Soirée strass et paillettes pour les nanotechnologies

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Mercredi 10 décembre a eu lieu à l’INSA de Lyon la projection du film « Le nanomonde ou l’abîme ». Il s’agit d’un film de commande sur les nanotechnologies réalisé par Vivian Gateau. Travaillant dans un laboratoire de recherche de l’INSA, je m’y suis rendu, pas tant pour voir le film, que j’avais déjà visionné sur le site de la webTV de la fac de Lyon, que pour assister au débat qui le suivait. L’affiche était en effet prometteuse.

La salle est aux trois-quarts remplie. Pas de surprise, une grande majorité du public est constituée par des élèves-ingénieurs, en grande partie des garçons, ainsi que par quelques personnes plus âgées dont certaines sont leurs professeurs. Il faut dire que la projection n’avait été annoncée que sur la lettre électronique de l’INSA. Clins d’oeil, sourires, salutations discrètes, on peut parler d’un climat de connivence. On se doute aussi qu’on n’assistera pas à Hernani.

Les invités sont le réalisateur, Vivian Gateau, auteur d’une vingtaine de documentaires sur divers sujets culturels, Bernard Reber, philosophe de l’université Paris V spécialisé dans l’étude des concertations entre scientifiques, industriels et société civile, Bruno Paing, l’avenant directeur adjoint de Minatec et Guy Hollinger, Directeur de l’Institut des Nanotechnologies de Lyon. Abdelkader Souifi, chercheur à l’Institut des Nanotechnologies de Lyon et conseiller scientifique du film, est le modérateur du débat. On est en famille, Bernard tutoie Abdelkader. Celui-ci commence par préciser que le film a été réalisé à la demande du PRES de Lyon [1]. Il s’agit donc d’un film de commande ayant pour mission de vulgariser les nanotechnologies.

Qu’en retenir ?

Il s’agit, selon la description donnée sur le site, de l’enquête d’un « jeune citoyen curieux » dans le monde mal connu des nanotechnologies. J’en décrirai surtout le début, une petite manipulation narrative révélatrice du ton général du film.

Le point de départ de l’enquête est la réception d’un mail de Pièces et Main d’œuvre adressé « par erreur » au réalisateur, l’invitant à découvrir les « nécrotechnologies » sur son site [2]. Suivent quelques images du site, agrémentées de commentaires circonspects : « Apparemment, les nécrotechnologies sont un petit nom sarcastique donné aux nanotechnologies. » Il faut avoir vu ce film, il faut l’avoir entendu surtout, pour sa narration virtuose jouant avec un égal bonheur sur les registres de l’inquiétude, de l’impertinente naïveté, de la suspicion ou de l’ironie. Un grand bravo à Vivian Gateau pour le choix de son récitant.

Avec ce « petit nom sarcastique » on est les deux pieds dans l’ironie. Suit une liste de quelques titres, « Nanotechnologies, maxiservitude », « rêve ou cauchemar ? », « nouvel âge d’or ou apocalypse ? [3] » , ponctuée par un « mouais » dubitatif, derrière lequel soin est laissé au spectateur de s’imaginer tout une diversité de réflexions (registre de la suspicion). Subit accès de perspicacité, le réalisateur note que le nanomonde n’a pas l’air d’être un « territoire très serein » (registre de l’inquiétude). Il répond donc à PMO, et lui demande de lui accorder une entrevue.

Réponse de PMO : « ...nous ne participons qu’à des films contre et non pas sur les nanotechnologies ».

« Le ton est donné », précise le narrateur.
Il ne croit pas si bien dire, tant nous sommes déjà conquis par le récit bon enfant des pérégrinations du citoyen curieux sans être trop critique.
Dans la suite du film nous assistons donc à des interviews de chercheurs, d’un écrivain de science-fiction, d’une ethnologue, d’un décideur politique par ailleurs ancien chercheur. Entretiens peu dirigés, les intervenants parlent librement et sont assez peu contredits.
Malgré tout, en filigrane, le spectateur attentif ou celui qui a vu le documentaire plusieurs fois, peut déceler certains contresens, des rapprochements qui s’entrechoquent sans que leur dissonance ne soit jamais clairement mise à jour. Les exemples sont multiples.

Ainsi tel chercheur décrit de manière pédagogique les différentes nanoparticules existant déjà dans l’environnement urbain – particules dues à la combustion du fioul, du diesel, et à la fumée de tabac. On doit comprendre que les nanoparticules sont déjà parmi nous et que leur danger n’est pas spécifiquement lié aux nanotechnogies. Il conclut néanmoins en avouant qu’il ne connaît pas toutes les nanoparticules existantes et à venir, et que, connaissant l’être humain, il se doute que « s’il y a du pognon à se faire, les gens le feront ». On aurait aimé avoir la question : « Et ça ne vous dérange pas ? » On ne l’aura pas.

Un autre chercheur, Abdelkader Souifi, est interrogé sur les applications militaires des nanotechnologies. Certes, reconnaît-il, l’objet de ses recherches peut trouver des débouchés dans la défense, mais il jure bien qu’au grand jamais il ne travaillerait sur des contrats spécifiquement militaires. On saluera, au choix, la probité morale du citoyen ou le raisonnement jésuistique de l’homme de science. Quant aux risques sanitaires, il mentionne que ceux-ci n’ont rien de surprenant et existent déjà dans d’autres domaines, comme le nucléaire. Nous voilà rassurés.

D’autres intervenants se montrent moins embarrassés : pour l’ingénieur de recherche en microscopie à force atomique, les débats sur les nanotechnologies sont surtout réservés aux philosophes et chercheurs en pré-retraite – aux vieux en somme, ou aux personnes étrangères à la recherche –, alors qu’eux, les gens du métier, ont mieux à faire : ils ont du pain sur la planche. Rires francs dans la salle.

Moins de rires – aucun en fait – lors de l’interview du directeur de Minatec Jean-Charles Guibert. On apprend que Minatec a pour objectif principal de créer des emplois et d’attirer des « pointures internationales ». Se développer en somme. Pour quoi faire, pourrait-on se demander ? Il va sans dire que la question ne se pose pas dans un film commandé par le service com’ de la recherche rhodanienne. On a très bien compris que c’est pour créer de nouveaux objets plus performants – la question est d’ailleurs balayée d’un revers de manche à l’occasion d’une remarque ingénue du réalisateur : « Le consommateur moderne ne veut-il pas avoir un téléphone portable capable de traiter de la musique, de la photo ou de la vidéo ? ».

Si, bien sûr, il en a toujours rêvé.

Entre autres sujets qui fâchent, la pression foncière extravagante qu’engendre cette course aux grandes pointures dans le bassin grenoblois ne sera pas évoquée. D’ailleurs aucun ouvrier ou sous-traitant de Minatec ou du LETI ne sera interrogé sur ses conditions de rémunération et de logement. Sujets triviaux, ou bêtement locaux en regard des enjeux internationaux ? On n’est là que pour parler de (techno)science, pas de cuisine.

Un morceau de bravoure cependant : le commentaire hors caméra du directeur de Minatec au sujet de PMO, les soupçonnant d’être financés par la concurrence internationale. La main de Moscou ? A deux reprises au cours du débat, le directeur adjoint, Bruno Paing, se montrera quant à lui plutôt dubitatif vis-à-vis de cette accusation feutrée, ne se souvenant même pas de l’avoir entendue.

Mais arrêtons là, mieux vaut voir le film.

On peut arguer que le documentaire n’avait pour objet que de donner la parole aux acteurs des nanotechnologies et à quelques-uns de ses détracteurs, de manière à brosser rapidement un tableau de ce domaine mal connu du grand public, et de mettre en évidence les espoirs et craintes qui y sont associées. On peut aussi regretter que ce ne soit pas l’œuvre d’un journaliste ayant approfondi son sujet, mais d’un cinéaste attendant que ses interlocuteurs le fassent à sa place.

On termine en tout cas avec un objet bâtard, truffé de vagues avis de chercheurs subventionnés par des contrats, de décideurs politiques et industriels, sans plus de recul critique que celui d’un écrivain de science-fiction – avec tout le respect qui lui est dû car son intervention est peut-être la moins sotte, avec celle de l’ethnologue...
Bref, un produit inoffensif que l’on imagine conforme à un cahier des charges tacite, tout à fait adapté à la diffusion sur une chaîne de vulgarisation institutionnelle.

Revenons sur le début du film. On l’apprendra à la fin du débat, le mail de départ adressé par erreur n’a jamais existé. Il s’agit d’une invention scénaristique véhiculant l’idée d’une enquête fortuite, motivée par la curiosité. On imagine aisément qu’une introduction plus factuelle aurait d’emblée affadi le propos. Imaginez : « Ce film est une commande du PRES de Lyon, fédération d’organismes de recherche, sur la vulgarisation des nanotechnologies. Je vais donc le faire. »

Vraiment, non.

Dans le film, le réalisateur ne présente que quelques mots de sa demande d’interview adressée à PMO (en substance « Je souhaiterais vous rencontrer pour en savoir plus »). La réponse des intéressés semble laconique et exagérément méfiante : « ...nous ne participons qu’à des films contre et non pas sur les nanotechnologies » – encore une fois, l’intonation du narrateur importe.

Renseignement pris auprès de PMO, Vivian Gateau a d’emblée précisé dans son mail l’objet de son film ainsi que son origine. Doit-on alors s’étonner de la réaction de PMO, l’invitant d’abord à se renseigner sur leur site [4] ? Doit-on déplorer qu’ils n’aient pas souhaité y participer ? Peut-être, mais au visionnage du film on peut le redouter le traitement qui aurait été donné à leur propos. Quoi qu’il en soit, le réalisateur aurait gagné à se documenter davantage, de façon à poser des questions un peu plus intéressantes à ses interlocuteurs. N’étant pas membre de PMO, je n’argumenterai pas sur ce point. Néanmoins, un cas semblable (Le téléphone sonne, sur France Inter) a déjà été discuté sur le site.

Débat !

Les quatre intervenants sont sur l’estrade. Les questions posées s’adresseront donc généralement aux quatre à la fois. Ceux-ci ne manqueront pas non plus de se répondre les uns les autres. Ce dispositif limite considérablement le nombre de questions posées par le public, et permet aussi aux questions gênantes d’être plus facilement éludées. Heureusement elles seront peu nombreuses.

Abdelkader Souifi commence par quelques questions à Vivian Gateau. Est-il un citoyen curieux, ou inquiet ? Voyons, les deux mon général ! Vivian Gateau est « vigilant ». N’est-ce pas ce qu’on exige aujourd’hui du citoyen ? Cela dit, je lui souhaite de disposer d’armes critiques plus affûtées que ses réflexions badines égrenées au cours du film et du débat s’il entend vraiment faire usage de sa vigilance. On a en tout cas la révélation d’un talent d’amuseur public, adoptant volontiers des mimiques à la Coluche pour détendre l’atmosphère (les poings sur les hanches, faisant mine de s’exaspérer : « Mais enfin, je peux répondre à la question oui ou non ? »). Il interviendra malgré tout assez peu, en comparaison de Bruno Paing, surtout, et de Bernard Reber et Guy Hollinger, apparemment moins rompu en communication que son coreligionnaire de Minatec.

Tour de table. Bruno Paing reprend l’argumentaire de son supérieur hiérarchique interrogé dans le film : quel mal y-a-t’il à créer des emplois et à améliorer la compétitivité de la recherche et des entreprises françaises ? Et de déplorer, chiffres à l’appui, le déficit de brevets déposés par les équipes françaises par rapport aux équipes concurrentes, alors que le nombre d’articles publiés sur les nanosciences est comparable. Minatec est donc là pour y remédier. Au sujet des risques sanitaires, on apprend une fois de plus que les nanoparticules sont déjà présentes partout. Voyez-vous, même les Grecs en utilisaient pour faire des pigments.

Bernard Reber, ordinateur portable ouvert posé sur les genoux, livre quelques réflexions assez pertinentes. Il met d’abord en perspective la parole des chercheurs interrogés sur les risques sanitaires, en espérant que ceux-ci ne soient dans 20 ans aussi ridicules que ceux qui officiaient dans le Comité Permanent Amiante. Il mentionne aussi la disproportion flagrante entre les promesses faramineuses des nanotechnologies et l’imprécision sur les risques. Ensuite, « concernant la question des applications des recherches, ce qui ressort de l’approche « bottom-up », c’est finalement que les chercheurs mettent à jour des phénomènes, et qu’ensuite seulement les industriels se demandent qu’en faire. C’est la réponse à un problème que l’on ne s’était pas posé, en somme. Alors que des problèmes, on en connaît déjà, comme le SIDA et la faim en Afrique. » Hélas, peut-être aura-t-il été émoustillé par l’ambiance bon enfant que distille l’amuseur Gateau, ses interventions suivantes seront moins incisives.

Pour le reste, la plupart des questions du public tournent autour du risque sanitaire. Un écologue intervient, rappelle que sa branche de recherche, la première concernée par les questions liées à la dissémination des nanoparticules, est paradoxalement la moins financée par l’Etat.

La finalité des nanotechnogies, de la technique en général, ne sera jamais abordée de front, sauf par un intervenant. Celui-ci se demande s’il existe vraiment une demande sociale à l’origine de ces recherches. Je vois un élève-ingénieur assis près de lui froncer les sourcils. L’effort intellectuel est perceptible. Il n’est pas donné de réponse directe à sa question. En guise de consolation, Bruno Paing assure qu’à Minatec on ne cherche pas au hasard : il y a un dialogue constant avec les industriels. C’est la deuxième fois dans la soirée que je suis rassuré.

Question d’une personne que je présume être un élève-ingénieur : « Peut-être que j’ai mal compris, mais quel est le problème ? C’est une technologie comme une autre, les chercheurs cherchent, les philosophes réfléchissent (nouveaux rires dans la salle à cette évocation) et le journaliste dénonce, c’est normal. » C’est le moment où j’hésite entre la consternation et la rigolade.

Bruno Paing, en revanche, a choisi son camp et a bien saisi toute l’innocuité de la question ; il trépigne de satisfaction sur son siège : « C’est une très bonne question ! » Et de lui expliquer, en substance, que les dangers de cette nouvelle technologie doivent bien entendu être encadrés, et que passée cette précaution, tout continuera à ronronner dans le petit monde de la recherche. Quant à Vivian Gateau, il précise que son film n’est pas une dénonciation des nanotechnologies. Peut-être se réserve-t-il l’opportunité de travailler à nouveau pour le PRES de Lyon au sujet des OGM ou d’ITER. Il prend d’ailleurs soin d’affirmer qu’il est désormais « amoureux des nanotechnologies ! ». Rires dans la salle, bien sûr. Tout ça pour ça.

Le mot de la fin, après la question posée au sujet des échanges de mails avec PMO, est réservé à un invité surprise dont je ne me rappelle malheureusement pas le nom. Délicieuse impertinence, il pose une question au public : un sondage effectué auprès des ménagères américaines leur demandait « Si vous aviez le choix entre vous passer du four micro-onde ou du téléphone portable, que choisiriez-vous ? ». Bigre, ce n’est pas une question, c’est un koan.

Les sondées étaient manifestement indécises. Et le public, qu’en pense-t-il, lui ; de quoi est-il prêt à se passer ? Introspection. Le directeur adjoint de Minatec, lui, n’y tient plus : « De rien, et on en redemande ! » exulte-t-il, tandis que Vivian Gateau acquiesce avec gourmandise.

Hélas non, le débat ne s’est pas achevé sur cette note divertissante, mais sur une espèce de consensus tiède autour de l’inéluctabilité du progrès technique et de la nécessaire vigilance citoyenne le suppliant d’être raisonnable, comme le demandent à un adolescent brutal des parents désemparés.

Notes

[1Le PRES, Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur, regroupe une vingtaine d’établissements de recherche et formation, fac, écoles d’ingénieurs, à Lyon et Saint-Etienne ; son objectif est d’assurer une visibilité internationale à la recherche en Rhône-Alpes

[3"Nanosciences : nouvel âge d’or ou apocalypse  ?" est le titre d’un document publié par le Commissariat à l’Energie Atomique en 2004, rédigé par L. Laurent et J.-C. Petit, chercheurs au Département de recherche sur l’Etat condensé, les atomes et les molécules.

[4A la demande de rencontre de V. Gateau, Pièces et Main d’oeuvre a précisément répondu par deux mails :

Le 25/10/07 : "Vous êtes le bienvenu si vous voulez utiliser nos informations, nos sources, nos textes, et nous citer. Nous rencontrons souvent des journalistes qui souhaitent une information de fond sur la critique des nanotechnologies. Ceci dit nous ne participons qu’à des films contre et non pas sur les nanotechnologies. Cordialement, PMO« Le 5/11/07 : »Avant tout voici en pièces jointes deux textes de fond sur les nanos (disponibles sur notre site, mais celui-ci est en panne ces jours-ci). Quand vous les aurez lus, s’il vous reste des questions, dites-le nous. Cordialement, PMO"

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  • Le 27 janvier 2009 à 01:50

    Il y a un film qu’il faut (absolument) voir sur ce sujet.
    Et dont il a déjà été question sur ce site, je crois.
    LE SILENCE DES NANOS
    un cyberdocumentaire sur notre avenir technologique
    de Julien Colin

    On le trouve maintenant en DVD.
    http://www.lesilencedesnanos.com

  • Le 23 décembre 2008 à 11:57

    Tu as bien fait d’ecrire cet article : on ne se deplace malheureusement pas assez souvent pour participer aux debats de ces batards ; or ca permet bien des fois de mieux comprendre leur strategies, et de voir a quel point leur pensees sont assmilees par leur entourage... ca fait froid dans le dos !

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