Il y a de vieux adages anarchistes qu’on oublie avec le temps et avec l’affaiblissement apparent de la puissance réactionnaire de l’Église catholique. Et pourtant, certains sont d’une actualité incroyable. « Rien n’est plus beau qu’une église en flammes », la vieille comptine anti-cléricale est depuis peu remise à la mode. Il faut dire que les images sont belles. Le feu, quand il emporte les symboles du pouvoir, du contrôle moral et politique, quand il fait s’effondrer les palais, les cathédrales, les prisons, les centres de rétention, on ne peut voir en lui qu’un vieil allié. Je dirais même plus : le feu est, avec sa jeune sœur la chimie, notre ami.
On ne peut regretter qu’une chose, c’est que ce soit Notre Dame de Paris, bâtiment historique qui démontre tout le savoir faire artistique et architectural du Moyen Âge occidental qui soit en flammes... on aurait préféré que ce soit le Sacré Cœur qui crame, cette bouse infâme construite en 1875 pour rappeler au bon peuple communard que ce sont bien les bigots et ceux qui sabrent les peuples qui sont aux commandes.
Mais dans cette histoire, comme souvent dans cette époque de spectacle permanent, le corps de la victime n’était pas encore froid que les multiples récupérations se mettaient déjà à l’œuvre. BFM TV, obligation du direct, a fait défiler hier soir, non pas les représentants des monuments nationaux, pas plus des historiens, mais des archevêques, des Nadine Morano, des représentants avant tout de la droite conservatrice et du culte catholique. Notre Dame de Paris, bâtiment historique, classé au patrimoine historique de l’humanité, propriété de l’État français « laïc », était mardi avant tout la représentation de la France catholique et réactionnaire.
Et d’ailleurs il semble qu’on ne soit plus très Charlie quand il s’agit de se moquer de Notre Dame de Paris. Quelques militantes et militants UNEF qui s’étaient senti de faire de (mauvaises) blagues sur l’incendie en cours ont rapidement subi une séance de cyber-harcèlement, contraignant l’une d’elles à fermer son compte (pendant qu’un autre passait le sien en privé) alors que la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche s’était fendue d’un Tweet pour la désigner à la vindicte populaire. Mardi matin, le militant d’extrême droite Gilles-William Goldnadel a même fini de transformer l’histoire en une sinistre farce, en annonçant son intention de porter plainte contre les petits plaisantins du soir.
Une collecte nationale a aussi été mise immédiatement en place. Telle une catastrophe naturelle de l’autre côté du monde, chaque petit⋅e⋅s citoyen⋅ne⋅s choqué⋅e⋅s par la surmédiatisation de l’événement pourra donner son petit pécule pour le salut de son âme et/ou marchandiser sa catharsis. Rapidement, la manipulation psychologique se transforme en entreprise de com’. Toutes les grandes entreprises, tous les grand.es bourgeois.es de France se souviennent de la loi Aillagon de 2003, destinée à favoriser le financement de la culture, les entreprises peuvent déduire 60% de leurs dépenses en faveur du mécénat. Autant dire que si Notre Dame est rapidement reconstruite, ce sera aux frais du contribuable indirectement… voir directement.
Laurent Wauquiez a annoncé que la Région Auvergne-Rhône-Alpes, qu’il préside, verserait 2 millions d’euros … comme ça, sans honte. Notre président de région, après avoir réduit drastiquement les aides à la culture, jeté au bûcher d’innombrables associations (enfin celles qui ne pratiquaient pas la chasse) et même réduit de 40000€ la subvention pour le mémorial des enfant d’Izieu, retourne sa veste et devient mécène d’une entreprise « culturelle ». La laïcité et la culture ont bon dos. Il faut dire qu’en cette période électorale, toute médiatisation est bonne à prendre, et les votes de la droite catholique sont en vente libre. On est loin du mutisme politico-médiatique quand le 28 novembre 2017, le CHU de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe partait lui aussi en fumée … un an et demi après, l’île fait face à une crise sanitaire dans l’oubli le plus total [1].
On pourrait aussi parler de l’émotion internationale, ce bébé du tourisme de masse et de l’architecture iconique qui vise à promouvoir quelques bâtiments ultra-médiatiques pendant que des centaines de chefs-d’œuvre architecturaux sont à l’abandon. Cette même émotion internationale qui s’émeut quelques secondes à peine quand le 14 juin 2017, la tour Grenfell [2] à Londres brûle, tuant 71 personnes. Six mois plus tard, de nombreux⋅euses habitant.es de la tour étaient toujours relogé.es dans des hôtels. Les logements sociaux peuvent brûler avec leurs occupants dans le mépris le plus total, tant qu’ils n’attirent pas les touristes.
Faut-il également rappeler que le 5 novembre 2018, ce sont huit personnes qui ont trouvé la mort dans l’effondrement de leur maison, au 65 rue d’Aubagne à Marseille, alors que l’insalubrité des logements était dénoncée depuis plus de 20 ans. En janvier 2018, la Soleam, l’organisme municipal supervisant la rénovation du centre ville, répétait qu’il n’y avait pas péril en la demeure et que les travaux envisagés pour la résorption de l’habitat insalubre à Noailles seraient donc remis à une date ultérieure, un diagnostic étant envisagé en 2020. La encore, bien peu d’indignation nationale, et des personnes qui ne sont toujours pas relogées des mois après.
N’empêche que maintenant on saura, si on souhaite soutenir la restauration d’une Église, le mieux s’est d’y foutre le feu.
L’anecdote des incendiaires, aux derniers jours, venus pour détruire Notre-Dame, et qui s’y heurtent au bataillon armé des artistes de la Commune, est riche de sens : elle est un bon exemple de démocratie directe. Elle montre aussi, plus loin, les problèmes encore à résoudre dans la perspective du pouvoir des conseils. Ces artistes unanimes avaient-ils raison de défendre une cathédrale au nom de valeurs esthétiques permanentes, et finalement de l’esprit des musées, alors que d’autres hommes voulaient justement accéder à l’expression ce jour-là, en traduisant par cette démolition leur défi à une société qui, dans la défaite présente, rejetait toute leur vie au néant et au silence ? Les artistes partisans de la Commune, agissant en spécialistes, se trouvaient déjà en conflit avec une manifestation extrémiste de la lutte contre l’aliénation. Il faut reprocher aux hommes de la Commune de n’avoir pas osé répondre à la terreur totalitaire du pouvoir par la totalité de l’emploi de leurs armes. Tout porte à croire qu’on a fait disparaître les poètes qui ont traduit à ce moment la poésie en suspens de la Commune. La masse des actes inaccomplis de la Commune permet que deviennent « atrocités » les actes ébauchés, et que les souvenirs soient censurés. Le mot « ceux qui ont fait les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau » explique aussi le silence de Saint-Just.
Sur la Commune Debord Guy, Kotànyi Attila, Vaneigem Raoul
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