Interview d’Experimental, rappeur lyonnais

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A l’occasion (attendue !) de la sortie de son nouvel album solo, rebellyon et le popoulit-büro vous invitent à découvrir cette longue interview du rappeur lyonnais Experimental, réalisée le 18 janvier dernier… et dont vous pouvez lire la première moitié dans le numéro 29 du popouri (la seconde dans le numéro 30, évidemment : à paraître).
Experimental et son accolyte des Lynxs, Le Songeur, ont également retourné le salon Primevère pour un atelier d’écriture organisé par la Coordination des Médias Alternatifs Lyonnais.
Remise aux poings : c’était le titre de son précédent album ; il est toujours valable.
Armes légales vol.1 est disponible à la librairie La Gryffe, 5 rue Sébastien Gryphe, 69007.

Popoulit-büro : Bon alors, EXP... Y a ton album Armes Légales, qui est le premier volet d’une trilogie, qui vient de sortir. Parles-moi un peu de ton parcours depuis tes débuts dans les Lynxs jusqu’à maintenant, l’évolution, ce à quoi t’as essayé de parvenir à travers tes différents disques. Et aussi si tu peux expliquer le titre, Armes Légales ? Et l’avenir après cet album ?

Experimental : L’avenir après cet album ? C’est la plus grande question du monde ! Y a plein de questions dans ta question. Mon parcours c’est... 96, 97 : j’ai fait quelques petites compil’ et mixtapes, un peu en solo, un peu avec des groupes, notamment L’Armée du Ruban Rouge. Voilà, c’était plus des tentatives de groupes, au sein de cette assoc’ où je participais qui était sur les pentes de la Croix-Rousse. La première vraie rencontre rap, c’était avec Le Songeur. Donc là, on a décidé de monter le groupe les Lynxs. On a eu plusieurs DJs successifs. Celui avec qui on a vraiment travaillé c’était DJ Nones. On a fait 2 maxis : un p’tit 2 titres, pour annoncer un 5 titres, qui s’appelait Rap Témoin. C’est le premier et le seul vrai projet discographique qu’on a eu avec Le Songeur. Donc ça c’était sorti en 2000 je crois. Dans ces eaux-là. Et puis y a eu aussi une mixtape faite par DJ Supa Jay, qui s’appelait Triforce Concept sur laquelle on a beaucoup bossé avec Le Songeur. Voilà en ce qui concerne les Lynxs. Ensuite, voilà, nos vies on fait qu’on a dû un peu se séparer... Parce que Fayçal a dû bouger à Marseille.

Donc là j’ai commencé à plus bosser en solo... Y a eu un maxi 3 titres qui s’appelait Le Message, avec Big Red et Le Rat Luciano. Y a eu un street album qui s’appelait Remise aux Poings, pareil, que j’ai fait en solo. Tout ça pour préparer le terrain à un vrai disque qui s’appelle Armes Légales... Et que j’ai décidé de développer sous la forme d’une trilogie. Parce que... j’trouvais ça étrange la tentation après avoir fait un disque, ben... d’attendre que ça se passe. De faire la promo autour du disque, et puis... Comme on est en autoprod’ c’est nous même… on est obligé de faire notre promo... Bon. Tu passes vite de... de l’artistique... au commercial tu vois. Donc un job qui est pas trop le nôtre. C’est très étrange à chaque fois de perdre un truc artistique. J’ai décidé de faire ça sous forme de trilogie histoire que ça me mette une certaine pression. Que j’me dise qu’après que le volume 1 soit sorti j’dois vraiment m’atteler au volume 2 et au volume 3. Et que les trois trucs aient une cohérence. Qu’ils aient des couleurs différentes mais une cohérence. Ne pas perdre le fil artistique. Après Remise aux Poings par exemple. J’ai fait Remise aux Poings, pendant plusieurs mois vraiment, parce que c’était un street album distribué dans la rue... Enfin quand j’dis dans la rue c’est dans les concerts, et puis même c’est vrai dans la rue... De la main à la main, via le site, ça demandait beaucoup de taf. Et du coup, j’étais pas à l’aise pour faire mes morceaux comme je l’voulais, songer aux projets futurs. Donc là, c’est surtout pour me mettre une pression artistique. Et puis voilà, j’bosse déjà sur le volume 2, j’réfléchis même au volume 3. Tout en essayant de promouvoir le volume 1, mais avec plus de détachement, en déléguant plus au Songeur et à mes potes. Pour la promo quoi.

Et Armes Légales, pourquoi ce titre... Armes Légales parce que, avec tout ce qui s’est passé notamment pendant les émeutes, etc… Les accusations qu’y a eu sur le rap, avec toute l’image dont pâti le rap : celle d’être une musique de délinquants, une musique de banlieue, une musique qui amène à la violence... J’dis que le rap c’est... nous... une des seules armes qu’on a, l’arme qu’on a choisie. Et c’est vrai que... Nos mots racontent des trucs, nos mots peuvent faire mal ; nos mots des fois peuvent faire bouger les choses, peuvent faire réfléchir. Comme dans n’importe quel art où des mecs s’y prennent bien. Et c’est pour ça que j’appelle ça Armes Légales : c’est une arme qui est légale, et puis c’est le paradoxe des deux mots qui me plaisait. Voilà. Et ça veut aussi dire : c’est l’arme légale qu’on a choisie pour l’instant donc... ça a intérêt à marcher pour nous parce que... sinon on en sera amené à prendre d’autres armes, peut-être des vraies armes. Faites gaffe à vous !

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Album Armes légales

Pop : Quand y a des gens qui écoutent la manière dont tu rappes, qui te découvrent un peu… Ce qui les marque vachement c’est le côté à la fois très revendicatif, très dur sur pas mal de titres ; et à la fois très intimiste, ce qui est assez original et assez peu courant dans le rap. Le côté pas « gros bras », pas gros virilo... En quoi t’essaies de te distinguer de ce que tu écoutes dans le rap français actuellement ? Est-ce que t’essaies de te distinguer ou pas, à quoi tu te rattaches ? Y a toutes les étiquettes « hardcore », « rap français », « rap de fils d’immigrés »... Et parallèlement tous les trucs de soupe commerciale à la Skyrock... Comment tu te situes par rapport au paysage du rap en france en ce moment ?

Exp : Déjà, quand je réfléchis à un disque, ou à mon écriture, j’essaie pas de faire les choses pour me distinguer, j’essaie surtout d’me dire qu’il faut que j’sois moi... Dans ce que j’écris, que ça m’ressemble. Quand j’suis à l’aise, j’suis pas complexé par ce que j’raconte. J’ai pas peur de défendre mon truc. Que j’sois pas mal à l’aise face à mon public parce que je leur raconte des trucs que j’vis pas, des trucs avec lesquels j’suis pas en adéquation dans... Dans mon intimité quoi. Donc c’est vrai que... j’raconte pas mal de trucs. J’essaie de dénoncer des choses. Mais en parlant de mon expérience propre. Et en le faisant le plus humblement possible, après c’est marrant c’que tu dis parce que c’est vrai que des fois à des concerts y a des gens y connaissent pas ma tête... Donc tu vois ils arrivent, ils s’attendent à voir : le gros black avec tout son gang, tout son ghetto : y en a qui sont très surpris. Mais c’est bien parce que ça remet en place, y voient que j’suis... j’suis comme eux et que... que voilà, je joue pas sur les clichés. Après, ce que j’pense... Du rap, j’en pense beaucoup de choses et pas grand chose à la fois. Moi j’sais qu’y a des artistes que j’aime bien, des mecs comme Rocé, des mecs comme Oxmo Puccino... Et puis pas mal de mecs de l’underground tu vois ; qui font des choses. Et puis c’que j’aime, c’est ce que nous on fait, et c’que nous on projette. Que ce soit avec Le Songeur, que ce soit les Lynxs, que ce soit Trijas... Tous les mecs dans l’underground qu’on rencontre et puis aussi dans les autres genres de musique... Les rencontres qu’on fait dans les squats dans lesquels on joue, le mouvement alternatif qu’y a... Tout ça, ça nous donne de l’espoir et de la pêche pour faire nos trucs.

Après j’suis pas du tout fermé seulement au rap. C’est la forme d’expression que j’ai choisie mais j’pense que si j’avais été d’une autre époque j’aurais fait du punk ou... Voilà, moi c’est la forme d’expression qui me correspond le plus pour l’instant. Et j’me fige pas à ça tu vois. Peut-être que ça évolura : j’ai plein d’idées, j’ai envie de développer plein de trucs. Peut-être avec des vrais zikos. Des choses peut-être encore plus alternatives que celles que j’ fais, peut-être encore plus expérimentales. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai choisi ce blaze, Expérimental. Parce que j’garde toujours en option des choses plus expérimentales.

Bon après, le rap comme tu dis y a la mode, y a d’ la soupe, y a beaucoup de merdes mais tant mieux, tant mieux. Faut qu’ça continue parce que comme ça tu fais encore plus la différence entre ce qui est bon, ce qui est vrai, et ce qui ne l’est pas. C’est bien qu’ils se fassent tous récupérer commercialement. Leurs carrières vont vite péricliter. Et faudra pas qu’y s’étonnent. Regarde, nous ça fait dix ans qu’on fait de la musique, on la fait à notre manière, on en vit pas commercialement, alimentairement... Ben quand on se réveille, quand j’me réveille j’suis bien dans mes pompes, j’ai envie de faire du rap... Tu vois c’est c’te galère là qui nous fait avancer. On a vraiment l’impression qu’on bâtit notre truc nous-même. C’est pas une major, c’est pas une grosse machine commerciale qui va nous dire ce qu’on doit faire. On est pas aigri avec ce qu’on fait. On est bien dans nos pompes malgré le fait que ça soit très difficile de faire de la musique de la manière dont on la fait. Parce que à cause de l’image dont pâtit le rap, nous on s’en rend compte sur des groupes comme nous qui ont des vraies intentions. Je sais pas si c’est des bonnes intentions mais des vraies intentions artistiques. C’est-à-dire arriver, faire un bon concert, passer un bon moment avec le public... Vraiment, rencontrer son public. Même dans nos disques faut qu’il y ait une rencontre avec le public. Et le côté intimiste dont tu parles dans mes disques, qu’on essaie d’avoir, voilà... Moi j’parle du monde comme je l’comprends. Comme les choses me touchent, j’essaie de les renvoyer au public histoire que ça touche aussi les gens.

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Experimental

Pop : OK. Donc, notamment depuis les émeutes de 2005, et des évènements comme ça, y a eu un regain d’intérêt pour le rap... Mais un peu paniqué, dans les médias, dans la classe politique... Avec notamment des tentatives de censure explicite, des procès envers des groupes... Des tentatives de légiférer qui visaient explicitement le rap. Y a aussi des rappeurs qui participent à des mouvements pour l’inscription sur les listes électorales alors qu’on est en pleine période de présidentielles...
Et de l’autre côté le succès actuel du slam, t’as une petite remarque dans le dernier album si je me trompe pas (sur le titre
Mes Initiales). Notamment sur Lyon on a toute une série de soirées slam, avec le public bobo que ça draine, des trucs bien, des trucs moins bien... Qu’est-ce que tu penses de tout ça, de l’intérêt pour le rap qui est souvent malsain, de l’intérêt pour le slam qui est souvent malsain, et des gens qui gravitent autour ?

Exp : L’intérêt des politiques pour le rap, au niveau des émeutes, des accusations et de la responsabilité qu’on a essayé de nous faire porter, c’est vraiment comme tu dis un intérêt malsain puisque c’est plus un intérêt qui essaie de faire du mal au rap. Et puis les politiques, ils ont essayé, ils ont cru qu’ils pouvaient reporter cette responsabilité sur le rap en prenant deux trois phrases de rappeurs sorties d’leur contexte. Et puis voilà, dire : « C’est à cause d’eux ce qui s’passe », tout ça. D’ailleurs c’est hallucinant. Pour faire mes disques je sample pas mal, et c’que j’aime le plus sampler c’est d’la vieille variété française. J’me rends compte du nombre de disques, dans les années 60, dans les années 80... C’est les disques que j’achète le plus, en vynil. Tous les morceaux qu’y a pu avoir, des morceaux de malade ! Vraiment à côté les rappeurs on est... des p’tits joueurs au niveau de ce qu’on raconte, au niveau de c’qui est dénoncé. La façon dont y parlent de l’État, la façon dont y parlent des flics, voilà quoi. Et, tu vois, par exemple, je sais pas si tu fais allusion à des trucs comme ça, mais le passage où j’parlais de ces émeutes, le p’tit couplet... Juste avant ou juste après, je sais plus, j’passe un extrait de... de Renaud où... C’est Où est-ce que j’ai mis mon flingue... Où voilà, il crache sur l’État, il crache sur le drapeau... Voilà quoi, par contre lui on ira jamais lui taper sur les doigts. Ils savent qui accuser. Tu te demandes dans quel pays on vit. Et y avait quoi... ?

Pop : ... Sur les appels pour les listes électorales...

Exp : Ben ça j’trouve que c’est d’la merde. Tous ces rappeurs qui... qui font genre on entre en politique... qui vont s’acheter une conscience politique pour nous faire croire que tout d’un coup... S’ils ont attendu qu’il y ait Le Pen au deuxième tour pour réagir politiquement, c’est bon, moi je trouve que c’est d’la merde. Et après voilà... Voter... Qu’on vienne me dire : « Faut voter ! », OK. Mais j’préfère que ces rappeurs-là me disent quelle position politique ils ont, explicitement. Pour qui, eux, ils s’apprêtent à voter, ou... Quel projet politique ils portent, tu vois... Qu’ils essaient de me faire rallier une cause plutôt qu’ils me disent de voter. OK voter, mais voter pour qui ? C’est voter pour aller voter ? J’vois les élections qui arrivent, franchement j’sais pas si j’vais aller voter. OK, j’ai ma carte d’électeur, OK, j’veux bien voter mais... Voter pour qui ? Voter Ségolène, voter pour Sarkozy, voter pour Bayrou ? Franchement j’sais pas pour qui j’vais voter. J’sais même pas si j’vais voter. Et quand tu votes pas c’est aussi un message que tu passes. Ils ont essayé de faire croire que... plein d’gens, genre... Ils étaient à la piscine, ou ils étaient en famille, « Ouais, les gens sont irresponsables ! Les gens sont immatures ! ». Mais attend ! Faut que les politiques sachent que... Faut que la politique ça soit pas juste une lutte de... comment dire... d’image, et de promesses... Voilà. Donc franchement je sais pas si j’vais voter. Le fait que les rappeurs poussent au vote, j’trouve ça vraiment... J’trouve ça inintéressant. Y a aucun discours derrière, y a aucun message. Voter pour voter contre, j’trouve ça fait flipper d’en arriver à ce stade-là politiquement. Voter pour aller voter... Voter par peur d’avoir Le Pen au deuxième tour... J’voterai peut-être au deuxième tour tu vois, si vraiment j’me sens en danger, comme ça a été fait. Mais bon voilà, déjà voter pour Chirac, c’qui s’est passé l’autre fois, bon... Ben j’en garde une putain d’amertume quoi ! En mon nom comme le nom de ces 80 et quelques % de personnes qui sont allées voter [ sirènes dans la rue ]. J’me dis que vraiment c’est pas tirer des bonnes leçons de l’Histoire, et de la fraîche histoire des dernières élections que de dire : « Ben voilà. Faut aller voter. » Tu vas voter, tu vas voter contre mais en fait tu vas pas voter pour.

Pop : ... Sur le slam, si tu veux revenir sur le slam...

Exp : Le slam. Le slam, le slam. Hier... Pour Armes Légales, j’suis allé flyer à Grand Corps Malade. J’suis allé flyer. Devant. Et, en flyant, en rigolant, je disais voilà : « C’est du rap. C’est du rap à textes. Et dans le milieu on m’appelle P’tit Corps Costaud. » Bon, ça c’était pour la blague, fallait trouver une petite phrase d’accroche face au Grand Corps Malade, voilà. Mais après, le problème que j’ai avec le slam, c’est le problème que j’ai avec ce qu’on fait du slam. Du slam moi j’en ai déjà fait quand ça commençait un p’tit peu, dans les p’tits cafés, dans les p’tits trucs. C’est-à-dire on arrivait et on faisait nos textes rap en a capella. Et on montrait aux gens que y’avait vraiment une écriture dans le rap. Que même sans support musical, notre écriture elle était vraiment intéressante. Donc jusque là c’était chouette. J’imaginais bien que ce mouvement, comme le rap, il serait un jour récupéré, récupéré commercialement... C’qui m’fait halluciner c’est qu’y ait des mecs qui puissent développer une carrière autour du slam en reniant... Pas en reniant, mais si en reniant presque... En tout cas médiatiquement ils la renient, leur appartenance au rap. Et le fait que le slam soit vraiment une... une des branches directes du rap. Donc j’suis allé... On a pas acheté nos places pour aller voir Grand Corps Malade. Surtout au prix auquel elles sont. Mais on a eu des places. Quelqu’un nous a donné des places. Et alors on est allés voir. Parce que j’me suis dit : ben c’est cool, au lieu de critiquer comme ça sur une vague idée que j’ai de cette récupération, on va aller voir. Et j’me suis dit putain merde. Ces textes y sont... Ces textes y sont mignons. Y sont mignons, c’est bien écrit. Mais je m’imaginais c’que seraient les textes, en slam, ou alors en a capella, de groupes de rap que nous on apprécie. J’me dis : ça serait mille fois plus puissant ! Parce que le slam, enfin le slam qu’on nous montre aujourd’hui, le slam comme celui de Grand Corps Malade, voilà, c’est pas vraiment un slam qui prend position. C’est un truc qui pourrait plaire... Voilà, dans la salle j’suis sûr y avait autant de gens de droite que de gens de gauche, que de gens de... J’critique pas tu vois, mais moi c’est pas du tout… Un art qui prend pas position pour moi, enfin qui prend pas position... Ouais qui prend pas position, même dans la fermeture, quel que soit l’art c’est pas... C’est pas un art qui est vraiment valable. C’est une soupe, c’est un truc... Donc voilà le problème que j’ai avec le slam, toute cette récupération médiatique qu’on en fait et c’te façon dont les acteurs d’un mouvement peuvent jouer le jeu... Tout le merchandising qu’y avait... Maintenant y a des T-shirts, de ces mecs, enfin j’hallucine quoi ! J’ai halluciné.

Et puis, le problème que le slam me pose aussi c’est que... C’est tout bénef’ pour un slammeur d’arriver et d’faire des trucs... d’faire des trucs de rap a capella, parce que t’as pas la contrainte, t’as moins de contraintes techniques. T’as pas la contrainte musicale, t’as pas la contrainte de... De dire voilà : « On fait du rap et on l’assume », le rap c’est mal vu et on l’assume. J’imaginais, de faire un concert que en a capella, c’est clair qu’on toucherait beaucoup plus de monde. C’est clair qu’y a beaucoup plus de mamies, beaucoup plus de gens qui diraient : « A ouais, c’est beau c’que vous faîtes ! Ça nous touche, c’est mieux qu’le rap le slam ! ». Mais nous ça nous intéresse pas quoi. Nous on veut que... On veut qu’on aime cette musique avec nos défauts. Faut qu’les gens nous acceptent avec la mauvaise image qu’ils ont de nous. C’est à eux de le changer ! Ce qu’ils ont dans la tête. C’est pas à nous de s’intégrer, ou de nous adapter au paysage musical, ou de nous adapter aux mentalités bourgeoises françaises, bourgeoises lyonnaises quoi.

Donc voilà tous les problèmes que j’ai avec le slam, alors est-ce que c’est un problème que j’ai avec les slammeurs, ou alors est-ce que c’est toute cette récupération médiatique qui pose problème... J’pense que c’est... J’pense que c’est vraiment gentil quoi. Bon c’est vrai... Mais le slam j’crache pas sur lui, j’crache sur tout ce qu’on en fait ; ça m’fait halluciner. Ça m’fait halluciner parce que j’trouve ça beaucoup moins bon que… Tu prends un bon album de rap. Et des textes que tu mets en a capella : y a plus de flow, plus de couleurs, et le mec prendra des positions... Des vraies positions. Donc voilà.

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Pop : Une autre question que j’avais portait sur le côté pas mal politique de ta musique, ou revendicatif. Tu fais partie des rappeurs qu’on voit régulièrement apparaître dans les évènements militants à Lyon, des concerts de soutien, ou dans des squats, des choses comme ça. Comment tu vois tes rapports avec ces réseaux-là, en sachant que les contacts entre les réseaux de militant-e-s politiques et les réseaux du rap ou « banlieusards »... sont pas toujours évidents, y a un peu de la méfiance mutuelle, des stéréotypes qui persistent... La jonction a toujours eu du mal à s’faire j’pense. On en revient aux émeutes de 2005 où y a eu assez peu de contact malgré tout alors que c’était un événement quand-même majeur et qui a marqué énormément de monde. Et que à long terme on a du mal à faire le lien entre les gens qui militent en banlieue, en centre-ville, la jeunesse des quartiers populaires, de périphérie, et les réseaux militants… Alors que ces derniers prétendent parler un peu en leur nom...

Exp : Question très difficile parce que j’sais pas si j’ai compris les choses comme toi... Après c’est clair que c’qui s’est passé dans les banlieues ça a surpris tout le monde. Tout le monde et j’pense, y a pas eu de... de vraie organisation comme tu dis entre des organisations politiques, alternatives, militantes... Qu’effectivement des fois, y a un décalage avec certaines assoc’, certaines organisations politiques qui essaient de faire bouger les choses... et les mecs qui habitent en banlieue. Parce que toutes ces organisations-là sont pas forcément en banlieue, sont pas sur le terrain. Après c’est difficile quand t’habites dans ton quartier... d’exprimer ton ras-le-bol avec des mots qui ont un vrai poids politique. De vraiment argumenter, quand t’en as marre, t’en as marre ; c’est un ras-le-bol général. Savoir y mettre des mots, des mots qui pèsent... médiatiquement, c’est dur. C’est pas donné à tout l’monde, quand t’as mal au coeur, quand tu souffres, quand tu subis plein de discriminations qui sont pas... Qui sont pas vraiment descriptibles. Des trucs que tu vis tous les jours c’est difficile à décrire. Quand on t’refoule du job, qu’on te discrimine tout le temps, que t’es discriminé à l’école... Après c’est clair que c’est un truc qui a été un peu spontané j’pense, qui a eu du mal à être fédéré. Mais voilà. Le message est là quand même. Y a des voitures qui ont été brûlées, y a eu un ras l’bol qui était exprimé. Même si les politiques ils ont essayé de déplacer le problème, essayé de détourner les yeux j’pense que... Les prochaines émeutes qu’y aura, tout le monde sera mieux préparé. Et les assoc’, et les organisations politiques, alternatives, qui essaient de faire bouger les choses, et ben... Elles sauront mieux s’y prendre, j’pense, pour... Pour défendre la cause, la cause du malaise de la jeunesse immigrée, de la jeunesse de périphérie, de la jeunesse discriminée. Voilà.

Après y a une autre question... Tout à l’heure t’as dit que mon rap était politique... J’me sens pas être le rappeur le plus politisé ou... Mon rap il est social. Enfin il est social : j’parle de comment je vis les trucs, j’essaie d’utiliser des mots simples, des mots qui m’ressemblent. Et de dire ce que j’pense. De dire aussi ce que j’pense politiquement. Mon rapport avec les squats, et tout ça, tous ces p’tits mouvements... Ben j’aime jouer dans les squats, j’aime jouer dans... avec des gens ou pour des assoc’ chez qui je sens qu’y a une sincérité, un investissement... J’aime cet investissement politique qu’il peut y avoir chez vous, qu’il peut y avoir à l’Insoleuse, qu’il peut y avoir chez des gens comme Radio Canut... Les choses sont plus simples, sont plus évidentes, y a moins de faux-semblants. Voilà, c’est aussi simple que ça pour moi et tant qu’y aura ça, tant qu’y aura ce p’tit monde... Nous on joue plus facilement dans un squat avec des groupes de rock... On s’parle dans les yeux, on fait nos trucs, c’est là où nous on a les meilleurs retours, les meilleurs feeling... C’est là où on a la meilleure équipe. J’préfère jouer dans ces endroits-là que... que dans des salles où... Où le programmateur y comprend même pas la musique qu’on fait, où le programmateur aura des flips au niveau de la sécurité... Des mecs de... De droite quoi ! Voilà. J’préfère jouer avec des gens qui ont une mentalité qui m’ressemble. Qui font d’la musique, qui s’investissent dans leur truc ben voilà, comme moi je m’investis dans ma musique. Comme un punk quoi. Tout pour l’amour de notre art, tout pour l’amour de notre cause... C’est aussi simple que ça. Donc comme on en a parlé tout à l’heure, hors interview, on s’apprête à faire la tournée des squats. Tournée des squats, des mouvements alternatifs de Lyon et de toute la france !

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Experimental

Pop : La prochaine question... C’est une question à cent balles encore ! Y a un titre qui est vachement marquant sur ton album : c’est Les mains qui parlent. C’est une chanson qui est vachement belle et vachement triste. Et ça m’fait penser aussi à l’espèce de... ben on revient à des thèmes un peu généraux... Cette espèce de campagne de culpabilisation des parents des milieux pauvres et immigrés. On entend souvent le même couplet. On les suspecte d’éduquer leurs gosses à l’arrache... Dans ton album en général tu parles beaucoup de tes parents. Et notamment sur c’te chanson tu défends ton père... avec qui t’avais des rapports durs. Si tu veux développer un peu sur les rapports familiaux, et sur toute cette stigmatisation des parents de milieu populaire ou immigré...

Exp : Ouais, l’accusation politique, quand on dit que c’est à cause des parents que les enfants deviennent des délinquants, etc... Bien évidemment que c’est faux, bien évidemment que c’est un truc de fous. Bien évidemment qu’on va essayer d’faire passer des lois pour repérer les jeunes délinquants à la crèche ou en maternelle. Ça fait rire ; ça fait flipper. Parce que y en a que t’entends qui y croient ! Et ça fait flipper que... que les gens réagissent pas. Que les gens réagissent si peu. Bien sûr que... Moi quand j’vois, avec l’expérience de mes parents, les parents de potes, ou les parents de potes qui finissent mal... Bien sûr que c’est pas la faute des parents. Bien sûr que les parents sont aussi perdus que ceux d’ma génération de voir comment l’État peut les... peut les abandonner et peut les délaisser. Bien sûr que quand tu viens en france après la guerre d’Algérie quand t’étais harki, ou même quand tu l’es pas... Quand on te fait venir comme une force de travail, une force ouvrière et qu’tu vois comment on te dénigre après... Après tant d’investissement, après t’être fait tant discret dans c’pays pour pas gêner, bien sûr que ça t’flingue le moral. Bien sûr qu’y a des parents qui jouent, enfin des pères qui jouent leur retraite d’ouvrier au P.M.U., voilà qui... Qui ont l’sentiment d’avoir tout donné pour c’pays, qui sont complètement perdus. Et tu crois que... Et tu crois que ces parents-là vont essayer de donner une conscience citoyenne à leurs gamins ? Une conscience citoyenne et un respect pour le drapeau français ? Quand ces parents-là ont ravalé leur fierté pendant tant d’années pour donner... un toit à leurs gamins, en se disant que, voilà, le respect dont eux ils ont pas joui, leurs enfants pourraient en jouir ?

C’que j’veux dire c’est... Bien sûr, quand t’as des parents qui mettent de côté leur fierté en se disant, voilà... On nous donne des boulots de merde, on s’tient discrets dans ce pays pour pas faire de vagues, en s’disant... Ben voilà, au moins, ils auront investi pour que leurs enfants grandissent dans les écoles, avec des enfants français... Au moins ils subiront pas les discriminations... Et bien sûr quand t’as ces parents-là qui vieillissent... Qui sont complètement désillusionnés quand ils s’rendent compte que leurs enfants, c’est eux qui s’prennent encore plus de trucs dans la gueule, qui subissent encore plus de discriminations... Ben y sont désemparés. Tu crois vraiment qu’ces parents-là ont encore la force de faire la morale à leurs gamins ? Bon, bien sûr qu’y en a qui trouvent encore la force. Qui trouvent l’issue autre part : dans les traditions, dans les valeurs morales, dans des choses comme ça mais... Mais putain moi franchement... Respect pour ces parents-là, c’est des parents qu’y faut aider, c’est des gens... C’est pas des gens qu’y faut continuer à accuser, et continuer à enfoncer quoi. Voilà ce que j’pense de ça. Quand tu vois toute l’hypocrisie politique qu’y a autour de ça... Ils font un film qui s’appelle Indigènes, qui croit réparer l’histoire avec ça... Bien sûr que ça m’fait halluciner, surtout quand tu vois la... la passabilité du film. Quand tu sais que c’est ça qu’les profs d’histoire vont aller voir, vont aller faire voir aux gamins en leur disant « ben voilà »... Moi ça m’fait halluciner que la droite française ait l’impression de dire : « Ben voilà, on vous a fait votre film, c’est fini ». Quand tu vois que Chirac, juste avant de finir son discours de mi-mandat, il dit : « Ben voilà, on va reverser les thunes à égale part de ce qu’on versait aux anciens combattants français pour les anciens combattants du Maghreb ». On les reverse maintenant mais j’sais pas, il doit y en avoir 95 % qui sont morts ! Et encore j’suis gentil ! Ça fait flipper !

Et... Oui, par rapport à la chanson Les mains qui parlent... Ouais, les mains qui parlent... Donc effectivement, politiquement on peut trouver cet aspect-là dont tu parles de... de désarroi des parents. Mais ce qui m’intéressait plus dans cette chanson, c’est dire que... J’vais essayé de pas parler d’mon rapport à la scolarité et tout mais voilà... Y a souvent des gens qu’tu croises, ou des gamins qu’tu vas croiser et tu vas pas soupçonner la ... la souffrance qu’ils ont en eux quoi. Et, faut y faire bien attention. Les gamins taciturnes, les gamins discrets... Y a souvent beaucoup d’souffrance derrière tout ça. Bien sûr j’parle de mon expérience personnelle dans cette chanson, bien sûr j’vais sûrement taire d’autres choses mais...

Voilà... Des parents qui se sont beaucoup investis dans c’pays en se disant que leurs gamins auront un meilleur avenir et qui s’rendent compte que... Non. Que leur avenir y sera encore plus flippant, que leurs enfants y sont encore plus sans repères. Ils sont... étrangers en france et ils le resteront encore un p’tit moment. Leur présence est problématique. Leur présence est entièrement politique. Ils ont conscience que c’est l’chaos dans nos crânes, qu’on sait plus trop quelles valeurs avoir, qu’on nous parle tout l’temps d’intégration, on sait pas c’que ça veut dire... Est-ce qu’il faut qu’on efface nos vêtements ? Est-ce qu’il faut qu’on mette de côté nos religions ? C’est... Voilà, une génération sans repères où on t’acceptes pas comme t’es. Où quand t’essaies de faire ta carte d’identité on essaie d’savoir si tu connais les... les couleurs du drapeau français, qu’est-ce tu connais d’la république, qu’est-ce que tu connais de l’État français... Et on te dit, on t’propose, on te demande si tu veux pas changer d’prénom et que t’y a entièrement droit... Voilà quoi ça fait peur. Après ça m’paraît difficile de parler de mes chansons plus qu’elles ne parlent déjà. Surtout peut-être pour un morceau comme ça. Parler de ce qui parle déjà pour moi ça reste difficile et c’est tout ce que j’pourrais te dire par rapport à ça. J’crois qu’cette chanson elle parle... Elle parle beaucoup. Voilà... Quand t’as des parents qui ont des vies difficiles et qui sont amenés à un certain âge à se rendre compte, à faire un constat d’échec... T’es amené à te faire du mal à toi même... A te faire du mal à toi même, à faire du mal à ceux qu’t’aimes. La révolte elle se fait à la maison, par des trucs que tu regrettes ou... Encore une fois pour pas faire trop de vagues dehors. Quand t’as des parents qui, voilà, ils vont pas aller brûler des voitures : la souffrance, elle est interne, elle est à la maison... Quand t’es discret, t’es discret dans ton entreprise, t’es discret à l’usine, tu fais pas trop d’vagues, tu t’plies tu vois. Tu t’plies aux discriminations, tu prends ce qu’on te donne... Et, quand tu finis par avoir toute cette culture-là, tous les trucs de fous y s’passent à la maison, y s’passent dans ta banlieue quoi. La misère de ces gens-là, pour l’État et pour les politiques, faut qu’elle reste bien cachée. Faut qu’y s’fassent du mal entre eux tu vois.

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Pop : Un truc que t’évoques dans le morceau L’interview  : c’est ton rapport avec l’islam. Parce que y a beaucoup de gens en france actuellement qui ont du mal à comprendre le rapport entre... Une jeunesse issue du Maghreb ou d’Afrique Noire qui revendique l’islam tout en ayant des positions de gauche ou en tout cas... Tu vois j’pense pas mal au rap en général : beaucoup de gens qui se revendiquent musulmans de manière très différente (tu peux avoir des gens craignos, des gens pas du tout craignos), toi c’est un truc que t’aborde souvent dans tes textes... Et beaucoup de gens qui sont pas issus de culture musulmane, du Maghreb ou d’autres pays musulmans, qui ont du mal à comprendre le fait que tu puisses revendiquer l’islam aujourd’hui, en tant que minorité discriminée, ségréguée en france... et un héritage de combat, de contestation... Pour eux l’islam, la religion c’est forcément associé à une valeur réac’, conservatrice...

Exp : J’avais jamais réfléchi à cette question sous cet angle-là. Après, on peut parler de la critique que j’fais dans L’interview, oui, du rap qui... qui prend la musique uniquement sous cet angle-là de la religion, de la religiosité... Moi j’ai un peu de mal avec ça parce que j’pense pas qu’tu puisses destiner un mouvement artistique... Que tu puisses baser c’que tu fais que sur ça quoi. À c’moment-là tu t’fais prêcheur, ou tu t’fais curé... Donc voilà, l’art, la musique, c’est pour moi quelque chose de profane fondamentalement. Après tu peux parler de qui t’es, effectivement quand j’dis dans mes textes que j’suis musulman, tout ça, c’est pour marquer encore plus... C’est une différence qu’on retrouve déjà suffisamment, sur laquelle on insiste suffisamment dans ta vie en société... Voilà, j’parle des différences, j’parle de cette différence-là, de dire que j’l’assume et que c’est pas... Que c’est pas une maladie et j’explique comment j’me place par rapport à tout ça quoi. J’crois qu’la foi c’est de l’ordre de la conviction personnelle et qu’ça sera toujours difficile à expliquer. Et que, moi j’trouve qu’y a d’la religion de partout. Dans la plupart de nos façons de fonctionner, mentalement, tout ça, et on s’en rend pas compte qu’y a des valeurs judéo-chrétiennes qui sont très très très ancrées en france. Mais après pouvoir te répondre à cette question ça reste difficile parce que j’avais jamais vu les choses sous cet angle-là. Ou du moins j’avais pas senti que des gens puissent être intrigués que... que j’puisse revendiquer ça tu vois. Par exemple qu’y ait des groupes comme moi, qu’on puisse parler du fait qu’on soit musulman... On est musulman, voilà, et alors ? T’sais, quand t’es immigré... immigré en france t’as besoin d’te rattacher à des choses solides. Des choses solides, des choses que le système dans lequel tu vis ne t’offres pas. Y t’reste des trucs... forts... que t’ont enseigné tes parents. Des trucs forts que tu trouves quand tu vas en Afrique, quand tu vas au bled. Et parmi ces trucs forts y a un truc c’est très fort, c’est... la foi et... c’est la religion et t’as besoin d’te rattacher à des trucs solides. Alors bien sûr y en a qui se rattachent de manière exacerbée. Et qui pensent mal tu vois. Qui pensent mal et qui racontent des grosses conneries. Mais y a ceux qui s’y rattachent pour qu’ça les aide à avancer. Tout simplement quoi. Moi j’ai la foi, tout simplement. Et quand j’dis qu’la religion elle est partout tu vois, les gens ils peuvent ne pas comprendre que le rap revendique ça. Les gens qui sont très engagés dans un mouvement associatif quel qu’il soit : mouvement alternatif, mouvements de droite, mouvements extrêmes quel qu’ils soient ; ils font de ces systèmes, enfin de leur cause une religion. Tu vois c’que j’veux dire ? Ils sont prêts à aller loin... Ils sacrifient leur temps... Ils sacrifient leur vie d’famille... Voilà : où est le degré ? Qu’est-ce qu’une bonne religion, qu’est-ce qu’une mauvaise religion ? Voilà pourquoi est-ce que j’dis que la religion est partout. Voilà. J’aime beaucoup cette réponse !

Pop : Justement tu parlais du bled, et de l’Algérie... Qu’est-ce que tu penses du rapport de la france avec ses anciennes colonies, aujourd’hui ? Des rapports qu’ils entretiennent avec plein de dictatures, ce qu’on appelle la françafrique et le maintien de rapports de tutelle entre la france et les anciennes colonies ? Malgré tous les mouvements indépendantistes qu’y a eu dans les années 50, 60, 70... ou même avant. Que la france arrive encore à intervenir militairement au Tchad y a pas longtemps, ou des choses comme ça en Côte-d’Ivoire... Le fait d’essayer de faire croire à la fiction de la décolonisation...

Exp : C’est clair que c’que j’me dis, pour pas trop m’étaler... J’suis pas non plus un grand politologue et j’voudrais pas dire trop d’conneries. Quand j’vois ça, et mon expérience perso... Voilà, ces pays sont encore colonisés. Colonisés psychologiquement... Qu’effectivement, le colonisateur est parti. Physiquement. Et encore : il est pas parti tout à fait financièrement, il est pas parti tout à fait militairement... et il est loin d’être parti psychologiquement. Quand j’vois c’qui s’passe en Algérie ; tout c’qui s’est passé ces dernières années, tous les massacres qu’y a eu, c’est une pure reproduction de c’qui s’est passé pendant la Guerre d’Algérie. Dans la façon dont les populations sont torturées, dans la façon dont militairement le gouvernement réagit : c’est une reproduction de ce qu’a laissé la france. Et voilà quoi. Y a une présence politique encore du... du colonisateur dans ces pays-là. Voilà. J’suis pas assez en mesure de m’étaler plus. La question c’est un truc sur lequel j’travaille, sur lequel j’réfléchis. J’suis en train d’lire un bouquin d’un mec qui s’appelle Mammy. Ça parle de... du rapport colonisé/colonisateur, ça a été écrit juste après la Guerre d’Algérie. Et franchement, c’est un bouquin qui défonce quoi et... C’est des trucs sur lesquels faut avoir des connaissances historiques pour... Faut avoir des bases quoi. Mais tout c’que j’vois quand j’vais en Algérie c’est qu’la présence française elle est encore là. Elle est encore là et que... Que la france elle assume pas encore la Guerre d’Algérie. Elle est loin d’l’assumer et ça lui reste en travers de la gorge. Et que ouais, y a quelques mois ou... un an j’crois... Entendre dire qu’y faut pas trop cracher sur la colonisation... Les bienfaits qu’ça a apporté... T’as l’impression... Enfin moi j’ai l’impression de rêver quand on parle de ça. La façon dont ces peuples ils ont été dépouillés de leur histoire, de leur dignité... La merde psychologique dans laquelle y sont. Toute cette politique tu t’dis : « Non, regarde, la colonisation elle a rien laissé ! » Regarde, regarde les pays qui sortent de la colonisation comment y s’en sortent ! Comment y s’bouffent entre eux, comment ça d’vient des dictatures militaires. Comment ces pays quand y partent y font en sorte que y ait tel type de mec qui soit élu, tel type de président, tel type de mec complètement corrompu ! La colonisation elle est encore là, elle est encore hyper vraie ! Hyper vraie. J’pense pas qu’ y ait un seul pays qui soit sorti de la colonisation et qui s’en sorte bien. Politiquement. Et j’sais pas quand est-ce qu’ y en aura.

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Pop : Un autre truc qu’on a évoqué, c’est les pentes de la Croix-Rousse où t’as grandi, si j’dis pas d’bêtises. Et j’voulas savoir quel regard tu portes sur l’évolution du quartier qui a vachement changé au fil des années. Sur l’évolution en termes d’urbanisme à Lyon en général qui est en train de s’embourgeoiser à vitesse grand V. Sur la politique de la mairie ? Sur la Croix-Rousse et sur Lyon en général.

Exp : Ben, c’est clair que la Croix-Rousse j’la vois changer... Les p’tits commerces sont plus les mêmes... Les rues sont plus froides parce qu’elles sont plus moches... parce qu’y a une architecture, voilà, un mobilier urbain qui correspond pas du tout à.... à c’que c’est les pentes de la Croix-Rousse. Ça s’embourgeoise parce que toutes les rénovations qu’y font c’est pour faire monter les loyers. C’est pour qu’y ait plein de bobos qui s’installent et qu’y ait des gens qui ne se sentent plus à leur place qui partent... d’eux-mêmes. Et qui puissent tout simplement plus payer le loyer, qui s’barrent. Bien sûr qu’ça fait mal au coeur. Ouais, voilà le regard qu’je porte. Moi pour l’instant j’sais pas combien d’temps j’vais pouvoir rester sur les pentes de la Croix-Rousse. A la limite tu peux constater ça et te dire bon... Te sentir un peu désemparé mais... A un moment si tu t’sens plus bien dans ton quartier, avec tes voisins... J’sais pas, ça donnera pas envie d’rester. C’est triste. C’est triste et j’sais pas... J’suis vraiment sceptique sur la façon dont ça va évoluer et à mon avis... Je sais pas si on pourra faire bien grand chose quoi. J’sais qu’y a une assoc’, comment elle s’appelle... Ouais, Tiens Bon La Pente.

Pop : Toi t’as l’sentiment d’te sentir un peu poussé au départ...

Exp : Ben ouais, c’est clair. J’sais pas comment... faudrait fouiner dans leurs projets politiques, dans leurs projets... urbains, urbanistiques. Qu’est-ce qu’y projettent de faire de ce semblant de population immigrée dans la ville. Tu vois. Ils essaient d’éjecter les gens pauvres. Enfin pauvres, moyens, très moyens financièrement, de les mettre plus à Villeurbanne, etc... J’sais pas, j’te jure c’est... J’le prends comme ça, j’me sens pas rassuré. Guillotière… effectivement, c’est clair. Bien sûr que j’vois qu’y a des travaux, des choses comme ça, bien sûr qu’y a cette putain d’place qui a été refaite pour pas qu’les vieux y squattent... bien sûr qu’ils ont enlevé les bancs, bien sûr que... Tout ça tu l’vois. On va changer d’pays ! [rires]

Pop : Y reste peut-être le Groënland... [rires] Sinon j’ai ré-écouté Rap Témoin, y a pas longtemps : pourquoi tu joues pas d’la musique plus gaie ?

Exp : Ben parce qu’y en a plein qui le font. La musique festive y en a plein qui la font. Moi l’rap j’le conçoit comme un truc revendicatif et que... Si j’dois raconter que j’suis content, ou faire le guignol, faire le rigolo, voilà j’ai mille occasions d’le faire avec mes potes... C’est p’t’être pas là que l’plus de choses ressortent quoi. Ouais j’te disais qu’y a des gens qui le font mieux qu’nous. J’pense qu’y a plus de choses qui ressortent dans la noirceur, ou dans la tristesse... dans la mélancolie. Après voilà, Armes Légales 1 il est très sombre, très introspectif. C’est l’premier d’la trilogie. Les autres seront plus... Ils auront plus de pêche. Le message sera pas dilué pour autant. Mais y aura des nouvelles couleurs. Voilà. J’trouve ça plus intéressant. Comment avec tout c’qui s’passe autour de toi tu peux être content d’vendre un disque en te disant : « Ouais super, je positive ! » ; ça pose souci tu vois. J’aurais l’impression d’être malhonnête de vendre ça. « Comment ça, qu’est-ce qui s’passe ? »... Enfin non, j’peux pas quoi ! J’peux pas faire un disque et le vendre... en m’disant que j’veux pas faire réfléchir celui qui va m’écouter. En m’disant que j’veux pas... poser des questions, tu vois. Même si j’donne pas trop d’réponses. J’crois qu’c’est ma conception d’la musique, voilà, y faut qu’ça interroge. De la musique, et de l’art en général. T’adhères ou pas, peu importe. Mais l’essentiel c’est qu’ça t’fasse réfléchir.

Pop : Et sinon qu’est-ce t’attends pour 2007 ?

Exp : J’attends... J’attends avec impatience le dénouement de cette grande mascarade que sont ces élections... J’attends d’voir ce qu’ON va en faire. C’que les habitants d’la france vont en faire. C’que les habitants des quartiers vont en faire. C’que moi-même j’vais en faire. J’attends d’faire plus de concerts, j’attends que... que face à leur bêtise, que face à la connerie dominante on soit encore plus... militants, et plus investis tu vois. Et... voilà. Voilà c’que j’attends. Pour cette année.

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Sinon, procurez-vous « Armes Légales », Experimental c’est le meilleur rappeur lyonnais du monde ! Il est disponible à la librairie La Gryffe, 5 rue Sébastien Gryphe, 69007.

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