Les flics grognent, la presse lyonnaise les caresse

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Toute les médias lyonnais ont fait leurs gros titres jeudi matin sur le petit rassemblement des policiers mercredi à Lyon qui appelait à « plus de fermeté » afin de lutter contre la « haine anti-flics ». Des articles qui brossent dans le sens du poil une profession qui a démontré un acharnement sans précédent à péter des bouches depuis deux mois.

Il n’est pas commun qu’une manifestation d’une centaine de personnes attire autant de journalistes. Et ce n’est apparemment pas le nombre qui fait la qualité du traitement, loin de là, comme on a pu le voir avec la manifestation « pro-fermeté » (dans la bouche d’un flic, on vous laisse comprendre ce que ça signifie) du petit rassemblement policier à Lyon ce mercredi 18 mai. Une manif prévue pour faire un contre-feux face à la colère de plus en plus partagée concernant la violence dont sont victimes les manifestant·es contre la Loi Travail. Violences qui s’ajoutent aux exactions quotidiennes, depuis des années, dans les quartiers populaires. Mais voilà, quelques drapeaux, une Marseillaise, des petites phrases sur les supposés casseurs, et hop, la presse lyonnaise soutient les syndicats policiers.

Ainsi, dans toutes les colonnes, les policiers ont pu s’épancher sur la supposée « haine anti-flics » (terme lancé par Alliance et repris en titre de 20 Minutes à France 3). Ils n’ont jamais reçu de contradiction sérieuse ou dû répondre à des questions gênantes. Motivés, on a pris le temps de lire tous ces très mauvais articles, du Progrès à Rue89Lyon. Voilà donc quelques interrogations absentes de ces papiers auxquelles on aurait aimé des réponses, dans un contexte de montée de l’extrême droite et d’une répression jamais vue contre un mouvement social.

- Aucune question gênante sur les sympathies frontistes des deux tiers des policiers en exercice : 7 sur 10 votent FN d’après une étude et plus de 50% des flics et militaires. D’ailleurs, le "reportage" très sympa avec la police de Rue89Lyon passe sous silence la présence d’au moins deux élus FN dont sa secrétaire départementale et conseillère régionale. Présence pourtant claironnée sur Twitter ici et ici. A noter que l’un des deux élus est aussi CRS. Il est quand même étonnant qu’aucun média ne se fasse l’écho de cette présence a priori très bien acceptée. D’autant que les propos tenus par les policiers mobilisés sont excessivement proches de celui du FN.

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- Pas de mention de l’état d’urgence, pourtant prolongé aujourd’hui à l’Assemblée nationale, synonyme de dérives sans précédent et très certainement à l’origine de la fatigue de leurs très chers pandores.

- Pas d’interrogation non plus à propos de l’alarme lancée vendredi dernier par le Comité contre la torture de l’ONU sur les violences policières en Turquie et… en France ! A ne pas confondre avec le dossier volumineux pour « Briser le silence » sur les violences policières, publié par l’ACAT (l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture). Celui-ci dénonce l’impunité dont les policiers bénéficient (qui a également échappée à nos journalistes lyonnais).

- Aucun mot sur la politique du chiffre qui pousse les policiers, à chaque manifestation, à mettre toute la manif en danger pour faire entre 5 et 10 interpellations violentes, au pif. Ce que rappelle dans Le Monde le chercheur Olivier Filleule, spécialiste des manifs :

« Si la méthode des arrestations ciblées a pu faire ses preuves, elle est aujourd’hui utilisée à contre-emploi. Non pas pour faire retomber la tension, mais pour faire du chiffre, c’est-à-dire dans un but politique qui entre en totale contradiction avec les nécessités du maintien de l’ordre ».

- Pas de question sur l’usage controversé des flashballs et assimilés, dénoncé par le Défenseur des droits, qui font des victimes à chaque manifestation. Ou encore à propos de l’usage offensif des grenades dites « de désencerclement » à chaque manif, y compris avec une volonté de blesser grièvement en les lançant à hauteur de visage.

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Les flics préfèrent viser la tête. Photo de Nnoman, interdit de manif par la préfecture parisienne

- Pas une allusion aux charges systématiques et gratuites de cortège, comme encore mardi place Bellecour ainsi que le documente cette vidéo.

- Pas de question sur la réapparition des voltigeurs, de sinistre mémoire, vus une nouvelle fois en action mardi à Lyon.

- Pas d’interrogation sur la radicalisation de toute une partie de la jeunesse, on laisse les flics s’épancher sur les « casseurs » sans jamais remettre en question le terme. Ce ne sont pourtant ni les témoignages ni les vidéos qui manquent.

- Pas de doute notable émis sur le chiffre de policiers blessés (350 prétendûment), alors que tout montre qu’il s’agit d’abord de communication. Dans le cas le plus sévère, la prétendue "tentative d’homicide à Nantes" qui vaut à un jeune d’encourir les Assises pour un croche-pied, le policier n’a eu en tout et pour tout que 5 jours d’ITT, une broutille par rapport à la gravité des blessures de nombreux manifestants.

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Quand la préfecture du Rhône rédige les encadrés du Progrès

- Aucune mention du choix, au mieux maladroit, de la date de ce rassemblement, premier anniversaire de la relaxe des policiers poursuivis pour la mort de Zyed et Bouna qui avait déclenché les émeutes de 2005.

- Aucune remise en cause de l’IGPN, organisme du ministère de l’Intérieur supposé harceler les flics, quand aucun crime policier n’est jamais puni.

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Quelques dégâts collatéraux

- Pas de questionnement sur le racket de l’outrage et rébellion, grâce auquel les policiers gagnent à chaque procès 300 à 500 € d’argent de poche, sur la foi de leur seul témoignage.

- Pour finir, aucun article ne demande aux policiers venus à une manif « contre la haine anti-flics » pour quelle raison ce mépris peut bien se diffuser aussi largement. On aura juste une réponse étonnante sur France 3 Rhône-Alpes : « des organisations instrumentalisent la haine anti-flics » dont « la CGT ». Si on en connaît l’expression (en gros les actes des manifestant·es quand ils ne se laissent pas faire), on ne sait toujours pas de quoi procède la haine "anti-flics". De savants gauchistes auraient en tout cas compris comment l’instrumentaliser. Et ils sont forts, parce que, comme nous l’apprend en conclusion 20 Minutes à travers les propos d’un génie de l’UNSA Police : « La police est au départ non violente ». Sans rire.

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Un titre du Progrès qui fleure bon l’extrême droite

On passera enfin sur les petits soucis de strabisme de la presse lyonnaise. Là où plusieurs témoins ont vu une grosse centaine de policiers se rassembler, certain·es préfèrent parler de 500 personnes. Quelques infos et faits divers balancés en sous-main valent bien une caresse.

***

Pour aller plus loin voici quelques lectures que l’on conseille à la presse lyonnaise :
- une synthèse d’Acrimed : Loi travail : matraquages médiatiques sur les manifestations ;
- un entretien avec l’auteur du livre « L’arme à l’œil » : « La doctrine de maintien de l’ordre a changé. L’objectif est maintenant de frapper les corps »
- un point bienvenu sur la figure préférée de la répression médiatique : Quel est le vrai visage des casseurs ?
- une dissertation délicieuse sur l’expression ACAB (All Cops Are Bastards), dont nous ferons nôtre la conclusion :

ACAB est en fait le nom d’un destin. Lorsqu’un ordre du monde est stable, la police peut être massivement acceptée. Mais plus celui-ci chancelle, plus les policiers sont voués à être moqués, insultés et détestés. Conclusion : ACAB. CQFD.

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