Manif du 9 avril : cortège déterminé et local du PS attaqué

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Loi travail 7 compléments

Une petite dizaine de milliers de personnes au départ de la place Jean-Macé. Un peu plus que la manif du début de semaine. Un peu moins que celle du 31 mars. Mais qu’importent les chiffres. Ce qui compte, c’est ce qui se passe entre les gens, dans la rue et ensuite, comment les gens se tiennent ensemble, leur détermination face à ce qu’ils affrontent, leur intelligence commune.

Mauvais souvenirs

Pourtant tout aurait pu ne jamais voir le jour. Dès le départ, en effet, le chef de la CGT locale vient mettre la pression aux lycéens : « alors vous voulez pas qu’on manifeste côte à côte avec nos banderoles à coté ? », « on se bat pas pour la même chose ? » Sauf qu’on a bien vu ce que c’était dernièrement la CGT dans les manifs. Le 5 avril notamment, alors que la manif n’avait pas fait 30 mètres, les flics bloquent directement l’avancée du cortège. Ils se mettent alors à se lamenter : « On s’est fait insultés, puis il y a des gens masqués dans le cortège, puis on craint des jets de projectiles, on veut que des orgas ou syndicats prennent la tête ». Et là, c’est la consternation. Sans attendre que les manifestants décident quoi faire, la CGT obéit. Et tout le reste de la manif, les cégétistes s’emploient à maintenir un cordon à l’avant de la manif. Heureusement que le ridicule ne tue pas puisqu’ils ont poussé le grotesque jusqu’à oser chanter « État d’urgence, état policier, on ne nous enlèvera pas le droit de manifester » [1] encadrés par deux meutes de policiers qui marchaient parfois à coté des manifestants. Pendant que tout au long du parcours, on défile au rythme de la police, pardon de la CGT, un des petits chefs du SO discute continuellement avec un petit chef de la police (où aller, à quel moment avancer ou freiner le cortège, etc.). En bref, ce jour-là, les chefs se sont entendus entre eux sur la forme que devait prendre la contestation. Ils ne le feront pas deux fois.

Donc, partant de là, les lycéens ne se laissent pas faire et répondent au syndicaliste qu’on va se passer de ses services, de son SO, et qu’on va prendre la tête de la manif sans lui. Le responsable cégétiste se décompose et repart. Le premier obstacle est levé.

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Se tenir ensemble

Début de la manif. Les flics sont nombreux sur les cotés mais il y a une bonne ambiance. La sono roulante est là et crache du (plus ou moins bon) son. Plusieurs centaines de personnes ont rejoint la tête de manifestation derrière la banderole lycéenne, la banderole d’« On vaut mieux que ça » et deux banderoles renforcées (pour protéger le cortège). Globalement, le bloc de tête de la manifestation se tient bien. Il y a une bonne coordination entre les gens, les infos circulent, on va au même rythme.

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Au bout d’un moment, la présence des flics devient chiante, donc des œufs de peinture leur sont lancés et ils se taillent en vitesse. Ils n’oseront plus s’approcher trop près de la manif ni recoller sur les cotés. On a pu ainsi retrouver un peu d’air. Certains en profitent pour redécorer les vitrines de banques avec de la peinture.

À noter qu’au début, la stratégie policière était visiblement de nous couper du reste des manifestants, si le cortège était trop offensif (les flics se tenaient casqués sur les cotés mais dans notre dos). Face à cela, nous avons su rester attentifs à leur manœuvre et suffisamment compacts pour ne pas les laisser s’engouffrer. Une habitude à conserver.

Arrivés à la place du Pont, une partie de la tête de la manif tente de se décrocher pour rejoindre la permanence du Parti Socialiste. C’est que depuis le début du mouvement, le vandalisme des locaux du PS est devenue une sorte de sport national : Paris, Nantes, Rouen, Montpellier, Besançon, etc. Les locaux du PS sont systématiquement pris pour cible dans les manifs ou la nuit. Là, les flics paniquent et se mettent à courir pour former une ligne cours de la Liberté. Pas encore assez nombreux pour forcer le passage, le cortège hésite puis rebrousse chemin. Ce n’est que partie remise. En attendant, belle réaction de la part du reste de la manif qui attend pour ne pas laisser des gens derrière elle.

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On traverse le pont juste avant Bellecour. Là, on voit le commissaire – le gradé qui gère chaque manif – quasiment tout seul. L’occasion est trop belle. Sans doute galvanisés par l’épisode du pont d’Austerlitz à Paris où les manifestants ont à plusieurs reprises chargés une ligne de flics à coups de bâtons, le slogan phare du mouvement « Ahou ! Ahou ! » est entonné [2]. Des gens commencent à courser le flic et son adjoint qui se carapatent en courant rue de la Barre.

Puis la manif finit place Bellecour, comme souvent. Dans la foulée, des gens veulent continuer vu le nombre et la détermination qu’on a, mais finalement ça ne se fait pas. Ce qu’on a sans doute gagné aujourd’hui, par rapport aux autres journées où c’était la frustration qui dominait, c’est la confiance. Confiance dans nos capacités, confiance en nous, confiance entre tous les « nous » qui sont en train de naître. Ce qui est essentiel pour la suite des opérations. Car c’est là qu’on peut arracher des victoires, sur cet autre plan bien loin des négociations entre gouvernants et bureaucrates : dans le fait même de se tenir ensemble, pas seulement dans la rue mais dans la vie tout court. Ne pas se laisser avaler par le travail, faire front contre ce qui nous écrase, se reposer à plein toutes les questions de l’existence qu’on affronte normalement seul et qui nous conduise inévitablement à aller travailler ou à déprimer seul dans son coin.

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Fin du PS, naissance de notre force

Une heure après la fin de la manifestation, des gens se retrouvent. On se compte. On est nombreux, largement plus que ce qu’on pouvait anticiper. Après quelques rapides discussions, un cortège s’élance. C’est parti. Ça fait deux fois que les manifestants essaient d’atteindre le local du PS, le 9 mars et aujourd’hui, et que la flicaille le défend [3]. La troisième sera la bonne. Environ 150 personnes tracent au pas de course dans le centre-ville et prennent de court la police. Les gens exultent en arrivant devant l’objectif de la journée. La devanture est fermée mais elle est aspergée de peinture à coup d’extincteur et les vitres du premier étage sont brisées.

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Ensuite tout le monde cavale et commence à se démasquer. La police arrive en trombe et commence à chasser des gens. Les flics sont complètement paniqués et hurlent des ordres dans leurs talkies. Un flic course deux lycéens et sentant qu’ils ne les rattrapera pas leur lance sa matraque dessus avant de se casser la gueule dans sa course. Un autre flic, tout seul, matraque un gamin dans la jambe et le fait chuter au sol. Des gens arrivent pour essayer de libérer le pote, le flic dégoupille une grenade assourdissante et la balance aussitôt dans l’attroupement. Un peu plus loin, des lycéens se réfugient dans un hall d’immeuble et se font « séquestrer » par un type de l’immeuble qui les enferme à clef et refusent de les laisser sortir pendant deux longues minutes. Au total, il y aurait eu quatre arrestations.

La journée se finit sur la place Guichard avec l’assemblée de Nuit Debout.

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Rendez-vous à venir

  • Le 13 avril, Valls et toute une brochette de ministres vient pointer le bout de leur nez à Vaulx-en-Velin, l’occasion de se retrouver et de voir ce qu’on peut faire ensemble. Rassemblement devant l’ENSAL (3 rue Maurice Audin) à Vaulx-en-Velin (heure à préciser).
  • Le 14 avril, manifestation contre la loi Travail au départ de Gratte Ciel (Villeurbanne) à13h.
  • Manifestation au niveau nationale le 28 avril. Heure et lieu à préciser.

À très vite !

P.-S.

A lire aussi sur Rebellyon.info, d’autres retours sur cette même journée :
- Une manif du 9 avril déterminée : la rue ne lâchera rien
-  En avril, le Monde ou rien : infos, rendez-vous, liens

Notes

[1Sur les syndicats et les partis qui répètent à longueur de slogans que « ça va péter » et qui passent le plus clair de leur temps à ne rien faire pour, voire parfois à tout faire pour que ça ne pète pas, les plus marrants sont sans doute les fossiles de Lutte Ouvrière qui, dans leur soucis de faire « djeuns » lancent des slogans du style « caillassons les patrons », alors même que dans la réalité, ils n’ont aucune volonté de mettre en application ce qu’ils disent.

[2On peut voir des extraits sur https://www.youtube.com/watch?v=GotLNQuJwS4 à partir de 8minutes.

[3À Nantes, ça fait trois fois qu’ils se le tapent, dont la dernière à la disqueuse.

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  • Le 14 avril 2016 à 05:32, par

    N’oublions pas dans les dates, celle de mercredi prochain 20 AVRIL, ici et ailleurs en fRance, contre la loi travail et contre la répression policières, le racisme d’Etat qui est au beau fixe en ce moment. Entre Valls, Rossignole, et les arrestations au faciès.

  • Le 12 avril 2016 à 16:21, par caisse de solidarité

    Salut, tu peux prendre contact avec nous au 06.43.08.50.32 ou en nous écrivant à caissedesolidarite@riseup.net

    On a deux témoins qui ont vu au moins une arrestation mais c’est pas sure que ce soit la tienne.

    Dans tous les cas, si t’as un procès prochainement, prends contact avec nous.

  • Le 12 avril 2016 à 02:13, par

    Bonjour je suis le « gamin » mattraqué par le flic seule, et mon avaocate ma dit qu’une vidéo de mon arrestation me serait utile car elle n’a pas été faite dans les normes, quelqu’un en aurait vue une ?

  • Le 11 avril 2016 à 09:38, par

    Le 5 avril, l’objectif stratégique de la manif était d’atteindre le double mixte... D’où l’importance de faire partir la manif. Bien sur que ce n’est pas aux flics de « décider de l’ordre des cortèges ». Mais est-ce que c’est si important que ça l’ordre des cortèges ? Est-ce qu’il valait mieux, si ça partait en affrontement, que ça se fasse à proximité des patrons, ou que ça soit bloqué par les flics dès Bellecour ? La CGT a pas « accepté de se plier au chantage », elle a mis, avec d’autres militants syndicaux, la pressions aux flics pour que ça démarre... et que ça continue à avancer jusqu’au double mixte...

    Ensuite, l’argument sur l’autonomie des lycéens, il passerait mieux si baucoup de ceux et celles qui le tenaient (désigné par « et autre » dans le com de 1:14) ne faisaient pas partie d’organisations tout aussi « adultes », mais simplement informelles, qui par ailleurs ont la facheuse habitude de se tirer et laisser les lycéens assumer dès que ça part en baston avec les flics. A un moment faut assumer sa stratégie : c’est ce que font les camarades du MILI sur Paris, qui ne se tirent pas dès que l’affrontement a lieu... Ca c’est une pratique offensive carrée...
    Enfin, ça sert à qui l’antisyndicalisme de ce genre ? les milliers de travailleuses et travailleurs qui descendent dans la rue sont pour la plus part venu du fait de la résistance quotidienne faite par des militantes et militants de la CGT dans les boites, qui maintiennent du collectif face aux patrons hors des périodes de mouvements sociaux, et les insulter ou les mépriser comme c’est la mode, c’est participer au petit jeu de division mené par les patrons. Ca profitera à qui un césure entre des manifs majoritairement lycéennes d’un côté et des manifs syndicales de l’autre ? L’action directe, ça peut être l’affrontement avec les flics et l’attaque d’un local PS, mais la grève, elle, fait perdre massivement plus de blé au patron, et perturbe massivement plus la machine économique du capital... Et dans les boites où y a pas de syndicats, ben la grève c’est pas gagné...Et La CGT c’est pas un bloc monolithique...

    Sinon, l’action contre le PS, c’est exactement le genre de truc qu’il faut en plus de la massification de la grève, mais y a pas besoin de cracher à la gueule des syndicats pour que ça se fasse, il suffit juste d’un peu d’organisation. En 2006 par exemple à Paris, il y a avait les grosses manifs syndicales de masse l’après midi, et, le soir, des manifs sauvages et émeutes autour de la Sorbonne. Celles et ceux qui y allaient assumaient les risques, et tout ça renforçait le mouvement au lieu de le diviser... On peut parler aussi des actions conjointes sur les flux en 2010, et ça se faisait dans le couloir de la chimie avec les militantes et militants syndicaux que certains méprisent tant... Mais bon ça se voit moins et c’est moins spectaculaire qu’une prise de tête de manif... Certainement plus efficace par contre.

  • Le 11 avril 2016 à 01:14, par

    peut etre que trois jours avant il y a eu une discutions avec des organisations de jeunesse. Comme ces organisations ne représentent qu’elles même ce qu’elles avaient négocié valait pour elles. Un cortège de lycéen.ne.s et autre c’est formé et n’avais pas été mis au fait de cette négociation. Un type de la cgt est venu proposer que le cortège inter-orga prennent la tête de la manif. Les gens de ce cortège avaient plutôt envie d’être devant les orga.
    Ensuite pour ce qui c’est passé à la manif d’avant il y a deux point de vue qui s’affrontent, que l’un de ces point de vue est été contredit à un moment ne le fait pas disparaître pour autant
    La manifestation était autoriser. La police à menacer d’interdire une manifestation. Elle à donc fait du chantage. La CGT à accepter de ce plier au chantage. Un camp dit, « c’était pour que la manif est quand même lieu » l’autre camp dit « il ne fallait pas accepté leur demande illégitime, ce n’est pas la police qui décide de l’ordre du cortège »
    Il n’y a rien de factuellement faux qui soit avancer se sont juste des analyses différentes d’un événement.

  • Le 11 avril 2016 à 00:27, par

    Ben non tu te trompes, la manif du 5 s’est bien passée comme décrit dans l’article. L’argument de la CGT est celui de l’encadrement des « jeunes », pour que « tout se passe bien » comme ils disent. C’est l’argument du berger pour ses brebis. Il se trouve que les brebis ne semblent plus avoir envie d’être guidées par un berger, fût-il de gauche et contre la loi travail.

    Ensuite, les orgas de jeunes et la coord lycéenne sont deux choses différentes. Les premières sont affiliées aux orgas adultes (PS, PCF, etc.) et la deuxième est indépendante. La coord lycéenne a refusé le principe du SO et de la banderole commune. Et ce qui est dit au début de l’article est la retranscription fidèle (j’y étais) de la discussion entre le type de la CGT et un des lycéens de la coord’ au début de la manif du 9 avril.

  • Le 10 avril 2016 à 23:05, par

    C’est dommage que , alors que des commentaires avaient contredits les propos d’un article sur le départ la manif du 5 avril (par rapport à la CGT), cela soit réitéré dans celui-ci...Car malgré des témoignages, il ne reste que cette « vision » du départ du 5 avril.
    Idem pour hier, il y a eu une réunion 3 jours avant la manif où l’intersyndical a fait la proposition aux organisations de jeunesse de faire cortège commun. Donc cela ne s’est pas fait comme dit dans l’article comme ça en début de manif !

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