Enquête « Quelles orientations théoriques pour quelles pratiques ? »

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Présentation d’une « enquête » qui fait suite aux « Journées critiques ». Des questionnements avec comme point de départ « Quelles orientations théoriques pour quelles pratiques ? »

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Préambule


Cette enquête fait suite à un colloque tenu en mars 2010 sous le titre de « Journées critiques » à la Faculté d’Anthropologie et de Sociologie de l’Université Lyon 2 et qui a donné lieu ensuite à un « journal intermittent » du même nom plus un blog.
Nous – qui nous avons tous participé, à un titre ou un autre, au projet d’origine des Journées critiques et à l’élaboration du premier numéro du « journal intermittent » – avons décidé de poursuivre notre projet et de lui donner un tour plus concret . Ainsi, après une brève présentation des raisons qui nous amènent à confronter l’activité critique dans le contexte des confrontations sociales et politiques d’aujourd’hui, nous vous proposons de répondre à une série de questions qui toutes cherchent à poser les rapports entre théorie et pratique dans les conditions actuelles. La forme questionnaire indique bien évidemment que nous n’avons pas de réponses toutes faites aux problèmes que nous posons et ressentons comme n’étant pas uniquement les nôtres. D’ailleurs cette enquête donnera aussi à chacun de nous l’occasion de présenter sa réponse individuelle. L’enquête doit préparer une « journée de réflexion » autour du sujet : « Quelles orientations théoriques pour quelles pratiques ? » Nous allons collecter et publier vos et nos réponses par l’intermédiaire du blog « journées critiques », ce qui constituera un premier échange qui permettra, du moins on peut l’espérer, de déblayer le terrain pour une discussion/ confrontation de vive voix cette fois, lors de la rencontre prévue à Lyon, en principe, le 27 et/ou le 28 mai.

Lyon, le 19 mars 2011

Dietrich Hoss , Jacques Wajnsztejn, Sylvie Angiboust, Murielle Guillot, François Laplantine, Max Schoendorff, Gzavier(Lyon) et aussi : Gérard Briche (Lille), Jacques Guigou (Montpellier), Alexander Neumann (Sarrebruck), Philippe Riviale (Chambéry)


Tâches actuelles de la critique

Le soulèvement des peuples de l’autre côté de la Méditerranée représente le dernier épisode d’une série de bouleversements qui se succèdent depuis maintenant plus de trente ans : décomposition du « modèle de croissance fordiste », chute du mur de Berlin, crises financières. Ces bouleversements posent un certains nombre de défis à la pensée critique :

Définir la nature de crise d’un ordre social mondialisé
Depuis 1973 nous entendons parler de crise. Mais de quel genre de crise s’agit-il ? D’une crise économique classique, d’une crise de mode de croissance sous la pression des contraintes écologiques, d’une crise financière comme on a essayé de nous en convaincre ou plus fondamentalement d’une crise fondamentale d’un modèle de société basée sur la puissance du capital ? Si cela était le cas, la révolte dans les pays arabes serait à la fois un processus d’adaptation de ces sociétés à ce modèle et une expression – sûrement pleine d’illusions — de la vague de résistance montante des hommes et des femmes partout dans le monde contre les effets dévastateurs de ce même modèle.

Repérer les conditions et situations porteuses de fronts de lutte contre le capital
Le premier signal du soulèvement en masse dans le Maghreb a été donné par l’auto-immolation d’un jeune tunisien qui ne supportait plus la précarité de son existence, la négation de toute aspiration à une vie digne, les humiliations et vexations de la police. Son geste a été suivi par d’autres, dans certains pays de la région. D’une façon générale, on peut dire que cette aspiration à la liberté et au bonheur est apparue centrale – surtout de la part des jeunes – au-delà ou en plus des revendications matérielles comme la hausse des salaires et la baisse du prix des produits alimentaires de base. Dans nos pays se produisent aussi, tous les jours, des suicides de paysans, de salariés des Télécoms ou d’ailleurs, des révoltes dans les banlieues, car, chez nous aussi, il y a des personnes qui ne supportent plus la pression et les agressions permanentes dont elles sont victimes de la part des patrons, de l’État ou de la police. Même si nous ne vivons pas dans des régimes politiques dictatoriaux, nous subissons tous le règne totalitaire de la course au temps et à la performance productive ainsi que le délire sécuritaire. Ceci ne conduit pas seulement à des atteintes toujours plus graves aux conditions matérielles, mais aussi aux émotions, sensibilités et aspirations des hommes. Mais malheureusement, historiquement, l’aggravation des conditions d’existence — et encore moins l’aggravation de « la misère » — n’a que rarement engendrée l’émergence de « fronts de lutte contre le capital ». Elle n’a engendré que des révoltes sporadiques et plus rarement des insurrections temporaires dans des sociétés à régime autocratique, mais pas des révolutions dans les sociétés à régime parlementaire. Nous en sommes là, c’est-à-dire à chercher les voies qui mènent de l’indignation à la résistance, de la résistance à la révolte, de la révolte à l’action et à l’expérimentation de nouvelles formes de vie collective.

Comprendre et combattre les illusions sur la nature de l’État 
Les bouleversements récents du système capitaliste produisent dans notre pays des mobilisations importantes de secteurs entiers de la société (universités, hôpitaux, écoles…) contre une rentabilisation et une capitalisation de toutes les activités économiques et sociales. Ces différentes ripostes qui s’opposent à une logique destructive, sont indifférentes vis-à-vis de l’action parlementaire et des stratégies clientélistes des partis politiques ou des grands appels syndicaux. Pourtant, beaucoup parmi ceux qui sont dans les luttes, ne les conçoivent plus aujourd’hui que comme des pressions sur l’État afin de garantir les acquis sociaux. Ignorer les transformations d’un État — qui n’est plus l’État-nation à forme providentielle de la période des Trente glorieuses, mais un État restructuré en réseaux qui mêlent étroitement les structures politiques et économiques à un niveau de plus en plus mondial — c’est aussi ne pas voir que les luttes pour la défense des conditions de vie doivent s’inscrire aujourd’hui plus largement dans une perspective d’abolition de l’exploitation et de toute forme de domination pour obtenir satisfaction.

Poser la question du pouvoir en des termes nouveaux
Les formes insurrectionnelles dans les pays du Maghreb essaient d’assurer, dans l’urgence les tâches de solidarité et de secours immédiat ainsi que les transports mais semblent peiner pour une prise en main directe de l’organisation de la vie quotidienne dans les quartiers, l’espace public, les villes. C’est que les régimes dictatoriaux ne connaissent pas de contre-pouvoirs et de séparation entre État et société, tout est donc à faire...ou alors à abandonner à la seule force stable de ces pays, l’armée. Tandis que les luttes dans les pays centres du capital restent globalement dans une perspective de reconstruction de ces contre-pouvoirs essentiellement à partir d’initiatives « citoyennes » qui viennent supplanter les formes politiques partitistes ou syndicales traditionnelles. Toutefois, d’une façon marginale, ponctuelle et parcellaire les restructurations actuelles du capital produisent aussi des refus purs et simples, une révolte devant l’insupportabilité physique ou éthique de certaines conditions ou situations : émeutes plus ou moins importantes mais dont le sens n’est jamais évident comme en 2005, la lutte emblématique contre le CPE et la précarité en 2006, le débordement de la stricte défense des retraites en 2010, le développement de pratiques d’insoumission comme le mouvement des « désobéisseurs » dans l’enseignement primaire. Des formes de refus qui rompent avec les voies traditionnelles de lutte et qui font émerger l’idée d’un remplacement de l’objectif de la conquête du pouvoir par la perspective d’une dissolution progressive des structures étatiques à travers des initiatives multiples , des pratiques concrètes de transformation qui anticipent la création de nouveaux rapports sociaux.

Retisser les liens entre activité politique et activité sensible
La mutation anthropologique de l’homme en homo economicus atteint une nouvelle phase. La soumission de sa sensibilité au froid calcul stratégique trouve son aboutissement dans une désensibilisation régressive que l’industrie culturelle compense par un sur-échauffement des sens. Cela produit une situation dans laquelle la configuration traditionnelle de la lutte pour l’émancipation qui mêlait action politique et création (expressionnisme, mouvement Dada, surréalisme et enfin, situationnisme) a disparu. Cette conjecture historique ne se présentera plus, d’où là aussi, comme pour la politique, la nécessité de trouver d’autres formes d’expression, d’autres formes d’intervention.

Dégager les sources théoriques utilisables ici et maintenant
Les périodes de grands bouleversements sont propices aux brassages d’idées y compris les plus déroutants. Dans ces périodes la tâche de la critique est indispensable pour démêler des fils qui s’entrecroisent mais peuvent former aussi des nœuds indésirables. L’histoire du mouvement ouvrier a été lourdement hypothéquée par la scission séculaire entre les courants marxistes et les courants anarchistes. Les transformations profondes du capital et de sa valorisation comme les changements substantiels de la nature de l’État nous semblent remettre en cause ce schisme dans la mesure où ces deux blocs théoriques se sont effrités sous les coups des défaites et de leurs propres impasses. Certaines actualisations des approches marxistes et anarchistes — quant aux questions de la valeur, du pouvoir, de l’État, des espaces oppositionnels — semblent permettre de puiser à ces deux sources.


La critique - une tache collective !

Nous pensons que la tâche de la critique, dans le nouveau contexte historique, n’est pas d’apporter une conscience théorique de l’extérieur aux luttes en cours, mais de dépasser la focalisation sur des tâches immédiates par un effort permanent de réflexion pour approfondir en commun le déchiffrement de la réalité, pour préciser les différences, identifier les convergences des points de vue et pour dégager des perspectives communes. Il y a une multitude d’initiatives, des regroupements autour des revues, des sites, des lieux de vie et de création, mais avec peu d’échanges entre eux, peu d’efforts de clarification commune. Le modèle sociétal dominant impose ses formes de comportement à ses adversaires même : concurrence et isolement, confusion relativiste et raidissement sectaire de la pensée. L’accélération et l’approfondissement des crises, les tentatives de concentration du pouvoir aux niveaux national et global contrastent avec l’état dispersé et multiforme des luttes et des organisations des forces d’opposition radicale. L’éclatement bipolaire des forces de contestation entre d’un côté différentes revues, sites, cercles de réflexion théoriques et de l’autre un militantisme activiste qui vit ses haut et ses bas selon la conjoncture des mouvements sociaux risque de conduire à une stagnation impuissante : à la stérilité d’une théorie coupée de la pratique et à un activisme aveugle inconscient. Il est vrai : l’écart qui existe aujourd’hui entre théorie et pratique est l’effet d’un bouleversement des notions mêmes de théorie et de pratique. Notre projet n’est pas de le combler artificiellement. Nous pensons plutôt à une stratégie des petits pas. Pour commencer : est-ce qu’il ne faut pas gagner à travers l’initiative d’un large débat, un niveau supérieur de visibilité dans l’élaboration des nouvelles perspectives qui puissent constituer une arme critique pour les luttes ?Le temps presse mais il n’est pas encore trop tard pour initier un tel processus, indispensable pour être à la hauteur des luttes et insurrections qui s’amorcent et ne manqueront pas de se produire, au niveau national comme mondial.


Enquête

en préparation d’une journée de réflexion autour du sujet :
« Quelles orientations théoriques pour quelles pratiques ? »

Six questions qui posent problème :

1. La question du rapport entre théorie et pratique aujourd’hui

Pensez-vous que la clarification des idées se produise plutôt spontanément au sein d’un mouvement de lutte et au cours de son bilan éventuel ou alors plutôt à travers un effort organisé d’élaboration collective de perspectives stratégiques communes qui permette de faire face à l’événement ? Pour être plus concret, comment répondre à cette question à travers l’exemple de ce qui s’est passé en octobre-novembre 2010 ?
Si vous écrivez et participez à des revues ou publications théoriques : quel est votre rapport au lecteur ? Croyez vous utile, nécessaire ou superflu l’organisation d’un échange régulier avec vos lecteurs ? Avec d’autres revues ? Avez-vous tenté de créer des espaces théoriques collectifs avec d’autres groupes ou revues ou individus ? Si oui lesquels et pour quel résultat ?

2. La question des nouvelles formes de lutte et d’organisation

Les nouvelles formes de lutte et d’organisation –blocages, désobéissance, squats et autres mentionnées plus haut – constituent-elles une alternative ou un complément au regard des formes traditionnelles de lutte (grèves, manifestations de masse à l’appel des grandes organisations syndicales ou politiques) ? Quelles sont vos expériences dans ce domaine ?
Comment faire pour que ses formes perdurent, diffusent et arrivent à constituer une « masse critique » qui ne soit pas soumise à (ou ne se transforme pas en) des formes institutionnelles ?
Comment percevez-vous ces formes d’opposition par rapport à la question de la légalité et de la violence, sachant que certains les associent à l’idée de la lutte de classes, d’autres à l’insurrection, d’autres enfin, à la démarche citoyenne de la désobéissance civile ?
Que pensez-vous de l’usage actuel de la notion de « résistance », sachant qu’elle renvoie à une référence historique (la Résistance et le programme du Conseil National de la Résistance évoqués dans « L’Appel des appels »), mais en même temps à des pratiques quotidiennes au sein de réseaux comme RESF ?
Dans le même ordre d’idée et à partir de la médiatisation du dernier opuscule de S. Hessel, pensez-vous que la notion d’indignation puisse déboucher sur l’action ? Faites-vous une différence entre conscience morale et conscience politique ?

3. La question de nos rapports aux médiations syndicales et politiques

Le rituel des grands appels syndicaux à des grèves et manifestations est-il pour vous encore un moyen pour produire un « effet de masse » ? Faîtes-vous une différence entre cet effet de masse et un mouvement de masse ?
Dans le même ordre d’idée le vote électoral fait-il encore sens pour vous ?
Vous-mêmes, êtes-vous inscrits sur les listes électorales ? Si oui votez-vous à tous les types d’élections ? Seulement à certaines et lesquelles ? Pourquoi ?
En Tunisie et en Egypte, les manifestants ont chassé les potentats locaux aux cris de « Ben Ali dégage » et « Moubarak dégage ». En France beaucoup se demandent s’il ne faut pas déclencher un mouvement similaire : « Sarkozy dégage ! ». Que pensez-vous d’un tel mot d’ordre ?

4. La question des sens et de l’esthétique

Dans quelle mesure la création artistique peut-elle encore changer le regard au monde ?
L’expérimentation artistique collective peut-elle représenter une forme d’action politique ?
Que pensez-vous de la tentative récente de regrouper des actions antipub, « d’insurrection festive » etc. sous l’étiquette d’ « Artivisme » ?
Comment définirez-vous la frontière entre une activité artistique subversive et son intégration dans l’industrie culturelle spectaculaire ?

5. La question des références théoriques dans la lutte pour une société émancipée

Quelles sont à votre avis les auteurs, textes et approches anciens ou récents que vous estimez les plus pertinents pour orienter une pratique transformatrice du capitalisme d’aujourd’hui ?

6. La question des prochains pas 

Est-ce que vous croyez possible et/ ou souhaitable -et si oui sous quelles conditions- un échange régulier (bulletin de liaison, rencontres…) autour des questions de théorie et de pratique critiques ?
Quels doivent être les prochains pas pour la consolidation, l’élargissement et une mise en réseau des foyers de lutte indépendants des partis et des syndicats ?


Notre travail d’enquête peut servir dans un premier temps à constituer une « base de données » de la pratique critique, une saisie de choses très simples mais repérables et comptabilisables : un état des lieux des revues, sites, regroupements pertinents, en particulier un inventaire de tracts et textes d’octobre/novembre 2010 : quelles revues sont nées, qu’en reste-t-il, quelles sont les idées qui en sont ressorties, quelles sont les perspectives de ces groupes, revues ou individus etc. ? Ce travail ne peut qu’être collectif. Nous vous invitons à nous envoyer tout élément qui puisse être intéressant pour cette démarche.

Ma première réaction :

  • je pense répondre aux questions (à toutes ou à quelques-unes) jusqu’au 30 avril 2011
  • je suis d’accord pour que mes réponses soient publiées sur le blog ou sous forme imprimée
  • je suis prêt à assister à une journée de réflexion autour de ces questions
    Nom / pseudonyme :
    Revue/groupe :
    Mail : 

Répondre svp à l’adresse courriel suivante : journees.critiques (arobase) gmail.com
Ou alors sur le blog des « journées critiques » : http://journcritiques.canalblog.com

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