Heurts et malheurs en milieu policier

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L’actualité journalistique, c’est ce flux tendu de paroles, aussitôt dites aussitôt oubliées, que l’on nous sert tous les jours et qui, par leur abondance et leur bêtise, concourt à l’amnésie collective. C’est ce dispositif qui sous couvert de ne faire que décrire, sans « parti pris », la réalité la formate sans cesse.

L’actualité, ça n’est finalement que cette production incessante de discours débiles qui essaient désespérément de donner un semblant de sens à cette triste époque. Avec des fonctions plus ou moins grotesques : nous faire croire que la politique réside dans le choix de tel ou tel futur candidat, nous faire croire que les braqueurs sont des fous ou des désespérés, que la police est, sauf exceptions, une institution irréprochable. Finalement, il semble bien que « l’actualité » soit une marchandise comme les autres.

Mais de temps à autres, au milieu de cet amas de bouffonneries et de mensonges, émergent des nouvelles réjouissantes, sinon joyeuses. Et ces derniers jours, il y en a eu un paquet concernant les forces de police. Nous publions les plus croustillantes ici. Parce que dans cette société soumise tous les jours à l’arbitraire des flics, le malheur policier est, toute proportion gardée, une des sources de notre bonheur.

Border line. Jeudi 29 septembre : le numéro 2 de la Police Judiciaire lyonnaise, Michel Neyret, est arrêté chez lui en compagnie de sa femme. Il est soupçonné d’être un peu trop proche de quelques truands notoires. Il est jusqu’à présent accusé de « trafic de stupéfiants, détournement de fonds, trafic d’influence, corruption et association de malfaiteurs ». Au cours de ses 96h de garde-à-vue (« association de malfaiteurs » oblige), des perquisitions ont lieu dans plusieurs établissements bancaires et sociétés financières à Genève. Le lendemain, trois autres arrestations ont lieu dans le milieu policier : Aymeric Saudubray, le patron de la BRI de Lyon (Brigade de Recherche et d’Intervention), le commissaire Christophe Gava, responsable de l’antenne grenobloise de la PJ, ainsi que son adjoint. Les syndicats policiers sont consternés. Comme quoi, il en faut peu pour déstabiliser l’institution policière.
Début septembre, Michel Neyret faisait le beau à la télévision dans l’émission « Zone Interdite » consacrée à la « lutte contre le grand banditisme » qui retraçait de façon journalistique, donc plutôt maladroite, plusieurs attaques récentes de bijouteries à Lyon et à Grenoble. Star de l’émission, notre super-flic, mèche rebelle et allure décontractée, était filmé s’entraînant au tir et orchestrant l’arrestation d’un go-fast.

Ironie de l’histoire, il va sans doute bientôt connaître le même sort que celui qu’il a réservé à tous ceux qu’il a arrêté. On raconte d’ailleurs que ceux qu’il a fait tomber durant sa carrière fêtent, depuis jeudi, sa chute depuis leur lieu de détention. « Cest de la folie à Corbas » confiait récemment un avocat à un journaliste du Progrès.

Heureux hasards. Le 22 septembre au petit matin. À 8h, au commissariat du 19e arrondissement de Paris, un policier de la PJ se fait sauter le caisson avec son arme de service. Une heure plus tard, c’est au tour d’un de ses collègues de la circulation de tuer son épouse, elle aussi flic, avant de retourner l’arme contre lui. Vers 10h, un troisième se pend chez lui en Seine-Saint-Denis. Et quatre d’un coup. Deux jours après, pour compléter la série, c’est au tour d’une gendarmette de 32 ans de mettre fin à ses jours dans son logement de fonction de la caserne du 2e arrondissement de Lyon. Avec une cinquantaine de suicides par an, la police reste encore malheureusement loin derrière le monde carcéral en matière de taux de suicide.

Villiers-le-Bel. Novembre 2007, une voiture de police renverse et tue deux jeunes circulant à moto. S’en suivent deux nuits d’émeutes mémorables au cours desquelles une grosse centaine de flics est blessée, notamment par des tirs de plomb. Quatre ans plus tard, le 22 septembre dernier, la Cour d’Appel de Versailles décide de renvoyer en correctionnel le flic qui conduisait la voiture responsable de l’accident pour « homicides involontaires ». Si il n’y a bien sûr rien à attendre de la justice, cette institution dont le seul rôle est d’avaliser l’arbitraire policier et de donner des airs de normalité au pouvoir de la matraque, cette décision fait plaisir car elle va contribuer à pourrir la vie du flic en question.

À retenir aussi, le procès en appel des Cinq de Villiers-le-Bel : cinq jeunes hommes accusés d’avoir tirés sur la police au cours des émeutes et condamnés en juin 2010 à de très lourdes peines de prison (jusqu’à 15 ans de réclusion). Ayant fait appel, certains vont être rejugés début octobre. Le procès risque de durer plusieurs semaines [1].

De l’autre coté de l’Atlantique. Dénonçant « la crise », « le chômage » et le « pouvoir des banques », plusieurs milliers de personnes défilent à Manhattan le 17 septembre dernier. Débute ensuite l’occupation du parc Zuccotti à proximité de Wall-Street. Samedi 22, une centaine d’occupants sont arrêtés par la police, quelques uns gazés. La scène est filmée puis diffusée massivement sur Internet. L’officier tenant la bombe lacrymo est rapidement identifié et pris pour cible par Anonymous, un célèbre groupe de pirates-justiciers informatiques. Son nom, Anthony Bologna, ainsi que des renseignements personnels (numéro de téléphone, adresse et antécédents judiciaires) sont diffusés sur Internet précédés d’un avertissement menaçant : « We are watching ! Expect us ! » dans lequel le haut gradé du NYPD est décrit comme une « cible ».

« Personne n’a rien à cacher, n’est-ce pas ? » C’est par cette question rhétorique que la section autrichienne du groupe de pirates Anonymous justifie sur Twitter la publication des données de près de 25 000 policiers autrichiens le 26 septembre dernier (noms, prénoms, dates de naissances et adresses). Le groupe n’a même pas eu a pirater de serveurs mais a obtenu les informations par « une organisation proche de la police » selon ses dires. Le Ministère de l’Intérieur autrichien a ouvert une enquête.

Tous ces déboires policiers sont certes plaisants. Mais l’apogée du drame policier est sans doute atteint avec le lancement de CopWatch-IDF. Depuis le 20 septembre, ce site Internet qui lutte « par la transparence et l’information » contre les « violences, la répression et l’impunité policières », entend ficher publiquement des dizaines de flics sur Paris, Lille et Calais avec noms, prénoms, grades, brigades, photos et commentaires sur les techniques et caractères des protagonistes (tel flic décrit comme « un stratège de la chasse aux pauvres », tel autre comme « violent » et « nhésit[ant] pas à tabasser », etc.). Une véritable petite bombe.Le site est consacré « à la diffusion de renseignements précis sur l’ensemble des forces de l’ordre par le biais d’articles, d’images (photos et vidéos), mais aussi et surtout de trois larges bases de données sur la police. Ces bases de données, accessibles par tous, permettront à toute personne victime d’abus, d’humiliations ou de violences de la part des flics, d’identifier le ou les policiers auteurs de ces actes ». La réaction policière ne s’est pas faite attendre et, comme on pouvait s’y attendre, les flics ont été très mauvais joueurs. Eux qui ont accès en permanence à une multitude de fichiers contenant quantité d’informations relatives à des millions de personnes dans ce pays [2] ont crié au scandale et au « fichage » devant ces quelques dizaines de fonctionnaires de police identifiés ! Un certain nombre d’entre eux ont d’ailleurs déjà porté plainte ; et le Ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, s’est emparé de l’affaire en promettant une plainte de son ministère pour « diffamation publique envers un fonctionnaire de police » et une autre pour « diffamation publique de l’administration ».

Les flics, et leur ministre, s’offusquent de ce site Internet en prétendant qu’il porte atteinte à leur sécurité personnelle. Les pauvres bougres feignent de ne pas voir que c’est précisément tout l’intérêt de la chose. Ils font comme si décider d’être flic dans ce monde-là était un choix innocent. Comme si les hommes et les femmes qui décident un beau jour de passer leur vie à surveiller, contrôler et sanctionner leur prochain n’avaient rien à assumer derrière. Comme si ils pouvaient faire ça en tout impunité, sans être inquiétés.

Cela étant dit, la pratique du CopWatch anglo-saxonne qui consiste à seulement observer et filmer les débordements policiers n’a de sens que pour les esprits citoyens. Elle ne constitue un horizon politique souhaitable que pour la minorité de demeurés qui en est encore à vouloir une police « exemplaire » effectuant des interpellations sans recours à une force excessive, travaillant sans brutalité, etc. Réalisable ou pas, cet objectif d’une société sans « bavures policières » reste assez peu désirable, voire dangereux : on n’ose imaginer à quel degré de contrôle total et absolu arriverait une société où la répression serait tellement incorporé au corps social, tellement diffuse et générale, qu’elle ne nécessiterait plus aucune violence visible pour s’exercer. En outre, cette pratique reste souvent inoffensive. Elle n’engage pas le policier comme un ennemi, mais simplement comme un homme effectuant mal son travail. Le CopWatch ne peut devenir intéressant et n’être efficace que lorsque la peur commence à changer de camp. Quand les surveillants sont susceptibles d’être à leur tour surveillés. Et que cette surveillance fait planer une menace réelle sur leurs faits et gestes. En ce sens, les déclarations contrariées et apeurées des syndicats policiers dans les médias sur le caractère dangereux et scandaleux du site nous ravissent.

Scandaleuse, cette initiative l’est aussi parce qu’elle vient rappeler que l’espace social est, malgré tous les appels au « vivre-ensemble » et au « respect mutuel », partagé, traversé de conflits irréconciliables. C’est ce sentiment partagée, cette haine diffuse de la police, qu’il s’agit de cultiver. Car c’est en creusant et en approfondissant cet écart, ce fossé, cette conflictualité entre la police et ceux à qui elle rend constamment la vie impossible qu’on en arrive à la considérer comme un obstacle, un ennemi, une bande rivale. Qu’on en arrive à se doter des moyens techniques pour la connaître, et donc pour ne plus être seulement une proie. Pour lui échapper et, le cas échéant, la combattre.

Reste que ce genre de gestes, collecter et publiciser des infos sur la police, ne doit certainement pas s’arrêter là. Sans quoi, seule une partie du chemin aurait été parcourue. Passer l’instant du pur scandale médiatique, la question se pose maintenant de savoir, de décider, quoi faire de cette multitude d’informations. Pour le dire autrement, nous serions déçus si la diffusion de tous ces fichiers contenant nom, prénoms et adresses de policiers n’occasionnaient pas un certain nombre de mutations et de déménagements [3]...

O.

Notes

[1Un bouquin publié par le collectif Angles Morts vient de sortir, qui revient en détail sur le premier procès.

[2Le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées), le FPR (Fichier des Personnes Recherchées), le FNI (Fichier National des Immatriculations), le FNAEG (Fichier National Automatisé Des Empreintes Génétiques), le FAED (Fichier Automatisé des Empreintes Digitales), etc.

[3Suite aux émeutes consécutives à l’assassinat de Karim Boudouda par la BAC de Grenoble, plusieurs baceux grenoblois et leurs familles avaient dû déménager en vitesse après que leur noms suivis de menaces de morts aient été tagués dans la cité de Villeneuve.

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