25 avril 1539 à Lyon « le Grand Tric des imprimeurs », première grève ouvrière et premières délocalisations

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À partir du 25 avril 1539 éclate le tric qui va durer plus de trois mois dans les ateliers typographiques de Lyon, la première grève ouvrière de l’histoire de France, appelée le Grand Tric des Imprimeurs de Lyon. Ce tric fut suivi d’interminables négociations qui durèrent jusqu’à la fin de l’année 1544. Il fut suivi déjà par des délocalisations en Allemagne.

Au XVIe siècle, « sous le nom de confréries, de véritables syndicats ouvriers luttent contre les syndicats des patrons » [1]

Au printemps de l’année 1539 éclate une grève qui va durer trois mois dans les ateliers typographiques de Lyon, la première grève ouvrière de l’histoire de France, appelée le Grand Tric, (mot d’origine saxone, voir Streik en allemand, ou strike en anglais ou trekk en néerlandais). Cette grève fut suivie d’interminables négociations qui durèrent jusqu’à la fin de l’année 1541.

Elle fut menée par la Compagnie des Griffarins, une confrérie qui regroupait les ouvriers du livre. Son nom vient probablement de « griffon », l’animal mythique moitié aigle moitié lion que Sébastien Gryphe [2], l’imprimeur-libraire allemand, installé rue Ferrandière, utilisa pour son enseigne.

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Cette confrérie ouvrière était une organisation secrète, à laquelle on adhérait après avoir prêté serment et juré fidélité absolue, et dont les membres devaient cotiser. Elle avait ses propres officiers. Les compagnons, s’ils laissaient aux maîtres le choix de la politique éditoriale, décidaient ensemble des horaires de travail, des jours fériés, du nombre de jeunes apprentis dont ils assuraient la formation pendant trois ans, d’une partie de leur salaire en nature que les patrons leur devaient sous forme de repas. Ils bannissaient les « Forfants », c’est-à-dire les ouvriers qui refusaient d’adhérer à la Compagnie. Une caisse de solidarité leur permettait de prêter assistance aux malades, aux retraités et aux chômeurs. Ils organisaient une fête annuelle en l’honneur de Minerve « la Mère de l’Imprimerie et la déesse du Savoir ». Ces ouvriers spécialisés n’étaient pas analphabètes, bien au contraire leur métier exigeait qu’ils sachent lire latin et grec.

Bref, une corporation de métier qui défendait ses droits et édictait ses règles.

Rappelons que Lyon au XVIe siècle est devenu le centre international du livre prenant le pas sur Venise et Genève. Bon nombre d’imprimeurs allemands s’y installent faisant venir des cités rhénanes ou flamandes des ouvriers natifs d’Allemagne ou des Pays-Bas. Au milieu du XVIe on compte environ une soixantaine d’imprimeurs, dont les ateliers se trouvent tous dans le quartier autour de la rue Mercière.

En 1539 les conditions économiques devenant plus dures avec l’inflation et la concurrence, les maîtres d’atelier tentent de remettre en cause les acquis des compagnons, et de réduire l’influence de la Compagnie des Griffarins, ils décident de supprimer le repas qu’ils partageaient avec les compagnons. Tric, le signal de la grève est donné, les ouvriers imprimeurs de toutes les imprimeries lyonnaises, c’est-à-dire ceux qui composent les pages avec les caractères mobiles, ceux qui relisent et corrigent, et ceux qui actionnent la presse, quittent leurs ateliers.

Les revendications sont le maintien du salaire nourriture « pain, vin et pitance » fournis jusque-là, l’augmentation des salaires, le rétablissement en matière d’apprentissage des anciennes règles corporatives (les apprentis ne travailleront à composer et mettre les lettres qu’après être demeurés pendant trois ans en formation), la liberté d’organiser leur temps de travail.

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Les compagnons s’organisent, armés de dagues, de poignards et de bâtons, ils châtient tout ouvrier ou apprenti qui ne veut pas quitter son travail. Des heurts ont lieu avec les maîtres et les forces de l’ordre, à savoir le prévôt et les sergents. Formant des compagnies, avec capitaines lieutenants, munis de bannières, ils arpentent la ville en rangs serrés, le guet n’ose plus sortir. L’autorité est désarmée, les mesures prises par la justice ne sont pas mises à exécution.

Le 31 juillet, au cours d’un procès où comparaissent cinq compagnons, qui doivent répondre en leur nom et en celui de leurs consorts, Monseigneur le Sénéchal rend sa sentence.
- Interdiction de réunion de plus de cinq personnes
- Suppression du droit de grève sous peine de bannissement et d’amendes
- Interdiction du port d’armes
- Autorisation pour les maîtres d’embaucher le nombre d’apprentis qu’ils désirent
- Seule satisfaction pour les grévistes, le salaire nourriture est rétabli.

Ces décisions furent difficiles à mettre en place à Lyon, le sénéchal en suspendit l’exécution.

Le pouvoir royal prend l’affaire en main, le 21 août 1539 et ordonne l’exécution immédiate de l’ordonnance du sénéchal. Les condamnations ne seront plus limitées seulement au bannissement et à la prison mais pourront aller jusqu’à la torture et à la peine de mort, les jugements seront exécutoires sans appel.

Fin août 1539, l’édit de Villers-Cotterets interdit les confréries pour tous les métiers « Nous défendons à tous lesdits maîtres, ensemble aux compagnons et serviteurs de tous métiers, de ne faire aucunes congrégations ou assemblées grandes ou petites, et pour quelque cause ou occasion que ce soit, ni faire aucuns monopoles et n’avoir ou prendre aucune intelligence les uns avec les autres du fait de leur métier… »

Mais l’ordre ne sera pas rétabli pour autant et la résistance continue.

En 1540, lors des Grands Jours, session extraordinaire du parlement organisée à Moulins, les ouvriers obtiennent de la Cour un arrêt qui va rétablir les anciennes règles corporatives « Les apprentis ne besogneront à composer et mettre les lettres, qu’ils n’aient demeuré trois ans apprentis ». Les compagnons vont poursuivre en justice les maîtres qui refusaient de se conformer à cette règle.

Les Griffarins, en dépit de l’édit de Villers-Cotterets, ont continué à se réunir en assemblée, à prendre des décisions pour défendre leurs droits.

L’ordonnance royale du 28 décembre 1541 mettra fin à la grève lyonnaise, avec interdiction du Tric et des assemblées de plus de cinq personnes, avec liberté de licenciement pour les patrons alors que le compagnon ne pourra quitter son travail sans prévenir huit jours à l’avance, fixation de la journée de travail allant de 5h du matin à 8 h du soir.

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La corporation des Griffarins, malgré son interdiction a survécu longtemps après. En témoigne cet extrait du récit de «  l’Ordre tenu en la chevauchée faite en la ville de Lyon (…) le dymenche dernier du moys d’Octobre Mil cinq cens soixante six ».

« Après laquelle suyvoit MINERVE la Mere d’Imprimerie et déesse de scavoir, montée sur les branquars d’une lytière richement aornée desdictes couleurs, assize dans une chaire richement parée, bien revêtue desdictes couleurs iaune, rouge et verd. Et sur lesdictz chevaux portant lesdictz branqars, estoit monté sur le premier un Lyon de grand veüe, et aupres du naturel bien contrefaict. Et sur le dernier un grand Dragon, aussi fort bien contrefaict, et de grandissime veüe. Tenant la dicte Mère Imprimerie une Sphere à la main, couverte d’un voyle de crespe blanc, chose fort somptueuse à veoir. Estans en toute la dicte compagnie d’Imprimerie environ de soixante hommes.  »

Laurence L.


Au XVIe siècle, les ouvriers de l’imprimerie lyonnaise entament ce qui est sans doute la première grève en France. Un conflit aux résonances très actuelles…

Au début du XVIe siècle, Lyon est l’un des principaux centres européens de l’imprimerie. Autour de cette nouvelle technologie s’est développée une corporation prestigieuse : compagnons, compositeurs et correcteurs arborent une dignité professionnelle… et se battent pour la faire reconnaître.
Au printemps 1539, ils entament une grève pour faire valoir des revendications portant notamment sur les rémunérations, la nourriture du midi (qui se dégrade), les conditions de travail et l’utilisation abusive d’apprentis par le patronat.


"Première grève ouvrière de l’Histoire de France, le « Grand Tric » de Lyon conduit au printemps 1539 à la fermeture pendant trois mois de toutes les imprimeries de la ville. (Cette grève ne sera réglée définitivement qu’en 1544). Au-delà du mécontentement des compagnons imprimeurs qui s’estiment mal payés, ce long conflit, qui va s’étendre à Paris, témoigne de la rupture entre les maîtres et une main-d’oeuvre nombreuse et qualifiée.
C’est dans le quartier Mercière que sont rassemblés une centaine d’ateliers. La plupart sont de petites officines qui ne comprennent que quelques presses et où s’affairent des ouvriers spécialisés : les compagnons.

Les compagnons forment une communauté soudée et créent au début du XVIe siècle une association professionnelle clandestine avec serment et cotisation des membres : la compagnie des GRIFFARINS. Ceux qui refusent de s’y joindre sont systématiquement exclus.

Sur les griffarins on pourra lire aussi "Typographes des Lumières" qui explique que cette association servait aussi de mutuelle en cas de maladie ou de retraîtes et versait des allocations de chômage. Les griffarins contestaient aussi le rôle de l’organisation des maîtres comme représentants uniques de la profession.
"Ils ( les griffarins ) réussissent à s’intégrer habillement à la milice urbaine et parviennent à constituer, en utilisant les institutions lyonnaises, des groupes d’affidés armés dirigés par des officiers choisis dans l’organisation"

La France ouvrière tome I sous la direction de Claude Willard. Editions sociales p 21-22


TRIC ! fut le mot d’ordre par lequel les ouvriers imprimeurs, typographes et pressiers, « laissaient l’œuvre », se « débauchaient » (au sens de quitter le travail, contraire d’embauche), et initièrent en 1539 ce qui est considéré comme la première grande grève ouvrière de l’histoire de France. D’origine germanique (streik, ainsi que l’anglais strike) comme l’étaient bien des gens de ce métier créé à Mayence et dispersés ensuite en Europe, tric devint substantif lorsque ce que l’on nomma le Grand Tric eut troublé plusieurs années la paix déjà bien relative du royaume de François Ier. L’art du livre ne pouvait s’étendre sans conflits, dès ses débuts où il rencontra l’hostilité des copistes et enjoliveurs, qui durent soit évoluer vers l’ornementation des imprimés ou la gravure sur bois, soit disparaître.

La présente évocation réunit, à une illustration tirée des réalisations graphiques de l’époque, deux articles publiés en 1956 par Georges Dangon, républicain franc-maçon, l’un des principaux imprimeurs de Paris, qui fabriquait depuis les années 1930 des organes de presse radicaux-socialistes ou communistes, résistant de la première heure, et qui fut aussi un contributeur du magazine Le Courrier graphique durant les années 1950. On lui doit des aperçus originaux et peu évoqués sur l’histoire sociale de l’imprimerie.

Complétée des édits royaux qui attestent l’écho de ce tric et sanctionnent ses conſéquences par l’interdiction des réunions et associations ouvrières (notamment dans l’Ordonnance de Villers-Cotterêts), cette réédition est composée en garamond dans les figures classiques de ce caractère.

Georges Dangon, « Orages sur l’imprimerie : le grand tric de Lyon (1539-1544) », Le Courrier graphique, no 84, février-mars 1956, p. 7, no 85, avril-mai 1956, p. 17


Lyon, avril 1539, le grand tric des Griffarins

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire ; Un long combat pour la liberté et les droits .

Le mot « tric » ne vous fait penser à rien ? Pour vous aider un peu, je vous signale la ressemblance avec « strike » en anglais ou « streik » en allemand… Quant à Griffarin, l’étymologie est un peu plus délicate : il peut s’agir d’une référence à une personne, Sébastien Gryphe (Gryphius est la version non francisée de son nom), imprimeur célèbre, à Lyon, à la Renaissance. L’installation relativement tardive (1515) de son atelier semble toutefois contredire cette hypothèse. Vous avez maintenant les éléments pour déchiffrer le titre de cette chronique ; nous allons parler imprimerie et luttes sociales : le « grand tric des Griffarins » à Lyon est sans doute la première grande grève ouvrière connue en France, un signe avant-coureur des révoltes des canuts, qui vont marquer les XVIIIe et XIXe siècles de l’histoire populaire de l’agglomération lyonnaise (1744, 1831, 1834). Les luttes pour l’obtention de conditions décentes de vie et de travail ne datent pas d’aujourd’hui !

Au début du XVIe siècle, le secteur d’activité de l’imprimerie est particulièrement prospère à Lyon. Selon l’historien J. Boucher, il y a, dans cette ville, en 1545, « 29 libraires, marchands et capitalistes pour la plupart sans presses, et 60 imprimeurs qui travaillent le plus souvent pour eux ». La plupart de ces ateliers se situent dans l’actuel quartier Mercière. L’une des raisons de ce développement important de l’imprimerie à Lyon est le fait que depuis 1512, la ville est ouverte à la « liberté des métiers » et que toute personne ayant compétence en quelque art ou métier que ce soit, a le droit de l’exercer librement dans la cité. De nombreux imprimeurs étrangers, notamment hollandais ou allemands, vont profiter de ce climat de liberté pour s’installer en ville. Rien que pour les trente premières années du XVIe siècle, on dénombre plus de 2400 ouvrages différents imprimés à Lyon, ce qui représente environ le tiers de la production française pour la même période. Cet accroissement du nombre d’imprimeurs ainsi que de leur production entraine le développement d’autres secteurs d’activités, directement liés : fabrication et fourniture de papier et d’encre, fonderie de caractères, reliure ou encore illustration et enluminure. On distingue deux grandes catégories d’ateliers : ceux qui sont dirigés par un maître-imprimeur et ceux qui sont dirigés par un marchand-imprimeur. Les premiers travaillent sur commande et se contentent de fabriquer les livres ; les seconds, pour simplifier, se chargent en plus du travail d’édition et de diffusion des ouvrages. Les maîtres imprimeurs sont tenus de respecter les délais de livraison, sous peine de fortes pénalités, et les horaires dans leurs ateliers sont extrêmement flexibles.

Certains de ces imprimeurs sont particulièrement célèbres et possèdent un catalogue d’édition impressionnant pour l’époque : Barthélémy Buyet, Etienne Dolet ou la famille de Tournes, par exemple, proposent plusieurs centaines d’ouvrages différents à leur clientèle. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Sébastien Gryphe. Né dans une famille d’imprimeurs en Souabe, il s’installe à Lyon en 1515 et commence à imprimer différents titres pour la Compagnie des Libraires. Catholique, mais disposant de solides relations dans le camp des Huguenots, il bénéficie aussi d’appuis financiers qui lui permettent d’occuper très vite une place importante parmi ses confrères. De 1530 à 1540, il va réaliser 500 éditions différentes de classiques latins ou grecs traduits ou corrigés par des érudits locaux ou des livres religieux. Il meurt en 1556 mais son œuvre est reprise par son fils Antoine… Une rue porte maintenant son nom… (*) Tous ces maîtres imprimeurs, profondément humanistes, jouent un rôle important dans la vie culturelle lyonnaise en assurant la promotion d’écrivains/vaines comme Louise Labé, Maurice Scève ou Rabelais. Pendant la période de trente années (de 1530 à 1560) durant laquelle aura lieu le grand « tric des Griffarins », l’imprimerie lyonnaise offre une production de qualité : les livres sont richement illustrés et leur mise en page est particulièrement travaillée. En 1550, on peut dire que Lyon est véritablement devenue la capitale de l’imprimerie en Europe. Les compositeurs utilisent largement la nouvelle police de caractères créée par l’un de leurs compagnons, Claude Garamond, dont le nom est resté célèbre dans le domaine de la typographie (**). A partir de 1560 et du développement des guerres de religion, cette opulence va cesser. D’abord aux mains des Huguenots, la ville est reprise par les Catholiques ; le contenu des livres est de plus en plus surveillé et nombre de maîtres imprimeurs, parmi les plus qualifiés, vont fuir la ville pour s’installer à Genève ou aux Pays-Bas, où ils pourront reprendre leur activité dans des conditions de liberté beaucoup plus grandes.

Les compagnons imprimeurs sont des ouvriers très qualifiés, souvent cultivés et rarement analphabètes, possédant une certaine fierté et une grande estime de leur travail. Ils constituent une communauté professionnelle particulièrement soudée, et, depuis le début du XVIe siècle, ils ont constitué une association professionnelle pour défendre leurs intérêts. Celle-ci se nomme la « compagnie des Griffarins », et bien qu’elle soit clandestine, pratiquement tous les ouvriers du secteur en sont adhérents : compositeurs, pressiers, correcteurs se côtoient lors des réunions de l’association et évoquent leurs problèmes professionnels. La compagnie fonctionne également comme une sorte de mutuelle, en cas de maladie ou de chômage. L’adhésion à cette confrérie est quasiment obligatoire et entraine le paiement d’une cotisation et la prestation d’un serment. Les « griffarins » doivent respecter un règlement très strict et leurs employeurs aussi : lorsqu’un maître refuse de se soumettre aux règles, la confrérie organise un véritable boycott de l’atelier. Celui qui refuse d’en être membre est qualifié de « forfant » et n’a que fort peu de chances de trouver un emploi dans un atelier. Chaque année, une fête est organisée en l’honneur de Minerve, « la mère de l’imprimerie et la déesse du savoir ». Le nombre exact des compagnons imprimeurs n’est pas connu, mais il faut savoir que chaque presse occupe cinq ou six ouvriers. Compte-tenu du nombre d’ateliers et du nombre de presse fonctionnant dans les plus importants d’entre eux, on peut estimer qu’ils sont au moins un bon millier. L’horaire de travail dépend des commandes en cours, mais il atteint souvent et dépasse, parfois, la douzaine d’heures par jour. La rémunération n’est pas très élevée, mais elle est complétée par certains avantages en nature comme la fourniture, par le maître d’atelier, du repas quotidien. Ce moment dans la journée est important car il leur permet de participer pleinement à la vie de l’imprimerie, et, en mangeant à la table du « patron », ils ont l’occasion d’évoquer leurs problèmes et se sentent ainsi plus impliqués dans le fonctionnement de l’atelier. Les emplois ne sont pas stables et les maîtres embauchent ou débauchent fonction des contrats, mais comme ceux-ci sont plutôt nombreux dans la cité lyonnaise, il n’y a que peu d’ouvriers laissés sur la touche. Les délais de fabrication complète pour un volume relié sont longs et lorsqu’un bon contrat est signé il procure souvent du travail pour plusieurs mois, voire une année.

Au printemps 1539, les conditions économiques (concurrence accrue et augmentation du prix des fournitures) incitent les maîtres d’ateliers à durcir les conditions dans lesquelles ils embauchent leurs ouvriers. Ils veulent surtout remettre en cause un certain nombre d’acquis estimés (déjà à l’époque !) comme des privilèges trop coûteux. Ils considèrent comme une « coutume ancienne et détestable » l’existence de la compagnie clandestine et voudraient considérablement réduire l’influence qu’elle exerce lors des négociations salariales ou de l’embauche des apprentis. En bref, les patrons veulent être « seuls maîtres à bord » et ne plus voir les compagnons imprimeurs intervenir dans leurs décisions. Si j’insiste sur ces éléments, c’est pour montrer que le mouvement de grève qui va suivre n’est pas provoqué seulement par des questions économiques mais aussi par une remise en cause fondamentale d’un statut qui donnait aux ouvriers un certain pouvoir dans les ateliers. Lorsque les maîtres imprimeurs décident de supprimer la fourniture du repas commun, c’est la goutte d’eau qui va faire déborder le vase. Dès le début, tous comprennent la portée plus que symbolique de cette initiative : même lorsque les imprimeurs proposent à leurs ouvriers de compenser la perte du repas en versant une prime en argent, les intéressés refusent carrément. La compagnie des Griffarins lance alors un mot d’ordre de « tric » général, et le travail s’interrompt dans tous les ateliers. La grève va durer trois mois, se propager dans d’autres villes de France, en particulier à Paris. La solidarité et l’entraide vont permettre aux ouvriers de tenir solidement leurs positions. Les compagnons créent une sorte de milice, armée de bâtons, qui se charge de faire appliquer les consignes de la façon la plus stricte qui soit. Ils interdisent aux patrons d’employer des ouvriers venus d’autres villes et dissuadent, à la manière forte, les apprentis qui seraient tentés de profiter de l’occasion pour occuper les places laissées libres par les grévistes. Plusieurs maîtres imprimeurs tentent de contourner la grève et sont molestés par des compagnons. La compagnie des Griffarins fait sa loi…

Le travail va reprendre mais l’absence de véritable solution va entrainer la poursuite du conflit, de façon sporadique, pendant près de trois ans. La compagnie des Griffarins continue à mener la danse et ce n’est pas du goût des maîtres imprimeurs. Les troubles sont incessants et le fonctionnement des ateliers gravement perturbé. Il faudra l’intervention du Roi, à la fin de l’année 1541, pour mettre fin aux troubles. Les maîtres voient une bonne part de leurs souhaits exaucés par l’édit de Fontainebleau, promulgué le 28 décembre 1541. Les compagnons obtiennent gain de cause sur un point important : leurs employeurs sont contraints de continuer à leur fournir « la dépense de bouche raisonnable et suffisamment selon leurs qualités ». L’intervention royale pèse suffisamment lourd sur la balance pour que la situation se calme un peu et que le travail reprenne de façon régulière dans l’agglomération lyonnaise. Les compagnons ont cependant perdu une partie non négligeable de leur pouvoir d’achat car les salaires ne sont pas revue à la hausse, loin de là même. Le désordre social doit cesser et la sénéchaussée veiller à ce que chacun reprenne le chemin de l’atelier selon la volonté royale.

[…] Le procureur du Roi disait que depuis trois ou quatre mois en ça, lesdits compagnons imprimeurs se seraient débauchés et auraient laissé et discontinué ledit train d’imprimerie, et par manière de monopole tous ensemble auraient laissé leur besogne et débauché grand nombre des autres compagnons et apprentis, les menaçant de battre et mutiler s’ils besognaient et ne laissaient ladite oeuvre et imprimerie comme eux ; tellement que ledit art d’imprimerie serait laissé et discontinué puis quatre mois en çà, et est en doute d’être du tout aboli, au grand dommage et détriment de la chose publique, attendu que c’était un des beaux trains et manufactures de ce royaume, voire de chrétienté, qui a coûté beaucoup à l’attirer et faire venir en cette dite ville. Et seraient lesdits compagnons imprimeurs et apprentis vagants et comme vagabonds en cette dite ville de Lyon jour et nuit, la plupart d’eux portant épées et bâtons invisibles et faisant plusieurs excès contre lesdits maîtres et autres ainsi que disait et maintenait et disait monsieur le procureur du roi qui disait davantage que lesdits compagnons sont monopolés et font serments et promesses illicites, entre autres de cesser oeuvre quand l’un d’eux veut cesser, et ne besogner si tous ne sont pas d’accord -, et que pis, souvent se sont rebellés contre justice et les sergents et officiers d’icelle, ont battu le prévôt et sergents jusques à mutilation et effusion de sang […]

Extrait de la sentence de la Sénéchaussée ; Archives municipales de Lyon. Cité in Histoire du Lyonnais par les textes, p. 70-71

Il est intéressant de noter que ce premier mouvement de grève est le fait d’ouvriers qualifiés, conscients de la valeur de leur travail et soucieux de l’exercer dans des conditions honorables. Les exemples sont nombreux dans l’histoire montrant que les premiers groupements créés pour défendre les intérêts de leurs adhérents (ancêtres des syndicats actuels ou premières sections de l’Internationale ou de l’A.I.T.), sont souvent apparus dans les secteurs employant une main d’œuvre qualifiée. Un exemple intéressant de ce genre de pratique est fourni par la Fédération Jurassienne, syndicat créé dans le Jura au XIXe siècle et dont les membres les plus influents sont des ouvriers horlogers travaillant dans de petits ateliers. La naissance du syndicalisme est un sujet passionnant sur lequel je ne manquerai pas de revenir un de ces jours dans ces « pages de mémoire » !

Sources documentaires : le site de la Fédération Anarchiste Lyonnaise, page « Lyon ville rebelle » – « L’imprimerie à Lyon au temps de la Renaissance », mémoire réalisé par le Centre Ressources Prospectives du Grand Lyon. « Typographes des Lumières », un ouvrage de Philippe Minard et Nicolas Contat.

Notes : (*) C’est dans cette rue Sébastien Gryphe (7e arrondissement, parallèle au Rhône), au numéro 5 très exactement, que se trouve l’incontournable librairie écolo-libertaire « La Gryffe » à laquelle il ne faut pas manquer de rendre visite lors d’un passage à Lyon. (**) lire à ce sujet l’excellent roman d’Anne Cunéo « Le maître de Garamond ».


Au début du XVIe siècle, Lyon est l’un des principaux centres européens de l’imprimerie. Autour de cette nouvelle technologie, arrivée dans la ville dès 1472 via l’Allemagne et la Suisse, s’est développée une corporation prestigieuse : compagnons, compositeurs et correcteurs arborent une dignité professionnelle... et se battent pour la faire reconnaître.


Le "Grand Tric" de Lyon
(Avril 1539)

Première grève ouvrière de l’Histoire de France, le "Grand Tric" de Lyon conduit au printemps 1539 à la fermeture pendant trois mois de toutes les imprimeries de la ville. Au-delà du mécontentement des compagnons imprimeurs qui s’estiment mal payés, ce long conflit, qui va s’étendre à Paris, témoigne de la rupture entre les maîtres et une main-d’oeuvre nombreuse et qualifiée.

"Tric, tric" !, le signal est donné. Un à un, tous les compagnons imprimeurs quittent l’atelier. Le mot d’ordre se répand comme une traînée de poudre. Dans tout Lyon, plus aucune presse ne fonctionne. En ce mois d’avril 1539 commence le "Grand Tric" (de l’allemand Streik -grève-), la première grève ouvrière de l’Histoire de France. Non seulement, sous l’effet de l’inflation, les ouvriers ont perdu de leur pouvoir d’achat, mais de surcroît les maîtres imprimeurs, eux aussi touchés par l’augmentation du prix des denrées, envisagent de réduire, puis carrément de supprimer, les repas quotidiens qu’ils assurent aux compagnons. En échange, ils proposent de rémunérer pressiers et compositeurs sur la base de huit sous par jour ouvrable. Bien que la compensation soit honnête, les compagnons s’y opposent formellement. Ils entendent bien défendre leurs intérêts économiques, être respectés et peser sur la vie de l’atelier : comment le pourraient-ils s’ils sont chassés de la table du maître ?

Parmi les ouvriers imprimeurs, rares sont ceux qui sont analphabètes ; qu’ils soient pressiers, ouvriers manuels, actionnant la presse à longueur de journée et effectuant "un labeur et peine non seulement insupportables, mais quasi incroyables", ou compositeurs, formant les mots et les lignes avec les caractères mobiles, composant les pages dans la forme. Quant aux correcteurs, qui aiment se présenter comme des hommes libres ne travaillant pas sous la contrainte, "leur art et industrie consistent en l’esprit". En outre, cette main-d’oeuvre est nécessairement nombreuse. Totes spécialités confondues, il faut cinq ou six ouvriers par presse. Bon nombre d’ateliers lyonnais possèdent plusieurs machines : celui d’Etienne Dolet en compte trois, ceux de Sébastien Gryphe et de Jean de Tournes jusqu’à six. Aussi, lorsque les gros ateliers travaillent à plein, le nombre des ouvriers peut atteindre vingt cinq compagnos, sans compter le maître, ses fils et les apprentis.

Certes, tous les ateliers d’imprimerie ne sont pas toujours actifs. Ces variations influent sur la politique d’embauche et la stabilité des compagnons. Certains ont un contrat d’un an, d’autres de six mois, d’autres même pour la durée d’impression d’une seule édition. Naturellement, ces engagements peuvent être reconduits ou pas. Dans la première moitié du siècle, nombre de compagnons imprimeurs s’établissent durablement à Lyon, et il n’est pas rare d’en voir certains travailler pour deux maîtres, voire plus. Toutefois, pour la plupart, ils se situent économiquement bien au-dessus du "gagne-denier" et des compagnons de métier plus modeste.

La force des compagnons imprimeurs vient surtout de ce qu’ils sont constitués en organisation clandestine. Appelée "Compagnie des Griffarins" (nom qui évoque les griffes du griffon et l’imprimerie de Gryphe), cette association codifie leurs droits et leurs devoirs. S’ils laissent le maître définir la politique éditoriale de l’atelier, les compagnons estiment avoir leur mot à dire quand il s’agit de juger les connaissances d’un apprenti, de fixer les salaires, de décider de l’ouverture ou de la fermeture de l’atelier. Quant au salaire en nature, il est indispensable : "Durant leurs repas, ils peuvent conférer de leur commune besogne, faite et à faire", affirment-ils.

De leur côté, les maîtres supportent de plus en plus mal ces "coutumes anciennes". Comment respecter les délais si les ouvriers disposent de temps de repos comme bon leur semble ? Par ailleurs, ils veulent être libres de prendre autant d’apprentis qu’ils le désirent, de les mettre dès que possible à la
presse et à la composition, de redistribuer le travail effectué sur une édition à d’autres compagnons, voire à d’autres ateliers.
Petit à petit, le fossé se creuse entre maîtres et ouvriers. Au printemps 1539, le conflit prend des proportions telles que la plupart des ateliers observent un "tric" de trois mois. Armés d’épées et de bâtons, pressiers, compositeurs et correcteurs parcourent la ville. Par la force, ils empêchent les maîtres d’employer
des apprentis pour remplacer les grévistes ou de faire appel à de la main-d’oeuvre venue d’autres villes. Et, si certains transgressent ces consignes, les "Griffarins" n’hésitent pas à rosser ces "forfants". Le 28 décembre 1541, l’édit royal de Fontainebleau mettra un point final à ce conflit, qui s’est étendu à Paris. Il satisfait la plupart des revendications des maîtres, à l’exception d’un point important : ils doivent toujours fournir à leurs compagnons "la dépense de bouche raisonnable et suffisamment selon leurs qualités".


18 avril 1529 Grève générale et émeute des ouvriers imprimeurs de Lyon

La prospérité économique de Lyon en fait la première ville ouvrière de France sous l’Ancien régime. C’est aussi celle qui connaît le plus grand nombre d’émeutes et de grandes grèves : 1529, 1544, 1545, 1578, 1611, 1615, 1617, 1618, 1619, 1622, 1624, 1626, 1627, 1629, 1630, 1632, 1634, 1635, 1636, 1640, 1641, 1649, 1653, 1667, 1675, 1692, 1693, 1699, 1714, 1717, 1744, 1745, 1768, 1770, 1786.

  • 1) 17 et 18 avril 1529 Début de la grande rebeyne (émeute) de Lyon

Ce soulèvement populaire éclata à Lyon le 17 avril 1529 en raison de la cherté du blé (dû à la spéculation des marchands dans le contexte d’une mauvaise récolte en 1528 puis un hiver très froid) ) et des impositions trop lourdes. La misère touche les ouvriers et les habitants pauvres ; ce sont eux qui se soulèvent, tenant les rues.

Le 18 avril, des affiches confectionnées par les ouvriers imprimeurs fleurissent par toute la ville, dénonçant la spéculation "chose vile et infâme", mettant en cause les "faux-usuriers" qui ont "leurs greniers pleins de blé" mais attendent pour le "vendre à leur dernier mot". La seule solution, c’est de le leur prendre, de le battre et de le moudre.

« Il nous faut faire ainsi à ces maudits usuriers et à ceux qui ont greniers et enchérissent le blé. Sachez que nous sommes de quatre à cinq cents hommes, que nous sommes alliés ;
Faisons savoir à tous les dessus-dits qu’ils aient à se trouver dimanche, après-midi, aux Cordeliers, pour donner conseil avec nous d’y mettre ordre et police, et ce sans faute, pour l’utilité et profit de pauvre commune de cette ville de Lyon et de moi.

Le Pôvre »

Elles appellent à se rassembler le dimanche 25 avril aux Cordeliers afin d’aller chercher le blé dans le grenier des riches.

Au jour dit, ce sont de mille à deux mille personnes qui se rassemblent dans le cloître. Haranguée par quelques meneurs, la foule passe rapidement à l’action, sonne le tocsin à Saint Nizier, envahit les rues de Lyon. C’est le début de la "Grande Rebeyne", qui en patois lyonnais signifie "émeute".

D’un même pas, motivés par la même colère, hommes, femmes et enfants se dirigent vers le grenier municipal, qu’ils pillent. Puis ils s’en prennent aux maisons de grands bourgeois soupçonnés d’être des accapareurs. Ils ne trouvent guère de blé, mais les esprits s’échauffent. Il est d’autant plus difficile de contenir la foule que la milice, constituée d’artisans et de boutiquiers, n’intervient pas. Plus inquiétant : elle sympathise avec les émeutiers, dont elle partage les sentiments. Effrayés, les conseillers et les notables du Consulat se réfugient auprès des chanoines de la Primatiale Saint-Jean , sur la rive droite de la Saône.

La foule hurle toute la nuit sous les murs.

Après une nuit fort agitée, le calme revient à Lyon, et les révoltés perquisitionnent de grenier en grenier. Le bilan est plutôt maigre ! Néanmoins, le mardi 27 avril, ne désarmant pas, ils partent pour l’Ile Barbe et pillent l’abbaye, qui dispose de quelques réserves de blé.

Pendant ce temps, toujours reclus à Saint Jean, le Consulat et les notables tiennent une assemblée permanente. S’étant enfin ressaisis, ils s’arment. Viennent à leur rescousse les miliciens, qui désormais craignent que l’on s’en prenne aussi à leurs propres biens. Une troupe de cent vingt hommes occupe alors Lyon. S’y ajoute dans les jours qui suivent la soldatesque envoyée par le roi François 1er pour rétablir l’ordre. Les autorités reprennent le contrôle de la situation, la "Grande Rebeyne" est matée, mais au prix d’une sévère répression.

Sans autre forme de procès, onze potences sont érigées aux carrefours de la ville, et les meneurs sont aussitôt arrêtés et pendus. Les personnes poursuivies sont de pauvres gens : boulangers, charpentiers, menuisiers, teinturiers. Il s’agit en fait des "gagne-deniers", des ouvriers payés à la tâche, rien que de "pôvres ménagers". La répression et la chasse aux émeutiers vont durer deux ans, jusqu’en 1531, date à laquelle les émeutiers furent définitivement vaincus. Les riches banquiers et les marchands de la ville se tiennent très à l’écart de ces événements, mais la mémoire lyonnaise conservera longtemps le souvenir de ces terribles journées. Dorénavant, un corps d’armée de trois mille lansquenets royaux sera cantonné dans la ville en permanence.

Si la "Grande Rebeyne" reste une classique émeute de subsistance, elle n’en bouleverse pas moins l’ordre social en opposant les pauvres aux riches.
De ce fait, elle entre dans l’Histoire comme l’une des premières révoltes ouvrières d’importance.

  • 2) Quelques remarques sur la grève de 1529

Au Moyen Age, le travail des différents métiers était organisé dans le cadre de corporations (tisserands, forgerons, ébénistes...) comprenant des travailleurs individuels et de petites "entreprises" au sein desquelles les conflits se résolvaient généralement à l’amiable. On entrait dans le métier comme apprenti, on se formait comme ouvrier, le débouché recherché étant évidemment celui d’artisan à son compte ou même de patron.

Des conflits éclataient parfois, généralement entre d’une part les artisans, d’autre part l’oligarchie marchande (prix d’une marchandise...). L’arrêt de travail des salariés s’appelait une "mise bas".

Sur la fin du Moyen Age et le début de la Renaissance, plusieurs évolutions minent ce système de corporations :

- la tendance capitaliste à la concentration commence déjà à se manifester avec l’apparition un peu partout en Europe d’oligarchies marchandes. Ces riches bourgeois jouent un rôle décisif dans les instances communales et bénéficient du soutien des pouvoirs publics. Pour préserver leur statut privilégié, ils limitent de plus en plus l’accès à la maîtrise nécessaire pour s’installer à son compte.

- Les ouvriers, se regroupent, eux, de plus en plus, dans des confréries de compagnons. Ces associations subissent une répression tellement dure qu’elles survivent clandestinement avec d’autant plus de force. Les premières luttes de ces compagnons passent par l’interdiction de travailler chez un mauvais patron qu’ils essaient de faire appliquer par tous leurs camarades. Ceux qui trahissent sont dénoncés comme "jaunes" ou "renards" et subissent parfois des expéditions punitives.

La grève des ouvriers imprimeurs de Lyon au printemps 1529 marque une nouvelle étape dans l’apparition de luttes ouvrières proprement dites.

Quelles sont les principales revendications des ouvriers auprès des maîtres imprimeurs et du sénéchal :

- l’augmentation des salaires
- le paiement des salaires à la journée et non à la tâche
- une meilleure nourriture durant leur journée de travail
- le respect des jours fériés
- la réglementation des conditions de travail des apprentis.

Jacques Serieys
  • 3) La grève des ouvriers imprimeurs lyonnais en 1529 (Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française)

Au 1er mai 1529, les compagnons imprimeurs ont, comme dit l’ordonnance royale qui les condamne, « tous ensemble laissé leur besogne. » Ils se plaignent que leurs salaires soient insuffisants, surtout que la nourriture qui leur est donnée chez les maîtres soit mauvaise. Ils se plaignent aussi que des habitudes nouvelles de discipline mécanique et stricte leur soient imposées et que les portes de l’atelier ne soient pas toujours ouvertes pour qu’ils puissent prendre le travail quand il leur plaît, selon la coutume du passé. Les typographes ayant donc proclamé le trie, c’est-à-dire la grève, s’organisent militairement, en compagnies d’ateliers, pour intimider les maîtres et empêcher la reprise partielle du travail. Les maîtres, les patrons allèguent pour se défendre (c’est le thème d’aujourd’hui) que la grève n’est voulue et organisée que par une minorité violente : les autres « voudraient faire leur devoir et besogner », mais ils n’osent pas de peur d’être mis à l’index par la confrérie (c’est le syndicat des compagnons). La lutte se prolongea pendant trois mois, et un arrêt du sénéchal, qui repousse presque toutes les prétentions des ouvriers y met fin, du moins pour un temps.

Il retire aux ouvriers typographes le droit de coalition. Il décide que les « compagnons ne peuvent quitter leur tâche, individuellement ou collectivement, sous peine de payer au maître et la forme qu’ils avaient fait perdre et la valeur des journées de chômage. » Mais les ouvriers vaincus s’organisent de nouveau pour la résistance. Ils s’assemblent encore et délibèrent eu commun, et les maîtres imprimeurs, pour les dompter, sont obligés de faire sans cesse appel aux décisions de l’autorité municipale, de l’oligarchie consulaire, qui intervient toujours au profit du capital ; ils sont aussi obligés de solliciter des édits royaux.

  • 4) Le manifeste des ouvriers lyonnais (1544), première lueur de conscience de classe

L’édit royal du 28 décembre 1541 donne tort une fois de plus aux ouvriers. Il leur reproche « de s’être bandés ensemble pour contraindre les maîtres imprimeurs de leur fournir plus gros gages et nourriture plus opulente que par la coutume ancienne ils n’ont jamais eue. »

Il consacre le droit de renvoi à peu près illimité. Il fixe la durée de la journée de travail de 5 heures du matin à 8 heures du soir. En fait, les maîtres imprimeurs, investis d’une autorité absolue, prolongèrent bien au delà de treize heures, jusqu’à seize heures de travail effectif, la journée de leurs ouvriers. En vain les ouvriers font-ils appel devant le roi lui-même de l’édit et des décisions prises. Le Parlement de Paris, prenant en main la défense de la bourgeoisie, intervient à son tour en faveur des maîtres imprimeurs, et un édit royal de 1544 accable encore les ouvriers. Mais ceux-ci, avec une force de résistance extraordinaire, se coalisent, tiennent des assemblées, font « bande commune », et tentent de s’opposer à l’enregistrement de l’édit.

Leur requête collective est d’un bel accent de protestation et de douleur. Elle contient bien des revendications « réactionnaires », car elle demande la limitation étroite du nombre des apprentis, et elle insiste pour que les ouvriers, au lieu d’aller prendre leurs repas hors de la maison du maître, continuent à être nourris par lui et chez lui. Les ouvriers auraient entravé ainsi et le développement de l’industrie et leur propre émancipation.

Mais en revanche, quelle force, quelle véhémence et quelle sincérité dans la plainte des compagnons contre le régime d’exploitation sans frein et de travail mal payé auquel ils sont soumis ! C’est une des premières protestations où commence à vibrer l’esprit de classe. « Si l’on a jamais, disent-ils, remarqué en aucuns états et métiers les maîtres et supérieurs tâcher, par infinis moyens, de subjuguer, assujettir et traiter avec toute rigueur et servitude les compagnons et domestiques de leur vocation, cela a été pratiqué de tout temps et à présent en l’art d’imprimerie. En laquelle les libraires et imprimeurs (et notamment de la ville de Lyon) ont toujours recherché toutes voies obliques et dressé tous leurs engins, pour opprimer et vilement asservir les compagnons. »

Et pourtant ce sont les travailleurs qui ont acquis aux maîtres « et leur acquièrent journellement de grandes et honorables richesses, au prix de leur sueur et industrie merveilleuse, et même plus souvent de leur sang ». Car si les compagnons « peuvent suffire aux fatigues extrêmes de leur état si violent, ils n’en rapportent en leur vieillesse, chargés de femmes et d’enfants, pour tout loyer et récompense, que pauvreté, goutte et autres maladies causées par les travaux incroyables qu’ils ont été contraints d’endurer...

Chacun a pu voir par toute la France et ailleurs plusieurs libraires et maîtres imprimeurs parvenir à de grandes richesses et facultés ; aussi l’on ne voit que trop d’exemples de pauvres compagnons imprimeurs réduits après une longue servitude en une nécessité calamiteuse et indigne, après avoir consommé leur âge, jeunesse et industrie au dit état. Aux compagnons, il ne reste qu’une vie pénible et comme fièvre continue ; les libraires, avec un grand repos de corps et d’esprit, doublent et triplent quelquefois leur argent au bout de l’année. Les compagnons de Paris se plaignent justement d’être sujets à rendre pour tout le jour 2,630 feuilles. A plus forte raison, ceux de Lyon ont matière de se douloir et désespérer, étant astreints à rendre chaque jour 3,350 feuilles, ce qui surpasse toute créance. Ainsi, les typographes lyonnais sont forcés d’être debout depuis deux heures après minuit jusqu’à environ 8 ou 9 heures du soir, tant l’hiver que l’été. » En leur pensée encore incertaine, tour à tour révoltée et humble, « les pauvres compagnons » font abandon du droit de grève ; ils demandent seulement qu’aux maîtres aussi soit retiré le droit de coalition. « Il est bien et saintement défendu de ne faire monopoles : mais cela se doit non seulement adresser aux compagnons, mais aussi aux libraires et maîtres, qui ont toujours conjuré, comme monopoleurs, la ruine desdits compagnons ». Enfin ils demandent que les maîtres soient désarmés comme les compagnons, que les salaires ne soient plus fixés « au gré et jugement des libraires et maîtres imprimeurs, qui seraient juges en leur cause », mais par une commission arbitrale « un nombre égal et pareil des maîtres et compagnons plus anciens, qui savent et connaissent le labeur, auquel s’ajouteront quelques notables bourgeois ou marchands nommés par les deux parties ».

Et pour attester l’éveil de leur dignité morale, les ouvriers lyonnais demandent en terminant leur requête « que les fautes soient punies par des amendes et non par peine corporelle et ignominieuse ; car ce serait violer indignement la liberté naturelle des hommes ... Et comme personnes libres s’emploient volontairement à un état si excellent et noble et de telle importance pour les sciences et les lettres, et non comme esclaves ou galériens et forçats ».

Notes

[1dixit Henri Hauser Histoire d’une grève au XVIe siècle, p. 177-234, Chapitre X du livre Ouvriers du temps passé XVe-XVIe siècles par Henri Hauser, professeur à la Sorbonne et au Conservatoire national des Arts et Métiers, Librairie Félix Alcan, 1927.

[2Sébastien Gryphe (1493 Reutlingen en Allemagne-1556 Lyon), latinisa son nom d’origine Sebastian Greiff en Sebastianus Gryphius), sa boutique se trouvait à l’angle de la rue Thomassin et de la rue Mercière

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