L’inspecteur Derrick a perdu ses lunettes

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Début mars, les flics perquisitionnaient un appartement, à la recherche d’une personne pour la manifestation antifasciste du 29 novembre 2014 à Lyon.

« Il n’y a pas de combat plus impérieux que la lutte contre l’extrême droite » (Manuel Valls, 1er février 2015)

Agacés par le fait que cette manif ne s’en soit pas tenue aux protestations symboliques d’usage, les flics sont sur les dents. Sans doute aussi parce qu’ils en ont perdu une ou deux ce jour-là. On se rappelle en effet que deux policiers du renseignement un peu trop curieux s’étaient faits arranger cours Gambetta alors qu’ils longeaient la manifestation, tandis que des vitrines de banque commençaient à se faire éclater.

C’est plus généralement pour ce qui s’est passé ce jour-là que B. a finalement été convoqué dans un commissariat fin mars, puis placé directement en garde-à-vue. Pour finir par être mis en examen, dans le cadre d’une instruction ouverte pour « dégradations » ainsi que « violences » avec trois circonstances aggravantes : sur une personne dépositaire de l’autorité publique, avec une arme et en étant masqué.

Techniques policières

Rien de bien neuf de ce coté-là. B. était sans doute placé sur écoute depuis quelques temps si on en croit ce que les flics ont laissé transparaître pendant la garde-à-vue.

Du point de vue policier, ce que les flics attendent de la gardav’, c’est que B. reconnaisse l’intégralité de ce que la police lui reproche. Ce qui donne lieu a des scènes assez cocasses où les flics en viennent à minimiser les chefs d’accusation : « non mais là, sur les images de vidéo-surveillance, on voit que tu casses une vitrine mais avant tu demandes à la grand-mère de se pousser de devant ; ça va t’es pas un fou », « là, on voit que t’aurais pu frapper le collègue à la tête mais tu préfères viser le dos, ça va c’est moins grave que ça n’aurait pu l’être... » Les ficelles sont un peu grosses mais ce sont toujours les mêmes : obtenir des aveux. Ou du moins, faire en sorte que le gardé-à-vue se mette à parler avec eux, à communiquer et qu’un échange s’installe. Ce qu’il faut bien sûr refuser à tout prix.

Quand la police joue à « Qui est-ce ? »

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Le processus qui conduit à la mise en examen de B. est assez édifiant et mérite d’être connu. Apparemment, dans le mouvement de foule qui s’en est pris aux deux policiers, les images de vidéo-surveillance récupérées par la police permettent de distinguer une personne masquée, portant des lunettes, donner un coup aux deux policiers puis s’en prendre plusieurs vitrines jusqu’à la place du Pont. Or, il se trouve que B., dans la vie, porte des lunettes. C’est tout ce qui fait de lui un suspect ? Presque.

Il faut juste rajouter à cela une « source anonyme », laquelle témoigne que oui ça pourrait très bien être lui. Et photos à l’appui, on découvre B. dans différentes manifestations. Vous êtes militant, vous participez régulièrement à des manifestations, vous avez des lunettes, mon gaillard, votre compte est bon ! C’est en somme le raisonnement policier.

Bien sûr, il y a de fortes chances que cette source anonyme (qui a donné les photos et suggéré un suspect) ne soit autre que la DGSI, le fameux mix de feu la DST et des anciens RG. Ce serait loin d’être étonnant. C’est déjà la technique utilisée après la manifestation du 22 février 2014 à Nantes où plusieurs personnes ont été condamnées bien après la manif sur la seul foi des dossiers et des photos de la DGSI.

Le jeu est assez simple, voilà comment ça marche. Il faut deux joueurs. D’un coté, il y a la police qui veut retrouver des gens après des débordements pour leur coller des délits sur le dos. De l’autre, il y a la DGSI qui a pour habitude de ficher les contestataires et les gens se rendant à des manifestations. Lorsque les flics prennent cher et veulent se venger, il leur suffit de demander à la DGSI de fouiller dans ses bases de données et de sortir des profils qui peuvent correspondre à ce qu’ils cherchent. Ils choisissent celui ou celle ressemblant le plus à leur suspect. Et le tour est joué. Dans le cas de B., on imagine sans mal la jubilation du petit fonctionnaire des renseignements qui, après avoir méticuleusement épluché plusieurs trombinoscopes, se redresse et s’exclame : « Chef, ça y est ! J’en ai trouvé un avec des lunettes ! »

On pourrait presque en rire, si des mois de taule ne risquaient pas de tomber derrière. À Nantes, la justice a accepté de condamner des gens à de la prison, sur la base de photographies floues, avec pour seul argument la confiance accordée aux services de renseignement (voir ici et ).

On savait que la justice avait tendance à écouter plus attentivement les policiers que les prévenus. On découvre maintenant progressivement comment elle accepte de suivre à la lettre les indications d’une police politique.

Une instruction est donc en cours, et dans ce cadre, d’autres arrestations pourraient avoir lieu. Face à cela deux conseils :

1) Le plus essentiel : amis binoclards, il est temps de passer aux lentilles [MAJ : sans blague, les policiers ont extrait les lunettes de sa fouille (sans son consentement) et ont prélevé de l’ADN dessus. Cet acte a été ajouté au dossier judiciaire. Il est donc vivement déconseillé de se rendre à des convocs avec ses verres !]
2) Attention aux sapes après les manifs [1].
3) En cas de soucis, ne pas hésiter à contacter la Caisse de solidarité (06.43.08.50.32 ; caissedesolidarite@riseup.net).

Notes

[1Une seconde perquisition, tout aussi infructueuse que la première, a eu lieu.

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  • Le 19 avril 2015 à 05:34, par Big Baby

    On voit avec la mise en place de la nouvelle loi sur la sécurité intérieure avec le filtrage d’internet, la mise en place progressive d’une société autoritaire qui n’aura bientôt plus rien à envier aux dictatures du passé... et aussi du présent.

    J’ai envie de dire : « Mais où va t’on ? ».

    - Installer TOR...
    - L’installation en détails sur Rebellyon.info.

  • Le 18 avril 2015 à 21:40, par un citoyen en colère

    Je trouve ces comportements policiers indignes. Tout mon soutien à ce jeune homme !

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