Mythologie du progrès et fuite en avant

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GSM, voiture, ordinateur, électroménager... Nous vivons dans un monde où la technologie est omniprésente. Dès le plus jeune âge, nous apprenons à percevoir le développement des outils comme le fruit du “progrès”. Le mot sonne bien : il évoque le changement, l’efficacité, l’amélioration, la marche en avant. Dès lors, questionner sa réalité, c’est souvent se faire qualifier de rétrograde, voire d’obscurantiste.

Pourtant, lorsque l’on se penche sur cette notion ambiguë, les remises en questions foisonnent. Le progrès est-il réellement, comme on l’entend souvent, au service de l’Homme ? Quelles sont les questions politiques, écologiques et morales que soulève le développement
fulgurant des technologies ? Ne met on pas au jour l’absurdité d’une telle notion en relevant de simples paradoxes comme celui-ci : peut-on faire de la foi dans le progrès une idée arrêtée ? Le progrès semble évoluer selon des voies qui tendent à le contredire.

La réflexion sur celui-ci est si vaste que nous ne pouvons l’épuiser en quelques lignes. Essayons tout de même d’explorer quelques pistes. « On n’arrête pas le progrès. » Ce slogan bégayant présente l’histoire de l’humanité comme une évolution incessante, linéaire et objective des conditions nécessaires au bonheur individuel et collectif. Cependant, on est en droit de se poser certaines questions faussement simples : qui est le “on” ? Qu’est ce
qu’un progrès ? Historiquement, d’où vient cette croyance ?

Une invention récente

Si les origines de la notion de “progrès” sont antérieures à la fameuse querelle des Anciens et des Modernes, le 18ème siècle a fait de ce concept un véritable porte-drapeau,
un fourre-tout. Cette acceptation est le fruit des théories produites par les fondateurs du libéralisme moderne à cette époque. Les théoriciens commencèrent à soutenir que les besoins humains étant insatiables, ils nécessitent une expansion illimitée des forces de production
indispensables à leur satisfaction. Le désir infini, jadis condamné comme source de frustration et de désarroi spirituel, commença alors à être envisagé comme un puissant stimulant au développement économique.

L’idéologie du progrès est en outre le produit de la sécularisation de la vision chrétienne de l’histoire, orientant le temps comme une flèche, de la déchéance de l’homme à sa rédemption, en opposition au temps cyclique des Grecs. Du coup, on a regardé la pensée traditionnelle comme un mélange confus d’animisme, de mythes et de superstitions d’une humanité encore
dans l’enfance, qu’il fallait amener à l’âge de raison.

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L’économie néo-libérale, parallèlement au développement de la science moderne, s’est ainsi targuée d’un savoir faisant autant autorité que la physique, s’arrogeant d’une certaine
histoire linéaire, s’autorisant à juger, à tirer des conclusions, bref, à construire une morale. Celle-ci crée un sentiment diffus d’impuissance et de fatalité : on ne doit pas se poser de questions, et accepter de se soumettre.

Un espoir aveugle

La décroissance remet en cause l’impression de continuité que la foi dans le progrès suscite. Du silex au couteau, du tam-tam au téléphone portable, ces descriptions historiques nous présentent la progression d’outils de plus en plus évolués, comme autant d’améliorations
pour le genre humain. Ce regroupement systématique des objets autour de l’idée d’une évolution vers un “mieux” est une construction intellectuelle se présentant comme naturelle. Le “toujours mieux” se traduit dans les faits par un “toujours plus”. L’accumulation
de choses prend alors le prétexte de l’innovation et l’amélioration. Cette mythologie globale du “progrès”, non seulement légitime, mais amplifie le règne d’une consommation illimitée.

De plus, tout se passe comme si, face à un problème, la réponse spontanée consistait à trouver la solution technique appropriée, non à interroger ses causes réelles. En se concentrant sur le comment, en négligeant le pourquoi, la perspective du progrès agit comme un espoir aveugle. Elle présente comme une certitude le fait que la majeure partie des problèmes sociaux, environnementaux et intimes auxquels nous sommes confrontés trouvera,
tôt ou tard, une réponse technique. Des millions d’humains meurent de faim ? Améliorons le rendement des céréales. L’insécurité rôde dans les villes ? Installons des systèmes de
vidéosurveillance, équipons la population de cartes d’identité biométriques et augmentons l’effectif policier. Les violences à la télévision choquent les enfants ? Équipons nos téléviseurs de puces électroniques pour crypter les scènes traumatisantes. Les États-Uniens se sont
mis à la recherche du gène de l’obésité pour résoudre le problème de manière scientifique.

Déconstruire cette croyance

Les adeptes de la décroissance, à la suite d’une longue tradition, remettent en cause cette foi dans le progrès, autours de trois axes principaux : l’impératif de consommation, l’espoir aveugle de résolution de tout problème, et l’idée d’une continuité historique vers un “mieux”, qui ne précise d’ailleurs pas ce que ce “mieux” signifie pour les populations. Ils soulignent entre autres les effets de la mythologie du progrès par les concepts d’effets rebonds ou de cercle vicieux : chaque technique, en résolvant des problèmes, en soulève toujours de nouveaux. Pour combattre ces “effets secondaires”, il faut réaliser de nouveaux progrès techniques qui nécessitent de plus en plus de sophistication. Certains de ces effets sont par ailleurs irréversibles. D’autres ne sont connus que plusieurs années après. Plus le progrès technique croît, plus semble augmenter la somme de ses effets imprévisibles.

La voiture nous offre un exemple éloquent. Son utilisation entraîne dans un premier temps des “attraits” immédiatement visibles : la vitesse, le confort, l’autonomie, le plaisir de conduire, etc. Mais que se passe-t-il lorsqu’on prend en compte toutes les autres conséquences : les accidents, la pollution atmosphérique, les déchets, l’enlaidissement des paysages, le bruit, le mauvais coup porté aux liens sociaux dans des rues devenues invivables, la course au pétrole, le lobbying de firmes puissantes sur les pouvoirs publics pour entraver le développement des transports collectifs, etc.

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Aujourd’hui, il nous faut tenter de déconfessionnaliser une philosophie de l’histoire qui n’est autre qu’une théologie déguisée, pour fonder une philosophie de l’histoire laïque, arrachée radicalement à la théologie chrétienne de l’histoire sécularisée dans l’idéologie du progrès.

Nicolas Zurstrassen

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