Juge unique = juge inique : grève des magistrats du tribunal administratif

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Les juges des tribunaux administratifs ont décidé de ne pas travailler ce mercredi 7 juin pour marquer leur opposition au décret qui instituera désormais le juge unique pour la plus grande partie des audiences. Ce décret est discriminatoire, et selon les juges eux-mêmes les décisions deviendront beaucoup plus partiales, à la solde du pouvoir politique.

« Le juge unique ne peut exister que dans des gouvernements despotiques. » écrivait Montesquieu, qui voulait la séparation des pouvoirs, sur laquelle se fonde la constitution.

L’heure est grave.

Cet abandon de la collégialité au sein des tribunaux administratifs, que vient de décider par décret le gouvernement a fait réagir ses magistrats qui ont décidé de faire grève toute la journée du 7 juin. A Lyon, il y a plus de 70% des magistrats en grève, faisant partie de plusieurs syndicats. C’est une grève assez rare puisqu’ils n’ont pas fait grève depuis 1976, et là c’était pour des raisons corporatistes. Mais aujourd’hui, cette décision d’imposer le juge unique leur semble une affaire grave pour les justiciables, et notamment pour les plus fragiles.

C’est le projet de loi Sarkozy sur l’immigration qui a porté sur le devant de la scène l’affaire du juge unique. Mais en plus du droit des étrangers, cela concerne aussi tous les contentieux pour le logement, le chômage et les handicapés.

Avec ce décret, dans les tribunaux administratifs, c’est peut-être 90% des audiences qui seront faites avec un juge unique, et même un débutant pourra occuper cette fonction. La seule préoccupation du gouvernement c’est la productivité, mais c’est la qualité des décisions qui en pâtiront. Pour les juges, la méthode employée est aussi à dénoncer car aucune étude d’impact sur les conditions de travail n’a été réalisée et d’ailleurs les greffiers des tribunaux administratifs appuient cette grève.

En matière de libertés publiques et surtout d’immigration, la collégialité est d’autant plus nécessaire si on veut éviter la partialité. Le juge administratif, qui est aussi un juge des libertés, a conquis petit à petit son indépendance depuis 1953 grâce à une culture de la qualité et en contre-partie pour le justiciable une certaine qualité des décisions est assurée par la collégialité. Avec le juge unique, ce sera le chaos dans les jurisprudences qui seront très différentes les unes des autres.

La juridiction administrative française est reconnue actuellement comme une des meilleures partout dans le monde : veut-on la détruire avec le juge unique ?

Ce qui est grave en plus de cela c’est qu’il n’y aura plus d’appel possible. On s’aperçoit qu’actuellement les décisions des juges uniques, qui n’interviennent qu’exceptionnellement pour des contentieux très simples, sont souvent cassées en appel. Comment peut-on envisager une juridiction des étrangers, des handicapés sans possibilité d’aller en appel ? La cour européenne, qui met des années à s’occuper d’un dossier, va alors avoir fort à faire...

Notre justice est une justice de classe, mais avec ce décret, l’aspect discriminatoire est absolument patent. En effet ce sont ceux qui auraient le plus besoin de la collégialité qui en seront privés. Pour le juge unique, on vise certaines catégories de la population : les étrangers, mais aussi les chômeurs, ceux qui ont un problème de logement, les handicapés... Tandis que seules les affaires de droit fiscal, de contentieux des entreprises, de questions économiques seront jugées "en première classe" par un collège de magistrats. La discrimination est officialisée !

Le juge administratif, seul, qui est aussi un fonctionnaire, est le plus exposé au pouvoir politique. Le principe de la collégialité est indispensable dans une société dite démocratique. Pendant la période de Vichy, on a vu combien l’indépendance des juges est vraiment fondamentale. Comment un juge unique, tout seul, pourrait soulever l’illégalité d’un décret ministériel sans l’appui d’autres juges ?

A l’heure où la commission d’enquête parlementaire a voté son rapport sur le désastre judiciaire d’Outreau et ses dérives, le gouvernement en passant outre donne l’image de se moquer totalement, non seulement du peuple, mais aussi de ses propres institutions.

P.-S.

Réalisé à partir d’une conférence de presse qui a eu lieu au Tribunal Administratif de Lyon, 184, rue Duguesclin, le 7 juin à midi.

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