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ACTUALITÉS GENRE - FÉMINISME / RACISME
Publié le 11 août 2010 | Maj le 2 janvier 2019 | 2 compléments

Interdiction du port du voile intégral dans l’espace public


Retour sur le déchaînement politique et médiatique raciste qui a conduit au vote par le parlement le 13 juillet 2010 d’une loi anti-voile intégral dans l’espace public.

La veille du retentissant cocorico de la fête nationale -un hasard ?-, le parlement a adopté à une majorité écrasante (335 voix pour, 1 voix contre) le texte de loi interdisant le port de la « burqa » dans l’espace public.

La plupart des socialistes et communistes se sont contenté-e-s de ne pas prendre part au vote (mais l’abstention est-elle neutre quand elle permet à une telle loi d’être votée ?). Quelques députés « de gauche » ont voté pour la loi, notamment André Gérin (PCF), ancien maire de Vénissieux et ayant lancé l’engouement autour du voile intégral (à l’origine du débat sur l’interdiction de la « burqa » il y a un an et ancien président de la mission d’information parlementaire sur le sujet).
Le texte devrait être examiné au Sénat en septembre, où il risque d’être adopté sans aucune modification.

Reste encore à obtenir l’aval du conseil constitutionnel. La loi pourrait en effet être déclarée anticonstitutionnelle par le conseil, car jugée contraire à la liberté d’expression et de religion. La saisie du Conseil Constitutionnel a d’ores et déjà été demandée, pour lever tout doute sur la validité de la loi.

En février 2010, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) estimait en effet que « les tenues religieuses dans l’espace public ne peuvent être interdites que si elles s’accompagnent d’un prosélytisme abusif, entendu comme des pressions effectives sur les passants » (selon l’arrêt du 28/03/2010).

Amnesty International a dénoncé l’adoption du projet de loi, estimant qu’il « violait la liberté d’expression et de religion » des femmes concernées. L’organisation déclarait : « De façon générale, la liberté d’expression et de religion stipule que chacun est libre de choisir ce qu’il veut porter ou ce qu’il ne veut pas porter. Ce droit ne saurait être limité au seul motif que certains - y compris une majorité - jugent un vêtement inapproprié ou offensant. […] [des interdictions générales] peuvent avoir pour conséquence de confiner chez elles les femmes qui portent le voile intégral, ou de rendre plus difficile leur accès au travail, aux études ou aux services publics ».

Mêmes craintes du côté du Conseil français du culte musulman qui dénonce une « stigmatisation de l’islam ».

Les sanctions encourues par une femme portant un voile intégral dans l’espace public seraient de 150€ et/ou un « stage de citoyenneté ».
Ces sanctions devraient entrer en vigueur à partir de juin 2011, après un « période de pédagogie » de six mois. Lorsque l’on se souvient de ce qu’avait été la période de deux mois « de dialogue » dans les collèges et lycées à la rentrée 2004, une fois votée la loi interdisant le port du voile (hijab) dans les établissements publics, on peut craindre le pire. [1]

Des sanctions sont également prévues pour toute personne obligeant une femme à porter un voile intégral : jusqu’à 30000€ d’amende et un an de prison. Des peines doublées s’il s’agit d’une femme mineure.

Que peut-on voir derrière tout ça...

En pleine crise sociale et financière, il est de bon ton de chercher l’ennemi intérieur, de le diaboliser et de créer toutes sortes de diversions. Après la chasse aux personnes sans-papiers, la lutte contre la délinquance et la persécution des Rroms, le gouvernement et l’élite politicienne s’attaque aux Musulman-e-s.

Ce que nous voyons dans ces lois :

  • c’est un racisme et une islamophobie latentes, qui font des amalgames inadmissibles entre islam, sexisme et violences. Une hypocrisie qui laisse à croire que les violences et inégalités subies par des femmes sont confinées au monde musulman, et non pas au fait que nous vivons dans une société hétéropatriarcale.
  • C’est un non-respect pour toutes les femmes qui ont choisi de porter le voile, quel qu’il soit (hijab ou voile intégral), et une pénalisation directe de ces femmes, leur interdisant ainsi l’accès à l’espace public. C’est considérer qu’il n’est pas possible de faire le choix de porter un voile, puisque c’est faire du voile (qu’il soit intégral ou non) un symbole d’oppression en soi, ce qu’il n’est pas ! Pas plus qu’il n’est possible de dire : porter des chaussures à talons est un symbole d’oppression, on ne peut dire : porter le voile est un symbole de soumission. Un vêtement n’a pas de sens en soi, mais dans un contexte. Oui, les femmes afghanes sont forcées de porter le voile, mais on peut lutter pour qu’elles aient le choix de porter ou non un voile, ET pour qu’en France aussi les femmes aient le choix de porter le voile ou pas.
  • C’est une loi demandée par des hommes, écrite par des hommes, votée par des hommes, qui concerne des femmes ! 335 voix de parlementaires pour cette loi, 367 femmes portant une « burqa » selon les renseignements généraux !

Ce n’est pourtant pas nouveau que la France ait soudain le souci des droits des femmes, exportable et applicable à toutes et à tous : déjà dans les années 60 en Algérie, la France coloniale organisait des dévoilements publics qui étaient sensés symboliser la libération des femmes !

Mais il ne s’agit nullement d’arguments féministes, et dire cela est faire de l’usurpation. Les féministes se battent pour les droits de toutes les femmes à choisir ce qu’elles veulent porter et comment elles veulent mener leur vie. Elles ne sont pas là pour dicter un modèle, expliquer à toutes quelle est la bonne voie d’émancipation.

Si les parlementaires veulent vraiment se soucier des droits des femmes, qu’ils et elles s’attaquent aux inégalités et aux violences qui touchent les femmes, et ce dans toutes les couches sociales.
Le collectif des Tumultueuses [2] propose d’ailleurs quelques mesures pouvant remplacer la loi d’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, telle que la création d’une commission parlementaire sur la diffusion de valeurs anti-féministes par les magazines, la publicité et l’industrie des produits de beauté.

Sur ma tête, je porte ce que je veux !
Solidarité avec nos choix et auto-déterminations. 

Pour aller plus loin :
- un communiqué du collectif des féministes pour l’égalité (CFPE) intitulé
« 577 députés et 367 burqas : où est le problème ? » http://lmsi.net/spip.php?article934
- La proposition de circulaire, en lieu et place d’une loi inutile et dangereuse proposée par le collectif Neutralité aux parlementaires français,
« Voile intégral dans l’espace public : le juste milieu » http://lmsi.net/spip.php?article1069

Notes

[1En effet, ce soit-disant temps de dialogue avait en réalité été une période d’isolement, de pressions sur les filles et femmes qui portaient le voile, les incitant à l’enlever sans chercher aucun compromis, tout en les privant de suivi pédagogique, voire souvent de contact avec les autres élèves. Voir les témoignages de lycéennes voilées, dans Les filles voilées parlent, Ismahane Chouder, Malika Latrèche, Pierre Tévanian, 2008, édition la Fabrique, empruntable à la médiathèque de Tarentaise

[2voir leur communiqué « Féministes contre une loi sur le voile intégral » http://lmsi.net/spip.php?article1067

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Proposé par pottwall
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  • Je répondrais à ton message sur les 2 points sur lesquels tu sembles argumenter : la relativité du point de vueet l’anticléricalisme.

    Justement, comme tu l’écris « Â il ne TE semble pas » que le voile intégral soit un symbole de liberté. Or le sens que tu lui donnes n’est pas le même que celui que donne au voile intégral une femme qui a choisi de le porter.
    * Pour accepter cette idée, il faut d’une part laisser de côté le cliché raciste qui consiste à penser que les femmes musulmanes qui portent le voile -que ce soit le hijab, ou le niqab, voile intégral- ne le choisissent pas, mais sont forcées de le faire.
    * Il faut d’autre part cesser de penser à travers le filtre du « Â faux universalisme »(1) : cesser de penser que la norme actuelle en france (celle de l’homme blanc hétérosexuel de culture judéo-chrétienne) est l’universel, et que tout le reste n’en est qu’une déclinaison. Il faut plutôt transformer le "faux universel" en un vrai universel, qui inclut tout le monde.
    Cette loi est un exemple extrême de loi discriminatoire, qui s’attaque à des personnes précises pour les exclure de l’universel, leur dénier l’appartenance à la « Â normalité ». Et même en l’occurrence leur interdire le droit à la parole, et nier leur libre-arbitre et leurs propres choix.

    Cette loi a été votée sous couvert de « Â laïcité ». Or la laïcité, c’est la garantie par l’état de la liberté de pratiquer sa religion -ou de vivre son athéisme- sans favoriser ni pénaliser une religion parmi les autres. En ce moment en france, c’est bien plutôt des attaques régulières contre une religion, l’islam. C’est la diabolisation, l’amalgame et l’exclusion qui marquent le rapport des médias, des politicard-e-s, et au final de « Â l’opinion publique » à l’Islam et à celles et ceux qui le pratiquent. Rien à voir avec la laïcité, puisque les femmes portant le hijab ou niqab ne font pas du prosélytisme, mais vivent simplement leurs croyances comme elles l’entendent.

    Alors non, vraiment, je ne crois pas qu’il y ait lieu de soutenir cette loi, et encore moins dans une optique libertaire et laïque. La solidarité et les luttes antiracistes et antisexistes exigeraient plutôt qu’on s’y oppose fermement et qu’on le fasse savoir !

    (1) Delphy Christine, « Pour l’égalité : action positive plutôt que parité », in Classer, dominer, qui sont les « autres » ?, 2008, Editions La Fabrique.

  • Il me semble, et je suis peut être alors un gros con raciste, colonialiste et islamophobe (jusqu’ici je ne m’en doutais pas), que le voile intégrale est loin d’être un symbole de liberté.
    A ce titre, quand bien même son interdiction est votée par une assemblée réactionnaire, je ne peux m’élever contre.
    Vous dites, l’État ferait mieux de s’attaquer aux inégalités et aux injustices faites aux femmes, je suis totalement d’accord, mais en quoi le fait qu’il ne s’attaque qu’à un bout de celles ci est il dérangeant ?
    Quand bien même serait ce pour satisfaire les instinct racistes de nos chers concitoyens, doit on s’élever contre une loi qui au final ne fait pas de tort à l’anticléricalisme ?

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