Récit d’une soirée ordinaire ? Agression raciste à Hôtel de ville

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Le 19 novembre, la Plume Noire a été attaquée, dans la nuit du vendredi 16 au samedi 17 décembre 2016, la devanture de Radio Canut a été prise pour cible.
Le lendemain soir, dans le même quartier, a eu lieu une agression raciste que nous relatons ici. Le climat lyonnais semble actuellement dominé par les actes haineux de l’extrême-droite qui se multiplient. Pourra-t-on alors un jour qualifier ce genre d’histoire de « récit d’une soirée ordinaire » ?
Espérons que l’année 2017 sera celle de la résistance.

Samedi soir alors que nous rentrions d’une soirée avec deux amies, nous descendons les escaliers de Croix-Paquet et passons à côté d’un homme allongé par terre, entouré de deux femmes qui semblent le réconforter. Il est tard, près de 1h30 du matin, et dans la pénombre on ne distingue pas grand chose. Nous pensons d’abord à un homme trop ivre mais nous arrêtons tout de même pour vérifier que tout va bien. En fait, les deux femmes nous racontent que l’homme a été agressé à Hôtel de Ville et s’est réfugié tant bien que mal ici, où elles l’ont trouvé à moitié nu, traumatisé et tremblant de froid. Il est extrêmement choqué, en larmes, et raconte en boucle des bribes de son agression. On réussit à rassembler les morceaux de son histoire : il s’appelle Antoine* et rentrait lui aussi de soirée avec des amis lorsqu’ils se sont fait attaquer par derrière par plusieurs personnes. Ses amis se sont enfuis, mais lui n’a pas eu cette chance. Il s’est donc retrouvé par terre, roué de coups, s’est fait dépouiller de toutes ses affaires, et ses agresseurs ont même tenté de le déshabiller entièrement.

« Je ne pouvais rien faire, j’ai juste pu agripper mon pantalon pour essayer de conserver un peu de dignité. »

C’était horrible d’entendre cette histoire et de voir cet homme tabassé et frigorifié raconter qu’il s’était battu pour ne pas finir nu dans la rue, en plein centre-ville. A entendre ce récit, nous avons toutes pensé qu’il s’agissait non uniquement d’un vol mais d’un acte raciste. Nous étions en présence d’un homme noir, qui s’était fait attaqué par derrière par plusieurs autres hommes, non pas seulement pour se faire voler portable et portefeuille, mais aussi pour se faire arracher ses vêtements. Ce qui, à mon sens, témoigne à la fois d’une volonté d’humiliation, mais aussi, vu la température ce soir-là, d’une tentative de meurtre. D’autant plus qu’avant d’être trouvé par les deux femmes (merci à elles pour leur gentillesse), il avait apparemment erré – terrifié et en état de choc – entre Hôtel de Ville et Croix-Paquet pendant une demi-heure, en tentant de trouver un endroit où se cacher. Heureusement, une des deux femmes lui avait passé un pull et une écharpe. Elles avaient aussi appelé les pompiers car Antoine* avait la lèvre à moitié arrachée (et saignait toujours quand nous sommes arrivées) et avait un genou blessé qui l’empêchait presque totalement de se déplacer.

Horrible, horrible. On a donc toutes attendu les pompiers avec lui. Ils sont arrivés et se sont montrés réconfortants. Ils l’ont enveloppé directement dans une couverte de survie et amenèrent un fauteuil pour le transporter vers l’ambulance un peu plus bas. Jusque-là, on est rassurées de voir que Antoine* va pouvoir être soigné. Hélas, c’est à ce moment qu’on voit débarquer la BAC, brassard au bras et roulant des mécaniques. Bon, forcément, le jeune homme a été agressé, il semble logique que la police vienne prendre sa déposition, même si de toute façon il est pour le moment trop choqué pour expliquer clairement ce qui s’est passé. Sauf que voici l’échange que nous avons eu avec les forces de l’ordre :


-  Bonjour, mesdemoiselles, qu’est ce qu’il se passe ici, c’est votre ami 

- Non, on l’a trouvé ici, à moitié nu, il s’est fait agresser à Hôtel de Ville.

- Et il parle français le monsieur ? Il a ses papiers ?
(Alors, oui « le monsieur » il parle français mais il est complètement traumatisé donc tu te calmes, et bah non il n’a pas ses papiers, sombre merde, je viens de te dire qu’il s’est fait agresser…)

- Il parle français oui, mais il n’a plus rien sur lui, des mecs lui ont tout pris…

Là un pompier intervient pour dire que, pour le moment, le plus important est de l’amener au chaud, ce qui n’a pas l’air de concerner le policier plus que cela. On essaie toutes d’insister, pendant nos échanges avec les policiers, sur la violence de l’agression, afin de susciter tant bien que mal chez eux de l’empathie.

Pendant ce temps-là, un autre homme, qui s’exprime en anglais et semble passablement alcoolisé, se montre un peu véhément envers notre groupe. On ne sait pas trop ce qu’il cherche, ce qu’il veut, mais il vitupère de manière incohérente, je crois comprendre qu’il dit – en gros – à Antoine* qu’il faut qu’il arrête de se plaindre et qu’il va s’en remettre et que ce n’est pas la peine de faire tout un plat. J’ai l’impression que c’est juste un homme bourré qui traîne là et cherche la merde pour rien. On lui dit de s’en aller, il est un peu insistant et revient à la charge quand on essaie de l’éloigner. Clairement, l’homme est chiant, mais il ne se montre pas physiquement agressif. Sauf que c’est l’occasion pour les policiers de faire preuve de leur grande virilité et autorité. Ils commencent donc à lui crier dessus, à le pousser avec de plus en plus de violence. Nous tentons donc à la fois de voir si Antoine* est bien emmené dans l’ambulance (comprendre : ne se fait pas plus emmerder par les flics…) et de surveiller ce qui se passe avec l’homme relou. Alors que nous avions suivi Antoine* avec les pompiers et attendions qu’ils soient partis, un policier vient nous voir pour nous dire que nous pouvons nous en aller. Nous n’osons pas lui répondre que nous restons pour surveiller ses actions… Je ne vois plus l’homme ivre dans les parages, j’espère qu’il a juste fini par se lasser.
L’ambulance part enfin, et nous aussi.

Voilà, que tirer de cette histoire ? Soyez prudent.es à Hôtel de Ville, il semblerait que des agressions racistes aient lieu, surveillez vos arrières les ami.es. Et surveillez les alentours. Soyez vigilant.es aux interactions autour de vous. On a si vite fait de ne pas réaliser que quelqu’un.e est en train de se faire agresser à 10 mètres de soi. Deux semaines plus tôt, une des amies qui était avec moi ce soir avait secouru une jeune fille de 18 ans en train de se faire agresser sexuellement par un homme en pleine rue. Il y avait 5-6 personnes à 15 mètres de là mais elles pensaient que c’était juste un couple qui se disputait…

Et une fois de plus, s’il était besoin de le rappeler, les flics ne sont pas d’un grand secours dans ce genre de situation. Face à un homme qui venait de se faire tabasser, ils n’ont rien trouvé de mieux que de le mettre en position de coupable potentiel (noir = étranger = sans papiers = garde à vue ?). En tant que blanche je trouve qu’il est toujours difficile de réaliser à quel point le racisme dans la police est manifeste et violent, puisque je n’y suis pas confrontée personnellement et que j’en suis rarement témoin directement. A ce titre, j’en profite pour vous conseiller plus que chaudement la lecture du livre de Didier Fassin, La force de l’ordre qui permet de prendre conscience des exactions quotidienne et impunies des flics.

Solidarité et résistance.

Teddie.

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