La veille du retentissant cocorico de la fête nationale -un hasard ?-, le parlement a adopté à une majorité écrasante (335 voix pour, 1 voix contre) le texte de loi interdisant le port de la « burqa » dans l’espace public.
La plupart des socialistes et communistes se sont contenté-e-s de ne pas prendre part au vote (mais l’abstention est-elle neutre quand elle permet à une telle loi d’être votée ?). Quelques députés « de gauche » ont voté pour la loi, notamment André Gérin (PCF), ancien maire de Vénissieux et ayant lancé l’engouement autour du voile intégral (à l’origine du débat sur l’interdiction de la « burqa » il y a un an et ancien président de la mission d’information parlementaire sur le sujet).
Le texte devrait être examiné au Sénat en septembre, où il risque d’être adopté sans aucune modification.
Reste encore à obtenir l’aval du conseil constitutionnel. La loi pourrait en effet être déclarée anticonstitutionnelle par le conseil, car jugée contraire à la liberté d’expression et de religion. La saisie du Conseil Constitutionnel a d’ores et déjà été demandée, pour lever tout doute sur la validité de la loi.
En février 2010, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) estimait en effet que « les tenues religieuses dans l’espace public ne peuvent être interdites que si elles s’accompagnent d’un prosélytisme abusif, entendu comme des pressions effectives sur les passants » (selon l’arrêt du 28/03/2010).
Amnesty International a dénoncé l’adoption du projet de loi, estimant qu’il « violait la liberté d’expression et de religion » des femmes concernées. L’organisation déclarait : « De façon générale, la liberté d’expression et de religion stipule que chacun est libre de choisir ce qu’il veut porter ou ce qu’il ne veut pas porter. Ce droit ne saurait être limité au seul motif que certains - y compris une majorité - jugent un vêtement inapproprié ou offensant. […] [des interdictions générales] peuvent avoir pour conséquence de confiner chez elles les femmes qui portent le voile intégral, ou de rendre plus difficile leur accès au travail, aux études ou aux services publics ».
Mêmes craintes du côté du Conseil français du culte musulman qui dénonce une « stigmatisation de l’islam ».
Les sanctions encourues par une femme portant un voile intégral dans l’espace public seraient de 150€ et/ou un « stage de citoyenneté ».
Ces sanctions devraient entrer en vigueur à partir de juin 2011, après un « période de pédagogie » de six mois. Lorsque l’on se souvient de ce qu’avait été la période de deux mois « de dialogue » dans les collèges et lycées à la rentrée 2004, une fois votée la loi interdisant le port du voile (hijab) dans les établissements publics, on peut craindre le pire. [1]
Des sanctions sont également prévues pour toute personne obligeant une femme à porter un voile intégral : jusqu’à 30000€ d’amende et un an de prison. Des peines doublées s’il s’agit d’une femme mineure.
Que peut-on voir derrière tout ça...
En pleine crise sociale et financière, il est de bon ton de chercher l’ennemi intérieur, de le diaboliser et de créer toutes sortes de diversions. Après la chasse aux personnes sans-papiers, la lutte contre la délinquance et la persécution des Rroms, le gouvernement et l’élite politicienne s’attaque aux Musulman-e-s.
Ce que nous voyons dans ces lois :
- c’est un racisme et une islamophobie latentes, qui font des amalgames inadmissibles entre islam, sexisme et violences. Une hypocrisie qui laisse à croire que les violences et inégalités subies par des femmes sont confinées au monde musulman, et non pas au fait que nous vivons dans une société hétéropatriarcale.
- C’est un non-respect pour toutes les femmes qui ont choisi de porter le voile, quel qu’il soit (hijab ou voile intégral), et une pénalisation directe de ces femmes, leur interdisant ainsi l’accès à l’espace public. C’est considérer qu’il n’est pas possible de faire le choix de porter un voile, puisque c’est faire du voile (qu’il soit intégral ou non) un symbole d’oppression en soi, ce qu’il n’est pas ! Pas plus qu’il n’est possible de dire : porter des chaussures à talons est un symbole d’oppression, on ne peut dire : porter le voile est un symbole de soumission. Un vêtement n’a pas de sens en soi, mais dans un contexte. Oui, les femmes afghanes sont forcées de porter le voile, mais on peut lutter pour qu’elles aient le choix de porter ou non un voile, ET pour qu’en France aussi les femmes aient le choix de porter le voile ou pas.
- C’est une loi demandée par des hommes, écrite par des hommes, votée par des hommes, qui concerne des femmes ! 335 voix de parlementaires pour cette loi, 367 femmes portant une « burqa » selon les renseignements généraux !
Ce n’est pourtant pas nouveau que la France ait soudain le souci des droits des femmes, exportable et applicable à toutes et à tous : déjà dans les années 60 en Algérie, la France coloniale organisait des dévoilements publics qui étaient sensés symboliser la libération des femmes !
Mais il ne s’agit nullement d’arguments féministes, et dire cela est faire de l’usurpation. Les féministes se battent pour les droits de toutes les femmes à choisir ce qu’elles veulent porter et comment elles veulent mener leur vie. Elles ne sont pas là pour dicter un modèle, expliquer à toutes quelle est la bonne voie d’émancipation.
Si les parlementaires veulent vraiment se soucier des droits des femmes, qu’ils et elles s’attaquent aux inégalités et aux violences qui touchent les femmes, et ce dans toutes les couches sociales.
Le collectif des Tumultueuses [2] propose d’ailleurs quelques mesures pouvant remplacer la loi d’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, telle que la création d’une commission parlementaire sur la diffusion de valeurs anti-féministes par les magazines, la publicité et l’industrie des produits de beauté.
Sur ma tête, je porte ce que je veux !
Solidarité avec nos choix et auto-déterminations.Â
Pour aller plus loin :
un communiqué du collectif des féministes pour l’égalité (CFPE) intitulé
« 577 députés et 367 burqas : où est le problème ? » http://lmsi.net/spip.php?article934
La proposition de circulaire, en lieu et place d’une loi inutile et dangereuse proposée par le collectif Neutralité aux parlementaires français,
« Voile intégral dans l’espace public : le juste milieu » http://lmsi.net/spip.php?article1069
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