Et si c’était par la fin que tout commençait...

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6 au 10 octobre 2014, Tribunal de Fribourg : procès du policier qui a assassiné Umüt en avril 2010, près de Fribourg. Et au bout du procès : l’acquittement programmé du gendarme tueur.

Tout est fait pour que le flic coupable d’avoir tué d’une balle en pleine tête un jeune vaudais de 18 ans, dans la nuit du 18 avril 2010, s’en tire sans la moindre condamnation. Couvert par ses collègues, sa hiérarchie, couvert par l’institution judiciaire. Et pour cause Grégory Lambert (c’est le nom de l’assassin) n’a fait qu’« accomplir son devoir » : protéger le coffre fort Suisse en tirant sur tout ce qui bouge. Protéger la Suisse de toute la racaille qui l’assiège. C’est à dire le reste du monde.

Premier temps de ces manœuvres judiciaires pour légitimer l’assassinat d’Umut : son frère jumeau et un de ses amis, pris dans la même course-poursuite, ont été condamnés en septembre 2013 pour vol en bande et par métier, effraction, infraction aux codes de la route et mise en danger de la vie d’autrui. Ce dernier chef d’inculpation tombe très bien. Car s’il y a mise en danger, alors, il y a légitime défense de la part du flic assassin.
Un bref rappel des événements de la nuit du 17 au 18 avril sur l’autoroute A1 s’impose pour prendre toute la mesure de la manipulation orchestrée par les instances judiciaires et policières.

À BALLESELLES

Trois berlines sont dérobées chez un concessionnaire du canton de Fribourg, en Suisse. L’équipement : un pied de biche. La technique : fracturer la porte, choper les clés et démarrer. Très vite la police est avertie ; une course-poursuite s’engage sur l’autoroute transformée en véritable piège. La voie rapide est vidée de tous les autres véhicules, les différentes sorties sont bloquées, des voitures de police chassent les fuyards. Un barrage est mis en place à la sortie d’un tunnel, en léger tournant : une herse est déployée, la voiture des gendarmes mise en travers. Derrière, deux agents en civil, armés de fusils automatiques. Un couple égaré et qui n’a pas suivi les consignes d’évacuation, manque de se faire plomber ; les flics insultent les deux touristes, leur ordonnent de dégager : les proies sont en approche et il ne faudrait pas que des automobilistes compromettent l’opération ou puissent jouer les témoins gênants.
Un peu avant le tunnel, deux des berlines s’immobilisent (les occupants sautent en route, enjambent le grillage et se font la belle à travers bois sous les tirs des policiers). Le troisième véhicule ralentit au niveau des panneaux clignotants qui signalent un danger imminent ; il entre dans le tube. Le gendarme Grégory Lambert aligne la voiture dans son viseur ; il a le temps de faire feu à sept reprises, au coup par coup. Umüt, assis à la place du passager, est tué d’une balle en pleine tête. Ce jeune de Vaulx-en-Velin était âgé de 18 ans. Yunus, le conducteur, immobilise la voiture un peu plus loin, quand il s’aperçoit que son ami a du sang plein le visage. Des flics le tirent brutalement du
véhicule. « Toi aussi on aurait dû te mettre quinze balles ».

Alors pour la mise en danger d’autrui, on a un doute. Qui menace qui et avec quoi ?

Mais on comprend bien la finalité de ce premier procès de 2013 : charger les deux jeunes gens, les faire passer pour de gros caïds, histoire de préparer l’acquittement de Lambert. Et voilà comment la triste mécanique police-justice suit son cours.
Les flics appuient sur la gâchette, ou étranglent les suspects trop remuant, et les juges entérinent en acquittant ou en dispensant de peine les auteurs de violence légale. La machine est tellement rodée que dans les mois précédant le procès de Lambert, la famille d’Umüt a reçu un étrange courrier émanant des institutions judiciaires suisses ; la lettre expliquait qu’ils ne pouvaient plus bénéficier de l’aide juridictionnelle dans leur tentative de poursuite contre le policier tueur, puisqu’ils n’avaient aucune chance de gagner contre lui. Dans tous les cas un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions n’avait pas à répondre de ses actes à titre individuel : l’État suisse ne pouvait pas dès lors financer des poursuites à son propre encontre. Une curieuse manière d’annoncer que le policier ne pourrait pas être condamné individuellement, puisqu’à travers lui c’est bien la Suisse qui assassine les petits voleurs...

LA SUISSE TUE

Là, c’est un Nigérian ligoté des pieds à la tête qui meurt étouffé lorsqu’on le force à embarquer sur un vol destination Lagos. Là, c’est un détenu qu’on laisse crever d’asphyxie dans sa cellule de Bochuz pour s’en débarrasser définitivement. Encore là, c’est un môme à qui on loge une balle dans la tête pour avoir volé une voiture de luxe. Et c’est son frère, arrêté à la frontière en venant chercher le corps, qui doit faire de la prison. Sans pouvoir assisté à l’enterrement de son jumeau.
Un môme de 18 ans que la police vaudoise exécute sommairement parce qu’il incarne la figure de l’ennemi. Il a suffi à quelques journalistes d’invoquer les « gangs de lyonnais » ou de désigner ce môme comme « connu des services de police » pour faire passer la pilule. Comme pour signifier qu’il n’y avait rien d’autre à penser hormis que Umüt a joué et Umüt a perdu. Et dire que ce sont les mêmes infâmes qui réclament courageusement en bons démocrates l’abolition de la peine de mort en Chine.
Umüt a été abattu. Pourquoi ? Pour une voiture qui aurait de toute façon fini à la casse dans moins de 5 ans. Umüt est mort parce que les flics tuent pour défendre un certain état des choses. On les paye aussi pour le faire.
Maintenir l’illusion d’un univers parfait composé de gentils citoyens avec des casques pour protéger leur tête et des gilets fluos sur leur bicyclette électrique qui s’alimentent en produits bios. Un petit bonheur helvétique construit sur l’exploitation et la mise à sac du reste du monde.
Or, argent, diamants, pétrole, gaz, blé, riz, tout s’échange ici, tout se vend, tout s’achète, tout transite sur ces fameux comptes numérotés et fait la fortune des banques et la richesse de la Suisse. Ce pays est le coffre-fort du monde. Un coffre-fort qui recèle les vilains petits secrets de ce monde. Un coffre-fort rempli par des fortunes gagnées sur des vies d’infortune.
Alors quoi de plus normal que ceux qu’on a dépouillés de tout viennent là, dans ce pays, pour prendre ce dont on les a privés. Dérober tout ce qui incarne les rêves de marchandises que ce monde ne cesse de nous vendre. De l’argent, tant qu’il y en aura, il n’y en aura jamais assez pour tout le monde. Et tout le monde le sait. Et tout le monde feint de l’ignorer. La vérité, c’est que dans ce monde, Robin des bois est toujours un héros populaire et sympathique. Tant qu’il restera un personnage de divertissement sur un écran de cinéma. Inoffensif. Quant à ceux pour qui le vol est une façon comme une autre de survivre, ils le payent chèrement. Parfois de leur vie. Comme Umüt.
On peut se dérober à la brutalité du réel. Une voiture pour une vie. On peut le faire et ne pas voir qu’ils nous font la guerre et continueront à le faire. Certains persistent à parler d’accidents ou de bavures. Qu’ils aient au moins la prudence de se taire et de retourner jouer à leur bac à sable. Comme si la flexion d’un index de flic s’exerçait accidentellement sur la détente d’une arme à feu. Bien sûr...
Nous ne sommes pas dupes. Affirmer que Umüt est mort assassiné est un minimum. Affirmer qu’il s’agit bien là d’une guerre en cours est de l’ordre de l’évidence.

C’EST LA GUERRE

Fin août 2013, une brigade blindée des forces militaires suisses se trouve engagée dans le cadre d’un exercice militaire baptisé « duplex barbara ». L’exercice suppose que la France, en complète déroute financière, s’est désintégrée en plusieurs entités régionales sous l’effet de la crise. L’une d’elle, baptisée Saônia, correspondant au Jura français, décide d’attaquer la Suisse à partir de trois points de passage, proches de Neuchâtel, Lausanne et Genève. Une organisation paramilitaire proche du gouvernement de Saônia et appelée BLD (brigade libre de Dijon) veut "venir chercher l’argent que la Suisse a volé à Saônia" afin d’éponger la dette saônienne, et organise des attentats en Suisse.
Un an plus tôt l’opération « stabilo due » mobilisait plus de deux milles militaires et membres des forces de l’ordre dans une répétition générale qui doit permettre à la Suisse de faire face à un probable « chaos social européen » : « gestion de flux de réfugiés aux frontières » et de l’instabilité résultant des mouvements anti-austérité, neutralisation des menaces subversives venant du dehors ou d’opposants intérieurs. En mars 2010, un mois avant l’assassinat d’Umüt par le gendarme Lambert, le chef de l’armée André Blattman avait rendu public une carte des pays constituant une menace pour la Suisse où figurait déjà en bonne place la France et ses banlieues incontrôlées, suivie de la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Portugal.
La Suisse a peur de ses voisin attardés, les pays qui ne savent pas gérer leurs pauvres et leurs sauvageons. La Suisse a peur de la racaille qui risque à tout moment de déferler à ses frontières. La Suisse se voit comme un îlot de prospérité et de civilisation, une enclave démocratique cernée par le chaos et les métèques. On comprend mieux pourquoi des grandes entreprises helvètes et les services de renseignement de ce beau pays de la neutralité ont largement collaboré, en leur temps, avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Leur vision du monde était largement commune.
Umüt a été tué en fonction de cette perception. Le gendarme Lambert sera acquitté et absout dans le même logique.

Ils tuent. Ils justifient ces meurtres. Ils crachent sur les voyous dans les grands journaux, célèbrent le courage des forces de l’ordre. Ils acquittent les assassins et font régner la violence d’État. A la fin ils voudraient nous laisser seulement les larmes, la honte et le désespoir. Sauf que malgré tout, nous sommes vivants. La Suisse est un pays de crevures, mais nous, nous sommes vivants.
Nous : c’est à dire partout où on ne joue pas le jeu, où on ne se soumet pas. Quand on ne se contente plus des miettes, quand on cesse de célébrer niaisement le travail de la police, quand on refuse de vivre à la fois dans le confort et la terreur : la peur des immigrés, des délinquants, la peur de grossir, de vieillir, de mourir sans jamais avoir été vivants.
Rester vivants.
Ne jamais oublier, ne jamais laisser ces morts se transformer en défaites. Parce qu’ils nous accompagnent, parce qu’on les prend avec nous et qu’ils nous habitent, comme une force. La répression, c’est toujours une tentative pour neutraliser la menace que constituent ces vies en isolant, en séparant, en individualisant. Individualiser une silhouette dans la ligne de mire ; isoler un corps dans une cellule. La police tue, emprisonne mais la révolte et la force de lien, de partage qu’incarnent ces vies prises pour cible n’ont jamais été aussi vivants, aussi nécessaires pour tenir.

Ils tuent, mais il y a du monde encore, face à eux et entre nous, en nous, encore plus de monde.

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