Maurice Kriegel-Valrimont, jusqu’au bout l’esprit de rébellion

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Le mercredi 2 août 2006, le grand résistant français Maurice Kriegel Valrimont s’est éteint à Paris à l’âge de 92 ans. Toute sa vie, il a voulu changer le monde, avec succès assez souvent. À Lyon, Maurice prend le nom de Valrimont, et réussi, avec d’autres, à organiser l’unité des mouvements de résistance et à former toute une armée secrète... jusquà la Libération. Mais son énorme énergie constructive et son engagement antifasciste, antistaliniste, anticolonialiste continueront ensuite sereinement jusqu’à son dernier souffle.

Avec lui disparaît non seulement une des plus grandes figures de la résistance au nazisme et au fascisme avant et au cours de la seconde guerre mondiale, mais aussi un juriste et un homme politique de tout premier plan pendant la reconstruction du pays, et même bien après. Maurice Kriegel Valrimont [1] pourrait bien avoir sa place au Panthéon, mais voilà, c’était un personnage trop hors-normes [2].

Très jeune, Maurice Kriegel militait déjà

« Je suis devenu un militant antifasciste dès mon adolescence. C’était il y a plus de 70 ans, mais je le suis toujours resté »

Maurice Kriegel est né à Strasbourg le 14 mai 1914, originaire d’une famille juive émigrée en Alsace venant d’Europe centrale (monarchie austro-hongroise). Étant enfant, il a vécu dans ses tripes l’antisémitisme et l’injustice. A Strasbourg, il suffit de traverser le Rhin pour être en Allemagne, où des affrontements faisaient rage avec les signes annonciateurs de l’arrivée de Hitler au pouvoir. Et Maurice était déjà un jeune antifasciste, et dès qu’il se retrouve étudiant il participe à des groupes antifascistes, à un comité de vigilance.

Il fait des études de droit, mais refuse une carrière d’avocat, ce qu’aurait voulu sa famille, car lui, il voulait changer le monde, c’était son choix à lui de vouloir participer à des grandes choses. Il n’a pas hésité à se mettre en opposition avec sa famille, son milieu de la faculté, en quittant Strasbourg, et en allant à Paris au printemps de 1936.

Là, pour être autonome, il trouve un travail comme employé d’assurances... C’est l’époque du Front Populaire et Maurice s’engage alors dans l’action syndicale, et, presque aussitôt, en établissant un piquet de grève devant sa boîte en juin 1936. A 23 ans, il est élu secrétaire général du syndicat CGT des employés d’assurances, qui compte plus de 10.000 syndiqués à Paris. Il milite pour les congés payés et la semaine des quarante heures. Les affrontements avec le patronat étaient d’une rare violence et Maurice, avec une telle activité syndicale, en a payé le prix fort par un licenciement expéditif. A partir de 1938, il continue néanmoins son activité syndicale à temps plein à la CGT, ce qui a été pour lui très formateur.

Au même moment, les nazis ambitionnaient d’envahir l’Europe et avaient mis en marche l’affreuse machine de guerre. Il est mobilisé puis exempté en décembre 1939. En juin 1940 c’est la débâcle, et l’exode de centaines de milliers de Français fuyant la barbarie nazie. Refusant le port de l’étoile jaune, Maurice rejoint Caen, puis Toulouse où sa famille a trouvé refuge, et où il rencontre Jean-Pierre Vernant.

« Ne plus être un homme, c’est pire que de mourir ! »

Maurice est révolté, il ne peut admettre l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, la musique militaire allemande sur les Champs-Elysées, partout, la collaboration, le marché noir... Il ne peut admettre non plus, sans être communiste lui-même à l’époque, qu’on mette en taule ces braves gens de communistes. Ce qui est important, c’est le fait qu’il y ait des résistants et qu’il y en ait tout de suite, de façon bien réelle, mais peu importe leur petit nombre au départ.

Lyon, capitale de la Résistance

« En ce qui me concerne, je ne suis pas devenu résistant, je n’ai jamais cessé d’être résistant. »

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En compagnie de son épouse Paulette (Mala Ehrlischster), une femme dynamique et courageuse originaire de Varsovie, il vient à Lyon où se trouve tous les intellectuels français et bon nombre des organisateurs de mouvements de résistance.
Il s’engage à Lyon dans l’action résistante sous le nom de Valrimont, où il est chargé d’organiser en mars 1942 la branche armée du mouvement Libération-Sud, fondé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, aux côtés de Raymond Aubrac, un compagnon fidèle, Lucie Aubrac et Jean Cavaillès.

Ayant pour mission la création et le développement des formations militaires, Maurice apprit vite l’art de la guérilla, toujours mobile, insaisissable, il sut frapper l’ennemi en de multiples circonstances. Il fallait recruter et c’était plus aisé au début parmi les militants syndicaux ou politiques. Chacun sait que la Résistance n’était pas facile. Un appareil policier multiforme essayait de la briser : les polices de Vichy, la milice, les tribunaux spéciaux et surtout les SS et la Gestapo. Le risque était mortel et quotidien.

« Vous savez, nous avons été dans la même cellule avec Aubrac, avec Ravanel, à Lyon, et si l’un de nous, un soir, une nuit, s’était réveillé, on n’avait que des matelas. On était trop nombreux pour pouvoir coucher sur le dos, il fallait être couché sur le côté. S’il y en avait un qui changeait de position, il fallait que tout le monde change de position. Là, j’ai imaginé...Si l’un de nous avait dit que dans deux ans Paris serait libéré, les autres auraient passé le reste de la nuit à rigoler ! C’était invraisemblable... »

Nous voici le 15 mars 1943. Valrimont a rendez-vous dans un appartement de Lyon avec Raymond Aubrac et Serge Ravanel (Ascher). Il arrive le premier et se fait arrêter illico par la police qui a eu l’adresse par Jean-Marie Curtil, un agent de liaison de la résistance arrêté deux jours plus tôt à Bourg-en-Bresse. Tous les trois sont arrêtés, tentent de s’enfuir et sont repris. À la prison St Paul, ils se retrouvent dans la même cellule, ainsi qu’un responsable important de Combat, François Forestier (Morin). En effet une partie de l’Etat Major de l’Armée Secrète à Lyon a été arrêtée et est interrogée par Klaus Barbie et ses hommes, qui ne doivent pas s’en douter vraiment, pourtant ils avaient récupéré des documents précis très compromettants apportés à la rencontre clandestine par Combat.

L’occupation de la zone sud du 11 novembre 1942 est toute récente et la Gestapo cherche encore ses marques. D’autre part, même si de toute la France, seul un magistrat a refusé de prêter serment à Pétain, la justice de Vichy reste diversifiée et certains magistrats ne sont pas d’emblée acquis à la cause de l’Allemagne nazie. Lucie Aubrac, ayant réalisé la situation, va faire libérer son mari le 10 mai 1942, en allant carrément rencontrer le procureur et lui faisant un chantage. Mais il faut libérer les autres responsables de la résistance. Pour cela, Lucie intègre un corps franc, parmi ceux formés par le polytechnicien Ravanel. Un stratagème est trouvé : de la nourriture avariée est apportée aux trois prisonniers qui doit les rendre malades. Et c’est ainsi qu’à l’hôpital de l’Antiquaille, les membres de ce corps franc, tous déguisés en SS, libérent le 24 mai 1942 Valrimont, Ravanel et Forestier. Même Raymond Aubrac a tenu à en faire partie : il neutralise le standard téléphonique, au moyen d’un revolver hors d’usage. Comme ses camarades qui vont chercher les prisonniers dans leur chambre, il se fait passer pour un policier allemand.

« Nous avons organisé une industrie de faux-papiers, par centaines de milliers ! »

Après cette évasion complètement réussie, Maurice Valrimont doit changer d’air.

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Il passait son temps dans les trains de nuit, debout, et allait, en aventureux, dans toutes les villes de la Zone Sud, pour regrouper des hommes capables de diriger des forces militaires résistantes. Partout, il arrivait sans difficulté majeure à constituer en réseau des états-majors militaires, avec des gens, ou bien capables, ou bien se formant.

Et puis il y eu une aide non voulue des Allemands quand ils ont institué le Service du Travail Obligatoire. Le STO a été le plus formidable moyen de recrutement de la résistance, parce que désormais cela touchait toutes les familles. Alors qu’un bon nombre de la population suivait ce que disait le régime de Vichy associant les résistants à des terroristes, l’opinion a changé en 1943 avec la peur du STO en Allemagne. Pour beaucoup c’était le STO ou le maquis. On faisait alors appel à la Résistance qui a effectivement organisé des planques pour les jeunes avec des faux-papiers. Et ces jeunes tout naturellement s’engageait dans l’armée secrète ; la nécessité en a fait des résistants capables d’agir tout de suite. La division d’emblée de la société française en collabos et résistants n’a pas de sens. Et sans cette industrie de faux-papiers où l’on fait référence à cette industrie de faux-papiers de la Résistance (chapitre II)]] combien de déportés supplémentaires, juifs, militants, requis du S.T.O., y aurait-il eu ? La résistance a joué un rôle énorme.

Des sabotages sont effectués sur les centres de recrutement du STO. Des maquis-écoles sont installés dans des endroits reculés... Valrimont jouera un rôle déterminant dans la préparation et la libération du territoire. Il devient délégué militaire puis commandant du Mouvement de Libération Zone Sud. Il représente les MUR (Mouvements Unis de la Résistance) au sein du Comité d’action militaire du conseil national de la Résistance (COMAC) qui assure le commandement des Forces françaises de l’Intérieur (FFI). Au printemps 1944, avec Pierre Villon (Ginsburger) et Vaillant (Jean de Voguë) il est l’un des trois dirigeants du COMAC.

À Paris, il est chargé de la publication du journal clandestin “Action”, organe des MUR, qui continuera après la libération, dont il assure la diffusion partout dans le pays, dans lequel on retrouve les signatures de Claude Roy, Vercors, Roger Vailland....

La Libération de Paris

« Nous avons traversé Paris avec Choltitz captif devant une foule absolument en délire. Cette traversée de Paris, c’est mon plus beau souvenir. »

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Sur la photo, Maurice Kriegel-Valrimont, c’est le jeune homme à lunettes debout derrière le général Leclerc, le jour de la Libération de Paris, tandis que leur char se fend un chemin parmi la foule, le 25 août 1944.

Début 1944, devant l’imminence d’un débarquement allié, sur ordre de Kriegel-Valrimont, des centaines de barricades sont édifiées dans les rues de Paris en vue de gêner les déplacements des troupes nazies, de favoriser le soulèvement des Parisiens et de faciliter la libération de la capitale. Cette libération devient effective le 25 août 1944 ; date à laquelle le général allemand Dietrich von Choltitz, commandant de la place militaire de Paris, signe l’acte de reddition de ses troupes. La signature a lieu en début d’après-midi à la préfecture de police de Paris, puis dans la soirée à la gare Montparnasse.

À la préfecture de police, contre l’avis du général Leclerc hostile à la présence de civils dans la salle réservée initialement aux militaires, Kriegel-Valrimont impose sa présence et celle de Rol-Tanguy, qui fut le premier Français signataire de l’acte de reddition, ce qui sera fortement reproché par de Gaulle.
Afin de souligner publiquement le rôle joué par les civils dans la Libération, dans le véhicule emmenant Choltitz depuis la préfecture de police jusqu’à la gare Montparnasse, ce dernier est placé entre le général Leclerc et Kriegel-Valrimont.

Sa joie est toutefois ternie un peu plus tard lorsqu’il apprend le décès de sa femme, tuée par les nazis lors des combats auxquels donne lieu la libération de Marseille.

La seconde guerre mondiale terminée, Maurice Kriegel-Valrimont refuse la proposition qui lui est faite d’être nommé général.

La réalisation effective du programme du Conseil National de la Résistance : une avancée sociale considérable

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« Le monde d’aujourd’hui est le résultat direct, dans ses institutions, de la Résistance. Prenons l’exemple de la Sécurité sociale. Dans la situation difficile de 1945 où la France était démunie, on a passé outre les tiédeurs de certains pour miser sur l’investissement social. Cela a permis les plus remarquables des avancées économiques. Sans les mesures sociales, il n’y aurait pas eu les Trentes glorieuses. La capacité de travail a été encouragée par les acquis sociaux de la Libération. »

Il est vrai qu’à la libération, il n’y a plus d’institutions en France, il n’y a plus rien d’organisé, tout était au service des Allemands... et c’est dans une évolution normale que la Résistance a pu mettre en place son programme social comme une énorme avancée. Mais la Résistance, c’est la France dans toute sa diversité. « Entre un salarié communiste et Jean de Vogüe, l’homme des deux cents familles, l’industrie sucrière, propriétaire du château de Vaux-le-Vicomte, c’est un ennemi de classe. Mais, dans la mesure où nous voulons la libération du territoire, nous nous rejoignons. Un certain nombre d’hommes, y compris d’origines sociales diverses, prennent conscience de ce qui est majeur du point de vue de l’intérêt national. Mais ça c’est l’Histoire. Quand l’Histoire grandit, les hommes grandissent avec. Et c’est beau à voir ! »

Dans un pays à genoux, où il n’y a plus de ponts, plus de charbon, plus d’acier, plus d’énergie... pour beaucoup c’était de la folie que de vouloir mettre en place la sécurité sociale et les retraites. Mais ces jeunes résistants n’ont pas hésiter à bousculer les choses, ce qui montre qu’il faut faire confiance dans la jeunesse. « Nous sommes passés outre et nous avons fait les choses. Et la preuve a été faite que c’est grâce à la législation sociale que les progrès ont été accomplis. » Ceux qui exploitent les autres n’ont pas de scrupules à penser que certains doivent profiter et d’autres subir, ce qui aggrave les empoisonnements sociaux. Mais ce n’est pas immuable, et bien au contraire, il est clair désormais que « le fait de garantir des droits sociaux résout les problèmes ».

En 1945, Maurice Kriegel-Valrimont est membre de l’Assemblée Consultative, et il est un des rouages essentiels de l’application du programme du Conseil National de la Résistance, notamment pour la fondation de la Sécurité Sociale aux côtés de Pierre Laroque, Ambroise Croizat, Georges Buisson, Henri Raynaud, Marcel Willard et de Francis Netter. Il se mobilise pour faire reconnaître le principe de solidarité, qui prendra forme avec les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, les lois du 22 mai, du 22 août et du 30 octobre 1946.

Ce personnage de la résistance devient vice-président de la Haute cour de Justice en charge de juger les dirigeants du régime de Vichy.

L’anticolonialiste

Il fut un acteur important de la décolonisation, notamment en préparant activement la loi du 19 mars 1946, qui abolit le statut colonial de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane en les classant comme départements français.

Lors du procès de Lyon des 4 inculpés de "l’assassinat" d’Alexis de Villeneuve qui se déroule du 17 au 23 juillet 1947, Maurice Kriegel-Valrimont vient insister sur le climat de violence entretenu dans l’île par les nostalgiques de l’époque de l’esclavage. Il souligne qu’à La Réunion, « la misère est exploitée par des individus sans scrupules qui n’hésitent pas à recourir à toutes les formes de pression lors des consultations électorales, marquées par de grossières irrégularités ». Le vice-président de la Haute Cour de justice réussit à faire partager cette conviction intime que « c’est une machination politique qui est à la base du procès Vergès » à la cour d’assises de Lyon puisque l’avocat général renonce à "toute accusation de complot d’assassinat" et qu’il ne requiert que des peines correctionnelles assorties du sursis contre seulement deux des accusés ; les deux autres ne pouvant, selon lui, qu’être acquittés.

Le 27 décembre 1951, il demande au gouvernement de lever immédiatement l’état de siège à Madagascar et l’amnistie pour les Malgaches. [3] Il veut mettre un terme à la guerre d’Indochine par des négociations avec le Vietminh, et le 13 mai 1954, après Dien-Bien-Phu, Kriegel Valrimont invite le gouvernement à prendre en considération les propositions de paix du gouvernement Ho-Chi-Minh. [4]

Son engagement communiste
et son exclusion du PCF

Pendant la résistance, Kriegel Valrimont avait vivement dénoncé la collaboration avec l’Allemagne nazie des patrons de l’industrie française et notamment les patrons des forges. Les « De Wendel » l’avaient obligé à s’expliquer devant le tribunal de Briey. Mais il avait été tellement applaudi par des centaines d’ouvriers lorrains, sidérurgistes, mineurs, que cela lui avait fait chaud au cœur et allait l’encourager à se présenter comme député de Meurthe-et-Moselle. Il a été élu de 1945 à 1958 au Palais Bourbon, aux côtés de l’abbé Pierre avec qui il se retrouvait souvent.

Pendant tous ses mandats, c’est un député très actif, qui fait de très nombreuses propositions de lois, comme celles sur la nationalisation de la sidérurgie, l’amnistie des grévistes de 1948. Il n’hésite pas à envoyer devant la Haute Cour de justice pour magouilles des personnalités importantes comme Henri Queuille, Paul Ramadier, Jules Moch. En 1956 et 1957, il intervient contre Euratom et les expériences d’armes nucléaires. Et en 1958, il est fermement opposé au retour de de Gaulle... Il n’est plus député sous la 5e République et devient jusqu’en 1975 salarié de la Sécurité Sociale.

C’est en 1946 que Maurice entre effectivement au Parti Communiste, et très vite, en 1947, on l’appelle pour figurer au sein du comité central du PCF. L’essor communiste est considérable après la Libération, y compris dans certaines zones rurales pauvres où la Résistance a bouleversé les schémas traditionnels en créant souvent des liens forts entre ouvriers et paysans. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Parti communiste bénéficie en France d’une aura nouvelle. C’est le premier parti de France. Aux élections législatives du 10 novembre 1946, le PCF obtient 5 millions 500.000 voix et 186 élus sur 497, alors que le MRP n’a que 172 élus et la SFIO 102 élus. Fort de son rôle dans la Résistance, il trouve logiquement sa place dans le nouveau paysage politique qui se dessine à la Libération, appuyant auprès de l’opinion publique l’image du "parti des fusillés". Dans un parti complètement décimé, il n’était pas simple de gérer l’afflux d’adhésions nouvelles, dont Maurice Kriegel Valrimont avait bien sûr sa part de contribution. Or la direction du PCF, selon les aspirations de ses tuteurs soviétiques, a préféré l’État français restauré par les gaullistes, avec sept ministres communistes dans le gouvernement, pendant deux ans, plutôt que des instances issues de la Résistance pourtant dominées par les communistes.

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En 1955, Maurice ose critiquer l’attitude du Parti communiste à l’égard du gouvernement Mendès France (traité de "ce juif" par Duclos), et milite ouvertement contre le stalinisme à l’intérieur du PCF. On le met sur la touche petit à petit. Et une soirée de 1961, dans la salle municipale d’Auboué, en Lorraine, un dirigeant du Parti venu de Paris l’insulte en public et obtient son éviction du PCF. Il a d’ailleurs écrit un livre sur cette période : "Mémoires rebelles" [5].

Et c’est la traversée du désert politique, comme pour beaucoup d’autres.
Maurice Kriegel-Valrimont faisait partie de cette attachante catégorie de communistes que la direction du PCF préfère morts que vivants.

C’est qu’ils sont nombreux, les orphelins du parti comme lui : Georges Guingoin, le préfet du maquis limousin, exclu en 1950, Charles Tillon, mutin de la mer Noire en 1919 puis responsable des Francs Tireurs Partisans (FTP) lors de la Résistance, exclu en 1952... Au PCF, les cadres à éliminer étaient ceux qui jouissaient d’une popularité qu’ils avaient acquise par eux-mêmes. « Des millions de personnes, les plus généreuses, les plus dévouées de ce pays, sont passées par le Parti communiste, et l’on a assisté à un immense gâchis d’énergies militantes. Comme si l’on avait pratiqué une saignée, on a privé la gauche française de l’essentiel de ses forces. On a stérilisé plusieurs générations. »

Mais si Maurice se sent orphelin du parti, il garde en lui les idées des communards, sans se compromettre. « Nous participions à transformer la réalité quotidienne, et c’était beau. » Refusant bien sûr d’aller au PS, ni dans un "groupuscule", pendant toutes ces années, il s’est efforcé, tout en étant toujours très actif, de rassembler : par exemple, il crée la "Ligue nationale contre la force de frappe" sous de Gaulle, il soutient la campagne de Juquin en 1988, il lutte contre le FN... Il espère une nouvelle "force motrice" qui manque toujours véritablement.

« Les vies militantes sont des très belles vies. Pour tout ce que j’ai connu, je n’en vois pas de meilleures. Peut-être ai-je un peu d’illusions, mais alors laissez-moi mes illusions... »

L’appel des Résistants à la jeunesse

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Maurice Kriegel-Valrimont a pris une grande part dans ce fameux Appel des Résistants : « créer c’est résister, résister c’est créer » de mars 2004, qui a donné un grand appel d’air, un nouveau souffle, même s’il a peu été médiatisé avant la mort de Lucie Aubrac le 15 mars 2007, et même si le monde politique ne s’en est pas emparé !

Devant la montée actuelle du racisme et de l’exclusion, ces combattants de la liberté ne voulaient pas rester silencieux. A la fin de la guerre, ils pensaient avoir définitivement vaincu le fascisme. Aujourd’hui, Maurice Kriegel a peur du retour de ces idéologies : « Nous nous étions engagés dans la lutte pour libérer notre pays de ce qui n’était pas acceptable. Mais nous avions pensé à tort, après la victoire sur le fascisme en 1944/45 que la barbarie était définitivement défaite. »

Or défendre la liberté, c’est aussi pour lui protéger notre société des injustices sociales : « Il faut aussi que tout le monde sache que l’on ne peut pas laisser à l’écart du droit du travail, des droits sociaux, des droits élémentaires des millions de citoyens, et en particulier, des jeunes, la lutte pour les libertés comporte aussi le respect de tous les droits essentiels. » L’appel qu’il a signé, avec douze autres résistants, se veut être un nouveau « Programme de Résistance ».

On ne peut savoir à l’avance comment tourne l’histoire, mais il y a eu plein de moments où les retournements sont rapides comme en 1934 où la France a l’air dans une situation pré-fasciste, un peu comme aujourd’hui, et après la grosse manif de regroupement syndical de février 1934, il n’a fallu que deux ans pour qu’arrive le Front Populaire. Personne ne s’attendait à ça.

« Et dans le monde, il existe des signes nombreux qui montrent que les gens ne sont pas disposés à laisser faire indéfiniment ce qui va à l’encontre de leurs intérêts évidents. »

« Nous avons vécu nos vies en osant des choix. C’est au tour des jeunes d’oser leurs choix. Le monde d’aujourd’hui doit trouver les jeunes qui mettent en œuvre la politique de leur temps. Lors de l’Occupation, la France a connu la plus effroyable machine de répression qui ait jamais existé. Nous l’avons vaincue. Mais c’est aujourd’hui aux jeunes de s’engager et de faire des choix ! »

P.-S.

Une source importante des paroles de Maurice Kriegel-Valrimont dans cet article provient d’un reportage de François Ruffin s’entretenant avec lui, pour l’émission « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet sur France Inter diffusée le 2 mars 2006.

Notes

[1On prononce « Krié-gel »

[2On ne va tout de même pas y laisser reposer un communiste, et en plus exclu du parti...

[4Malheureusement, le ministre des colonies du cabinet Ramadier, Marius Moutet, envoyé à Hanoï par Léon Blum, le 2 janvier 1947, contrairement à sa mission, a refusé de rencontrer Hô Chi Minh, cédant à la pression de l’amiral d’Argenlieu, alors que venaient de s’ouvrir les hostilités de cette « sale guerre d’Indochine » appuyée par de Gaulle. Si elle avait eu lieu, cette rencontre aurait pu probablement changer le cours de l’histoire. (Raymond Aubrac, « Où la mémoire s’attarde »p.190)

[5Mémoires rebelles, Maurice Kriegel-Valrimont avec Olivier Biffaud, éd. Odile Jacob, Paris, 1999, 265 pages

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  • Le 2 août 2017 à 13:30, par

    C’est gentil de corriger les gens, mais c’est mieux de le faire quand on sait de quoi l’on parle. Un char ça ne veut rien dire. C’est un terme familier utiliser pour désigné tout un tas de véhicule. En l’occurrence ce à quoi vous pensez, le « char d’assaut » se défini comme un char équipé d’un canon lourd.... si l’on utilise parfois l’élipse char pour parler d’un char d’assaut, un char à la base c’est ça :

    Le véhicule sur lequel ils se trouvent est en terme militaire un VTT (véhicule de transport de troupes) et en langage familier un char ou une jeep (vous notez d’ailleurs que la plupart du temps quand on parle de jeep ou de frigidaire on à ni affaire à une jeep, ni à un frigidaire)

  • Le 2 août 2017 à 12:57, par Mouise Lichel

    « […] tandis que leur char se fend un chemin parmi la foule, le 25 août 1944 […] »

    Faut VOIR, au lieu d’inventer.

    Nul « char » ici.

    & ce n’est PAS un détail.

    Faire du n’mporte quoi sur un seul point, fut-il secondaire, risque de remettre en cause la crédibilité de l’ensemble.

    & ce serait plutôt dommage (!).

    Mais merci pour ce bon rappel.

    M. L.

    Ruffin (dont il est question en note) … Il enfourche maintrenant les bottes de politicard… Après avoir réalisé (?) un film dans lequel une famille est totalement objet, mais tout à la gloire dudit Ruffin, qui fait son petit numéro, comme aime tant son petit nombril. Et quand on ose remettre en cause des conneries écrites par lui, entre autre au sujet d’un saint Sébastien — fantasmé en toute ignorance, mais donné comme historique — dans « la Guerre des classes », on se fait agresser avec violence.

    Ah quel grand révolutionnaire…

  • Le 8 septembre 2010 à 17:53, par Ferdinand Pecora

    Bonjour,

    Un entretien avec Maurice Kriegel-Valrimont a été publié dans le journal Fakir.

    En introduction, le journal écrit : « [...] A la Libération de Paris, aux côtés de Leclerc, c’est lui qui fait prisonnier le général allemand Von Choltitz. Et pourtant, parmi tous ses titres de gloire, il en retenait un autre, plus modeste : »J’ai signé le texte sur les retraites... nous avons appliqué, en partie, le programme du conseil national de la Résistance...« Je ne trouve pas cet acte plus modeste que celui de faire prisonnier un homme, fut-il Général. Bien au contraire. Aujourd’hui, les mêmes intérêts qui ont fabriqué cette Guerre empêchent politiquement et médiatiquement que soit prise la décision d’instaurer au niveau mondial ce que ce même Conseil national de la Résistance instaura en décembre 1944, et qui mit fin à l’emprise des puissances financières sur nos vies : la séparation des activités bancaires : les dépôts d’un côté et la spéculation de l’autre. Cette loi fut inspirée de la loi prise en 1933 par Franklin D. Roosevelt, loi dite »Glass-Steagall" qui mit fin à l’emprise de Wall Street sur la vie économique du pays.

    Aujourd’hui, les factions de résistance au niveau mondial agissent à ce niveau en Russie, Inde, Chine et aux Etats-Unis. L’empire européen étant contrôlé par La City, une seule organisation politique française parle du retour du Glass-Steagall.

  • Le 7 août 2008 à 21:56

    Merci pour ce très beau texte (même si je ne partage pas ton point de vue sur les « 30 glorieuses »). Tes mots magnifiques réchaufent le coeur.

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