C’est - toujours - la catastrophe !

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Il y a plusieurs mois, nous proposions une première critique du catastrophisme. Nous persistons ici en posant un constat simple : le discours des collapsologues est de plus en plus en vogue mais n’a pas vraiment l’air d’inquiéter le système. Par quelle étrange opération la question écologique se trouve-t-elle au centre de l’attention de chacun en même temps que la marche en avant destructrice du monde unifié par la marchandise ne cesse de s’accélérer ?

« C’est la maison commune planétaire qui leur faut établir. Un monde Un. Avec la déesse Gaïa dans le rôle principal du monothéisme gestionnaire » Josep Rafanell I’Orra

Impossible aujourd’hui de passer à côté des rapports du GIEC ou de ne pas voir la tête sympathique de Pablo Servigné en quatrième de couverture d’un best seller de collapsologie. L’exposition médiatique de celles et ceux qui nous alertent, à juste titre, sur les destructions et pollutions actuelles du vivant connaît clairement un pic. Dans le même temps, et par un étrange paradoxe propre à la roublardise du système capitaliste, la marchandisation de la planète s’approfondit toujours un peu plus ; chaque chose, chaque personne est valorisée, aucun hectare de forêt qui ne fasse pas l’objet d’un calcul de rentabilité pas plus qu’un humain ne s’attache à faire jouer ses atouts sur les marchés de l’emploi ou des relations sociales.
Préambule un peu retors pour dire ceci : par quelle étrange opération la question écologique se trouve t-elle au centre de l’attention de chacun en même temps que la marche en avant destructrice du monde unifié par la marchandise ne cesse de s’accélérer ? Impossible probablement de répondre totalement à cette question, nous choisirons ici d’en poser une autre : cette situation ne reflète t-elle pas certaines faiblesses dans les écrits annonciateurs de la catastrophe ? Ou pour le dire autrement ne réside-t-il pas une forme d’inconsistance politique dans ces discours qui s’en tiennent à une inoffensive description de la réalité à l’heure où nous avons plus que jamais besoin de vérités.

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La collapsologie, hors des rapports de pouvoirs ?

Renseigner la catastrophe en cours n’est pas critiquable en soit, seulement voilà, les documents qui sortent à ce sujet sonnent un peu creux et n’en permettent pas une appropriation qui puisse nourrir des luttes.
En premier lieu, ils tendent à mettre tous les terriens dans la même galère, universalisant les responsabilités des drames actuels. Comme l’évoque l’historien J-B. Fressoz à propos du catastrophiste historique Ulrich Beck, cela dépeint quelque peu un monde uniforme, hors des rapports de pouvoir. La catastrophe est ici une responsabilité collective avant tout. Ou plutôt, peu importe quels acteurs, quels processus historiques précis ont conduit à cette situation, nous devons maintenant faire corps ensemble pour ne pas tomber dans l’abîme. Beck évoque par exemple l’effet boomerang, pour lui les plus gros profiteurs des pollutions – les riches exploiteurs d’hydrocarbures par exemple – se reprendront un jour dans la tête leur exploitation à outrance des ressources planétaires. Évacuée donc la question des origines des destructions du vivant actuelles, évacuée aussi - en passant - qu’avant que le retour de boomerang atteigne les patrons de Total ou Tepco il frappera un sacré nombre de personnes, des habitants de Jakarta à ceux des environs de l’usine Lubrizol.
Criant manque, donc, d’historisation de la catastrophe dont la nécessité semble pourtant évidente. Pour parvenir à se sortir du glaçant présent perpétuel dans lequel nous sommes empêtrés, nous devons trouver des appuis historiques. Il s’agit d’une part de retracer les processus historiques de construction d’un système toujours plus destructeur afin d’en saisir plus finement les causes et d’autre part de s’enrichir d’expériences passées, les faire résonner pour charger un peu d’Histoire en nous, densifier nos gestes et aiguiser notre créativité.

« Les statistiques globales de consommation et d’émissions compactent les mille manières d’habiter la terre en quelques courbes, effaçant par la même l’immense variation des responsabilités entre les peuples et les classes sociales » J-B. Fressoz

Seconde ombre au tableau collapsologue selon nous, Pablo Servigné et ses amis nous invitent à leur manière à penser le monde comme une grande machine à mieux gérer. Réduire telle production, maximiser l’efficacité énergétique, se préparer ensemble à l’effondrement mondial qui arrive, telles sont les maximes de ces ingénieurs refusant de défendre la lutte pour la destitution du système économique et lui préférant des solutions techniques et segmentées afin d’atteindre l’objectif fumeux de la résilience.
Il y a quelque chose de profondément dépolitisant dans tous ces écrits. D’autant plus pernicieux que leur constat sonne juste au premier abord. Oui la planète se réchauffe et le vivant crève à petit feu. Mais pour combattre cette situation il faut d’abord en faire la généalogie. Gardons nous par exemple de rabâcher le concept d’anthropocène. Tout ce courant de pensée écologiste est contenue dans ce mot, anthropos, les Hommes, ce seraient eux les acteurs des changements délirants de ces deux derniers siècles, quel raccourci grossier ! Nous parlerons plutôt de Capitalocène afin de percer cette grande baudruche qu’est l’Humanité et fouiller plus finement les évolutions des problèmes écologiques, notamment par l’histoire de l’industrialisation [1] ou en étudiant les liens entre accroissement des risques écologiques dans les usines et précarisation des employés [2].

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Les écologistes Unistes

Ces écrits constituent un corpus qu’on pourrait qualifier de « Uniste ». Chacun insistent ainsi sur le fait d’Un monde à préserver, la Terre serait notre vaisseau mère, à tous, et il nous importerait de la sauver dans une sorte d’union sacrée mondiale et pris d’une nouvelle responsabilité collective.
Les pensées écologistes Unistes se focalisent sur l’effondrement qui arrive et en appelle au rassemblement mondial pour le conjurer. Sauf que celui-ci constitue une entité vide, le monde n’est uni que par la marchandise aujourd’hui et le solliciter en totalité s’est remette son destin dans les mains de l’Economie, celle là même qui nous pourrit la vie.
Nous soutenons que les analyses sur l’état de la planète doivent se doter d’une plus grande épaisseur historique afin d’adjoindre à leurs analyses de qualité une critique radicale du capitalisme et des processus de marchandisation du monde qui nous amenés jusqu’à la catastrophe en cours.
La nébuleuse écologiste Uniste, ne pense le monde qu’en le surplombant, la Terre est une sphère mesurable à souhait, et il s’agit pour eux de « toujours mieux quantifier le ravage écologique en cours »  [3]. L’accumulation de chiffres et de rapports ne crée pas de véritables savoirs sur lesquels s’appuyer pour lutter mais tendent au contraire à niveler toutes les informations tant est qu’elles perdent de leur sens, et que leur importance se noie dans les teraoctets de données circulant à chaque instant dans les réseaux de l’information. Par ailleurs, les problèmes mondiaux assenés à coup de courbes vertigineuses donne à voir une catastrophe globale assommante, nous rendant quelque peu impuissants et laissant de facto à l’Etat le soin de s’en préoccuper, quitte à nous réserver une surveillance de masse repeinte en vert [4].

Il nous faut dès lors développer une pensée écologiste qui parte du milieu, qui n’appelle non pas à l’unité planétaire bon enfant mais à la fragmentation du monde afin de composer de nouvelles alliances, de repérer et s’attaquer à nos adversaires. Un autre monde n’est pas possible, créons en donc de multiples tout en visant la destitution de celui-ci.

«  Il s’agit d’opérer entre la pulvérisation capitaliste et l’injonction au grand Un » I. Stengers

Fragmenter le monde

Josep Rafanell I’Orra appelle dans un récent ouvrage à fragmenter le monde. Il entend par là démanteler un monde socialisé entièrement par la marchandise ou, autrement dit, à détruire ce monde dont plus aucune parcelle ne fait pas l’objet de valorisation, de calcul et de prévision. Dans le système capitaliste, la Terre est un produit, au même titre qu’une brosse à chiotte.
Refusant d’un même geste les grandes planifications de sauvegarde de la planète et le laisser aller nihiliste, l’auteur explique que l’enjeu écologique réside plutôt dans notre capacité à construire des mondes, à tisser des liens particuliers avec les humains et les non humains qui nous entourent, à faire naître des formes de vie plurielles qui partent de notre condition de terriens. Ainsi, « fragmenter le monde n’est rien d’autre que retrouver des formes de vie par lesquelles être au monde […] Inversons la formule, retrouver des formes de vie c’est fragmenter le monde de la totalité qui en dénie la possibilité dans la forme universelle du monde-marchandise.  »

A ceux qui seraient tentés de ne voir dans la fragmentation du monde qu’un raffinement idéologique un peu vide de sens, nous devons répondre que ce concept répond à un double enjeu politique particulièrement présent dans les luttes écologiques actuelles.

Il s’agit d’abord de refuser une position attentiste par rapport à l’État. Nous ne pouvons pas attendre du gouvernement qu’il agisse sur la crise écologique. Lui mettre la pression, par tous les moyens nécessaires afin de remporter certaines batailles - abandon de grands projets, législation sur les pesticides, etc. - reste bien sûr très important mais, tant que le système se maintiendra dans cette forme là, nous ne conjurerons pas la catastrophe. Fragmenter le monde, c’est prendre faits et causes contre les gouvernements et le monde recouvert dans son ensemble par l’Économie qu’ils défendent.
Le mouvement de deep ecology né, avec Arne Naess, dans les années 70 et qui connaît un nouvel essor aujourd’hui est apprécié en raison de son refus de la politique des « petits pas » et sa croyance en la nécessité de changements radicaux. Mais les méthodes annoncées pour y parvenir font soupirer, faire évoluer les consciences et, progressivement, imposer des mesures écologiques dans les programmes des principaux partis. Et en attendant ? Renoncer doucement aux plaisirs polluants du système capitaliste en vivant sa meilleure vie d’ermite à la campagne.
Nombreux sont d’ailleurs les militants de différents groupes, comme Extinction Rebellion, qui prennent acte de cette réalité et semblent prêts à durcir la lutte écologiste. La feuille de route officielle de cette organisation est en revanche beaucoup moins réjouissante, en particulier à propos de la défense du fétiche de la « non violence », quel en est vraiment le sens ? Est ce que se défendre d’une agression est violent ? Et taguer contre la police, première garante du système que nous attaquons ? Il y a là une faiblesse qu’il ne s’agit pas de critiquer en prônant de manière tout aussi idéologique le recours à la violence en toute occasion, mais en affirmant la nécessité de la diversité des moyens de lutte, depuis les pétitions jusqu’aux attaques de parlement en passant par les sabotages de sites industriels ou les blocages de grands axes de circulation.

Le mythe de l’écologie individuelle doit aussi être liquider. Une grande offensive est à l’oeuvre, dont les interdictions des vieux diesels est un exemple typique, qui visent à responsabiliser les citoyens. Non pas leur octroyer une force d’action mais essayer plutôt de les enrôler dans la gestion du désastre en activant les leviers pervers de la culpabilisation et du shaming . Modifier le cours des choses ne pourra jamais se résumer à consommer mieux ou moins.
Autre face de la même pièce, le survivalisme ne perçoit aussi le salut écologique que dans l’action individuelle ; la foi dans un changement global en moins, mais animer d’une forte croyance de pouvoir en réchapper. Paramilitaires à l’américaine ou juste bien planqués comme Y. Cochet - ex ministre de l’écologie - les survivalistes refusent de voir la catastrophe actuelle et se concentrent sur un effondrement futur qu’ils espèrent certains afin de rentabiliser leurs investissements dans des formations hors de prix ou des bunkers remplis de conserves.

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La ZAD à Notre-Dame-des-Landes est un bon exemple de monde qui prend au sérieux la question écologique. 1400 hectares de terres ont échappées à la bétonisation grâce à une lutte de longue haleine. Il y a là une tentative exceptionnelle de soustraire un endroit à la valorisation capitaliste, afin de pouvoir porter une attention à son milieu influencée au minimum par les questions de rentabilité. A la ZAD, « habiter » prend un autre sens, pour reprendre les termes d’une récente brochure : « Habiter le bocage c’est nouer en lui et avec lui un rapport sensible aux antipodes de l’implacable froideur gestionnaire »  [5].
Arracher un territoire à l’État par la lutte avec toute la diversité de moyens que cette dernière abrite, c’est un peu cela fragmenter le monde.

Une chose est certaine, la question écologique n’a sans doute jamais été aussi brûlante, de plus en plus de personnes sont prêtes à se mettre en jeu, à sortir de leur condition de citoyens attentifs et inquiets et s’attaquer aux responsables de toute les dégradations en cours du vivant réunis dans ce que J. Baschet a nommé « le front de marchandisation du monde ».
Se défaire de sa condition pour en faire un autre usage, c’est exactement la définition que G. Agamben fait de la destitution. La destitution, poursuit-il, est une force qui n’a pas pour horizon le « faire », la construction d’un système mais plutôt le « non-faire » ; c’est une sorte de grève existentielle vis à vis des conditions de vie qu’on nous impose. La passivité n’y a pas lieu d’être, c’est une bataille que la destitution, qui fait le pari de faire tomber le camp d’en face sans vouloir le remplacer.
Une écologie destituante passerait dès lors par la lutte contre le monde capitaliste, État compris, sans plus n’attendre rien de lui, sans imaginer qu’un gouvernement reverdi ou la signature de vagues accords internationaux n’infléchira en quoique ce soit les trajectoires en cours. A l’inverse, croire en une écologie destituante c’est partir de la construction et la défense de nos formes de vie pour attaquer un système en complète recomposition, c’est oser imaginer des futurs désétatisés et se battre pour arracher des lieux où faire grandir nos désirs ; fragments par fragments.

«  “ La révolution ou la mort” , ce slogan n ‘est plus l’expression lyrique de la conscience révoltée » G. Debord

Notes

[1Voir les travaux de J-B. Fressoz, ou F. Jarridge. Sur la question anthopocène/capitalocène, voir J-B Fressoz et C. Bonneuil, L’événement anthropocène.

[2Pour R. Becot, « L’accident de Lubrizol constitue déjà le témoignage des effets insidieux de la liquidation des structures de vigilances collectives (supprimées par la loi Travail) que pouvaient représenter, notamment, les CHSCT » https://lundi.am/Lubrizol-la-catastrophe-n-a-pas-encore-eu-lieu

[5Prise de terre(s), Notre-Dame-Des-Landes, été 2019

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