Horreur dans les prisons françaises

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Dans ce texte issu d’un article d’Olivier Bertrand, c’est toute la politique carcérale qui est remise en question, et en fait c’est tout le système dans lequel nous sommes qui est remis en cause. Par conséquent nous sommes nous-mêmes entièrement remis en cause, alors que nous aurions tort de mettre tout sur le dos de ceux qui le subissent, et qui peuvent apparaître comme des monstres, à l’intérieur des prisons.

Vincent, 53 ans, a été condamné à deux ans de prison ferme d’abord à Saint-Paul à Lyon, et ensuite à Villefranche-sur-Saône. Il raconte ces deux années de cauchemards que l’on a du mal à imaginer.

« J’ai été incarcéré le 27 juillet 2006 à Saint-Paul, raconte-t-il. Lorsque vous arrivez, vous laissez votre pécule à l’entrée, mais toute la prison sait immédiatement que vous avez de l’argent. J’avais 1500 euros. Je me suis retrouvé dans une cellule de deux, où nous étions cinq en tout. Le premier soir, il ne s’est rien passé. Le lendemain, le plus âgé est resté dans la cellule avec moi pendant que les autres allaient en promenade. Il m’a dit : "Si tu veux être protégé, tu devrais te mettre avec moi, tu éviteras les ennuis." J’ai fait la bêtise d’accepter. On a fait ça, puis les autres sont remontés de promenade et il leur a raconté, en arabe. Après, ils m’ont violé pendant quatre jours et obligé à cantiner pour eux, à commander des cigarettes. Ils menaçaient de faire des tournantes dans les douches si je refusais. L’auxiliaire d’étage a fini par prévenir le directeur et j’ai été transféré à Villefranche, où j’ai été hospitalisé pendant dix jours. »

Vincent n’a pas porté plainte. Par peur des représailles, explique-t-il. Les viols à Saint-Paul doivent cependant être évoqués le mois prochain devant la commission plénière du comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe.

A Villefranche, Vincent a été placé dans un bâtiment où l’on regroupait les détenus incarcérés pour des affaires de mœurs. « Mais ils ne voulaient pas être comparés à moi, poursuit-il. J’étais trop efféminé. Ils ont détourné vers moi l’attention des jeunes Arabes qui s’en prenaient à eux. En prison, il y a un amalgame complet, pédé veut dire pédophile. Ils me traitaient comme un violeur d’enfants. Certains gardiens me désignaient en me parlant au féminin, en m’appelant "la blonde". »

Brimades et agressions auraient duré plusieurs mois. L’administration aurait refusé un placement à l’isolement parce qu’elle le jugeait « vulnérable », elle craignait un suicide. « En prison, plus les gens sont jeunes, plus ils sont violents, décrit Vincent. Parce qu’ils ont peur. La nuit, vous entendez les cris de ceux qui se font violer. Personne ne dénonce, par peur des représailles. » Lui aurait régulièrement subi des agressions, jusqu’à une tentative de suicide, en juillet 2007. « On m’a alors laissé tout seul dans une cellule quelque temps. Je ne sortais pas, je n’allais pas aux douches, pas en promenade, pour ne pas être agressé. Je me repliais sur moi-même. » Un jour qu’il allait voir le psy, un détenu lui aurait écrasé sa cigarette près de l’œil. « Brûlure de cigarette par écrasement sur le bord externe de l’œil gauche », relève un certificat médical du 1er février 2008.

Un codétenu a ensuite été placé avec lui, en mars. Un type qui suivait, selon lui, « un traitement lourd », et se revendiquait du Front national. « Il disait qu’il ne voulait être ni avec des gris, ni avec des pédés. » Les coups auraient duré trois semaines dans le huis clos de la cellule. L’homme l’aurait forcé à porter une étoile rose avec son numéro d’écrou. Il l’aurait brûlé entre le pouce et l’index, avec un ciseau chauffé au briquet. Il montre la cicatrice. Le 6 avril, le service médical a noté les « volumineux hématomes » et prévient le directeur. Vincent avait perdu six kilos.

Il a fini par écrire. A des journaux, à la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde), qui a saisi l’Inspection générale des services pénitentiaires. « J’ai aussi contacté le contrôleur général des prisons et j’ai tout raconté. C’est lui qui a exigé que je sois placé à l’isolement. » Vincent sortait d’une grève de la faim, il avait encore perdu douze kilos. Puis l’un de ses voisins de cellule s’est suicidé.

Ces dernières semaines, la maison d’arrêt de Villefranche a connu deux suicides par pendaison et un homme est dans le coma après une ingestion de médicaments [1]. Vincent, lui, est sorti samedi. Avec 1,88 euro en poche. Un médecin de l’unité de consultation et de soins ambulatoires l’a conduit aux urgences psychiatriques. Il a été transféré dans un autre hôpital. Il s’y repose. « Je ne sais pas si j’aurais la force de revivre, dit-il. Je voulais témoigner en sortant pour qu’on ne laisse plus faire ça. »

Texte issu d’un article d’Olivier Bertrand paru dans Libération du 23/10/08.

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Quelques extraits de réactions et témoignages à la suite de l’article :

« Je sors de 4 mois et trois semaines de Fleury Merogis. 56 ans. J’ai perdu 24 kilos... les hurlements chaque nuit sont inimaginables. »

« Le plus terrible, c’est que tout le monde le sait et que rien ne bouge. 3 hommes dans neuf mètres carré pendant des mois voire des années, ça ne peut pas bien se passer. »

« Révoltant effectivement. Mais cela n’empêche pas les tribunaux de continuer à condamner à tour de bras : il y a quelques jours, une peine de 2 mois de prison ferme prononcée par un tribunal de l’Ouest de la France pour "outrage à force de l’ordre". Incarcération immédiate. »

« Je sors de 40 jours de prison à Saint Paul. Batiment H. Ce que dis cet homme c’est vrai. J’ai vu des scènes de tortures, des détenus forcés à boire de l’eau de javel, des rackets. Au bout d’un moment on ne sort plus en promenade de peur d’être le prochain. Après 3 semaines j’ai été placé avec un autre blanc en cellule, ça faisait 3 mois qu’il ne prenait plus de douche par crainte de... rien que d’écrire ces lignes me fait pleurer... »

« A quoi servent les murs des prisons ? A "protéger" la société des criminels ? Ou à créer encore plus d’horreur et de délinquance ? »

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CONTRE TOUTES LES PRISONS

VENEZ DIRE QUE NOUS NE LES OUBLIONS PAS

Lundi 8 décembre à Lyon :
Faites la lumière sur les morts en détention

Rendez-vous à 17h30 devant le Palais de Justice

(rue Servient / rue Moncey Lyon 3e)

et à 19h devant la prison Saint-Paul

(35, cours Suchet Lyon 2e)

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P.-S.

contact : faiteslalumiere (Arobase) no-log.org

Notes

[1Depuis, il y a eu un autre suicide à la prison de Villefranche, et à partir de là l’administration pénitenciaire a ordre de ne plus informer à ce sujet.

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  • Le 11 décembre 2008 à 22:09

    quitte à choquer j’écris. j’ai fait 8mois de detention (sur 22 prononcés d’où conditionnelle jusque 2011) je suis sortie en juin 2008. arrivée similaire à l’article sauf que mon pécule c’est moi qui l’ai dit (3€), accueil et soutien calme (don 1enveloppe, 3papiers). je ne fume pas mais jamais je n’ai vu de femme gaspiller le feu pour autre chose que fumer et cuire à manger. tout est cher et rien ne s’obtient facilement. Jamais vu viol ou relation sexuelle. j’ai vu de l’inimaginable mais pléthore d’exces administratifs + que de coups, 1 detenu ne vaut rien (malgré affiche vraie bataille pour sortir voter, 2e tour seulement). la honte c’est surtout le « suicide ouvert à tous » en prison par la destruction mentale les tentatives sont constantes les familles n’y voient que du feu. dans l’article le propos sur les « arabes » m’écoeur. je suis « bien » aryenne et nombres « blanches » étaient pires ++++ que des « arabes ». le mélange criticable est celui des cas. beaucoup n’ont rien à faire en prison or les detenus disent souvent « on y est tous pour quelque chose » :(((, les condamnées à courtes peines restreintes en possibilités comme les prévenues. je n’ai appris que trop tard, par 1codetenue, que je pouvais sortir par caution et éviter tous les drames survenus à cause. la santé est « défoncée » en prison, je suis malade, mon état a irréversiblement été altéré.

    beaucoup revendiquent pour le respect des « défendeurs des belles idées ».

    moi je vois que c’est le sabrage disséminé par des procédures (de base civiles) que des personnes solides ne peuvent plus agir (moi financièrement avant ça allez, je participais à plusieurs associations -logement, sans papiers, solidaire,..-, j’aidais -femmes battues, étrangers en danger chez eux- bref active genante mais pas dangeureuse) aujourd’hui je suis smicarde (et merci mon boss il m’a soutenue me permet d’être ressortie !). j’aime peu me dévoilée mais ce qui me connaissent m’identifieront déjà donc je finis mon résumé très rapide. certains sont en prison pour délit (crime) d’autre POUR RIEN (et non 1lutte idéologique) mon cas « non-représentation d’enfant répétée » : CP Art 227-5, Le fait de refuser INDUMENT de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer est puni... Hors après 7ans de lutte mon mari vient d’être renvoyé devant le tribunal pour coups et blessures volontaires répétées sur mon fils et moi, mais ce sera dans 30mois donc là mon fils (8ans) est avec lui sans droit pour moi et je ne cite pas tout.
    je ne suis pas unique malheureusement mais quand du petit cas comme cela laisse indifférent malgré sa bêtise il ne faut rien espérer du systeme tribunal pour des luttes engagées. a ne réagir que sur les dernières il est évident que les autres s’accumulent et fragilisent le nombre, la disponibilité, la solidité voir la crédibilité des convaincus actifs des luttes.

    ce n’est que personnel, une réalité que tous peuvent rencontrer. il y a des prisons (comme dans une même équipe de surveillantes selon celle de permanence sur le secteur c’est ok ou ko, la pénitentiaire c’est le respect de l’ordre écrit façon « oeillères sur boeufs ») faites pour briser, par la société qu’il faut éduquer non engueuler ou contraindre sinon échec et continuation.

    Et merci aux croyants (prètres, chrétiens, musulmans) et visiteurs de prisons qui viennent nous voir.

    sur ce il m’a fallu 5h pour réussir à écrire que cela sur ce souvenir. bien à vous lecteurs.

  • Le 27 novembre 2008 à 20:49

    salut,

    putain quelle horreur ! C’est pire que le goulag ma parole ! hum... En un sens, ça l’est certainement. Et puis n’oublions que l’Occident est lieu d’enfermement, comme le montre cet article pour les Etats-Unis.

    De l’école, où l’on enferme les petits sauvages à domestiquer à l’entreprise dans laquelle le cheptel est tenu en laisse, en passant bien sûr par la gigantesque catastrophe sociale que représente le système carcéral occidental ou encore la vivisection pour nos amis les bêtes, on emmure vivant dans cette Modernité de merde. Les oligarchies occidentales ont mis au point le plus grand système d’enfermement de l’histoire de l’humanité. Et il y aura toujours des esclaves pour peser le bon et le mauvais dans ce système, toujours.

    Au passage, on voit, dans l’article dont je donne le lien, que les USA enferme plus que la Chine, tant relativement à la population qu’en valeur absolue. Tiens, pourtant, les journalistes nous décrivent le goulag chinois comme le plus grand et le plus terrible système d’enfermement du monde. La prison est un élément majeur de la guerre que la bourgeoisie (qui possède l’Etat de par les haut-fonctionnaires et les oligarques élus, ce qui est un pléonasme car les oligarques sont historiquement des représentants élus) livre aux peuples. Il suffit de regarder autour de nous pour voir ce combat et pourtant, nous n’avons plus de lucidité, plus de sens commun, et nous sommes incapables d’identifier un ennemi et de le combattre avec entêtement. Je me souviens du forum d’un article de Rebellyon sur l’école dans lequel j’expliquais tout le mal que je pensais de cette institution. La plupart des commentaires en réponse la défendaient. Les gens sont désormais incapables de comprendre la signification d’une entité - l’Etat - qui met en oeuvre à la fois l’école et la prison. C’est comme si on n’avait plus affaire au même truc, comme s’il n’y avait pas de continuité entre les deux institutions. Misère de misère, que la critique est fade et édulcorée à notre époque.

    Un mot pour commenter le commentaire de « deceiver ». Il me semble quand même que l’article, en décrivant la situation, se suffit en quelque sorte à lui-même pour ce qui est de la critique du système carcéral. On voit que l’administration refuse de protéger Vincent, ils sont 5 dans une cellule de 2, etc. On voit quand même bien qu’il y a un souci « systémique ».

    adios

  • Le 27 novembre 2008 à 17:21, par deceiver

    Au temps pour moi, je viens de relire le paragraphe en gras et c’est vrai qu’il dit cela : « nous aurions tort de mettre tout sur le dos de ceux qui le subissent, et qui peuvent apparaître comme des monstres, à l’intérieur des prisons ».

    Mais je trouve, sans aucune mauvaise foie de ma part, que cette phrase n’est pas très clair.
    Tu peux prendre certains passages de mon texte pour le clarifier si tu le souhaite.

  • Le 27 novembre 2008 à 00:09

    Oui, ce que tu dis, ça part vraiment dans tous les sens... Dans Rebellyon on peut trouver plein d’articles sur les prisons, les conditions carcérales et la politique répressive. On ne peut tout dire dans un seul article. Surtout que les précautions ont été prises d’avertir les lecteurs et lectrices au départ, en disant en gros d’une façon brève ce que tu dis longuement.

    Cet article est un témoignage poignant. Et ce témoignage lui-même a le mérite extraordinaire de mettre officiellement sur la place publique ce que l’on chuchote tout bas, et, pour moi, il a le mérite de pouvoir remettre en cause totalement la politique carcérale.

  • Le 26 novembre 2008 à 17:58, par deceiver

    Peut être qu’à l’origine, l’article d’Olivier Bertrand remettait en question « toute la politique carcérale » et « tout le système dans lequel nous sommes », mais d’après ce que je li dans ce texte, je ne vois qu’un témoignage d’une personne qui a subit de grave violences.

    Les viols en prison existes, je ne remets pas en cause ce fait, ni la véracité du témoignage mais je pense qu’il n’est pas très juste de présenter ce genre de témoignage comme une critique de la prison puisqu’il ne relate que la violence inter-détenus et qu’il ne fait pas état des violences qu’engendre la prison elle-même, ne serait ce que parce qu’elle accroit le mal être des prisonniers, les tensions de chacun d’entre eux et qu’elle ne fait rien pour apaiser les malaises internes des taulards.

    A sortir le texte de son analyse globale sur la prison (mais comportait-il réellement une critique de la société carcérale à la base ?), on risque de reporter la faute des violences intra-muros sur les taulards eux-mêmes et les faire passer pour des sauvages, qu’il devient alors légitime d’enfermer, ou alors rassurant de savoir en taule, tant qu’on ne se projette pas soi même en prison bien sur.

    Autrement dit, parler des violences inter-détenus est parfois le meilleur moyen de légitimer l’incarcération des personnes.

    C’est le cas dans de nombreuses émissions de télé comme envoyé spéciale, droit de savoir, etc. qui prennent toujours soins, dans leurs sujets consacrés à la prison, de justement, ne jamais parler des responsabilités de la prison et du personnel pénitencier (gardiens et directeur) dans toutes les violences qui peuvent avoir lieu dans les taules.

    Un sujet d’envoyé spécial était consacré à la prison la semaine dernière. Fait intéressant, les journalistes avouent en début de reportage ne pas avoir eu l’autorisation de rentrer à l’intérieur des bâtiments pénitenciers.

    On sait très bien que ce type d’émission est très lourd à suivre, parce que jamais ont ne posent des questions qui déranges aux directeurs de prison et aux gardiens et qu’au contraire toute les questions sont construites de façon à leur laisser le moyen de se justifier de toutes les saloperies qu’ils opèrent dans leurs travail à l’intérieur des murs.

    Aussi, parce que lorsque les détenu-s-es ont la parole, les journalistes, dans leur écrasante majorité, pour ne pas dire tous, n’aborderons jamais non plus les sujets qui fâches : « comment se comportes les surveillant avec vous ? », « sont –ils violents avec vous ? » « comment sont rythmées vos journées ? », « la nourriture qui vous est servie l’ai -t-elle en quantité suffisante ? », « la télé dans vos chambre est-elle gratuite ? », « faut-il de l’argent pour vivre en prison ? », « votre peine vous semble-t-elle justifiée ? », « les surveillants entretiennes-t-ils délibérément des violences entre détenus ? », « sont-ils couvert par le directeur de la prison ? », etc.

    Ces reportages font ressortir les violences inter-détenues, c’est important d’en parler bien sur, mais il faut forcément rappeler que la prison engendre ses et ces violences et que ces et ses violences sont toujours couvertes, voir entretenue par le personnel pénitencier qui sait toujours très bien s’en accorder.

    Certains prisonniers sont décrits comme des êtres violents. Mais de quelle violence parle-t-on vraiment ? Dans notre parcours personnel, nous avons tous et tous étés violents à un moment où un autre envers quelqu’un ou quelque chose, parfois de façon légitime, parfois un peu moins, mais en tout cas, ce n’est pas une raison pour nous réduire à certains de nos actes et encore moins une raison valable pour nous envoyer dans un endroit qui va nous rendre encore plus violent.

    Bref, je m’arrête là avant de partir un peu plus dans tous les sens.

    ps : attention à ne pas trop entretenir le cliché comme quoi la prison est un lieu ou on se fait forcément enculer à chaque coins de coursives, dans les douches etc.

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