Les classes dans la société capitaliste

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Texte publié en espagnol en décembre 2009 dans le numéro 5 de la revue Ruptura, édité sous forme de brochure.

Ce qu’il nous intéresse de comprendre, c’est ce qu’est le prolétariat, ce que cela implique d’être un prolétaire ou un bourgeois, c’est mieux comprendre comment fonctionne le système capitaliste, mais surtout, mieux comprendre comment fonctionne sa destruction : les conflits, contradictions et crises qui se produisent en son sein. Pour cela nous considérons nécessaire de comprendre comment le capitalisme se base sur l’exploitation et la domination d’une classe par une autre, et quelles sont les caractéristiques de chacune. Cela ne signifie pas que le capitalisme et ces conflits peuvent être réduits aux luttes au sein du monde du travail. De fait, comme nous essaierons de l’expliquer, l’aspect lié au travail ou économique, aussi important soit-il, est simplement un des aspects de la lutte des classes. Pour ces motifs, nous nous centrerons fondamentalement sur les aspects de notre réalité la plus proche en tant que prolétaires, et nous consacrerons peu de temps à des relations qui, bien qu’importantes pour comprendre la société, restent relativement lointaines à l’heure de la pratique, comme par exemple les relations entre différents types de capitalistes, etc.

(...)

Le capitalisme est une société basée sur la production et l’échange de marchandises. Cela signifie en dernière instance, que pour acquérir n’importe quel service ou objet nécessaire pour vivre, il faut avoir l’argent pour l’acheter. En principe, on pourrait penser que ce qui caractérise les différentes classes, c’est la façon dont elles obtiennent l’argent : les travailleurs reçoivent un salaire et les capitalistes une partie de la plus-value que ces derniers génèrent, c’est-à-dire un bénéfice. Cependant, ceci est bien plus une conséquence de l’appartenance à différentes classes que ce qui les définit. Les travailleurs reçoivent un salaire parce qu’ils sont des travailleurs, et non l’inverse. Ce qui définit les classes, c’est leur relation avec les moyens de production, et à travers eux, leur relation avec le reste de la société et le reste des autres classes. Le prolétariat se définit en premier lieu en négatif, comme celui qui est dépossédé de tout moyen de production qui ne soit pas sa propre capacité de travail. Cela est évidemment rendu possible par l’existence d’une autre classe, la bourgeoisie, qui est propriétaire des moyens de production nécessaires pour reproduire cette société. L’important ici, c’est de voir ce que cette dépossession nous impose au quotidien : nous les prolétaires ne disposons pas des moyens et mécanismes pour mener la vie que nous voulons, pour produire la société dans laquelle nous voulons vivre, car pour survivre dans la société capitaliste nous avons besoin d’argent pour acheter les marchandises que celle-ci produit. Les prolétaires disposent de seulement trois manières d’obtenir l’argent nécessaire à l’achat des marchandises : en travaillant, en volant ou en mendiant. Faire telle ou telle chose est une décision « libre » de chaque prolétaire, étant donné que, à la différence d’autres temps et lieux, celui des serfs et des esclaves, les prolétaires sont désormais égaux juridiquement aux bourgeois, nous ne sommes pas obligés de travailler pour eux. Nous pouvons « choisir » entre leur vendre notre force de travail… ou mourir de faim. Évidemment cette « liberté » et ce « choix » sont purement formels et cachent la nécessité de travailler pour n’importe quel capitaliste mais même ainsi ils ont une importance cruciale pour le fonctionnement du système et, comme nous le verrons plus loin, pour ses mécanismes de domination.

Cependant, comme nous le disions, le travail salarié n’est pas la seule option qu’ont les prolétaires pour survivre. Demander ou prendre sont les autres manières restantes à celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas trouver un travail salarié. De nos jours, cela peut sembler être de la branlette intellectuelle, vu que la majorité des gens « normaux » dédient leur temps à travailler. Mais si on va un peu plus loin que les apparences, on peut voir que généralement personne ne rate une occasion de s’arranger les choses au boulot, de télécharger des films, de tricher avec la balance de fruits et légumes au supermarché, etc.

(...)

Appartenir à une classe ou à l’autre va déterminer les problèmes que nous aurons à affronter dans la société. Si tu es prolétaire, l’ensemble des relations sociales capitalistes t’oblige à choisir entre travailler, voler ou mendier pour trouver l’argent nécessaire pour vivre. Celui qui décide de voler devra décider qui il vole, les riches ou les pauvres, et il sera confronté directement à la loi et aux moyens matériels qui la défendent, etc. Celui qui décide de travailler pour un patron, finira tôt ou tard par se confronter à lui, et pas nécessairement parce que les prolétaires sont toujours disposés au conflit de classe, mais parce que l’antagonisme de classe est quelque chose d’inhérent et de nécessaire à la relation entre capitalistes et travailleurs. Pour obtenir un plus grand bénéfice, le patron essaiera de baisser le salaire, ou de ne pas l’augmenter, d’appliquer de plus grands moyens de contrôle pour s’assurer que le travailleur ne chôme pas au travail, il essaiera d’accélérer les rythmes de travail, etc. De même que nous essaierons nous planquer, de travailler le moins possible et toutes les petites choses… Ce n’est pas nous qui choisissons la lutte des classes, c’est la lutte des classes qui nous choisit.

Ceci dit, ce que la condition de prolétaire ne détermine pas c’est l’option qui sera choisie dans chaque cas. Les décisions que chacun prend seront le résultat du croisement de plusieurs facteurs : culturels, traditionnels, l’éducation reçue, la situation personnelle à ce moment, les expériences antérieures, comment répond le reste des compagnons, la concurrence avec d’autres prolétaires, etc. La « somme », pour le dire ainsi, de tous ces facteurs est ce qui déterminera en dernier ressort si quelqu’un décidera de squatter une maison, de l’acheter, de la louer, s’il volera une banque, dans la supérette du coin, ou à la sortie d’un distributeur de billets du quartier, s’il fera face suite à une humiliation de la part du chef ou s’il baissera la tête, s’il décidera de lutter pour une augmentation de salaire ou s’il cherchera un autre boulot… Nos actes ne sont ni plus ni moins que les reflets de notre position de classe. Nous ne sommes pas, nous les prolétaires, les chiens de Pavlov, nous voyageons chacun avec notre propre histoire sur le dos et, en dernière instance, la synthèse de toutes nos expériences passées et présentes est ce qui décide de notre comportement face à une clochette. Pour résumer d’une manière simple, la position de classe nous pose les questions, mais nous sommes celles et ceux qui choisissons les réponses.

(...)

Chaque fois qu’est posée la question des classes sociales apparaît la question des dénommées « classes moyennes », concept trompeur s’il en est. L’idée que « nous sommes tous de la classe moyenne » a été une des principales bombes idéologiques que la bourgeoisie a utilisée contre le prolétariat. Comme l’expression en elle-même ne fait référence à rien de plus qu’à une position intermédiaire entre deux extrêmes indéfinis, dépendant de l’expérience de chacun, il est facile de se convaincre qu’un tel est de la « classe moyenne ».

Si un travailleur qui bosse depuis 20 ans dans un bureau avec un bon salaire se compare d’une part avec le travailleur précaire de la sous-traitance du nettoyage qui est à côté de lui et d’autre part avec l’architecte propriétaire du bureau de l’étage du dessus, évidemment il est de la classe moyenne. Si le précaire se compare avec l’immigrant illégal qui lui vend des CD et avec l’employé de bureau ou l’architecte, il est de la classe moyenne. Et si l’architecte se compare avec l’employé de bureau, le précaire et l’immigrant d’un côté et, d’un autre côté, avec le banquier à qui il demandera un prêt pour le prochain chantier, c’est lui la classe moyenne. Et ainsi, grâce à l’infinie variation des salaires et positions sociales au sein des diverses classes sociales ou entre elles, nous pouvons tous et toutes vivre dans le soulagement et la jalousie de celles et ceux qui sont au milieu.

Les classes moyennes sont une espèce de boîte à tiroirs sociologique dans laquelle mettre celles et ceux qui ne cadrent apparemment pas avec un des quelconques critères classificatoires utilisés. En général, on a coutume d’englober basiquement, d’un côté, tous ces auto-employés qui n’ont pas de salariés et les dénommées « professions libérales » (avocats, médecins, etc.), c’est-à-dire la dénommée « petite bourgeoisie ». D’un autre côté, tous ceux qui occupent des positions « intermédiaires » dans la hiérarchie du travail : depuis le petit cadre jusqu’au personnel de direction embauché par l’entreprise.

Le premier groupe reçoit parfois le nom de « vieille classe moyenne » et le second celui de « nouvelle classe moyenne ». Dans la partie suivante, nous verrons qu’en réalité il s’agit de relations sociales différentes.

Au somaire :

  • Introduction
  • Les classes sociales dans le capitalisme
  • Classe et détermination
  • La classe comme relation sociale
  • « Classes moyennes » ?
  • La « petite bourgeoisie »
  • Des solutions ? Coopératives, auto-emploi…
  • Traversé par la contradiction…
  • Autonomes
  • Quelques bases matérielles de la domination capitaliste
  • L’importance des classes sociales
  • Conclusion

A lire en intégralité sur infokiosques.net. À télécharger en PDF au format cahier imprimable/photocopiable et au format page par page.

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