Un jour dans le métro

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Un jour, dans le métro. Le racisme ordinaire entre quelques stations. Son venin qui se diffuse et les solidarités qui le combattent.

Une rame de Métro.

Des familles Roms, moi et une camarade. On revient d’une mairie, où on est allé inscrire des mômes à l’école. Tranche de rigolade avec les gamins et les mamans, un petit rayon de soleil après la grisaille du labyrinthe administratif, et sa course d’obstacle qu’il a fallu et qu’il faudra continuer à franchir un à un.

On se quitte à l’arrêt ou se trouve le campement.

Alors que les mamans descendent avec leur gamin, plusieurs jeunes filles se moquent d’elles. De leur apparence. Enfilent les clichés habituels sur les Roms.
Je les interpelle : « Ah bravo, le racisme à 2 francs ». Petit moment d’hésitation. Échange à peine audible « le monsieur a dit qu’on était raciste ». Échange de regards entre elles et moi. A voix haute « On est pas raciste, nous ! »
« Peut être mais vous agissez comme ceux qui le sont. » Échangé entre elles.
D’abord chuchotés. Au milieu de ceux-ci : « C’est un juif » Je sais pas d’où ça sort, vu que c’est marqué ni sur mon front ni sur mon nez.

En face de moi, une femme, la trentaine, le foulard sur la tête. Échanges de regards, de mimiques désolées. On se comprend. La conversation s’engage :
Elle : « Elles se rendent même pas compte, elle reproduisent ce que leur parents ont subi (l’une des filles est noire, l’autre maghrébine, la dernière blanche). C’est triste. C’est des ados C’est une manière de s’intégrer, de faire partie du groupe »
Moi « Oui c’est triste. Mais comme vous dites, c’est des ados, ça leur passera peut-être. Faut espérer. Mais avec tout le matraquage à la télé, pas étonnant. Avant c’était les italiens, les espagnols, à chaque génération ses cibles ».
Elle « Oui c’est malheureux, faut espérer que ça change.
Arrêt suivant.
Elle se lève, on se salue, se souhaite bonne journée.
Les jeunes filles d’à côté enchainent : « Tu sais pourquoi les juifs aiment pas l’eau gazeuse... » « Moi mon père il m’a dit de pas m’installer à côté d’un juif »
Moi, à voix haute : « Et maintenant l’antisémitisme ! Vous vous arrêtez quand ? Vous devriez avoir honte. »

Elles en rajoutent. Ados, en groupe, rien de surprenant. La morale c’est sans doute pas le bon angle d’attaque... C’est juste ce que j’avais en rayon à ce moment là...

Dans le wagon, les passagers regardent par terre.
Un passager en face de moi. Blanc. La cinquantaine ou quarantaine tardive. Échange de regards.
Arrêt suivant : les filles se lèvent, passent devant moi.
L’une lâche un « niquez vos mères ». Pour garder sa contenance ?

Le métro repart, et là, le coup de grâce. Le passager d’en face : « ça sert à rien d’intervenir, vous auriez pas dû, ça sert à rien ».

Pourquoi, parce qu’elles sont ados et qu’on pourrait pas leur parler comme à n’importe quelle personne ? Où parce que les fantasmes racistes amènent ce passager à voir dans ces jeunes filles des menaces potentielles ( version « gang de fille de banlieue » d’un reportage bidonné de TF1 ?) plutôt que des personnes en train de dire des conneries.
Je ne le saurai pas...

Moi « Ben si il faut intervenir. Tout le monde devrait le faire. »

C’est pas ma première expérience du racisme, loin de là. Ni la première fois que je suis la cible de propos antisémites. Une goutte d’eau dans l’océan du racisme qui suinte dans notre société.
A chaque fois la rage, que j’en soit victime ou témoin.
Mais aussi l’écœurement à chaque fois que je constate que ce racisme -bien français- est bien présent au sein des minorités nationales, qu’elles qu’elles soient.
Mais cet épisode me pousse à partager une réflexion que j’avais déjà eu auparavant et que cette histoire me semble confirmer. Parce que j’écris pas tout ça pour me faire plaindre. J’en ai vu d’autres et il y a beaucoup d’autres personnes qui subissent cette humiliation raciste non seulement de la part de personnes, mais aussi de l’État.
C’était le cas de ma grand mère, ce n’est plus mon cas, l’État s’étant acheté une bonne conscience antiraciste en prétendant condamner l’antisémitisme qu’il a promu pendant tant d’années. Reste l’idéologie raciste bien ancrée dans la société, comme l’antisémitisme qui retrouve des forces en tant de crise.

Cette réflexion qui m’est venue donc : Une connerie peut-être ? A défaut d’avoir la réponse, je me dis que ça vaut le coup de la partager.

Et si finalement ce qui constitue « l ’identité nationale » de ce pays que nous vantent les nationalistes français, c’était pas d’abord le bon vieux racisme ordinaire ? Et si l’intégration (un mot qui me fait vomir), c’était pas, avant tout, intégrer, s’approprier, ce bon vieux racisme franchouillard (Et oui Gobineau, Vacher de Lapouge, ses inventeurs, sont français...).

Pour certainEs juifs/ves, intégrer le racisme anti-arabe, pour certainEs arabes ou noirEs, le mépris des Roms et l’antisémitisme bien français (et non d’origine arabe comme voudraient nous le faire croire certains), comme certainEs italienNEs ou espagnolEs ont pu « intégrer la communauté nationale » par le racisme anti-arabe. Reproduire sur d’autres ce que les parentEs ont subi, ce que l’on subit....

Cette intégration là, elle a de beaux jours devant elle, au vu de la libération de la parole raciste actuelle, si nous n’y mettons pas un beau coup de pied en désintégrant ces murs qui sont patiemment construits entre nous.

Car le pouvoir a bien réussi à diffuser son venin raciste y compris au sein de minorités nationales. En ces temps de crise, c’est une aubaine pour la bourgeoisie, et le système raciste. C’est une aubaine pour l’État.

Nous monter les unEs contre les autres, voilà bien l’objectif. Nous faire oublier la lutte des classes, renoncer au combat contre le système raciste en nous y intégrant à coup de matraquage idéologique quotidien.

Et ça marche.

Je ne veux pas de cette intégration, ni d’intégration tout court d’ailleurs. Je veux l’égalité économique et sociale. Et pour cela je me reconnais des alliéEs, comme cette femme avec qui j’ai échangé et dont je ne connais pas le nom. Comme j’en suis sur beaucoup dans les minorités nationales, qu’il s’agisse de la minorité arabe, noire, turque, juive, Rom ou asiatique... Comme aussi beaucoup dans la « majorité nationale »....

On a certainement beaucoup à gagner à nous reconnaître dans l’anonymat de la foule, derrière nos vies et nos habitudes, nos histoires en apparence différentes, que certains s’efforcent à opposer.
Beaucoup à gagner pour désintégrer ce système raciste, capitaliste et patriarcal...

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