« C’est pas le papier qui travaille, c’est moi ! »

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La politique de l’État, désignant les sans papiers comme des ennemis intérieurs, s’appuie sur le racisme donnant toutes latitudes aux pratiques policières les plus immondes - traques, pièges, rafles, arrestations arbitraires... - qui aboutissent à une peur généralisée. Le silence des sans papiers est massif. Leur prise de parole est d’autant plus importante : c’est à partir d’elle, de ce qui est énoncé comme leur vie en France, qu’une rencontre et une solidarité peuvent être construites.

Voici quelques extraits d’une feuille qui circule à travers le pays : L’UN VISIBLE - flash spécial du 5 avril 2008 [1]

« On ne connaît que la vie en France »

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Entretiens - Témoignages

« Souvent je me pose la question, c’est l’État qui profite ou les patrons qui profitent ? Je me pose la question... Souvent je me réponds à moi-même aussi... je dis non, ce n’est pas le patron qui profite, c’est l’État qui profite parce qu’il ne veut pas nous régulariser... je dis non, c’est les deux qui profitent.

Pour comprendre le système... c’est à dire, quand moi-même je pose la question est-ce que c’est les patrons qui profitent ou est ce que c’est l’État qui profite... pour distinguer là, pour moi, même si je n’ai pas de papiers, c’est pas le papier qui travaille, c’est moi qui travaille... dès que tu arrives à améliorer ça dans ta tête, le patron il pourra pas te faire n’importe quoi...

Soit il te laisse tranquille, soit il te met à la porte ou soit toi-même tu as décidé d’aller tout seul... parce que s’il te prend pour quelqu’un qui fait un travail polyvalent qui n’est pas sur le contrat, à partir de là, quand tu arrives à l’exprimer, tu peux refuser les choses... et surtout au niveau des contrats, parce qu’au début on disait rien du tout et voilà, le contrat nous on le signe... pof... on savait rien du tout... on savait pas lire... on pense pas d’aller montrer à quelqu’un, de voir qu’est-ce qu’il y a dedans... et à partir de là, nous on fait tout le travail polyvalent et actuellement lui il profite...

Mais du moment que quelqu’un arrive à discuter avec les gens, à demander l’information, voir la circulation comment ça roule... à partir de là, on peut commencer à refuser certaines choses. De voir le système d’ici... il faut que tu améliores ça, tu l’adoptes... à partir de là, même si tu n’as pas une situation en règle, il y a certaines choses que tu peux refuser...

Mais le moment d’arrivée, tant que tu es nouveau tu pouvais pas distinguer tout... pour toi, fais ça, c’est ça... fais ça, oui... on peut faire ça un an comme ça et pour améliorer tout ça, il faut un peu de temps... Parce que pour distinguer la situation, souligner les choses qui vont pas, il faut du temps, mais la première fois ici c’est pas évident... parce que la façon qu’on entend, on pense pas qu’on va trouver cette France là... c’est très très contraire. »

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« Le foyer ça nous appartient »

« La question des papiers ça m’a pas surpris... mais le système du foyer, c’est là que j’ai découvert le système... J’ai discuté avec pas mal de gens qui racontent comment ça a été construit, comment ils se sont battus... actuellement toutes les communes, tous les maires, ils veulent plus construire de nouveaux foyers et les anciens foyers qui sont dans la commune, ils veulent les détruire... Où on va aller ? Ils détruisent... ils vous donneraient pas un autre logement donc ils veulent vous foutre dans les rues, c’est tout...

Les sociétés gestionnaires foutent la merde parce qu’ils voulaient nous séparer, ils voulaient nous détruire... Certains disaient les sociétés gestionnaires... ils veulent nous séparer... moi je leur réponds non, ils veulent pas nous séparer, ils veulent nous détruire... Ma réponse est là, ils veulent nous détruire... parce que si on a perdu cette collectivité amicale, on est détruit... »

« Les immigrés, c’est les aventuriers »

« Tout ça quand j’ai commencé à réfléchir, j’ai compris automatiquement... Ceux qui ont créé le foyer, c’est eux qui ont été clairvoyants parce que si on n’avait pas de foyer...

Au début moi j’étais paniqué... ça va être pire que ça... si j’étais arrivé dans un hôtel j’aurais pas pu vivre... et le foyer, on trouve la collectivité familiale qu’on est né dedans en Afrique, qu’on a gardé... Donc pour faciliter le séjour ici, c’est le foyer... et sans le foyer on pourrait pas garder cette collectivité familiale...

C’est pour cela que j’ai dit : "les amis, il faut qu’on essaye d’être debout..." Souvent je disais comme ça, et de penser, d’imaginer, de réfléchir le foyer ça nous appartient...

Et le foyer c’est un lieu de pauvres... comme je disais, c’est un lien... on a le lien à la main, le foyer ça nous appartient à nous-mêmes... À partir de là, j’ai compris que le foyer c’est un lieu de pauvres et un lieu d’immigrés... Ce mot, je l’ai appris ici...

Sinon pour moi, les immigrés c’est les aventuriers. »

P.-S.

La photo du haut est tirée de la couverture de l’album collectif de bande dessinée : « Paroles Sans Papiers » à partir de véritables témoignages de sans papiers (Ed. Delcourt, oct. 2007)

Notes

[1Pour savoir de quoi il s’agit, voir ce site http://www.lunvisible.fr. Les textes cités ne sont pas encore en ligne.

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  • Le 18 juin 2008 à 07:40

    Bonjour,

    Je pense que ce ne sont que les prémisses de l’installation d’un ordre crypto-fasciste. Où la seule « valeur » ultime est celle des dividendes que pourront se redistribuer les « puissants » (privilegiés plutôt, car à part celà, ils ne valent souvent pas un clou). Tout ce qui peut freiner l’ascension du capitalisme doit être écrasé. Les sans papiers sont exploités avec un turning over que le patronat estime être le plus efficace : En effet, une grosse partie d’entre eux, exploités au noir et travaillant dans des conditions inhumaines ne sont plus « trés efficaces » au bout de 2 ans... Malade, souvent gravement (emphysème pulmonaire, blessures, troubles squelettiques...) à cause du « travail », ils sont expulsés par le concordat patronat-etat.

    Eux sont les premières victimes !

    - Aujourd’hui, on essaie de réduire à silence les gens qui dénoncent un tel système par des arrestations, des procés, des menaces...

    - Aujourd’hui, donner à manger à un sans papier recherché est passible de peine de prison.

    - Le sans papier est l’ouvrier du 19 ème siècle... esclave du patron, traqué par la police en dehors de l’usine !

    La misère sociale s’accroit de jour en jour dans les rues entre précaires SDF, sans papiers, chômeurs victimes d’une société de concurrence sans limites entre salariés (car travailler = aussi se battre pour se faire respecter) : des victimes du système capitaliste et de l’état repressif.

  • Le 16 avril 2008 à 07:59

    salut,

    Est-ce le patronat ou l’Etat qui profite ? Les deux mon capitaine ! Car ils sont alliés depuis deux cents ans ! Alliés en un monstre que l’on peut nommer la mégamachine industrialo-étatique.

    je sens que quelque chose de terrible est en train de se jouer en ce moment. La chasse aux individus non standardisés, non classifiés est ouverte. La chasse aux sans papiers est un élément de base du nouvel ordre brun qui se met en place dans tout l’Occident. La partie standardisée du cheptel humain (les peuples occidentaux) se sent à l’abri de la violence de la mégamachine en voyant cette violence se retourner contre cette partie de la population qu’on lui désigne comme ennemie avec le discours sur l’insécurité. L’exemple des rafles de sans papiers permet de poser une limite : la limite de ce qu’il est normal de vivre dans l’ordre brun occidental. La standardisation de la vie des européens prend ainsi le caractère de la normalité. Ainsi se créé une unité des individus artificialisés autour de l’ordre.

    Je ne connais pas grand chose de ce qu’il se passe dans les camps (et non « centres ») de rétention mais je sens qu’il se joue là quelque chose d’équivalent aux premiers camps de concentration allemands. Les actuels camps n’auront pas la même configuration que les camps allemands, le niveau de violence ne sera peut-être pas équivalent et on ne tuera peut être pas les gens en masse (je l’espère mais de quoi sera réellement fait le futur ?). Normal : le néo-fascisme, qui prend la forme d’un contrôle total bienveillant pour les soumis, ne fonctionne pas sous la forme d’un déchaînement de violence, à la manière de l’ancienne configuration totalitaire, mais sous la forme d’une violence thérapeutique. La violence brune est désormais un classement, une classification, elle désigne les bons et les mauvais (à la manière de la stratégie de la « guerre révolutionnaire » théorisée par le colonel Lacheroy. Si vous voulez vous prendre un vrai coup de flippe, renseignez-vous là-dessus et comparez avec la situation actuelle en France). La violence brune veut notre bien, elle veut nous soigner comme le dis cet article qui me semble important tant il exprime parfaitement l’air du temps.

    À mon avis, ce n’est pas en votant aux prochaines élections que ça va changer. Nous faisons face à une lame de fond généralisée. Le « traitement » des sans papiers nous montre une société moderne qui se prépare à un pétage de plomb généralisé. Ca rappelle les années trente. Les camps de rétention accueillent pour le moment les sans-papiers. Mais ensuite ? À qui le tour ?

    Totof

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