Contre les saigneurs du G8, le VAAAG ouvrait ses portes le 28 mai 2003 à Annemasse

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Un autre contre-sommet est il possible ? En 2003, à l’occasion du G8 d’Évian, et après les contre-sommets de Gênes en 2001 ou le No-Border Camp de Strasbourg en 2002, les militant.e.s anti-autoritaires et libertaires tenteront de répondre par la positive. Le résultat sera le VAAAG, pour Village Alternatif, Anti-Capitaliste et Anti-Guerre, qui se tiendra à Annemasse du 28 mai au 3 juin 2003. Une tentative d’autogestion et de lutte collective.

Sommaire :
- Un autre contre-sommet est il possible ? Le projet du VAAAG
- A l’épreuve du réel, l’expérience du VAAAG
- Après le VAAAG et le G8, témoignages, critiques & analyses

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Un autre contre-sommet est il possible ? Le projet du VAAAG

Voici un extrait de l’article Un autre contre-sommet sera t’il possible ??? paru dans le n°03 de Popouri en mai 2003, présentant les enjeux du VAAAG :

Les 1, 2 et 3 juin se déroulera à Evian (sur les rives du lac Léman, Haute-Savoie) le sommet du G8, le groupe des 7 pays les plus riches de la planète et la Russie (voir encadré G8). Ce type de rencontre est pour eux un moment privilégié pour assurer leur planification de notre futur par le contrôle sur tous les types de ressources permettant la bonne marche de l’économie capitaliste qui les enrichit toujours plus.

J’entends par « ressources » aussi bien l’eau, le pétrole, les forêts, les terres...que la force de travail que peut fournir chaque individu-e et par « contrôle » : les guerres extérieures (les bombes en Irak et le pillage des pays néocolonisés comme l’Argentine), les guerres intérieures (politiques sécuritaires qui visent d’abord les populations pauvres et marginalisées), mais aussi les oppressions qui vont de pair avec le capitalisme (patriarcat, domination adultes/enfants, humain/non-humain...).

Bref, le G8 est la face immergée de l’iceberg, la concrétisation spatiale et temporelle de la volonté de domination des grands (chefs d’état, hommes d’affaire, industriels) de ces 8 pays sur le monde entier. C’est pourquoi les individu-es qui s’y opposent profitent de ce spectacle annuel pour démontrer leur refus de cette logique faite d’exclusions, d’exploitations et d’injustices. Il s’agit donc d’empêcher la tenue, ou jusqu’à maintenant, la bonne tenue du sommet, de le perturber... par différents moyens : manifestations, actions en tout genre pour pénétrer la zone rouge où se tient le sommet, ou provoquer des dommages aux institutions (banques, police, grandes chaînes de magasins...) du capitalisme et de l’état qui le soutient (émeutes). A chacun-e ses méthodes d’action et ses justifications. Les discours hypocrites sur les bon-nes et les mauvais-es manifestant-es ne servent qu’à noyer le poisson : l’intérêt que porte chacun-e à être présent-e au moment du sommet là où il a lieu.

Et justement les derniers contre-sommets (Gênes et Bruxelles en 2001, Barcelone en 2002... et Davos cette année) ont amené nombre de leurs participant-es à repenser le concept de contre-sommet, estimant que ce type de manifestation oblige à se plier à un calendrier qui est encore une fois celui de ceux qui dirigent et pas celui de ceux et celles qui luttent au quotidien chez eux/elles. Le contre-sommet se réduit alors à une partie du spectacle de ces sommets, spectacle car il s’agit d’événements fortement médiatisés et hyper-prévisibles, car aussi bien les autorités que les journalistes attendent toujours impatiemment l’entrée en scène des contre-manifestations (effectifs de police, armée : 15 000 membres des forces de l’ordre mobilisés pour Evian, traitement par les médias, obsédés par « la casse »).

Résultat : même la répression, bien réelle, fait partie du spectacle et semble normale. La théâtralisation de ce genre d’événements anéantit la spontanéité et la sincérité des militant-es dont les messages politiques sont occultés ou résumés au terme abyssal d’« antimondialisation ». De plus, cette année, il sera strictement impossible de pénétrer dans Evian puisque la ville-même et un périmètre de 10 kms ont été décrétés « zone 0 » par Sarkozy, n’y accéderont que les personnes munies d’un badge. C’est pourquoi certaines personnes, lassées de cette farce, ont sans doute décidé de ne pas aller à Evian, tandis que d’autres ont cherché à proposer des formes de mobilisations plus constructives et plus profitables aux participant-es des contre-sommets.

C’est dans cette perspective qu’a été conçu le projet du Village Alternatif Anticapitaliste et Anti-Guerres.

Le VAAAG

L’appel à participer à ce village lancé par ses organisateur/trices explique qu’ils-elles veulent construire et réaliser « un espace autonome de réflexion et d’action qui permette l’expression politique et surtout l’affirmation de nos propositions alternatives. L’action pourra se refléter dans la mise en place d’actes de désobéissance et/ou de résistance. Elle sera également le fait de la mise en place d’alternatives concrètes, de pratiques anti-autoritaires, de démocratie directe et d’autogestion.

Nous voulons que ce lieu, au-delà de la visibilité nécessaire, soit aussi un espace d’expérimentation sociale et politique en rupture avec le capitalisme et avec les formes de représentations classiques et/ou institutionnelles ». Ce sera aussi « un lieu qui puisse devenir un véritable espace de convergence des résistances à la mondialisation capitaliste au sein duquel différents axes ou stratégies de luttes seront représentées et pourront s’exprimer. Ce sera ainsi une occasion de tisser des liens entre les différents individu-es, groupes ou associations ».

Cette initiative, lancée par le réseau anticapitaliste et antifasciste No Pasaran, a rapidement regroupé divers collectifs, organisations et individu-es investi-es dans des luttes anticapitalistes et anti-autoritaires. Depuis le mois de janvier, des « collectifs village » se sont formés un peu partout en France et en Europe et travaillent à la mise en place du VAAAG. Ils ont aussi organisé des journées ou soirées de soutien pour présenter leur projet et en assurer l’autofinancement. Bien sûr, un appel a été lancé pour récolter des contributions financières d’individu-es ou de collectifs qui n’y participent pas directement mais souhaitent soutenir le village ; de même en ce qui concerne le matériel basique nécessaire à la construction du village (chapiteaux, camions, cuisines collectives...). Il se tiendra du 28 mai au 3 juin sur un champ près de l’aéroport d’Annemasse et pourrait accueillir quelques milliers de personnes.

L’organisation quotidienne du village s’inspire de l’expérience du No Border Camp de cet été à Strasbourg (camp contre les frontières, pour la liberté de circulation...). Il sera divisé en quartiers organisés autour d’une cuisine collective. Chaque quartier décidera de ses animations et de ses actions, sans doute par les assemblées générales qui s’y tiendront chaque jour (la charte du village sur le site web ne le précise pas pour l’instant, mais la télépathie n’est pas au point et les modes de décision autoritaires, eux bien au point, sont proscrits dans le village). Sont aussi prévus des espaces collectifs inter-quartiers d’accueil et d’informations et des espaces thématiques (forums des luttes sociales, des solidarités internationales, des médias alternatifs, des cultures indépendantes...).

La mise en pratique d’alternatives à la société de consommation se fera aussi dans le quotidien : chaque habitant-e participera à la cuisine, au ménage, aux prises de décision. Et les repas et boissons non-alcoolisées seront à prix libre (on donne ce qu’on peut/veut). L’argent récolté ira dans la caisse du village.

Des débats et ateliers autour de luttes et d’expériences concrètes seront organisés, en plus des actions contre le G8.

Bref, il s’agit d’expérimenter pendant ces journées une forme de vie collective et autogérée qui se veut une alternative à la société marchande. Et oui ! L’utopie existe ! Car ces moments-là sont toujours l’occasion de rencontres, de partages, et plus si affinités...

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Radio VAAAG, 102.2 Mhz, la radio du village alternatif (Laurent Combe)

A l’épreuve du réel, l’expérience du VAAAG

Un documentaire de Florence Miettaux & Grégory Mouret de 2005 retrace cette expérience, depuis les premières réunions jusqu’à la fin du camp en Juin :

VAAAG, à l’épreuve du réel, Florence Miettaux & Grégory Mouret, 2005

Après le VAAAG et le G8, témoignages, critiques & analyses

De nombreux textes paraissent dans la foulée :
- Le numéro 21 de Juin-Juillet-aout 2003 de la revue No Pasaran rassemble de nombreux articles sur le VAAAG et le G8, notamment Surfer sur le Vaaag et Le VIG un camping , le VAAAG un village ?
- G8 : Démonstration de force libertaire à Annemasse (Alternative Libertaire, Juillet 2003)
- Un ouvrage collectif intitulé Village alternatif anticapitaliste et anti-guerres - Textes collectifs et témoignages est édité en décembre 2003 conjointement par les éditions le Monde Libertaire et No Pasaran, le texte de présentation de cet ouvrage est disponible en ligne, ce qui n’est malheureusement pas le cas du reste du volume.
- Pas mal de texte/ressources sont encore en ligne sur NADIR : G8 Summit Evian June 2003 - Reports & Photos - Infos & Links

Une brochure de Zanzara athée de décembre 2003 rassemble plusieurs textes critiques suite au G8 : Évian 2003 : Il faut éliminer le G8 (mais pas seulement), Récits, réflexions et communiqués (sur Infokiosques.net)

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Le texte d’ouverture de cette brochure reproduit partiellement l’article Contre Sommet du G8 à Évian : Du gaz dans l’eau minérale et de l’eau dans le vin rouge (et noir)..., article critique publié en Juin 2003 dans le n°13 de Juin 2003 de la revue Solidarité. Voici un extrait de ce texte sur le bilan du VAAAG :

Un bilan mitigé

Le fonctionnement pratique du village a été relativement bon, mis à part quelques divergences avec des teuffeurs, quelques mecs bourrés. L’intendance — bouffe, aide médicale, nettoyage, bars, eau et électricité — s’est organisée dans le consensus et l’efficacité. Concerts, forum et tables de presse se sont bien tenus offrant animation et dimension politique. L’ambiance générale a été plutôt bonne, une fois résolus quelques frictions sur le caractère uniquement végétarien de la nourriture distribuée dans les cantines, sur la présence bruyante de quelques teuffeurs... Par ailleurs le village a drainé beaucoup de monde, suscité de nombreuses visites.

Tout cela n’est pas négligeable, cependant un certain nombre de faits nous ont paru préoccupants.

Concernant les AG et la « démocratie directe »

Tout d’abord, Les AG nous paraissent avoir été mal organisées : absence de lieu adéquat pour les AG (celle du dimanche sur la répression s’est tenue au milieu du camp, dans le bruit et les va-et-vient), absence de sonorisation (dur de s’entendre quand on est 400), traductions déficientes (assurées sur le tas par des personnes de bonne volonté auprès de certains groupes d’étrangerEs... quand elles étaient assurées), pas d’ordre du jour, pas de votes sur les différentes propositions...

Le samedi : Il n’y a pas eu d’AG pour préparer la manif du lendemain. Les organisations membres de la CLAAAC se sont contentées d’exposer, lors d’une réunion ouverte, le cadre (préalablement défini entre elles) de la manif du dimanche. Une fois ce cadre rappelé, les tâches ont été réparties entre militantEs et volontaires. Les habitantEs du VAAAG n’ont eu sur cette question aucun pouvoir réel de décision. Il semble que le CLAAAC n’a pas souhaité prendre le risque d’un éventuel télescopage entre ses décisions et celles qui auraient pu être prises par une AG des HabitantEs du VAAAG.

De fait, les organisations, se sont installées dans un rôle d’avant-garde dans un village qui se voulait une expérience active d’autogestion tant pratique que politique. Or sur le plan politique, il y a eu un clair déficit démocratique.

Le dimanche : L’AG anti-répression fut très chaotique, ne débouchant sur aucune prise de décision formelle. La peur de la répression (pourtant peu probable vu l’attitude mesurée de la police française lors des incidents du samedi, les déclarations apaisantes de Sarkozy et le fait qu’on se trouvait à moins de 48 heures d’un préavis de grève générale) fut attisée pêle-mêle par des gens du CLAAAC, des habitantEs inexpérimentéEs et des aussi des gens du VIG. Les propositions d’aller protester contre la répression en Suisse ou à la frontière furent évacuées lorsque des partisanEs de la descente à la mairie d’Annemasse finirent par se lever en gueulant « Tous à la mairie » provoquant ainsi la dissolution de l’AG. Spontanéité ou manipulation ? Soulignons au passage la docilité de l’AG...

Le lundi : Face à la répression coté suisse, les habitantEs ont été confrontéEs à la confusion de l’information et à une legal team, dirigiste et assez parano, qui a pris toutes les décisions concernant l’organisation des convois. Ce type de décision devait-elle être monopolisée par la legal team ou passer par une AG ? Surtout que l’attitude autoritaire a souvent été lourde, sûrement accentuée par la fatigue de la legal team.

En conclusion, si les AG de quartiers à caractère essentiellement pratique, logistique ont bien fonctionné, cependant, à aucun moment, n’ont été impulsées des AG structurées permettant aux habitantEs du VAAAG de définir collectivement et directement le contenu politique, stratégique et pratique des actions. Aucun effort particulier n’a été fait pour alimenter l’auto-organisation des habitantEs du village. Concrètement, les AG ont été vues comme secondaires, d’une importance marginale, là où elles auraient du revêtir un caractère central.

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L’AG du matin au bario lyonnais (Laurent Combe)

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Bien sûr, notre vision ne peut être que partielle et elle comporte sa part de subjectivité.

Nous précisons une nouvelle fois que notre démarche critique vise à chercher les limites et les faiblesses de cette initiative anti-G8, d’autant plus qu’elles incitent à nous questionner également sur celles du mouvement anarchiste français.

Nous sommes bien conscients du fait que des centaines de gens qui ne se connaissent pas, avec des niveaux d’expériences différents, des sensibilités diverses ne peuvent se mettre à fonctionner collectivement de manière efficace, comme par magie, du jour au lendemain (ni même en quelques jours).

Nous sommes bien conscient que côté français, on a encore peu d’expérience dans les domaines de l’organisation de villages libertaires, de l’organisation d’actions offensives ou de désobéissance civile de masse, des AG massives. Coté suisse, ils semblaient avoir plus d’expérience (squats, manifs anti-Davos...).

Nous sommes bien conscients que les organisateurs de la CLAAAC furent débordés par la masse de travail liée au succès du VAAAG et pour certainEs parfois proches de l’épuisement.

Pourtant l’idée d’organiser un (ou des) villages(s) libertaires (et pourquoi pas aussi en dehors de l’agenda des grands sommets étatiques) est, en soi, une bonne chose... à condition que la qualité du fonctionnement, des débats et des pratiques soit aussi au rendez-vous et que ces initiatives servent réellement à élever le niveau moyen de politisation et d’expérience pratique de larges franges du mouvement.

Nous n’avons pas besoin de vitrines médiatiques, nous avons tous besoin de « laboratoires » pour forger une radicalité adaptée à la situation présente et pour gagner en expérience pratique et tactique.

La publication de cet article en 2018 est l’occasion de signaler la parution récente de l’ouvrage/outil Rage de camp - Pistes et outils pour des campements autogérés disponible en ligne.

P.-S.

Les extraits de textes reproduit dans cet article représentent une sélection doublement subjective : parmi les textes et ressources produites à l’époque, et à l’intérieur même des textes (extraits). Cette sélection se concentre sur le VAAAG alors même que certains textes/productions couvrent le G8 de façon beaucoup plus large (il y a un article mémoire à écrire sur le sujet, avis aux amateurs !).

En conséquence l’auteur de ces lignes incite les lecteur-rice-s à :
- lire les textes dans leur intégralité, au delà des extraits reproduits ici,
- proposer en complément d’info ci-dessous les autres textes, critiques et contributions sur le sujet, d’autant plus que celles-ci sont parfois difficiles à retrouver près de 15 ans après leur production.

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