Communiqué de l’Assemblée Générale des Archéologues de la région lyonnaise du 14 décembre 2019

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Réforme des retraites 2019-2020

L’archéologie préventive est une mission d’intérêt public et scientifique œuvrant pour la sauvegarde du patrimoine archéologique sur le territoire national. Elle intervient en amont des projets d’aménagement du territoire afin de sauvegarder et de documenter les archives du sol en prévision de la destruction des vestiges du site. Aujourd’hui, cette profession est, comme beaucoup d’autres, en proie aux dérives ultralibérales du système économique actuel. Depuis 2003, l’ouverture au marché concurrentiel des prestations de fouilles préventives, jusqu’alors assurées intégralement par les opérateurs publics, a engendré une course à la compétitivité des différents opérateurs qui s’est matérialisée sur le terrain par une dégradation quasi continue des conditions de travail.

Ces difficultés sont connues et dénoncées par l’ensemble des acteurs du secteur depuis leur origine, et semble aujourd’hui atteindre un stade critique.

Ainsi, on assiste depuis déjà de nombreuses années à un recours systématique aux CDD courts et renouvelés sur une longue période, pour les postes de technicien.nes de fouille. Cela est d’autant plus persistant que le secteur public semble afficher sa volonté de réduire le nombre de CDI qu’il embauche, augmentant par définition le nombre de CDD. Cette gestion à court terme du recrutement met en danger la continuité de la qualité scientifique de la discipline, pourtant largement reconnue par le grand public et les milieux scientifiques français et étrangers. On assiste également à une généralisation du recours au “primo-contrat” d’étudiants fraîchement sortis de l’université sans beaucoup d’expérience, tandis que les CDD un peu plus aguerris voient toute perspective de continuer leur carrière bloquée, entraînant ainsi un taux d’abandon très élevé. Cela provoque également une baisse sensible de la qualité scientifique des opérations de fouilles due à un taux disproportionné de personnel débutant, entraînant une relégation du poste de responsable d’opération à celui de manager d’équipe. Cette baisse de qualité scientifique est également directement à mettre en lien avec l’absence presque totale de jours de post-fouille - période dédiée à l’exploitation scientifique des vestiges découverts lors de la fouille - pour les archéologues en contrats précaires, alors que cette partie du travail est nécessaire et primordiale dans la démarche scientifique du métier

Une aggravation de cette situation est à noter puisqu’on voit désormais apparaître le recours à l’intérim dans le secteur privé. Comme pour d’autres professions, cette stratégie permet aux employeur.ses une plus grande flexibilité dans les contrats, toujours au détriment des salarié.es qui voient leur précarité d’autant plus aggravée, balloté.es de chantier en chantier sans perspective réelle de reconduction. L’apparition de l’intérim dans le secteur privé semble trouver son pendant dans le public avec la renaissance des “contrats de mission”, statut légal permettant une embauche à durée indéterminée mais restreinte à la conduite d’une mission spécifique et interdisant toute reconduction au-delà de celle-ci. Ce dispositif ravive le souvenir récent des “contrats d’activité” (CDA) qui avaient fait l’objet d’un rejet vif et unanime par l’ensemble de la profession il y a quelques années seulement.

A cette situation déjà très préoccupante vient s’ajouter la réforme de l’assurance chômage, dont la première partie est entrée en vigueur au mois de novembre dernier. Cette réforme vise à la refonte des conditions d’accès à l’indemnisation et au rechargement de ce droit. Il faut en effet désormais avoir travaillé six mois minimum sur les vingt-quatre derniers mois (contre 1 mois auparavant) pour ouvrir des droits (on passe de 150 à 910 heures). Cette réforme fragilise les travailleurs.ses CDD de la profession, puisque la réalité du marché de l’emploi en archéologie préventive veut qu’il soit aujourd’hui quasiment impossible d’enchaîner des contrats sur une période aussi longue sans phase de carence.

La deuxième partie de cette réforme, qui entrera en vigueur au mois d’avril, vise à modifier considérablement le mode de calcul du montant de l’allocation. Celle-ci ne sera ainsi plus calculée sur la base du salaire perçu par l’employé sur ses jours travaillés au cours des 12 derniers mois, mais sur son revenu moyen des 24 derniers mois, incluant par conséquent sa/ses période.s d’inactivité.

Concrètement, cette réforme empêchera les archéologues précaires de pouvoir compter sur l’allocation chômage pour subvenir à leurs besoins pendant les quelques semaines/mois entre deux contrats, les forçant donc à chercher de l’emploi dans d’autres secteurs, aggravant de fait l’hémorragie et le turn-over présents chez les technicien.nes de fouille

Ces constats ont été faits par près d’une trentaine d’archéologues de la région lyonnaise, tous opérateurs confondus, étudiant.es, précaires ou CDI, réunis en Assemblée générale le lundi 9 décembre à la Bourse du Travail de Lyon.

Devant la gravité de la situation, les participants ont pris la décision de convoquer régulièrement de nouvelles réunions - la prochaine étant fixée au lundi 13 janvier - afin de rester unis et attentifs à l’évolution des pratiques sociales au sein de la profession. Une volonté a aussi été exprimée d’organiser une forme de résistance collective dont le but est d’assurer un futur à la discipline archéologique, et aux archéologues qu’ils soient statutaires CDI, précaires CDD/intérimaires ou futures précaires étudiants. Enfin, un appel a été lancé à tous les étudiants, archéologues et acteurs de la protection du patrimoine (recherche, musées, DRAC...) de la région à participer à ces AG et à rejoindre le mouvement, toutes les formes d’engagement seront les bienvenues.

D’autres AG de la profession se sont tenues ou se tiennent dans d’autres régions françaises et une rencontre nationale est prévue prochainement.

L’AG de Lyon des archéologues en lutte

Lyon le 14 décembre 2019

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