Alors voilà, moi je veux pas être pro féministe, et je pense même qu’illes sont pas souvent mes allié-e-s dans ma lutte pour l’émancipation du patriarcat. J’entends pas par là que je comprends pas les problèmes qu’illes soulèvent. Je pense que l’émancipation par rapport au patriarcat c’est mon problème aussi et je refuse d’être dépossédé de cette lutte, pas en tant que mec mais en tant que sujet. Parce que je pense qu’il existe parmi les différents rapports de domination, un rapport qui place le masculin au dessus du féminin. Je suis donc tout à fait conscient que ce rapport joue, toutes situations égales par ailleurs, à la défaveur des filles et que cette question doit être prise en compte lors de mes interactions avec le monde. Mais je pense que cet argument ne suffit pas à me déposséder de cette question.
Parce que être un garçon c’est être assigné, au même titre qu’être une fille, à une place particulière dans le monde. Parce que être un garçon ça veut dire être viril et que, pour ça, il faut se faire casser la gueule ou casser des gueules, parce qu’il faut pas pleurer... ou se faire casser la gueule... parce qu’il faut être bon en sport.... ou se faire casser la gueule... et puis pas trop lire... ou se faire casser la gueule. Mais en fait tout ça, on s’en fout, parce que c’est une excuse pour rien. Je pense que jouer souffrance contre souffrance c’est débile. Bon, bien sûr c’est souvent plus facile de dire ça en étant un mec qu’en étant une fille. N’empêche qu’une grande partie des sanctions pour ne pas avoir suivi les assignations de genre nous sont communes.
Alors voilà, ça c’est un peu la base de ce qui construit mon action, mais en fait ça veut pas dire grand chose. Il a juste fallu qu’à un moment je décide comment je voulais poursuivre mon action. Parce que, à un moment j’ai rencontré des féministes, et que j’entendais ce qu’elles me disaient sur l’autonomie de leurs luttes, mais que ça me posait un problème, parce que ça me dépossédait d’une question qui m’avait parue importante pendant longtemps. Et c’est cette solution que j’ai trouvé. Considérer qu’il y a des gens dont les expériences possibles sont limitées par leur assignation de genre. Et que c’est cette limitation et les sanctions liées aux inévitables transgressions qui sont la source de mon engagement. C’est ces frontières que j’entends abolir de nos têtes pour abolir le patriarcat.
Maintenant que je commence à être un peu au clair avec moi, j’aimerais bien être capable de faire des trucs autours de ces questions. Bon, déjà y’a l’inévitable tache de déconstruction à recommencer. Parce que avant de se déconstruire il faut parfois arriver à être fort pour se concentrer sur les bonnes questions. Parce que, dans tout l’attirail des trucs qu’on devrait pas faire, si on veut arriver à être au clair avec nous même il faut savoir trier. Parce que se déconstruire, c’est pour moi piocher les trucs qui dans chaque genre nous émancipe. Savoir écouter les autres et faire valoir son avis est utile qu’on soit née fille ou garçon, personne ne devrait être privé de l’un où l’autre selon une donnée biologique. Mais ça nécessite aussi d’arriver à se mettre en retrait quand notre plus grande maitrise de telle ou telle aptitude nous met en position de force. Bon, bien sûr, ça nous rend plus fort et c’est aussi nos envies et nos goûts qu’on peut repenser avec tous les trucs nouveaux à découvrir qu’il y a derrière. Alors bien sûr, j’irais pas faire croire que se déconstruire c’est dur ou qu’on en chie blablabla, c’est un truc plutôt marrant et l’occasion de plein d’expériences enrichissantes. Et puis déconstruire c’est aussi dans la tête des autres, en provoquant des situations de décalage et là, ça devient carrément plus compliqué d’arriver à trouver comment faire, mais essayer s’avère souvent stimulant.
Bon, après ça doit pas me faire penser que y’a plus de monde autour de moi, et que ma petite histoire de dire que faut plus qu’il y ait de genre, elle se passe dans un monde tout neuf qui n’attendait que ma super idée pour exister. Y’a des rapports de domination super violents qui s’exercent au quotidien sur plein de gens, qui laissent des traces et remontent sur des siècles parfois. Tout cet enchevêtrement d’histoires ça ressurgit sur les gens et ça fait d’eux ce qu’illes sont et ont. Et mon action, toutes ces petites histoires, elle doit les prendre en compte. Elle doit veiller à pas les heurter mais à en améliorer d’une manière où d’une autre le cours. Donc bon, ça veut dire d’une certaine manière que je crois qu’il faut une amélioration au jour le jour de notre condition qui passe notamment par une reprise en mains de nos corps et de nos devenirs. Mais, je suis aussi sûr qu’arrive assez vite un moment où, sans abattre le capitalisme et avec lui la propriété, abattre réellement le patriarcat va devenir difficile. Parce que cette question, elle s’ancre dans plein de trucs matériels de nos existences. Et que la société se construit structurellement pour faire passer le pouvoir et donc aussi la richesse principalement du masculin au masculin, de génération en génération.
Alors bon, ça veut dire aussi que je dois faire attention à la situation des gens autour de moi et prendre en compte la manière dont les rapports de domination sexistes jouent sur la position qu’illes occupent face à moi. C’est ce qui fait que je pense que c’est normal d’être prêt à prendre en compte l’avis de certaines camarades qui expriment des trucs vis à vis de moi, parce que je suis un garçon, de manière super violente. Même si parfois, ça veut pas forcément dire le prendre en compte comme elles voudraient (j’ai lu le scum manifesto avec le même plaisir qu’un livre de George Bataille, souvent je n’ose pas l’avouer). Parce que la structuration de cette domination fait que la partie que je connais du sexisme, m’assure relativement le bon rôle. Et que de ce fait, leur avis peut pas ne pas avoir de poids, même si je trouve que la manière dont ça s’exprime est pas géniale et qu’il faut être de bonne volonté pour le prendre positivement. Alors même si parfois, dans ces moments, je me dis que c’est un manque affligeant de pédagogie et de volonté de propagande. Je trouve quand même au final, avec le temps, plus intéressant de m’interroger sur la subjectivité de la camarade en face de moi que de penser à lui proposer un cours de propagande.
Enfin, au bout du compte, mes considérations égo-centrées doivent pas me faire oublier qu’il y a un monde à transformer. C’est là que ça devient vachement compliqué. Parce que cette question s’exprime concrètement sur plusieurs fronts. Si on prend en compte la question de l’assignation de genre, le problème s’exprime sous une forme ou sous une autre à chacune de nos luttes. Que se soit par la place inférieure dans laquelle sera cantonné le féminin ou par l’assignation de tous à une place précise. Moi j’aimerais bien arriver à faire valoir ce point de vue au sein des collectifs où j’aborde d’autres questions. Des fois j’y arrive... Mais j’ai l’impression que j’arrive pas à me sentir à ma place dans les collectifs qui abordent cette question spécifique. Des fois ça me dérange, et puis, en même temps, je me dis que j’aime pas trop participer à des collectifs qui abordent des questions spécifiques, je crois parfois que j’essaye de m’en persuader.
Mais là dessus, j’ai l’impression que c’est surtout un peu à chacun de répondre à comment il veut articuler cette lutte avec le reste. Parce que j’ai l’impression qu’en fait c’est déjà ça l’idée, arriver à s’emparer des luttes à notre manière du mieux qu’on peut, en prenant en compte ce qui se passe autour de nous et nos propres limites. Et puis qu’on aura un peu tous notre manière et nos opportunités qu’on trouvera pour se sentir fort-es et agir sur le monde. Après ça, il restera plus qu’à se demander comment on fera pour pousser tous dans le même sens, mais bon cette question c’est pas encore pour moi, je verrai quand je serai grand.
Gnome
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