Les contradictions du « droit de l’enfant »

1009 visites

Les opposants au « Mariage pour tous » mettent en avant « le droit de l’enfant ». J’essaie de montrer que cette approche a des implications absurdes.

Trois conflits en un

Comme relevé par de nombreux journalistes, l’opposition au projet de loi sur le mariage pour tous, qui a rassemblé hier plusieurs centaines de milliers de personnes à Paris, est l’expression de trois rejets bien différents : le mariage en tant qu’égalité des droits, l’adoption, et l’accès à la PMA. Sur le premier, il semble que seule une franche radicale et minoritaire clame encore son opposition – le gros du troupeau s’insurge donc contre les deux derniers, résumés par leurs slogans « un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants », ou encore « le droit de l’enfant avant le droit à l’enfant ».

Les implications du "droit de l’enfant"

Alors ok, moi je les prends au pied de la lettre, parlons des droits de l’enfant. Organisons un grand referendum, aboutissons à un consensus sur ce que pourraient bien être les droits des enfants. Si vous me demandez mon avis, en tête de liste je mettrais : être entouré d’une ou plusieurs personnes ayant beaucoup de temps et d’amour à consacrer à cet enfant - appelons-les les « aimants », certains peuvent être de passage, mais la plupart seraient magnétiques. Que demander de plus à ces aimants à part d’aimer ? Définis de façon négative, l’on tombera sans doute assez facilement d’accord sur les interdictions suivantes : ne pas abuser de leurs enfants, physiquement ou psychologiquement, ne pas les frapper ni les humilier. Ne pas s’en servir principalement comme d’aides ménagères ou baby-sitters de leurs cadets, ni comme dynamos d’une relation amoureuse à bout de souffle. Ne pas s’en servir comme support à chantage lors d’un divorce, ni comme machines à transférer les rêves non-aboutis de leurs aïeux.

Bon jusque là, on ne voit rien dans le genre ou l’orientation sexuelle des aimants qui fasse grande différence. En revanche, nous avons déjà éliminé une bonne moitié de parents potentiels, et bien réels, pour cause d’emploi du temps surchargé, de névroses irrésolues ou de tempérament violent. Continuons alors la liste, pour en arriver à des « super droits de l’enfant » : les aimants ne devraient pas reporter sur les enfants leurs propres angoisses ou frustrations. Idéalement, un enfant devrait avoir toutes les chances pour réussir et s’épanouir. C’est-à-dire pouvoir compter sur des aimants qui comprendraient ce que l’école leur demande, pourraient les guider dans leurs choix, élargir leur horizon en leur proposant des activités culturelles et sportives, prendre soin de leur santé et de leur développement physique en leur concoctant des petits plats équilibrés, leur proposer une vie sociale riche et variée, qui comprendrait effectivement des personnes "de tout genre" (mais c’est ignorer 40 ans de théorie féministe que de croire que l’autorité doive reposer sur les épaules d’un homme biologique, tandis que la douceur et l’affection seraient la chasse gardée de la gent féminine) , leur assurer une stabilité géographique qui ne bouscule pas trop leurs habitudes et amitiés naissantes, etc. Allons plus loin encore : « les aimants doivent également prendre en compte le rejet social potentiel dont pourrait faire l’objet leur enfant pour que celui-ci n’ait à vivre aucun type de discrimination ». « Les aimants doivent être des modèles de relations amoureuses épanouies et durables dans l’espoir que l’enfant puisse se projeter plus facilement dans sa vie d’adulte ». « Les aimants doivent tout faire pour que leurs enfants puissent apprendre une deuxième langue vivante pendant leur enfance, pour ne subir aucune discrimination sur le marché de l’emploi ».

Conséquences d’un tel modèle basé sur des « super-droits » ? Si c’est la discrimination, par exemple à l’école qui inquiète, les aimants de couleur de peau ou religion différentes, les aimants de plus de 50 ans, ceux dont les revenus ne couvriront pas les « classes vertes » ou la cantine, facteurs d’intégration, devraient également s’abstenir d’éduquer des enfants. Et je ne parle même pas de ceux porteurs de maladies génétiques plus ou moins sérieuses – vraiment, tout enfant à naître ne devrait-il pas avoir droit à une vision parfaite, une dentition solide, un système cardio-vasculaire à toute épreuve et aucune prédisposition à un cancer ?

Si vraiment donc ce sont les droits de l’enfant, compris dans un sens aussi vaste, qui priment, peu de gens devraient être autorisés à élever des enfants – et pour le coup oui l’humanité ne serait pas loin de disparaître !
Mais, me rétorquera-t-on peut-être, la grande différence est que les alcooliques, les colériques, les archaïques, se reproduisent à qui mieux mieux sans demander d’autorisation à personne, et on ne va pas stériliser tout le monde non plus. Mais il en est de même pour les homos ! Que l’on se rappelle le ton amusé de Marie-France Pisier dans Pourquoi pas moi ? : « Elle est lesbienne, pas stérile ! ». Quel que soit le genre de son partenaire de vie, une personne qui souhaite élever des enfants les élevera, comme c’est déjà le cas pour plusieurs dizaines de milliers d’enfants en France. La question primordiale est donc celle de la reconnaissance par l’Etat de ces familles. Irait-on jamais dire à un homme de 65 ans qui devient père : la société doute de votre capacité à élever votre enfant dans de bonnes conditions, donc ne pouvez pas le reconnaître ? Il peut vivre avec vous, recevoir vos attentions, mais ne sera jamais votre fils légalement, avec tout ce que cela implique en termes symboliques et pratiques – héritage, décisions médicales, etc. A l’extrême limite, voyez, moi je suis pas trop pour les gens vieux qui ont des enfants, si un ami m’en parlait, j’essaierai peut-être de l’en dissuader – rapport au droit de l’enfant d’avoir une chance raisonnable de garder ses aimants jusqu’à ce qu’il soit suffisamment autonome. Mais une fois que l’enfant est là, refuser de reconnaître la paternité ne ferait qu’empirer la situation, et fragiliser encore plus la situation du gamin.

Pourquoi donc cet acharnement sur la question du droit de l’enfant, ou de son intérêt ? Le juriste Gilles Lebreton propose une critique intéressante du développement du concept d’intérêt de l’enfant, et l’assimile à une dérive individualiste, à propos de laquelle il cite cette phrase de J. Hauser : "les droits de l’enfant se construisent sur la ruine des collectivités". Sans aller nécessairement aussi loin, on peut toutefois remarquer que l’on n’est pas ici en présence d’un droit "naturel", celui de l’enfant, face à un désir construit, celui d’homosexuels voulant un enfant, mais bien face à deux constructions somme toute assez récentes (à titre de rappel, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant date de 1989, tandis que l’OMS a rayé l’homosexualité de la liste des maladies mentales en 1990) - tout comme les techniques médicales qui permettent d’assouvir ce désir.

Le cas de la PMA

Bon, bon, bon, peut-être ok pour les gamins qui sont déjà là – s’élèveront sans doute quelques voix, mais quid de la PMA ? C’est un peu beurk quand même, deux hommes qui auraient recours à une mère porteuse, enfin je veux dire où va-t-on. En quoi est-ce plus beurk qu’un couple hétéro ? Comme remarqué très justement par Claude Weill dans un article du Nouvel Observateur de cette semaine (Nouvel Obs du 10 au 16 janvier 2013, pp. 38-39), il ne s’agit de toutes les façons plus là de la question du « mariage pour tous », mais de savoir si l’on souhaite modifier les lois de la bioéthique, qui réservent aujourd’hui la PMA aux cas de stérilité – et ne la permettent donc pas pour des célibataires, homos ou hétéros, contrairement à l’adoption. Personnellement, je ne verrais pas d’obstacle majeur à étendre ces techniques à tous, célibataires ou en couple, homos ou hétéros. Cela dit, je veux bien qu’on en discute - remboursement sécu ou pas ? Anonymat des donneurs ? Rétribution des mères porteuses ? Oui, vraiment, il y a des tas de choses à débattre. Mais qui n’ont rien à voir avec le projet de loi du « Mariage pour tous ».

Fanny

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info