De « Nanoviv » à « Vive les Nanos »

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Pour contrer la contestation des nanotechnologies, les autorités grenobloises ont demandé à Vivagora, association pour le débat citoyen, d’organiser un cycle de débats publics autour des nanotechnologies, Nanoviv, qui a lieu en ce moment.
Découvrons avec PMO (Piéces et main d’oeuvre) tout le mal que l’on peut penser de ces « débats publics » et autres dispositifs d’acceptabilité.

Pour contrer la contestation des nanotechnologies, les autorités grenobloises ont demandé à Vivagora, association pour le débat citoyen, d’organiser un cycle de débats publics autour des nanotechnologies, Nanoviv, qui a lieu en ce moment.

Découvrons avec PMO (Piéces et main d’oeuvre) tout le mal que l’on peut penser de ces « débats publics » et autres dispositifs d’acceptabilité.

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Actuellement au théâtre

VIVlesNANO

NANO-BIOTECHNOLOGIES :
Comment les faire accepter ?
Faire parler pour mieux faire taire

Pièce de théâtre en six volets
Les mardis de 18h30 à 21h de septembre à décembre 2006
Restaurant La Cour des Miracles, 7 place Paul Vallier – Grenoble
Entrée libre et gratuite
Financement : 23 500 euros TTC de la Métro

Réalisation, mise en scène : Dorothée Benoit-Browaeys
Régie : le CCSTI

Mardi 19 septembre, 18h30, la salle de la Cour des Miracles se remplit peu à peu. L’ambiance est plutôt cosy : une centaine de personnes assises autour de petites tables coquettes ou sur des fauteuils rouges baroques, un petit bar « convivial » et des guirlandes qui courent au plafond. D’ordinaire, on vient ici pour voir des cabarets, spectacles de cirque ou pièces de théâtres, mais aujourd’hui le prétexte est a priori totalement différent : ce lieu a en effet été choisi pour accueillir cinq des six débats du cycle « Nanoviv ». L’on verra cependant qu’on a pu y retrouver certains aspects d’une mauvaise comédie.
Ayant eu le courage, non seulement d’y aller, mais surtout de ne pas perturber ce spectacle de piètre qualité, nous déchargerons dans les lignes qui suivent la frustration accumulée lors de ces deux heures et demi de « démocratie participative ». Ceci afin d’expliquer tout le mal que l’on peut penser de ces débats publics.

« L’enjeu est de taille (…) : Lors de la conférence de presse de présentation du cycle, Georges Bescher, vice président du Conseil général chargé du développement économique et de la recherche, a dit qu’il voulait que ce cycle permette une sorte de psychothérapie collective. » [1]

La longue introduction de Dorothée Benoît - Browaeys (Dorothée pour la suite), metteuse en scène de cette soirée, lui permet d’insister sur l’importance du moment et donc de valoriser son rôle et celui de Vivagora. Cette association, crée il y a trois ans par Dorothée et « des amis journalistes », est spécialisée dans l’organisation de débats publics. Suite à une demande du Conseil Régional, du Conseil Général, de la Métro et de la Ville de Grenoble, elle s’est empressée de prendre en charge l’organisation de ce cycle, faisant suite au cycle Nanomonde organisé à Paris, au printemps dernier.
Ce qu’omet de mentionner Dorothée, c’est que l’idée d’un débat n’est pas venue toute seule aux élus, à la pause café du conseil de la Métro.

Nanoviv (accompagné de la nouvelle exposition du CCSTI « Nanodialogue », et des différents rapports commandés), est en fait la seule réponse trouvée – outre les policiers et CRS – par les autorités grenobloises pour répondre à la contestation des nécrotechnologies. Une réponse en forme de piège tendu aux personnes ayant porté cette critique. Soit elles acceptent de s’y rendre, voire d’être intervenant ou conseiller [2], et leur présence sert à légitimer ces moments de communication autour du développement des nanotechnologies ; soit elles refusent et leur absence est interprétée comme un « refus du dialogue » et une posture « antidémocratique ».

Experts, je vous aime moi non plus

On a tenté de nous le faire croire : Nanoviv pourra « donner la parole au public », « permettre à chacun de s’approprier le problème », « associer les citoyens aux décisions ». Manque de chance, quelques jours auparavant (le 14 septembre), Grenoble et Moi, nouvel hebdomadaire gratuit grenoblois, en une petite brève, réussit à casser toute la communication réalisée autour de « Nanoviv » :

« Nanos, je vous aime : un cycle de conférences pour calmer les esprits. (…) Des débats ponctués et orchestrés par des experts scientifiques, et des journalistes spécialisés. De la haute voltige intellectuelle destinée à rassurer. »

Grenoble et Moi, dont le seul mérite est d’avoir lu entre les lignes de la langue de bois technicienne, a rendu un grand service à l’opposition grenobloise aux nanotechnologies. Tous ses lecteurs ont pu comprendre que nous n’avions rien à faire dans ce cirque-là. Nous, qui ne sommes ni « experts scientifiques », ni « experts », ni « journalistes spécialisés », ni « journalistes », n’avons absolument aucune envie de faire de la « haute voltige intellectuelle ». Quand celle-ci s’attache à « calmer les esprits » et « rassurer », nous préférons réveiller les consciences en expliquant notre colère.
Mais il faut plus d’une boulette de communication pour déstabiliser Dorothée, qui s’emploie, toujours dans sa présentation, à rectifier le tir :

« Nous sommes dans un lieu appelé la Cour des Miracles, lieu où traditionnellement se trouvent les impotents, les indigents. Ca tombe bien, nous le sommes tous. (…) Nous voulons sortir des postures de l’expert qui structure le débat et qui empêche quelques fois, malgré lui, souvent d’entendre, de formaliser et d’écouter les recommandations de la société civile. (…). Nous comptons sur vous tous qui êtes ici pour commencer le débat. Il est indispensable que la première parole soit la votre." [3]

Et de laisser la parole au public, non sans avoir présenté les 6 « experts qui empêchent quelques fois, malgré [eux], souvent (…) les débats » (un physicien, un biologiste, deux philosophe, un biomathéticien, un économiste) qu’elle a tout de même invités.
Dorothée donne l’illusion au public qu’il peut aussi être acteur alors qu’elle organise une pièce de théâtre. Elle en est la metteuse en scène, et les « experts » sont les acteurs. Le public a le rôle, non pas de pouvoir changer le scénario, mais de le renforcer en posant les bonnes questions. Ceci est très vite vérifié, suite aux premières interventions qui, au grand dam de Dorothée, sortent du cadre qu’elle a voulu imposer, en s’interrogeant sur « la place de l’homme dans tout ça » ou « les possibilités de contrôles issues des nanotechnologies ».

« On a des questions qui ne sont pas très techniques. Il va falloir qu’on se mette d’accord si l’on veut prendre le temps de savoir où l’on en est. Est-ce que vous ne pensez pas utile de prendre le temps de caractériser ce qu’on est capable de faire. Je crois qu’on a tous besoin de se fixer les idées…. » [4]

Et de demander à Louis Laurent et Franz Bruckert de faire des mises au point « techniques ». La lecture du compte rendu de ce débat [5] est encore plus clair que ce petit incident : à une ou deux exceptions près, ne sont retranscrites que les interventions des experts ou des responsables. Cela confirme que le débat public est avant tout fait par des spécialistes, que tout est réfléchi, calculé, qu’il n’y a pas de place pour l’imprévu.

L’acceptation sociale est une technique à part entière

La nouvelle discipline tantôt appelée « technologie sociale », tantôt « science de l’acceptabilité », a en effet tout de scientifique, et n’est pas portée par de « simples citoyens » mais par des « sociologues de l’innovation », des « journalistes scientifiques » ou autres « ingénieurs politiciens ». Plus qu’un moyen de vivre, ils y trouvent une justification de leur utilité sociale, ainsi qu’une place dorée dans la nouvelle « démocratie technique ».
Une opposition se manifeste devant tel ou tel projet ? Pas de panique, faites un débat public ! La recette est simple : experts, subventions des pouvoirs publics, si possible un ou deux opposants assez dociles pour se prêter au jeu, et le tour est joué. Si vous doutez encore de son utilité, lisez le livre de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthes (Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique). Vous pourrez alors prendre connaissance de toute la « batterie de procédures » disponibles pour monter des « forums hybrides » capables de faire vivre la « démocratie dialogique » dont, bien entendu, chacun rêve tout bas.

« Qu’il s’agisse de chimie ou de technologies sociales (celles qui sont imaginées pour associer les citoyens ordinaires aux décisions techniques les concernant), la recette est la même : se doter d’un fort potentiel de recherche, et ensuite transposer, adapter, enrichir ». [6]

Ce livre, qui fait référence en la matière, est frappant tant le discours développé, s’attachant sans cesse à la forme et jamais au fond, est creux. On assiste à une multiplication des processus techniques, ne posant jamais les vraies questions qui devraient motiver la réflexion autour de ces débats : Pourquoi les organise-t-on ? À qui servent-ils vraiment ? Les avis contraires à ceux des autorités ont-ils une seule fois été pris en compte à la sortie de ces débats ?

La démocratie (technique), c’est « cause toujours »

« Durant tous ces débats, j’avoue avoir été surpris par la quantité et la qualité des interventions contre l’A51 ; mais j’espère que la commission, guidée par la raison, n’en tiendra pas compte. »

Suite à cette intervention lors du débat final clôturant un « cycle » autour de la construction de l’A51 (censée relier Grenoble à Sisteron), le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Grenoble a vu ses vœux entièrement exaucés. Alors que tous les débats avaient été essentiellement remplis d’interventions contre l’A51 – outre celles des notables d’Isère ou des Hautes Alpes -, le ministre des transports Dominique Perben a annoncé trois mois plus tard la réalisation certaine de l’autoroute, ainsi que son tracé définitif.

Cet exemple n’est pas du tout isolé et ce ne sont pas les opposants aux OGM [7] ou au nucléaire [8] qui nous contrediront. Ce n’est pas même Callon, qui a quand même de temps en temps quelques éclairs de lucidité :

« Les auteurs insistent, à l’unisson, sur deux formes fréquentes de manipulation des « forums hybrides ». (…) Dans les deux cas, il s’agit de faire parler pour mieux faire taire, au lieu de traquer les paroles inattendues pour leur donner du poids. " [9]

À bien y réfléchir, quelle pourrait être l’issue de tels débats ? Imagine-t-on réellement l’État français interdire les OGM et renvoyer Monsanto et compagnie aux États-Unis, car une « discussion citoyenne » aurait émis un avis négatif ? Des personnes élues, censées représenter le peuple, pourraient-elles abandonner leur souveraineté aux profits d’entités floues, « ne représentant personne à part ceux qui y participent » ? Est-il envisageable que les autorités grenobloises décident de fermer Minatec, l’Alliance et Nanobio, suite à un débat émettant des remises en cause vis-à-vis des nanotechnologies ?

L’on voit bien que ce n’est pas raisonnable et que le but des dispositifs d’acceptabilité n’est pas de réfléchir à ce qui est acceptable ou pas, cela les autorités sont assez grandes pour ne pas le faire toutes seules. Non, il s’agit bien de rendre acceptable ce qui ne l’est pas. Pour ce faire, quelques grandes étapes semblent se dessiner :
- donner l’illusion au simple citoyen qu’il a son mot à dire.
- éventuellement, laisser une contestation virulente s’exprimer et se targuer de lui avoir donné la parole.
- lisser les échanges, éviter les contradictions, trouver des « bons opposants » qui acceptent de discuter et ainsi pacifier les conflits.
- trouver, via les paroles citoyennes, de quelle couleur habiller la couleuvre pour mieux la faire avaler.

Développement participatif et démocratie durable

« Le débat public s’impose aujourd’hui pour décrisper les oppositions claniques stériles, pour composer avec des logiques divergentes qu’il faut rendre durables, pour répondre à l’évidente interdépendance des acteurs....Il constitue un incontournable outil d’enrichissement de la démocratie représentative, capable de faire vivre une démocratie technique pour définir collectivement les finalités prioritaires qu’entendent poursuivre nos sociétés. »  [10]

Aujourd’hui, les indices d’essoufflement du système de gouvernance sont légions : abstention massive, vote pour « les extrêmes », rejet des élites, crise des banlieues, mécontentement des jeunes… La démocratie représentative est à bout de souffle et il lui faut se réformer pour mieux perdurer.
Dès lors, l’émergence de la « démocratie participative » est le pendant de celle du « développement durable » : ce n’est pas une contestation ni une remise en cause mais la condition de survie du système actuel.
Les « débats publics » sont ainsi un spectacle de plus, où les simples citoyens, au lieu de « directement débattre », vont se perdre dans des « représentations de débats ».

Nanoviv : Lundi 11 décembre : Grand Débat Final. Table ronde 2 : Pourquoi poursuivre le développement des nano biotechnologies ? A quelles conditions ? Comment ?

Cet extrait du programme de Nanoviv est symptomatique : la logique aurait voulu que Dorothée essaye de garder un minimum d’illusions sur l’issue du débat final et choisisse un énoncé type : « Faut-il ou non poursuivre le développement des nanotechnologies ? ».
Choisir la formule « Pourquoi ? », c’est déjà avoir répondu qu’il faut poursuivre le développement des nanotechnologies. Plus personne ne pourra dire que Nanoviv est un débat neutre.

L’innovation scientifique, la course au progrès, la fuite en avant technologique, sont des bases essentielles du système actuel. Elles ne sont pas négociables, c’est-à-dire que leur remise en cause n’est pas envisageable pour n’importe quel garant de ce système. Croire que la démocratie actuelle, qu’elle soit « représentative », « technique », « dialogique », ou « participative », pourrait arriver à arrêter le développement des nouvelles technologies, relève au mieux d’une grande naïveté, au pire d’une profonde tentative de manipulation.
Tout ce que peut faire cette démocratie, c’est tenter de les « contrôler » : multiplier ad vitam æternam les études, les législations, les décrets, les accords afin de « réduire les risques » et « d’encadrer le développement ».

Cette volonté de contrôle des nouvelles technologies ne vient pas de leurs promoteurs ; eux préfèreraient voir leurs innovations passer comme un mail sur la toile. Elle arrive suite à des remises en cause de ces technologies, et est portée par certains des opposants. Basé sur la croyance que « la loi », « l’État de droit », « la démocratie représentative », peuvent être un rempart face au flot d’innovations et de risques technologiques, ce positionnement est pervers. En négociant avec les autorités les conditions acceptables à la mise en place de nouvelles technologies, ces opposants participent à désarmer les raisons de la colère et les moyens de la contestation. Dans ces configurations, il est encore plus facile pour les autorités d’imposer l’inacceptable. [11]

Ô posantes, Ô désespoir

Dorothée s’est sans doute donné beaucoup de mal pour monter la trame de Nanoviv, mais afin que la pièce soit parfaite, il manque encore un acteur essentiel : les opposants. Ceux-ci, à savoir Pièces et Main d’œuvre ou les ex membres de l’Opposition Grenobloise aux Nécrotechnologies, ont refusé ses diverses propositions.

Cet absence fut bien ressentie le 19 septembre : lors du buffet post-débat, une petite balade entre les différents groupes de discussion permettait d’entendre des commentaires tels : « les opposants ne sont pas venus », « c’était un peu lisse »,… . Gérard Toulouse, grand témoin de ce cycle, a dû témoigner à ses collègues de l’École Normale Supérieure de Paris comme il l’a fait au milieu de la soirée : « je suis rassuré que le débat se passe bien (…) car vous comprenez quand on vient de Paris, en allant à Grenoble, on a peur de descendre dans la fosse aux lions ».

Il reste donc à Dorothée à faire un casting pour trouver les opposants qui « acceptent de discuter » et s’en tiennent à des revendications réformistes. Ce sera sans doute chose assez aisée, et à vrai dire nous voyons déjà des profils correspondants.
Dans les invités aux 6 séances de Nanoviv, François Jabin, représentant d’Attac 38, semble pouvoir tenir ce rôle. Invité lors de la dernière table ronde au milieu d’un panel de « nanologues », sa présence est assez surprenante car, à notre connaissance, ni lui, ni Attac n’ont jamais dit quoi que ce soit sur les nanotechnologies. On ne doute toutefois pas qu’il saura tenir le rôle qui lui est dédié et s’inquiétera des « risques environnementaux et sanitaires », réclamera un « contrôle citoyen du financement des nanotechnologies », et se félicitera de ces débats qui après tout le glorifient plus que les récents bourrages d’urnes ayant touché son association. S’il manque d’idées, il pourra sûrement demander de l’aide à Jacques Toledano, président des Amis du Monde Diplomatique Grenoble, qui fait partie des « conseillers Nanoviv », sans non plus avoir jamais rien dit sur les nanotechnologies.

Certains de ces « bons opposants » pourraient aussi se trouver parmi des écologistes particulièrement bienveillants envers le développement des nouvelles technologies. Ces « éco-techiciens » n’ont jamais trouvé rien à redire aux nanotechnologies si ce n’est leurs éventuel conséquences sanitaires. Les nano-armes, le contrôle social et policier via les nano-puces ou la technification de la société ne sont, semble-t-il, pas assez préoccupants pour qu’ils daignent en parler. C’est pourquoi nous nous permettons de souffler à Dorothée ces autres pistes, non exhaustives :
- La Frapna Isère et son « président d’honneur » Henri Biron, qui dans son article du dernier numéro d’Isère Nature, trace la fameuse « troisième voie » entre « obscurantisme » et « scientisme », assimilant la campagne contre Minatec à un « mouvement de catastrophisme apocalyptique ».
- Des membres de Greenpeace : l’organisation écologiste vient en effet de publier un « guide pour une High Tech responsable » [12], afin de responsabiliser les entreprises par rapport à l’élimination des substances chimiques dangereuses et au recyclage des déchets. Greenpeace inventera sans doute bientôt un label pour des puces sous cutanées certifiées AB, ce qui la propulsera en leadership pour décrocher ce rôle d’opposants officiels aux nanotechnologies.

Ne pas se mouiller dans l’eau du bain

« Nous comptons aussi sur vous qui par votre présence ici témoignent de votre implication dans ce processus. » [13]

Ce qui est sûr, c’est que nous, qui combattons les nanotechnologies pour le monde qu’elles participent à créer, (un monde fliqué, militarisé, technifié) ; n’accepterons jamais d’endosser le rôle « d’opposants officiels » et de participer « gentiment » à des débats de type Nanoviv. Cette position étonne et énerve plus d’une personne, même assez proche de nos idées. Elle découle pourtant d’une réflexion lucide.

Nous n’avons rien à gagner à être impliqués dans ce processus. Nos arguments et nos positions ont déjà été étalés à longueurs de textes, tracts ou mails. Nos « adversaires », à savoir les élus, industriels ou responsables scientifiques, les connaissent très bien ; elles sont à l’opposé des leurs et les deux ne sont pas bio ou nano compatibles. Dès lors nous voulons nous battre contre les leurs et pas débattre avec eux pour lisser nos oppositions. Une indienne n’a rien à gagner à discuter avec les cow-boys de la taille de sa réserve.

Quels pourraient être les enjeux de telles tractations ? Combien de contrôles seront nécessaires avant d’inhaler des nano-tubes de carbone ? Pourra-t-on créer un label « crème solaire garanti sans nano » ? Les « puissances bienveillantes » pourront-elles empêcher l’Iran et tout « l’axe du Mal » d’accéder aux futurs nano-armes ? [14]
Combien de dizaines de puces devrai-je (sup)porter quotidiennement si je veux continuer à avoir une vie sociale à peu près normale ?

Bien entendu nous ne sommes pas pour autant fermés au dialogue et aux débats contradictoires. Pour mémoire, rappelons que le comité OGN a organisé une cinquantaine de soirées projections-débats lors de sa campagne contre l’inauguration de Minatec. Lors de ces soirées, nous n’avons pas eu le plaisir de voir ni Michel Destot ni un seul élu, ni Dorothée Benoît-Browaeys ni n’importe quel promoteur de la « démocratie technicienne ». Nous ne pouvons que déplorer ce « refus du dialogue » et ces « postures anti-démocratiques ».

Ils ne sont pas venus, sans doute parce qu’ils ne voulaient pas légitimer la campagne contre Minatec, dénigrant les nanotechnologies. De même ne voulons nous pas être impliqués dans Nanoviv, promouvant les nanotechnologies. Nous, qui croyons impossible de séparer le bébé de l’eau du bain, c’est-à-dire d’avoir les « bons côtés » des nanotechnologies sans avoir les mauvais, ne voulons pas nous mouiller dans cette embrouille. Nous sommes encore plus ou moins secs et n’avons aucune envie de faire le grand plongeon. Éviter autant que possible les éclaboussures constitue d’ailleurs à l’heure actuelle une de nos seules sources de satisfaction possible.

Débattre avec Didier Migaud ou tout autre élu, Jean Therme ou tout autre responsable scientifique, reviendrait à légitimer leur fonction et cette « démocratie participative, durable et technique ». Nous n’accepterons donc de discuter avec eux que lorsqu’ils auront démissionné de leur fonction et/ou dissous leurs institutions, reconnaissant leur part de responsabilité et la faillite du système.

Un suspense intenable

Si Nanoviv a certains aspects d’une pièce de théâtre, celle-ci possède néanmoins un gros défaut : on connaît déjà la fin. Les responsables se féliciteront de ces « grands moments de dialogue », émettront une ou deux pieuses considérations sur « leur responsabilité » et quelques recommandations afin de « contrôler les risques ». Ils siffloteront peut être « non, non, rien n’a changé ; tout, tout, va continuer » avant de se séparer, puis regagneront sereinement leurs bureaux ou labos.

La seule incertitude réside dans l’attitude des personnes réellement opposées aux nanotechnologies. Se donneront-elles la peine de venir perturber ce show pro-nano ? Viendront-elles vomir au milieu de la Cour des Miracles, afin d’exprimer leur dégoût vis-à-vis de ce processus ? Dorothée aura-t-elle droit à sa tarte à la crème ?

Aussi attirantes que puissent être ces perspectives, espérons qu’elles ne forceront pas les curieux à rester jusqu’au bout de ce mauvais spectacle. Surtout que la tâche risque d’être compliquée. Le 28 septembre, lors de l’inauguration de l’exposition « Nanodialogue », 2 personnes se sont fait contrôler, fouiller, puis refuser l’entrée du CCSTI, au seul prétexte qu’elles étaient des opposantes.
Bienvenue dans la démocratie technicienne.

Benoît et Théodore Waybrose

Collection « Aigreur et Volupté »
Mail : aigreuretvolupte (arobase) no-log.org

Grenoble, le 3 octobre 2006.

Notes

[1Dorothée Benoit Browaeys, 19 septembre 2006.

[2Le groupe Pièces et Main d’œuvre, après avoir été très longtemps dénigré par les promoteurs des nanotechnologies, y était en effet invité. Voir La Metro tente de recruter PMO, sur www.piecesetmaindoeuvre.com.

[3Dorothée Benoit Browaeys, 19 septembre 2006.

[4Dorothée Benoit Browaeys, 19 septembre 2006.

[5Disponible sur http://www.vivagora.info.

[6Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthes, Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique, Le Seuil, 2001.

[7Le gouvernement s’est proprement assis sur l’avis de la conférence du consensus de 1999, défavorable aux OGM.

[8Les débats autour d’ITER ou de l’EPR ont été lancés alors que les travaux avaient déjà commencés.

[9Michel Callon,… déjà cité deux notes au dessus.

[10Dorothée Benoît Browaeys, Nanotechnologies : la société civile est maintenue hors du jeu politique, dossier de la revue Transversales sur les nanotechnologies, 22 janvier 2006.

[11Afin d’étayer ces propos, la lecture d’OGM : Fin de partie de « quelques opposants au meilleur des mondes , est assez instructive.

[13Dorothée Benoît Browaeys, le 19 septembre 2006.

[14Selon 20 Minutes du 7 septembre, des scientifiques iraniens ont été exclus d’une conférence à Minatec, à cause de leur nationalité.

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