Alors que tout le monde s’inquiète des violences policières, il semblerait que ce ne soit que le début. La police nous réserve toujours des surprises dans ce domaine. C’est l’excellent site du collectif Désarmons-les qui lançait l’alerte dimanche. Après la journée de mobilisation contre la venue de Macron le 2 juin à Lyon, un camarade de la CGA a publié sur sa page Facebook une photo d’un CRS équipé de cette arme énorme dans le centre-ville :
Un design impressionnant qui rappelle les mitraillettes à la Al Capone. La même sulfateuse avait aussi été aperçue entre les mains de CRS à Paris, lors de la manifestation du samedi 9 avril.
Elle était apparue également quelques jours plus tôt, le mardi 5 avril, à l’occasion d’un rassemblement devant un commissariat parisien où avaient été emmenés des dizaines de lycéen·nes, rue de l’Evangile. Ce 2 juin, c’est devant l’hôtel de ville de Lyon, devant l’Opéra, que cette arme a été sortie, face à une cinquantaine de manifestant·es.
Selon Désarmons-les, il s’agirait d’un Arwen 37, connu au Canada pour avoir blessé de nombreux manifestant·es en tirant des balles de plastique en rafale. En examinant de plus près les photos, notamment la crosse et la poignée, le doute s’installe. Quelle est donc vraiment cette arme ?
On épluche les photos sur Internet, on se noie dans les forums pas franchement passionnants d’armement, on ne trouve rien de probant. Une camarade de Radio Canut, qui prépare une émission sur les « casseurs », téléphone au ministère de l’Intérieur. Autant avoir les infos à la source, on fera le tri plus tard.
Après avoir demandé des "éléments de langage" auprès de sa hiérarchie, l’officier en charge des réponses elliptiques confirme qu’il ne s’agit pas d’un Arwen 37, l’arme canadienne. Il indique seulement qu’il s’agit d’un "lance-grenades multi-coups" ou "à répétition", capable d’envoyer 6 projectiles d’affilée jusqu’à 100 ou 150 m. Une centaine de ces lance-grenades seraient en fonction en France (certains provenant d’autres fabricants d’après le ministère) et en dotation dans la police depuis 2010.
Rien de neuf alors ? Cette arme n’est pourtant documentée nulle part [1]. Quant à son apparition, elle était rare jusqu’à ces derniers mois. La sortie de ces "lance-grenades à répétition" doit donc être réservée à des moments excessivement dangereux pour les forces de l’ordre. Comme ce jeudi 2 juin à Lyon, face à 50 manifestant·es rincé·es par la pluie devant l’hôtel de ville. D’après les "éléments de langage" du ministère, les conditions d’utilisation seraient les mêmes que pour les lacrymos, pas besoin par conséquent de circulaire spécifique. Pratique.
L’officier refuse évidemment de préciser le modèle ou même le fabriquant de l’engin sur la photo. On le comprend, parce qu’on découvre finalement son nom [2]. C’est un lance-grenades Penn Arms 40 mm, qui fonctionne comme un fusil à pompe.
C’est surtout l’une des armes qui symbolisent la militarisation de la police américaine. Une photo d’un policier l’utilisant à Ferguson a fait le tour du monde. Elle figure en couverture d’un rapport policier sur le maintien de l’ordre lors des émeutes après la mort de Mike Brown [3].
Entre les mains de nos CRS, c’est plus exactement un lance-grenades multiples PGL65-40 [4]. Multiple à la fois par la répétition possible (6 tirs en 4 secondes), mais aussi par la diversité de munitions proposées par son fabricant américain.
Le ministère indique ne vouloir s’en servir, pour l’instant en tout cas, que pour tirer des lacrymos ou des fumigènes. Cette sulfateuse est toutefois prévue par Combined Systems pour se transformer en flashball à répétition (à partir de 35" dans la vidéo suivante). Il suffit de changer les projectiles :
Fait plus inquiétant et immédiat, les lanceurs actuels Cougar et Chouca sont en théorie conçus pour obliger les policiers à tirer en cloche les lacrymos. « Les tirs tendus ne sont pas autorisés dans la police », déclarait Michèlle Alliot-Marie en 2009.. Pour autant, cela n’empêche pas les policiers de le faire régulièrement comme on a pu le constater ces derniers mois.
Le Penn Arms PGL 65-40 est, à l’inverse, prévu pour shooter la cible, comme au stand ou à la guerre. Il a ainsi blessé gravement des manifestant·es d’Occupy aux Etats-Unis, et un autre Penn Arms utilisé par l’armée israélienne a tué un manifestant en Palestine, Mustafa Tamimi.
Plus globalement, les munitions fabriquées par CSI ont fait des victimes partout à travers le monde. Si ces armes ont encore récemment été utilisées en Turquie ou au Bahrein, l’administration américaine aurait décidé, en début d’année, le retrait des lance-grenades qu’elle avait prêtée aux polices locales. En France par contre, la militarisation du « maintien de l’ordre » ne semble pas prêt de s’arrêter.
On se consolera en se disant que nos fiers flics français pourront enfin se croire au cinéma. Le Penn Arms est notamment mis en scène dans le film « Kick Ass 2 ». C’est l’arme d’un méchant. Évidemment.
Mises à jour
Vendredi 23h30 : le Penn Arms a été vu hier (pour la première fois semble-t-il) à Nantes.
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