Le monde se divise en deux catégories : ceux qui parlent et ceux qui applaudissent.
Choisi ta catégorie camarade ! L’invitation a été lancée ce samedi en début de soirée par Manon Aubry à un parterre de spectateurs et de spectatrices (le terme est-il approprié ?) qui étaient sans doute réunis en quête d’une bonne raison de s’investir en politique. Car à bien écouter les long discours de la député européenne et de son voisin syndicaliste-mediatico-porte-parole Manès, nous formions une assemblée de personnes perdues entre la possibilité d’un vote PS, la découverte d’une dynamique fascisante et le regret de n’avoir pu applaudir Rima Hassan dans la grande salle du CCVA de Villeurbanne. Faut-il en rire ou plutôt en pleurer ? Plutôt que me laisser envahir par les sentiments, j’ai décidé d’écrire. Rien de bien original même si par les temps qui courent, l’expression écrite semble se faire rare. Alors oui c’est un billet d’humeur qui n’engage que moi, mon ressenti et ma sensibilité.
La journée avait pourtant bien commencé et je dirai qu’elle a été à la fois riche en rencontres, en échanges et en réflexion. Le second forum social antifasciste organisé par le collectif "fermons les locaux fasciste" a permis à nombre d’organisations du Rhône mais aussi de l’Isère de se retrouver et de faire bloc le temps d’une journée entière autour de discussions, de cafés, d’un bon repas végan et finalement de musique. Je n’ai pas pu assister à toutes les discussions mais je dois avouer que les thèmes abordés ainsi que les panels d’intervenants ont permis d’alimenter de futures pistes de réflection et d’action. Je prends pour exemple celui du matin consacré aux mécanismes de vote contre l’extrême droite et des réponses à y apporter. Cela fut l’occasion de revenir sur l’élection de Raphaël Arnault dans la 1re circonscription du Vaucluse, une terre d’élection pour l’extrême-droite.
Je retiens surtout le témoignage de la camarade No Pasaran 84 qui a passé plusieurs semaines sur le terrain au contact des électeurs (plus de 18 000 ont donné leur voix au RN en 2024). Il y avait tant de choses à dire aussi bien sur la campagne, l’élection puis l’année passée à l’assemblée nationale. Mais les deux intervenantes se sont contenté de répondre de façon concise à leur hôte, ce qui a permis à la salle de disposer d’un état des lieux clair. La dimension raciste du vote RN est manifeste et assumée par les personnes abordées sur le terrain ; les études démographiques et économiques telles que celles produites par Julia Cagé et Thomas Piketty ne rendent pas compte de la réalité du terrain ; la thématique sécuritaire (comprenant les VSS) a permis d’alimenter un vote féminin pour le RN ; la propagande en ligne, quelle soit masculiniste et/ou pro "trad-wife" semble porter ses fruits et se tailler une place de choix dans les imaginaires d’un nombre conséquent de personnes tentées par l’action électorale.
Alors qu’est-ce qui a marché pour Raphaël Arnault dans cette circonscription fascisante ? La réponse également assez claire : une présence régulière et parfois massive sur les marchés ; des actions de terrain (tractages et affichages) ; la prise de contact et les échanges en direct avec la population.
Le propos concis des intervenantes a permis de fournir un temps suffisant aux échanges avec la salle, et donc que la forme "forum" soit respectée. Il a alors été largement question de l’action à effectuer sur les « affects » et les « émotions » des électeurs et électrices : la proposition de parler « fâchés pas fachos » ne vise-t-elle pas avant tout à éviter de braquer ces électeurs et permettre un dialogue ? Il y a-t-il une méthode ou des clés pour que ce dialogue s’établisse et produise des résultats ? Comment les forces antifascistes doivent-elles envisager leur retrait ou leur implication sur des plateformes numériques (X, Instagram) qui ne se cachent pas de promouvoir les idées d’extrême droite ? Que faire de la justification du vote RN pour « tout faire péter » qui peut parfois être porté par des personnes racisées ?
Ce ne sont que quelques-une des questions qui ont été posées et qui on donné l’occasion aux intervenantes d’approfondir de nombreux points. Il y a eu en tout trois (ou quatre ?) aller-retour entre elles et la salle, ce qui a été bénéfique pour tout le monde. Que retenir ? Que sur le terrain l’implantation militante du RN demeure peu solide, ce qui laisse de vastes espaces d’intervention pour, au minimum, semer le doute dans un électorat qui subit un discours unique de la part des médias. Mobiliser les émotions de l’électorat populaire RN (des fâchés qui se fascisent ?) consiste à ne pas hésiter à engager un dialogue, lutter contre l’isolement et créer du lien social et une convivialité qui pourrait prendre des formes festives. Agir sur les dynamiques à l’oeuvre et ne pas organiser l’action sur des constats statiques.
Ces idées qui résonnent et rebondissent aux quatre coins de la salle produisent un sentiment partagé, celui que la construction de modalités d’action communes aux différents acteurs de l’antifascisme est possible, notamment par la transmission d’expérience et l’échange entre individus et collectifs engagés dans des réalités locales. On ressort de ce forum content.e.s d’avoir fait un bout de chemin ensemble et déterminé.e.s à mobiliser la même énergie qui a permis à Raphaël Arnault de se défaire de la coalition socialiste au 1er tour et de l’extrême-droite au second. Plus encore que l’unité, l’important semble résider dans le fait d’incarner une rupture aux yeux de l’électorat. Mais une rupture vis-à-vis de quoi ? Alors que j’écris ces lignes, l’élection municipale à New York se rapproche et je ne peux m’empêcher de penser à Zohran Kwame Mamdani qui semble poser un gros problème au parti démocrate américain.
On va passer les autres forums de l’après-midi durant lesquels les échanges semblent avoir été aussi riches et constructifs que le matin (beaucoup sont revenus sur celui consacré à l’écofascisme — aura-t-on un retour sur ce qui a été dit ?). Je pense par exemple à plusieurs interventions, questions et témoignages de la salle au sujet de l’extrême droite lyonnaise (discutée en fin de matinée). On touchait à du vécu, à des expériences quotidiennes qui touchent à l’existence et le vécu de chacun.e. Certaines questions ou remarques pouvaient troubler la bonne ambiance générale, qu’il s’agisse de la représentativité de certains intervenants non-racisé.e.s, ou de l’expérience et des conséquences de la journée du 29 novembre 2014. N’est-il pas sain pour un forum d’être le lieu où on soulève des points problématiques ? Venons-en à la "plénière" qui clôturait les forums, parce que c’est un peu la raison de cet article.
Prévue à 18h, la plénière ne commence qu’avec quinze minutes de retard, ce qui semble suffisant vu que les forum précédents ont pris fin trente minutes auparavant et que, on l’apprendra plus tard, plusieurs intervenants devaient attraper le TGV de 21h04 pour passer leur samedi soir vous devinez où. Alors un petit point sur ce qu’on pourrait entendre par « plénière ». Il s’agit selon moi d’une assemblée ou réunion « où siègent tous les membres », ou encore « qui se déroule avec la participation de tous les membres prévus ». Issu des pratiques collégiales médiévales, ce terme « plénier » porte en lui-même une forme de « puissance », voire de « souveraineté » et a pour fonction de légitimer ce qui peut y être décidé. Il y a donc un enjeu majeur à la forme que peut prendre une plénière : qui y est convié, le rôle de chacun.e et surtout qui y a la parole. Je dois avouer que j’étais bien candide en me rendant à cette plénière de « forums antifascistes », notamment après avoir profité de l’excellente circulation de la parole durant toute la journée.
Première surprise. On avait droit non plus à deux intervenants mais à quatre, ce qui n’était pas censé poser un problème vu que les forums précédents avaient pu accueillir un tel nombre de personnes sur scène. Seconde surprise. La présence d’une figure médiatique : le pourfendeur des raccourcis médiatico-réac-en-direct-live ; celui que craignent Yves Tréard et Pascal Praud : Manès Manel, désormais porte parole de Génération EDR.
L’animatrice de cette plénière devait se douter de la tâche impossible qui lui incombait, mais que pouvait-elle faire ? Il est très rapidement apparu qu’elle ne disposait pas du pouvoir ou de l’autorité nécessaire au contrôle du flot de parole d’intervenant qui jouent en ligue 1 de « essaye de me couper la parole pour voir ». On a rapidement compris de quel type de « plénière » il s’agissait : une sorte de meeting politique. Alors commençons. Les dérives autoritaires en France et à l’international : vous avez 15 minutes chacun.e. Et bien autant vous dire que Manès et Manon ils peuvent nous en donner pour 40 minutes facile. À les écouter dérouler leur speech, je me suis rapidement cru devant ma télé. Manès nous a parlé de la diffusion des idées d’extrême droite, de l’islamophobie et de l’antisémitisme, de la jeunesse et du combat engagé par son organisation, génération EDR ; Manon, quant à elle, nous a parlé de Jordan Bardella, de Viktor Orban et d’un parlement européen soumis à la bienveillance de la droite vis-à-vis des élus fascistes. Tant d’informations nouvelles dont les participants aux « forums antifascistes » prenaient connaissance dans une atmosphère de stupeur générale. Pardonnez mon sarcasme. En réalité on a eu droit à trente minutes interminables de discours formaté pour une émission télé de fin d’après-midi. Allez convaincre une plénière antifasciste de la dangerosité du fascisme ! Mais je crois que Manès et Manon on réussi à nous convaincre à entendre la réponse de la salle.
Mais on était pas là pour dormir. Car nos deux pourfendeurs médiatiques du fascisme ont une arme secrète, un savoir-faire qui doit se transmettre entre initiés : l’appel aux applaudissements. Car les formules ils les ont, avec bien sur l’intonation qui va avec. Et voilà que je te sors des phrases choc, des punchlines qui feraient rougir Pascal Praud ou Elisabeth Lemoine. Et voilà que ça applaudit dans la salle. L’extrême droite, on ne lui laissera pas un pouce de terrain : dans la rue, dans nos syndicats, au parlement européen ! Bravo ! Applaudissements ! Alors oui, je sais, c’est le principe des meetings politiques. On se donne la force, on s’applaudit, on chante, on s’embrasse, on sourit et bon, on reproduit quelque chose. Mais quoi ? Si je demeure candide, c’est que des meetings politiques, je n’en avais jamais vraiment fait. Pourquoi ? Parce que je suis un peu comme 99% de la population mondiale : il faut me payer ou me faire croire à une place au paradis pour me déplacer pour ce genre de rassemblement. Alors oui, j’ai pu subir des tirades enflammées de militants bien formés dans les AG de ma fac, mais on était en lutte et ça passait plus ou moins bien. Quand on tient un blocage, il faut bien des moments pour décompresser, un peu de spectacle et de divertissement. Mais ici le contexte est bien différent : on est dans une journée de forum ; de discussion, dans un contexte non pas électoral mais qui touche à notre survie.
L’impression que j’ai eu en écoutant les belles formules de nos deux représentants, c’est d’être à la messe. Il faut dire que pour combattre l’infâme satan fasciste, il nous faut de bons prêcheurs. La parole doit paraître performative ; elle nous entraîne dans un tourbillon d’émotions vivifiantes et met à bas les faux semblants et les manipulations du démon, qu’il s’appelle Bardella, Praud, Retailleau ou Fourest. Mais pourquoi alors ai-je ce sentiment d’être à la messe, d’entendre sans écouter, de m’assoupir par moment ? C’est que je n’arrive pas à me connecter à la réalité au sein de laquelle cette parole se montre efficace. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : ces deux prêcheurs n’évoluent pas et de n’expriment pas dans notre réalité. Quand on les voit sur nos écrans, la dimension médiatique crée de fait une distance qui rend cet éloignement intelligible et donc assez normal. Vous savez cette différence que vous ressentez quand vous rencontrez un acteur ou je ne sais quelle « star » en vrai.
Ces professionnels, il faut donc faut les avoir bien en face pour réaliser que nous n’évoluons pas dans le même monde. À la rigueur, quand Manon Aubry nous parle du parlement européen, on peut se dire qu’elle doit avoir acquis une certaine expérience. Sauf que ce, attention scoop, qui se passe à Strasbourg n’intéresse absolument personne. Quitte à nous parler d’international, on aurait aimé entendre parler du basculement de la première puissance mondiale dans le fascisme. L’enjeux est vertigineux et, à la rigueur, on aimerait bien savoir comment cela est ressenti par les pro du parlement européen. Sinon, pour ce qui est de l’expertise d’un jeune homme tout juste sorti du lycée Buffon (Paris 15e) en matière d’islamophobie, on repassera.
Quand on a ses co-intervenant.e.s qui ont parlé chacun pendant 15 minutes pour au final ne rien dire d’utile, que faire si ce n’est prendre le même temps pour dire ce que vous avez, vous aussi, à dire ? Bernard Schmid nous a donc offert un brillant cours d’histoire sur le syndicalisme et notamment les attaques qu’il a pu subir de la part des régimes fascistes au XXe siècle. Il nous a tout de même rappelé l’importance de la politique, au sens où celle-ci procède du conflit. Mais alors, comment faire émerger une conflictualité, ou au minimum sa légitimité - rejetée aussi bien par les régimes fascistes que certains syndicats ? Une piste : en libérant la parole. Et pour cela, il faut aller au contact des travailleuses, des citoyennes, des lycéennes, des étudiantes et prendre le temps - ce si précieux temps (tic-tac le INOUI de 21h04) - de les écouter. Tiens, d’ailleurs, il se trouve qu’une jeune femme, Villeurbanaise de surcroit, était présente. Il aura fallu plus de quarante cinq minutes pour l’entendre enfin. Et on peut imaginer que, le temps étant si précieux, elle n’aurait pas 15 minutes pour nous faire son état des lieux de la fascisation de notre pays.
Lumi, quatrième intervenante, nous a couru un sprint. On s’est accroché et on a pris des notes. Et ça commence avec des applaudissements. Cette fois ce n’était pas pour un mot do’rde catchy, son camarade Usul ou le travail réalisé par Blast, mais pour l’ensemble des bénévoles qui ont rendu cette journée possible. Et on a applaudi à une performance réelle, à laquelle toute la salle avait pu être témoin : la mobilisation et l’implication de nombreuses personnes depuis le début de la journée. Ensuite, elle nous a dressé un tableau aussi édifiant qu’effrayant de l’état des médias français. Le principal basculement se passe sur le service public où semblent s’enraciner les thèmes, les éléments de langages et autres formules élaborés par l’extrême droite. Que fait l’ARCOM ? Rien. On sent qu’elle pourrait nous balancer quantité d’exemples et de situations mais elle doit bien se douter que chacun sait où regarder Rhinocéros et qu’on est pas la pour une review de sa dernière vidéo. Ce que je retiens c’est le sentiment d’urgence qui semble la saisir. Sans doute est-ce du au fait qu’elle a un contact direct avec la menace que représente l’extrême droite ? Qu’elle connait des personnes qui vivent déjà l’enfer que la préfecture du Rhône fait subir à tous les étrangers ? Sans doute mais il est temps de redonner la parole à Manès qui a sûrement d’autres choses à nous dire.
Je vous passe le (très long) second round (je laisse au caméraman et au monteur de nous mettre tout cela en ligne) ; on va en venir de suite à la dernière question posée à nos intervenant.e.s : que faire ? Oui que faire face à ce danger fasciste qui n’attend pas les élections de 2027 pour détruire nos vies ? Manès a une intuition : il faut construire et maintenir l’unité. C’est un beau principe, il faut le reconnaître, mais son application concrète sur le terrain demande un niveau d’analyse plus poussé… Bon en fait il était venu nous expliquer à quel point l’abstention du PS lors du vote de la motion de censure (vous vous en souvenez de cet épisode ?) était un acte inadmissible et condamnable et bon je ne me rappelle plus car trop difficile de retenir ce qu’il a pu dire. Il a du aussi nous parler de la grande campagne de génération EDR dont il est porte parole et on lui souhaite une belle carrière à malmener les vieux cons sur les chaînes de télévision.
Et Manon elle nous suggère quoi à votre avis ? La réponse est assez facile il faut le reconnaître : engagez-vous ! Elle nous raconte comment, de simple petite employée (porte parole) dans le milieu associatif (Oxfam) elle s’est retrouvée du jour au lendemain à découvrir la politique (exit 13 ans de parcours politique) en devenant tête de liste de LFI aux élections européennes de 2018. Comme quoi, si vous êtes une simple travailleuse un jour, il se peut que Jean-Luc vienne frapper à votre porte. Le hasard de la vie est ainsi fait. Et Manon en profite pour appeler son public a s’engager, comme elle l’a fait en 2018. Car il semble bien que le public (devrais-je dire « son audience ») présent n’ai jamais eu de véritable contact avec la politique. Hum… De quelle politique parle-t-on d’ailleurs ?
Le plus comique dans cette scène proprement hallucinante a été son salut fraternel à un homme qu’elle a reconnu dans la salle, un homme qui a su lui aussi faire le grand saut vers l’engagement politique : Gabriel Amard ! Et là, on a eu une petite étincelle de conflit-de politique ou je ne sais plus comment appeler cela. Une militante s’est exclamée quelque chose comme : « Mais nous sommes là aussi, nous les militants de la France insoumise ! Pourquoi ne saluer que le député ? ». Mais madame, vous ne faites pas partie de son monde. Vous ne l’aviez pas compris ? Au moins, vous aurez appris quelque chose venant de votre députée ce samedi soir.
D’ailleurs, je ne suis que peu étonné que ce soit une militante ayant connu la politique d’avant internet qui ai eu le courage de couper la parole à la député. Parce que j’ai bien compris que désormais, en politique, ça semble filer bien droit. À la rigueur, on attend sagement d’avoir la parole pour se plaindre que le format de la discussion ne respecte certains fondamentaux. Ou alors on attend de rentrer chez soi pour écrire comme je le fais actuellement sur son blog ou sur twitter son ressenti. Et je m’auto-censure dans le texte, dans l’espoir de ne pas trop cliver. Mais interrompre la parole à la tribune ? Qui fait encore cela ? Et quand on invite un auteur ou une autrice pour présenter son ouvrage, il faut bien se garder de poser des questions embarrassantes ou, pire, d’argumenter contre la thèse portée dans l’ouvrage. Non : il faut se cajoler à gauche. Il faut soutenir la vente des ouvrages ; il faut se construire des icônes (encore une fois : quel dommage de n’avoir pu applaudir Rima Hassan ce samedi). Les temps sont si durs ! Et pourtant, la conflictualité demeure un puissant moteur. Se dire les choses en face, quitte à se fâcher, n’est-ce pas le marqueur d’une société saine ? Le conflit permet souvent de révéler les personnalités au sein d’un groupe, ce qui n’est pas de trop quand on a vocation à porter un projet politique.
La discussion, le débat, ce n’est pas seulement un spectacle visant à fidéliser un auditoire (comme le font si bien les plateaux de TV-Bolloré), ou à se donner une certaine substance comme le fait si mal l’Assemblée nationale. Ces formes de discussions sont à la base de toute action collective efficace. De plus, si on est attaché à la « démocratie » au sens propre, elles supposent une forme d’iségorie (égalité de droit à la parole en public). Or, qu’a-t-on vécu lors de cette plénière ? Des monologues, prononcés par deux personnes qui ne savent pas ce qu’est de vivre avec un SMIC ou une ARE, isolé.e et brutalisé.e par une société qui vous dit que vous n’êtes « rien » (parce que notre tribune du soir, elle n’est pas constituée de « rien »). Et votre avis à vous les (futurs) militants ? Et bien il consiste à se distribuer des tracts, à prêcher sur les marchés, à applaudir des gens qui « parlent bien » et à voter pour le bon candidat.
Ce qui étonne particulièrement, c’est la décorrélation entre d’un côté la bonhomie de ce genre de meeting politique ou des manifestations semi-massives organisées par l’intersyndicale et, de l’autre, « l’accélération de l’histoire » (merci Manès), la situation catastrophique du paysage médiatique (sans parler de ce qui se passe sur les réseaux sociaux) ou encore la très large diffusion des discours militaristes. Il semblerait qu’il y ait deux digues qui se dressent face à la catastrophe fasciste qui s’abat actuellement sur les américains et qui ne tarderait pas à nous tomber dessus. La première est la verve imparable de Jean-Luc. En terme de conflictualité, de franc-parler, le bonhomme sait y faire ; et tant pis si cela peut blesser, notre tribun made in Crondstadt sait bien que toute dynamique politique ne peut ignorer les nécessités d’une Realpolitik qui n’a que faire de la courtoisie ou des « safe space » violées au grand bonheur des journalistes anti-LFI. Cette urgence, cette violence propre à la Realpolitik, il l’incarne par sa fureur et son intransigeance. Mais ne nous trompons pas (et d’ailleurs cela ne trompe personne) : le personnage mobilise autant qu’il effraie et inquiète. Ce n’est pas comme si nous n’avions pas un peu étudié l’histoire et vu tous ces tribuns furieux mettre en place des régimes oppressifs.
Le projet serait une « révolution citoyenne » avec une population mobilisée pour soutenir un gouvernement de gauche. Très bon projet, sauf que : comment mobiliser une population à qui on s’adresse comme à des paroissiens ? Par quels moyens autres que la belle/bonne parole ? En envoyant dans les médias des personnes formées depuis leur adolescence au bla-bla pour aller rivaliser avec les escrocs d’en face ? En multipliant les show avec Jean-Luc ou Rima au programme ? La formule elle est connue, c’est celle qu’ils appliquent à chaque élection : aller au contact des électeurs, les écouter, faire du porte à porte, investir les médias en sachant que la loi leur offrira un temps de parole raisonnable. Mais en dehors des périodes électorales ? Le néant. Alors que répondre aux électeurs qui, depuis des décennies, se plaignent des politiques qui ne montrent leurs gueules qu’au moment des élections ? Quelle belle impasse.
Existerait-il une mémoire populaire, ou simplement une connaissance intime de l’action directe chez celles et ceux qui travaillent en silence ? Je veux dire par là que ce sont souvent les plus bavards et éloquents qui, au final, en font le moins. Mais, eux, ils ont les codes et savent quand intervenir, se placer, ou devrais-je dire s’appuyer sur la masse pour prendre la lumière. Des révolutions passées, quels sont les noms que nous retenons, si ce n’est les grands orateurs et organisateurs ? Or ces révolutions ont été portées par une foule d’anonymes qui n’ont jamais fait qu’appliquer des décisions et des modes d’actions élaborés par eux et pour eux-mêmes. La médiatisation de leurs « chefs » et « leaders » n’a jamais été que la conséquence d’une volonté du pouvoir de disposer de personnes avec qui négocier la fin du mouvement. Et, il faut le reconnaître, certains « chefs » ont su jouer là-dessus avec brio pour déstabiliser l’ennemi et défaire son pouvoir, sa domination. Mais qu’ils sont rares ! Et ils ne semblent pas avoir attend les 76 ans !
L’autre digue face au fascisme ce serait la constitution et le renforcement de solidarités affinitaires. On se rassemble autour d’un noyau dur de militants qui se connaissent et partagent les même idées politiques. Ainsi, quand les fascistes arrivent au pouvoir on (qui ?) disposera d’un réseau pour se protéger et s’entraider. Je ne sais pas dans quelle mesure cela pourrait nous (qui ?) protéger à moyen-long terme d’un appareil policier aussi puissant que celui dont dispose l’État français et ses alliés les fachos du numérique. La question que je me pose c’est : sommes nous formés à résister à un État français qui basculerait hors de l’état de droit (actuellement au stade de la simple remise en cause par l’exécutif) ? Disposons nous des outils juridiques, numériques, fonciers et matériels pour résister dans le cas d’une arrivée au pouvoir (présidentielle et législatives) d’une union des droites sous l’égide du RN ? Le chantier semble gigantesque et nécessiterait de disposer de forces suffisantes, au-delà même des réseaux et affinités militantes déjà existantes.
La simple complicité de la masse actuellement dépolitisée me semble indispensable. Mais comment construire une complicité qui pourrait se transformer en ralliement ? Une idée : faire sans les professionnels de la politique, rendre ce rejet visible, palpable, impliquer les populations à l’échelle locale, créer des moments de convivialité et faire acte de présence notamment par des affichages et une présence sur les marchés, les ronds-points, les sorties de bureaux et des agences France travail. Abandonner cette obsession de la pertinence dans nos échanges ; personne n’a la science infuse, tout le monde a droit à l’erreur, à des biais, à un usage de la langue qui ne cadre pas avec le vocabulaire et les attendus du monde militant ; cette tolérance vis-à-vis de l’autre, du déviant, elle ne doit pas être réservée aux périodes électorales. Retour sur la « plénière ».
Alors bien sur, après une salve de « on ne peux plus rien dire sur BFMtv », il est annoncé à la salle que, par manque de temps, il n’y aura pas d’échanges avec le public. Tant pis pour le forum, le public ne pourra rien dire du tout. Les réflexions qui ont germées dans les esprits durant cette longue et passionnante journée pourront mûrir le temps d’un week-end avant de progressivement s’effacer, remplacés par les outrances de Trump et de Macron, les cambriolages rocambolesques, l’emprisonnement de Sarkozy… Bref, d’une quantité de faits d’actualité qui ne cessent de brouiller nos esprits. Heureusement qu’il nous reste la musique et l’humour. Les arts. Peut-être que c’est par eux que nous arriverons à sortir de cette période sombre, que l’on pourra occuper le terrain et mobiliser la sensibilité et les émotions d’une population qui se zombifie un peu plus chaque jour. On espère que nos ami.e.s Parisien.e.s auront l’occasion de discuter entre eux dans le train du retour et que leurs belles publications sur X ne se feront pas trop trasher par les hordes de fachos qui infestent cette plateforme. Mais au moins ils nous ont gratifié de leur présence et surtout de leur parole. Effectivement, pour eux le monde semble se diviser en deux catégories : ceux qui parlent et ceux qui applaudissent.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info