découvert » Sortes de Braqueurs Volontaires, les membres du MIL agissaient ainsi pour montrer qu’ils n’étaient pas de voleurs mais des militants politiques : « On revendiquait un engagement total. Ne jamais rien tenter pour échapper aux conséquences de nos actes. » Par contre en cas d’arrestation, chacun était libre de ses choix. Puig Antich avait dit qu’il tirerait. Ce qu’il fit. Rapidement ils deviennent « La bande des Sten » du nom de cette arme dont le chargeur est à position latérale et qui fut l’arme de la résistance européenne durant la seconde guerre mondiale ; eux qui n’ont pas vingt-cinq ans, l’auteur en avoue dix-neuf.
Entre drame et tension, l’auteur puise dans des souvenirs divertissants ; est ce pour ça que Rouillan nous raconte des scènes cocasses comme celle d’une opération de détournement foireuse, où Cricri est pris d’une envie impérieuse de chier. « Pour sûr, ils vont débarquer dès que j’aurais le pantalon sur les chevilles. »

Ils étaient en guerre, mais « Ils ne riaient pas moins comme des adolescents. » Cette image que réussit à rendre Rouillan contraste violemment avec les images que nous recevrons d’Action Directe dans les années 80. Le M.I.L différait aussi des autres groupes armés car si ces membres braquaient des banques, c’était aussi pour ne pas travailler. La clandestinité était une autre différence.

Leurs publications résumaient les courants qui traversaient le M.I.L, bandes dessinées situationnistes piquées chez Gotlib, anarchisme et marxisme mêlés et surtout une envie de mettre en pratique ces idées, à l’inverse de ceux qu’ils appellent « L’équipe théorique. Ceux là, ont tout lu et tout compris. »

Ce deuxième volet dont l’intrigue se déroule à Barcelone sous la dictature franquiste est plus abrupt que le précédent traitant de 1968 à Toulouse. Les armes héritées viennent des vieux Espagnols exilés ou de l’E.T.A , pour cette nouvelle Reconquista qu’avait poursuivie Sabaté, dit El Quico, un mythe turbulent chez les anarchistes.
Découpé en sept moments de la journée comme les romans de Kundera, Rouillan raconte avec un chœur, un stasimon reconverti en manuel de guerillero, cette vie clandestine de l’aube jusqu’à la nuit, celle de Metge, Victor ou bien encore Cricri, tous portant des surnoms. « Les clandestins se couchent à l’heure des poules » raconte Rouillan sans jeu de mots avec poulets.
On est plongé dans les souvenirs de ces années en Espagne par quelques indices, ici une Simca rouge, là une vieille moto Bultaco ou encore Cricri qui allume une Celtique. Des voitures très présentes car elles passent des cols en clandestinité, des trains aussi, le Talgo dans lequel le « héros » est repêché in extremis par le fils d’un Rouge. « Joder, au moins je n’aurais pas perdu ma journée ! » s’exclame le cheminot. Immergé dans cette génération qui a vraiment cru changer le monde dans l’après 68. Entre le Genet des Blacks Panthers et les cantines féministes.

Émerge ce regret : ce repas pris avec un dirigeant clandestin du parti socialiste dans un vaste appartement où des domestiques sont plantés au mur. Jean Marc Rouillan déjà mal à l’aise apprend que celui-ci n’était autre qu’un fasciste durant la guerre d’Espagne, dont il vénère tant les combattants.

Rouillan pense avoir écrit dans cette aventure, avec ses camarades « La chanson de geste de notre camp, de notre histoire », lui qui reste modeste quant à ses actes et ses convictions. Les gestes, oui, pour la chanson, il lui manque l’air frais de l’extérieur, celui des calanques de Marseille.

Christophe Goby.
Journaliste à CQFD.

De mémoire (2) Le deuil de l’Innocence : un jour de septembre 1973 à Barcelone. Jann-Marc Rouillan. Agone 2009.

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  • Le 15 février 2010 à 17:39, par Agora

    Pour ma part ce dernier laisse a désirer et comporte pas mal d’erreurs
    au dire de certains activistes de l’époque et a une conotation marxistes
    trop marquer bien loin de la réalitée que fut ce mouvement

  • Le 15 février 2010 à 14:22

    Bien mieux fait et plus intéressant encore, le livre de Sergi Rosès Cordovila traduit du castillan et paru aux éditions Acratie : « Le MIL : une histoire politique »

  • Le 15 février 2010 à 08:54, par Anarquista

    Un livre plus interessant sur le M.I.L celui éditer par les éditions du
    C.R.A.S de Toulouse pour avoir une vision complete de ce mouvement
    et dont Rouillant fut un acteur parmis tant d’autres.

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