Un gilet jaune condamné à 2 ans de prison pour un coup de pied dans un fourgon de police

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Comptes-rendus de justice

Le vendredi 19 juillet, se tenait le procès d’un jeune homme accusé d’avoir participé à l’acte XIV des gilets jaunes et d’avoir pris part à l’attaque d’un véhicule de police au niveau de l’autoroute A7, le 16 février dernier. Plus précisément, il était accusé d’avoir mis un coup de pied dans le capôt du véhicule et d’avoir cassé des plots en bêton pour fabriquer des projectiles. Récit d’un jugement où se sont mêlées phantasmes policiers, vidéo virale et justice d’émotion.

Prologue

L’affaire n’est jugée qu’en début de soirée. C’est le juge Vincent qui préside. Un homme très calme, avec un ton mielleux et légèrement pédant. Tout au long de la journée, les prévenu-es se succèdent dans la salle des comparutions immédiates. Ce vendredi, voilà à quoi ressemblait la 14e chambre du TGI : un apatride qui ne peut pas récupérer son permis en pref’ et qui, à chaque contrôle routier, finit en garde-à-vue ; un conflit de voisinage sur fond d’alcool avec un couteau sorti à la fin ; une jeune femme à fleur de peau et qui n’hésite pas, elle aussi, à sortir son couteau pour « impressionner » ; un vol de guitares et leur revente dans un magasin ; des violences conjugales ; une embrouille avec des contrôleuses SNCF... Pour bien montrer la détestation qu’ils ont des prévenu-es, les magistrats n’hésitent pas à rappeler, dans la plupart des affaires, que « les faits sont extrêmement désagréables ». Un peu comme de devoir passer une après-midi entière à écouter leurs litanies.

Dans toutes ces histoires, le parquet requiert systématiquement des peines d’emprisonnement avec mandat de dépôt « car les autres solutions, on le voit bien, ne marchent pas ». On a aussi droit, de temps en temps, aux états d’âme du proc’ qui ne peut s’empêcher de nous gratifier de sa morale d’homme de droite un peu bébête. Par exemple quand il avoue être désespéré de devoir défendre des femmes qui restent avec des « hommes violents », ce « genre de victimes » qui repartent toujours se fourrer dans la gueule du loup, selon ses mots.

« Éléments de personnalité »

Tous les autres prévenus ayant été jugé et condamné, ne reste que l’affaire du gilet jaune. Le juge se lance, s’adressant à Manuel [1].

Juge : Vous êtes poursuivi pour vous être rendu coupable, le 16 février lors d’une manifestation de gilets jaunes, de :

  • complicité de violences aggravées avec deux circonstances aggravantes : en réunion et avec usage ou menace d’une arme suivi d’une ITT de 8 jours, en l’espèce en apportant une aide aux manifestants qui caillaissaient les services de police en cassant des plôts de béton.
  • Vous êtes également poursuivis pour groupement en vue de commettre des dégradations ou violences [2],
  • pour dégradation d’un bien destiné à l’utilité ou à la décoration publique, en l’espèce en ayant détériorer un véhicule de police en provocant un enfoncement du capot,
  • et pour violences en réunion sur deux personnes dépositaires de l’autorité publique.

Il rappelle ensuite que le 11 avril 2016, Manuel a été condamné à 8 mois de prison (1 mois ferme avec mandat de dépôt et 7 avec sursis) pendant une manifestation contre la loi Travail à Lyon.

Juge : C’était pour quoi ?
Prévenu : Pour un jet de canette.
J : C’était au moment des lois travails [sic] ?
P : Oui.

Le juge égrenne les éléments du dossier. Le jeune gilet jaune vit chez ses parents, il est sans enfants, travaille à temps partiel dans l’animation et est titulaire d’un bac pro.

Juge : « Voilà, on va se lancer dans la procédure. Les faits qui vous sont reprochés sont cette participation à cette manifestation avec cette scène qui nous occupe, avec des affrontements entre manifestants et services de police à l’entrée de l’autoroute A7 avec des caillassages de policiers en charge du maintien de l’ordre. Et avec après, un fourgon qui va se retrouver pris à partie, dans la circulation, par les manifestants. Vous avez reconnu avoir cassé du béton pour aider les gens qui lançaient des projectiles. Vous avez ensuite reconnu l’agression du fourgon de police. Au début on avait un seul élément d’identification vous concernant [3]. On a deux personnes (dont une avec un ciré jaune) dont on a les photos qu’on a toujours pas retrouvées. En perquisition, on a retrouvé tous les effets personnels que vous portiez ce jour-là (ceinture , sweat, casquette, etc.), de la littérature anarchiste et le kit du parfait manifestant (masque respiratoire blanc, écharpe, gants, etc.). »

Cette histoire avait fait du bruit et le groupe politique dont Manuel était membre à l’époque avait décidé de cacher les effets personnels que portait Manuel ce 16 février. Puis, les mois passants, il a considéré qu’il n’y avait plus de risques et a tout ramené chez lui.

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Le procès continue et c’est maintenant le moment de regarder les vidéos de l’attaque de la voiture de police. On ne voit pas bien quel est l’intérêt, sinon de jouer à se faire peur, puisque Manuel est en principe, selon les textes de loi, seulement jugé pour ce qu’il a effectivement fait, à savoir avoir mis un coup de pied dans une voiture. Mais c’est là qu’on comprend qu’il va prendre pour tout le monde, vu qu’il est pour l’instant le seul à s’être fait attrapé. Tout le tribunal se regroupe derrière un PC et la séance de riot porn peut commencer. De la vidéo prise depuis l’hélicoptère, on voit les affrontements entre policiers et manifestants. Et on apprend que la caméra fixée sur l’hélico est capable de faire des zooms très puissants et d’avoir des plans très clairs en moins d’une seconde. Le juge, qui doit sans doute être un fin connaisseur du maintien de l’ordre, commente : « la difficulté des services de police était qu’il y avait un chantier à proximité avec des éléments dont se servent les manifestants pour ériger des barricades, jeter des projectiles, etc. » Ensuite, vient la deuxième vidéo, celle que les services de police ont fait en sorte de rendre virale après cet acte. Il n’y a pas de son alors le juge se croit obliger de meubler le silence et de tout commenter : « Donc là, vous êtes pris à parti par les gens autour... Ça commence à être la panique à bord... Vous dites : "vas-y avance, vas-y avance"... Toutes les vitres derrières et latérales sautent.... Les renfonts ne sont plus très loin. »

Puis tout le monde reprend sa place. Le juge donne la parole à Manuel. Ce dernier commence en s’excusant auprès des deux policiers : « Ça a dû être l’enfer à l’intérieur. Je ne peux pas me mettre à votre place. »

J : Les excuses sont faites. Vous nous expliquerez maintenant ce que vous avez fait ce jour-là.
M : Je suis allé à la manif avec des amis. Sur l’autoroute, je les ai perdus. J’ai vu un attroupement et j’y suis allé. Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai cassé des plots en béton. Puis j’ai vu le véhicule de CRS bloqué sur l’autoroute. Je ne savais pas exactement ce qui se passait. Au moment de sauter [sur le fourgon] j’ai hésité, mais j’avais déjà pris mon élan. Puis j’ai rejoint la fête foraine [à proximité], choqué.
J : Par quoi ?
M : Par le geste que je venais de réaliser.
J [s’enervant] : Choqué par quoi ? Vous étiez là pour en découdre ! Vous n’êtes pas restés que 5 minutes ! Qu’est-ce que vous alliez faire dans cette manifestation ?
M : J’y allais avec des amis. Je n’avais rien prévu de particulier.
J : Pourquoi vous y êtes allés ?
M : Pour le soutien au mouvement des gilets jaunes.
J : C’est quoi votre cause là-dedans ?

Manuel parle de sa paye à 450euros/mois et des conditions de travail qui se dégradent.

J : Vous y allez tous les samedis ?
M : J’ai dû faire trois manifs.
J : Les septs mois de sursis, à ce moment-là, ils sont dans quel coin de votre tête ?
M : Ils n’y sont pas. J’y ai pensé dès que je suis « descendu » du véhicule. C’est pourquoi, j’ai tout de suite quitter la manifestation. J’ai fait quelques manifestations ensuite en tant que street medic. Et après j’ai complètement quitté le mouvement et tous les mouvements politiques que je fréquentais jusque là.

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Place aux « victimes »

La policière et le brigadier présents à l’époque dans le véhicule sont appellés à la barre. Ils se sont constitués partie civile :

Marine : « Je n’ai pas l’habitude de m’exprimer devant un tribunal. Je suis émue. À l’époque, j’étais policière depuis seulement trois mois. Je venais de sortir de l’école de police. C’était la première fois que je conduisais. On était là pour protéger les manifestants, pas pour les interpeller mais pour leur sécurité. Ça a été très violent. Je n’imaginais pas tous ces gens se jeter sur nous avec une telle détermination. Ils ont tenté de rentrer dans le fourgon. Dès que je vois cette vidéo, j’ai les larmes qui remontent. J’ai eu peur pour ma vie. »

Ensuite elle se met à parler réputation & réseaux sociaux. En gros, elle explique que son préjudice réside aussi dans les critiques qu’elle s’est prise quant à son attitude durant la scène (le fait de montrer des signes de peur, de pleurer à la fin). Marine est comme tout le monde, tellement narcissique qu’elle ne peut s’empecher après avoir vécu un événement d’aller lire le qu’en dira-t-on sur Internet pour voir ce qu’on dit d’elle. Et bien évidemment chaque critique est ressentie comme une critique personnelle, qui touche la personne dans sa totalité. Bref, elle s’est demandée si elle allait continuer ce métier.

Le juge se demande, lui, comment cette vidéo a pu se retrouver sur les réseaux sociaux.

Le brigadier, présent lors du caillassage, intervient alors et explique qu’avec son expérience, il avait vite capté qu’ils allaient se prendre la misère en passant à proximité du cortège. Il avait prévenu sa collègue : « Marine, ferme tout. On va ramasser ». Filmer la scène devait uniquement servir au travail de police judiciaire pour identifier les gilets jaunes à arrêter ensuite. Dans la foulée, il a partagé en ligne la vidéo sur un groupe privé de fonctionnaires de police. Un syndicaliste lui a demandé la permission de la transmettre à plus haute échelle. La vidéo tombe alors entre les mains de la hiérarchie policière. Et dans ces gradés, il faut croire que certains ont lu Galula et ont compris que la lutte contre les gilets jaunes est d’essence contre-insurrectionnelle – et donc se joue en partie sur le terrain de la perception – puisque la vidéo est alors diffusée rapidement sur l’Internet et envoyée aux télés.

Juge : Après elle vous a échappé ?
Olivier : Oui, mais je ne suis pas mécontent qu’elle soit sortie. J’ai 22 ans de police, ce n’est pas la première fois que je subi un caillassage. Mais jamais comme celui-là. J’espère ne jamais me retrouver dans des situations comme celle-là. Monsieur a déjà été condamné pour les mêmes faits. Il s’excuse mais c’est ce qu’il a déjà dû dire au collègue [précédemment]. Je suis persuadé qu’il recommencera.

Juge [s’adressant à Manuel] : Au niveau relationnel vous gardez des contacts avec [votre ancienne organisation politique] ? C’est des amis ?
M : Pour manifester non, mais j’ai gardé des amis.

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C’est ensuite au tour des avocats des parties civiles de prendre la parole. Avec pour commencer l’inssuportable Stéphanie Rogeron :

Avocate : J’aimerais que vous m’expliquiez l’idéologie de [son ancienne organisation politique]...
M : Il y a l’écologie, l’antifascisme, la liberté. On fait des rassemblements, des manifestations.
A : C’est national ?
M : Non spécifique à Lyon.

Elle lui reproche ensuite d’avoir eu le visage couvert. Bien que ce soit justement le fait d’avoir été mal masqué (juste des lunettes de soleil et une casquette) qui a conduit à son arrestation.

Elle s’offusque par la suite qu’à sa première présentation en comparution immédiate, un mois auparavant, il ait été relaché sans même être placé sous contrôle judiciaire [4] . L’avocat de la défense prend alors la parole et questionne Manuel sur son parcours personnel (son adoption, le racisme qu’il a subi), son diplôme de secouriste, son BAFA puis le BAFD qu’il a passé pour accéder à des fonctions de directeur d’animation.

Comprenant que la défense essaie d’humaniser le prévenu l’avocate des flics contre-attaque et lance un cinglant : « Ce jour-là, vous aviez un gilet jaune ? » L’avocat de la défense soupire : « Il y a un ordre pour les questions… »

Avocate : « Une indemnistation des parties civiles a eu lieu avant l’audience. La proposition a été acceptée par mes deux clients mais elle n’éteint pas l’action. La constitution de parties civiles était importante pour eux. »

Comme si c’était nécessaire, elle rappelle une enième fois les circonstances et en rajoute sur ce mythe assez étonnant qu’eux seraient de gentils fonctionnaires de police venus pour sécuriser les lieux et empêcher les gilets jaunes, « les vrais » martelle-t-elle en haussant la voix et en regardant Manuel, de se faire percuter par les voitures. Ironie de l’histoire, le même jour à Rouen, pour ce même acte XIV , un automoboliste fonçait dans la foule et renversait quatre gilets jaunes avant de prendre la fuite, façon Charlottesville. Rapidement la police a l’identité du conducteur : ce n’est autre qu’un gendarme mobile (pas en service à ce moment-là). Mais dans cette situation, le parquet de Rouen a bien pris soin d’étouffer au maximum l’histoire et le pouvoir en place n’a évidemment pas jugé utile de relayer en boucle sur les réseaux sociaux la vidéo d’un fonctionnaire de police fonçant sur les manifestants. C’est vrai que ça aurait pu diffuser des affects anti-police assez puissants... C’est dire à quel point, la gestion du mouvement des gilets jaunes est traitée, par les gouvernants, sur le mode d’une guerre se jouant jusqu’au niveau même des perceptions (de ce qui se passe, de qui sont les victimes, qui sont les bourreaux, etc.). Cette histoire n’a été rendue public que fin juin, quand le mouvement était déjà bien déclinant, à un moment où elle n’était plus susceptible de mettre le feu aux poudres. En tout état de cause et sauf démenti, il ne semble pas que le militaire ait été inculpé de tentative de meurtres [5].

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Avocate : « Nous avons, comme à chaque manifestation, au sein des gilets jaunes avec leurs revendications, financières notamment, des infiltrations de mouvances, extrême-gauche, extrême-droite, peu importe, pressées d’en découdre avec la police. »

Elle évoque ensuite un deuxième fourgon également caillassé le même jour et sur lequel l’enquête est encore ouverte. Puis elle finit par se plaindre... de la circulation ce fameux 16 février : « On a mis 2h15 pour sortir de Lyon ce jour-là. Le soir, je me souviens avoir eu le sang glacé en voyant la vidéo [6]. Je crois que cette vidéo, a choqué au-delà de ces deux fonctionnaires, l’opinion publique toute entière, en France et même au-delà. Et je suis désolé mais quand on me parle d’écologie, c’est un groupe qui prone la violence. Quand on parle de black bloc, on a un représentant, un membre actif, extrèmement dangereux, peut-être pas un leader. Qu’il ne se revendique pas du mouvement des gilets jaunes, c’est une honte ! Ça discrédite un mouvement de braves gens qui ont des difficultés au quotidien ». [Pour elle, comme pour n’importe quel agent de la classe dominante, le mouvement des gilets jaunes est gentil, attendrissant, presque légitime quand il ne fait que renvendiquer paisiblement, quand il ne bloque rien, qu’il ne s’en prend pas à la police. En gros quand il ressemble à des manifs syndicales, c’est-à-dire quand il est parfaitement inoffensif. Sinon, si ça déborde, ça ne peut être qu’une ingérence extérieur, une infiltration, un dévoiement scandaleux, bref du grand n’importe quoi. Si le bloc soviétique était encore là, au lieu des cris quant au « black bloc » on aurait sans doute entendu « communiste »].

Puis très perspicace, elle poursuit : « Qu’on ne me parle pas d’adoption. On en connaît tous. Et heureusement qu’on ne les retrouve pas tous devant votre tribunal. On ne peut pas tout mettre sur le compte d’une histoire de vie. Pour monsieur, la vie est un amusement extrèmement dangereux, il manque de respect pour tout, pour les normes, pour l’État. Il est totalement immature. Et pour tromper l’oisiveté, il s’est acoquiné avec des individus peu recommandables et qui sont, je tiens à le dire, très dangereux. On me dit que monsieur travaille, moi je veux bien », et de citer quelques absences qui sont signalés sur ses bulletins de paye. Elle se permet ensuite : « Il prend la liberté d ’aller travailler et de rester à la maison quand il le souhaite. Il veut nous donner l’illusion de quelqu’un qui se bat pour s’en sortir, mais il vit chez papa et maman. [s’appuyant sur ses relevés bancaires], quand il n’a plus d’argent hop un versement d’un membre de sa famille » [7].

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Elle embraye ensuite sur les conséquences terribles de cet épisode pour les policiers au niveau familial : leurs proches ont mal vécu ce moment. « Est-ce normal de commencer dans une profession et de s’interroger tout de suite sur son avenir [professionnel] car des individus, dont monsieur faisait partie, ont décidé de les agresser ? Je crois que monsieur doit comprendre la gravité de ses actes. On doit cesser de se revendiquer des gilets jaunes quand on vit chez papa/maman. »

Elle finit par évoquer l’anonymat des policiers dans la procédure car ils auraient une grosse inquiétude au sujet de possibles... représailles ! « Si on ne met pas un terme, il recommencera. Ils [les policiers] ont la crainte de se retrouver face-à-face avec lui et qu’il ait de la frustration vis-à-vis d’eux. Ils doivent entendre de la bouche du tribunal, ce n’est pas moi qui le demande, qu’ils sont bien les victimes dans cette affaire. »

Ensuite le deuxième avocat des parties civiles prend la parole. C’est lui qui défend le policier qui s’est pris un caillou durant les affontements. Il commence par s’émouvoir du fait qu’au début du jugement, Manuel ne se soit excusé que pour les deux policiers présents et pas pour son client. Il montre ensuite une photo de l’épaule du flic avec un hématome. Sa contusion à l’épaule droite lui a valu 8 jours d’ITT. Dans une de ses formules brillantes dont les avocats ont le secret, il lance plein d’entrain : « Mon client a la volonté de servir la société et non de servir de défouloir aux manifestants ». Dont acte. Mais malgré ce noble dessein, le policier a aussi quelques revendications plus terre à terre. Il aimerait bien notamment récolter 1500 euros au titre des dommages et intérêt. En fait Manuel n’est pas accusé de l’avoir blessé mais d’avoir cassé des blocs de béton, qui ont servi à faire des projectiles (et d’avoir fait des doigts d’honneur). Lesquels projectiles ont pu être de ceux qui ont blessé M. Perez (c’est son nom). Même si Manuel ne l’a pas blessé directement, le parquet et la partie civile arrivent à trouver un fil pour le relier à cette blessure. Suivant ce raisonnement, que ne renierait sans doute pas la sainte Inquisition, on pourrait aussi décider de condamner les manifestants identifiés pendant cet acte XIV en disant qu’ils ont participé symboliquement et par leur présence aux affrontements avec la police. 

Au tour des réquisitions

Parquet : « Il est inutile de revenir sur les faits déjà connus et reconnus. La matérialité des faits ne fait aucun problème. Il est fréquent que le ministère public parle de « faits graves ». Mais je vais le faire quand même. Les faits sont d’une gravité incroyables, inouïs. Près de 100 impacts relevés sur le véhicule, coincé sous une pluie de projectiles. Pris au piège dans le bouchon. Puis monsieur, alors que le véhicule est attaqué de toute part, dans une grande lacheté vient avec une volonté de blesser, on pourrait même dire de tuer [à ce stade de délire, pourquoi ne pas aller plus loin et l’accuser d’avoir voulu renverser la camionnette de police dans le Rhône pendant qu’on y est]. On peut s’etonner du fait qu’il n’y ait pas eu usage des armes de services. »

Avec ce genre de phrases lancés dans un tribunal, ce n’est pas être un oiseau de mauvais augure que de constater que non contente d’élever le niveau de l’affrontement en employant des armes que peu de pays démocratiques utlisent en maintien de l’ordre, (LBD grenades…) et en ayant assoupli le recours aux armes à feu pour les policiers, on peut tout à fait craindre qu’à l’avenir, dans des situations tendues, plutôt que de reculer ou de prendre la fuite, les policiers dégainenent carrément en manif. Et ce n’est manifestement pas le parquet qui leur en fera le reproche.

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Parquet : « Avec son engagement, monsieur augmente la fracture social. J’ai entendu un mot qui m’a fait bondir, le fait qu’il soit « pro-liberté ». C’est exactement le contraire : vous avez porté atteinte à une liberté fondamentale qui est celle de manifester, par vos gestes, par ce que vous avez fait [Encore une fois rien de nouveau sous le soleil. Quand les manifs sont tranquilles, déclarées et encadrées et que le bétail manifestant circule « librement », tout va bien dans le meilleur des mondes. Les dégénérés qui peuplent les tribunaux et l’assemblée nationale sont même prêts à dire qu’ils exercent là une liberté et à les féliciter. Mais dès que la révolte s’incarne un peu plus et que les premiers defenseurs du pouvoir sur le terrain – les forces de l’ordre – sont pris à parti, on crie au scandale et à l’atteinte aux libertés]. Monsieur a déjà été condamé pour des faits de violences contre la police. C’est pour exprimer sa volonté politique de casser du policer qu’il est venu ce jour-là. Il est en récidive légal. On peut penser à une erreur de parcours. On voit que ce n’est pas le cas. Je vais vous demander de rentrer en voie de condamnation : 2 ans d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt, et de révoquer les 7 mois avec sursis mis à l’épreuve que monsieur avait au dessus de la tête. Je pense que monsieur ne résistera pas à l’appel de la prochaine manifestation violente. Il convient donc de l’interdire de 1er et 2e arrondissement, de l’interdire aussi de manifestation. Je vous invite également à prononcer une interdiction définitive d’exercer la profession d’animateur. Je m’oppose également à la non-inscription de la condamnation sur le [casier judiciaire] B2. »

Défense : « Je vais vous dire quelques mots à propos de ce garçon. On parle peu des faits établis. Manuel ne faisait pas partie du black bloc, qui n’était pas present ce jour-là. Ce n’est pas dans le dossier. On transforme [son organisation politique] en regroupement de black bloc qui aurait eu pour but d’aller casser du policier alors que rien ne le prouve. On peut juste leur reprocher d’avoir cacher temporairement du matériel. On ne peut pas faire porter le chapeau à ce garçon-là de tout ce qui s’est passé. »

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Défense : « Manuel n’est pas personnellement responsable de cette situation [de l’attaque de la voiture de police], Manuel n’est pas 120 individus, il n’est responsable que de ce qu’il a fait. Il n’y a que ce rebond sur le véhicule. La partie dure de la scène est au début avec les caillasages, les coups. De tout cela, il n’est pas l’instigateur. Il voit un attroupement et le rejoint sans comprendre. Il met un coup de pied et repart après. On veut lui faire payer des faits graves qu’il n’a pas commis. »

Pour l’accusation de « groupement en vue de comettre des violences », l’avocat dit qu’elle n’existe pas dans cette affaire et que de toute façon elle est redondante avec les autres chefs d’inculpation dont Manuel est accusé. Pareil pour la dégradation du véhicule de police et les « violences », c’est un doublon, ça devrait être un seul chef d’inculpation.

Défense : « Entendre que ce garçon est de mauvaise foi et que s’il n’est pas incarcéré, il va recommencer à la prochaine manif et que s’il n’est pas embastillé, il va venir tranché des gorges (en référence aux « peurs » de « représailles » des policiers), c’est assez désagréable. Il a reconnu les faits. On dit souvent qu’il y a les aveux et la qualité des aveux. Il faut avoir un certain courrage pour venir partager ses faiblesses dans un moment comme celui-là. Il a été choqué par ce qui s’est passé, par ce qu’il a fait. C’est pas donné à tout le monde. Et donc il va se mettre à aider les gens qui se sont pris du gaz lacrymogène. Et après il va arrêter complètement. Et ça me paraît être une prise de conscience importante. Il s’est excusé en garde-à-vue et dès la première audience. Et vis-à-vis des victimes, il comprend le mal qu’il a pu leur faire. Ce sont des indices favorables que ces choses ne vont pas se reproduire. Il faut les entendre. Et vouloir gacher tout cela, gacher la vie d’un gamin. De 22 ans. À 22 ans, on change encore. Ce garçon n’est pas fermé. Sa détention [en 2016] a été extrèmement dure, un vrai cauchemar. Il va tout perdre. Je ne vais pas faire perdre son temps au tribunal en demandant la non-inscription au B2, je sais que je ne l’obtiendrai pas. C’est fouttu. Tout est fouttu. Il va falloir tout reprendre à zéro. Faut-il envoyer ce garçon à Corbas ? Non une peine mixte est souhaitable. »

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Jugement dernier

Aux allentours de 23h, un peu après la victoire algérienne à la CAN, le verdict tombe.

Manuel est pleinement reconnu responsable des « violences » commises. Il est relaxé pour les dégradations du véhicule de police car sa finalité aurait été de s’en prendre aux forces de l’ordre et pas au véhicule. Relaxé également pour le « groupement en vue de comettre des violences » car ce délit vise à punir des préparatifs. « Vous n’êtes pas responsables de tout mais vous avez apporté votre pierre à l’édifice ». Magnanime, le tribunal annonce avoir tenu compte de l’anciennenté des faits et du fait qu’il comparait libre. Il est condamné à 2 ans de prison dont 16 mois avec sursis mis à l’épreuve avec obligation de soin. 4 mois de son ancien sursis sont révoqués. Il écope au total d’1 an ferme sans mandat de dépôt (donc aménageable). Il ne part pas ce soir en prison. Ses proches sont soulagés malgré la peine démesurément lourde. Si Manuel avait été jugé pour un simple coup de pied et un cassage de plôt, il n’aurait jamais été condamné de la sorte. C’est donc bien qu’il a été jugé pour l’entièreté de ce qui s’est passé pendant cet acte XIV à Lyon qu’il a pris autant.

Le policier Perez obtient ses 1500 euros de dommages et intérêts. Le juge Vincent termine la soirée ; et tel un Dieu clément et miséricordieux, il assène à sa brebis égaré : « Laissez tout cela derrière vous. Ne participez plus à aucune action collective ».

Amen.

Notes

[1Le prénom a été changé.

[2L’accusation dont quasiment chaque gilet jaune arrêté est affublé depuis le 1er acte du 17 novembre 2018.

[3Les enquêteurs n’avaient qu’un visage issu de la vidéo des policiers se trouvant dans le fourgon.

[4Ce qui est effectivement plutôt rarissime. En fait quand le tribunal a vu arrivé cette affaire et le dossier de 300 pages, il a pris peur et n’a pas voulu jugé dans l’immédiat.

[5Alors qu’un esprit malveillant pourrait apparenter son geste à cette intention. Et on n’ose pas imaginer ce qui se serait passé si un gilet jaune avait fait la même à l’égard de policiers. Mais passons.

[6Le dispositif de façonnement des perceptions fonctionne bien : en regardant les images, les seules personnes avec qui l’avocate arrive à s’identifier sont les policiers.

[7Cette pauvre d’esprit ne fait que reprendre à son compte des décennies de rhétorique contre-révolutionnaire, où pour discrédite les révoltés, on hésite pas à fouiller dans leur passé et à montrer qu’en définitive, ils seraient des priviliégiés (!), en tout cas pas de la même nature que la masse des opprimés.

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