« Marre de se faire ubériser » : des livreurs à vélo organisent la course Syndi’cat

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Ils livrent des repas aux quatre coins de Lyon. Certains ont décidé de s’organiser contre les grosses plateformes de livraison, Deliveroo, Foodora, Uber Eats, Stuart… Ils ont créé un club, ouvert un local et sont en train d’inventer leur forme de syndicalisme. Le 4 février, pour fédérer d’autres coursiers, ils organisaient à Lyon la Syndi’Cat, une course d’orientation. Des contributeurs de Rebellyon les ont rencontrés à cette occasion.

C’est une drôle de course qui est partie de la place des Terreaux, samedi 4 février vers 14h30. Ses participants ont d’abord couru une centaine de mètres avant de sauter sur leur vélo pour foncer en direction de la place Carnot. Là, ils ont récupéré un « manifeste ».

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Ce document mentionnait les points de passages obligatoires de cette alleycat, une course d’orientation à vélo dans le jargon des coursiers. Cinq d’entre-eux, situés dans différents arrondissements, étaient obligatoires mais le choix de leur ordre était libre. Devoir établir son propre parcours favorisait ainsi ceux qui connaissent le mieux la ville, c’est-à-dire… les livreurs à vélo lyonnais. Leur passage y était validé après la réalisation d’une mini-épreuve (par exemple mettre un panier sur un terrain de basket). Un sixième point de passage facultatif offrait des points bonus. Il s’agissait de rejoindre le Palais des sports où se déroulait à ce moment-là le meeting d’un certain Emmanuel Macron.

Ce passage chez Macron était un clin d’œil facétieux des organisateurs. Ces membres du Club des Coursiers lyonnais sont effet par leur statut, et selon la formule de l’un deux, des « rats de laboratoire » des politiques ultralibérales défendues par l’ex-ministre de l’économie. Autre clin d’œil, cette course était baptisée la Syndi’Cat.

Car l’objectif du Club et de cette course est clair : se connaître et former une communauté pour pouvoir s’organiser collectivement face aux plateformes et aux conséquences de l’auto-entreprenariat imposé.

Avec les mecs qui roulent et qui en ont marre de se faire uberiser, on s’est réunis pour voir comment on pouvait améliorer nos situations. (…) On a décidé de faire une course : un truc cool pour rassembler tout le monde, en parler, discuter, voir qui était chaud, qui voulait rejoindre le mouvement.

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« Ils nous mettent dans un coin chacun, nous on fait bloc de l’autre côté »

S’il y a environ 100 à 150 coursier·e·s à vélo à Lyon, les participants et les organisateurs de la Syndi’Cat ont la particularité d’être des passionnés de vélo et de ne pas être immédiatement identifiables par l’équipement qu’ils portent. L’un d’eux nous explique [1] :

Il y a plusieurs catégories de coursiers. Il y a ceux qui font ça comme job étudiant. Ceux qui font ça pour dépanner. Nous, on prend une attitude une démarche, pour montrer une appartenance à un groupe. On roule pour la plupart en fixies [2], on n’est pas forcément brandés, on ne montre pas forcément pour qui on bosse. Déjà, ils exigent qu’on ait le statut d’autoentrepreneur. Donc on est à notre compte, je ne vois pas pourquoi on ferait de la pub pour une certaine boîte alors qu’on peut très bien bosser pour n’importe laquelle.

Les coursiers présents le 4 février travaillent ainsi pour plusieurs plateformes, en fonction des jours ou des périodes de la journée où il est plus rentable de rouler pour l’une ou l’autre en raison des primes qu’elles proposent. Savoir tirer parti de cette variabilité pour retourner contre les plate-formes la flexibilité qu’elles exigent des coursiers fait partie des tuyaux que les membres du Club des Coursiers se refilent.

On bosse pour Uber, Stuart, Deliveroo… L’offre et la demande quoi. Ils nous apportent un marché, à nous de voir ce qu’on accepte ou non comme contrats. Ils nous mettent chacun dans un coin et nous on fait bloc de l’autre côté.

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12 août 2017

« Parler pour 100 à 150 coursiers »

La première réalisation du Club des Coursiers, c’est l’ouverture d’un local, 10 cours Bayard dans le 2e, pour faire des réunions, défendre leurs droits, réparer leurs vélos et aussi pour faire « de la bonne chistole » (la fête). Parce que tout ça fait partie de la vie de la communauté lyonnaise.

ll y a une bonne entente entre les livreurs. C’est assez peu courant dans les petits tafs de merde, entre guillemets, comme ça. C’est vrai que c’est agréable, il y a une vraie communauté.

Ce local est actuellement en cours d’aménagement, financé pour l’instant par certains coursiers, « à coup de pédales », précisent-ils. Dans cette cave voutée, on trouve d’abord un coin pour se poser, avec un canapé, une machine à café, un frigo et une console de jeux. On entre ensuite dans l’atelier, où se trouvent des outils de réparation et un stock de pièces à prix libre. Une cabine de peinture devrait bientôt voir le jour. Comme la création du club, l’un des objectifs de ce local est bien d’avoir un endroit pour se fédérer.

Se fédérer derrière quelqu’un qui peut aller parler… avoir le club des coursiers qui peut aller parler aux plateformes directement. Que ce ne soit pas chaque coursier qui doive envoyer un mail qui ne sert à rien, qui ne sera sûrement jamais lu. Ça permet de dire qu’on parle pour 100 à 150 coursiers.

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« Accompagner les coursiers le plus qu’on peut, à tous les points de vue »

Un premier travail syndical que font les coursiers est de s’entraider au point de vue juridique. Il y a là aussi beaucoup à construire, puisque les situations auxquelles se confrontent ces autoentrepreneurs qui prennent tous les jours des risques dans la circulation sont souvent inédites. Surtout, faute de réels employeurs et d’un statut plus protecteur, ils se retrouvent seuls à devoir les gérer.

Pour l’instant, ça va petit à petit au gré des aventures. Quand on a un accident, on découvre qu’il faut avoir une assurance, avoir un avocat en face pour défendre ses droits à l’assurance. Ce sont des choses qu’on se donne entre nous, que la communauté permet.

Un copain a eu un accident au moins de juillet, j’en ai eu un au mois de janvier. Il m’a donné la procédure à suivre, tous les documents sur comment se débrouiller dans ces situations-là. C’est une chose que les plateformes ne font pas du tout : pas d’appel, rien du tout pour demander comment ça va, si on est suivi par un médecin ou quoi que ce soit. Dans cette communauté, cette entraide arrive derrière.

Après avoir passé un après-midi avec eux, on perçoit bien les liens qui existent dans cette communauté récente. Pour aller au-delà de l’échange d’expériences dans un cadre interpersonnel, l’idée de mettre en commun des documents à plus grande échelle fait son chemin.

L’idée c’est d’avoir des documents, de les partager en ligne au maximum. Pour que tout un chacun puisse accéder à cette procédure. C’est accompagner les coursiers à tous les points de vue, mécaniques, de santé ou celui des payes. Voilà : accompagner les coursiers au maximum.

Les coursier·e·s à vélo lyonnais·e·s s’organisent contre les plateformes de livraison, Syndi’Cat le 4 février

Des coursier·e·s à vélo de Lyon se mobilisent contre les plateformes qui les exploitent. Ils et elles diffusent un appel et organisent une course (la Syndi’Cat) et un apéro à leur local le 4 février à partir de 14h.

3 février 2017

« Ça ne sert à rien de défendre chacun son steak »

Le Club des Coursiers lyonnais n’est pas une exception. Des initiatives similaires éclosent un peu partout en France et en Europe. Les revendications se dessinent et l’idée de se fédérer à la fois localement et nationalement est présente.

On va se mettre en commun au niveau français et on pourra s’exprimer réellement. Ça ne sert à rien de défendre chacun son steak encore une fois.

On n’a pas tous la même vision. Certains sont pour qu’on garde un statut d’autoentrepreneurs mais qu’il soit plus régulé. Certains sont pour qu’on parte tous sur des CDD et CDI. Il y a des divergences parce que c’est vaste, parce que ça se construit. C’est comme ici : c’est en chantier, l’association est en chantier, tout est en chantier.

Comme l’indique le nom de la course du 4 février, la Syndi’Cat, la création d’un syndicat de coursiers fait son chemin. Si l’auto-entreprenariat ramène un peu le droit des travailleurs au stade où il en était au XIXe siècle, c’est aussi à cette période que le syndicalisme vit le jour. Et c’est finalement assez logiquement que les coursiers à vélo font de même.

Comme on n’a pas de délégués syndicaux, qu’on est chacun dans notre coin, il faut un syndicat pour défendre la profession, c’est tout.

S’ils mettent au point leurs modalités d’organisation aussi vite qu’ils pédalent, la création de ce syndicat ne devrait pas tarder.

Reportage de Canut Infos sur la Syndi’Cat
Diffusé le vendredi 10 février sur Radio Canut, 102.2 FM

P.-S.

Cet article a été réalisé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.

Notes

[1Les citations présentes dans cet article sont issues d’interviews réalisées avec une dizaine d’entre eux que nous n’identifions volontairement pas ici.

[2Un « fixy » est un vélo à pignon fixe, qui ne possède ni vitesses ni roue libre.

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