Le conseil scientifique se repose sur un « think tank » pour donner un avis sur le flicage numérique

1157 visites
Covid-19

Avec l’approche du déconfinement souhaité par Macron, le conseil scientifique a planché sur les différents outils censés éviter un retour de l’épidémie et a pondu un avis détaillé, avec des fiches techniques dans lesquelles il décrit ses états d’âmes. On s’est attardé un peu sur celles qui parlent des outils numériques, et ça fout franchement les pétoches.

Pour plus d’informations sur le traçage automatisé, on vous invite à lire notre hors-série sur la question.

La question de l’utilité des applications de traçage est vite traitée, dans la fiche technique numéro 4 : « Des travaux de modélisation suggèrent que ce type d’approche peut considérablement renforcer l’efficacité du contrôle sanitaire de l’épidémie ». On appréciera l’absence de référence vers les études en question. Il faut aller tout à la fin du document pour trouver d’où vient cette assertion : un article publié dans la revue Science et un rapport d’une membre du « think tank progressiste » Terra nova financé par Danone, Engie ou même Google... Terra nova avait été épinglée par le Monde diplomatique pour être un vivier à expert·es, un endroit où on cultive l’entre-soi et le conformisme idéologique des classes dirigeantes. Un chercheur américain commente les notes de Terra nova comme bien plus remarquables par leur profusion étourdissante que par leur contenu.

Ce rapport a une ligne directrice claire : le numérique vient uniquement en soutien à des mesures de contrôle épidémiologique. La question de la vie privée est donc subordonnée à celle de l’efficacité des mesures d’endiguement de l’épidémie. Elle est même complètement secondaire : les applications de traçage de contact sont vues comme un outil d’empowerment, sur la base du volontariat, dans le cadre de la civic tech, permettant de se saisir des enjeux sanitaires. On aimerait bien comprendre comment !? À défaut, il faudra de toute façon imposer leur usage, puisqu’elles sont efficaces. Tant pis pour le volontariat...

JPEG - 48.5 ko
Face à la langue de bois, la Scop Le pavé anime des ateliers de désintoxication et un documentaire en parle. Exercice simple : si vous êtes un·e expert·e, préférez vous parlez de soumission ou de compliance ?

Tout en rappellant que cela serait mieux d’avoir le consentement de la population, le conseil scientifique envisage de le rendre obligatoire et justifie cela en appelant l’OMS à la barre et son guide sur les questions éthiques de la surveillance de la santé publique : il s’agit de sauver des vies.

Si les usages volontaires sont à privilégier, des options obligatoires ne peuvent être écartées [...] Tout en pouvant techniquement se dispenser du consentement, les outils numériques permettent aussi de le recueillir à travers des usages volontaires. A défaut de consentement, un haut degré de transparence doit s’accompagner d’une information intelligible, y compris pour les personnes éloignées du numérique.

On retrouve le ton martial du gouvernement, que les scientifiques cachent d’habitude sous plus de précautions oratoires : « De manière générale, les mesures sanitaires visant à la protection de la population sont pour un État un devoir ». On n’observe jamais autant de volontarisme lorsqu’il s’agit de lutter contre le tabac (78.000 morts par an en France) et l’alcool (49.000 morts).

Conscient·es des réticences que la population pourrait nourrir face à cette surveillance volontaire mais imposée, les éminences prennent par la suite un ton censément rassurant : « Une levée de l’anonymat n’implique pas la levée de la confidentialité ». On aimerait les croire, ou au moins comprendre ce que ça peut bien vouloir dire. Idem lorsqu’iels insistent sur l’importance de prendre en compte « nos concitoyens éloignés du numérique » avec des « options adaptées [...] à partir de moyens humains, matériels ou numériques appropriés ». On aimerait que ce soit déjà le cas en temps normal, alors qu’une partie non négligeable de la population se trouve en difficulté pour la réalisation de démarches administratives informatisées.

JPEG - 258.2 ko

Après avoir énuméré une vingtaine de principes de bonne gouvernance typiques de la langue de bois managériale dont on sait qu’ils ne sont que des vœux pieux, des distractions, le conseil se hasarde à aborder la question des effets sur le système de santé, ce qui donne lieu à deux pages de verbiage de cabinet de conseil, garanties sans contenu. Morceaux choisis :


- Sans évoquer des scénarios – au demeurant plausibles – d’une « Uberisation » du système de santé, une stratégie numérique peut déboucher sur une rupture technologique importante.

- « La French Tech offre des espoirs prometteurs et se mobilise pour développer de nouvelles solutions en contexte épidémique. »

Que peut-on tirer de ces lectures, à part quelques tranches de rire et une bonne chair de poule ? Comme on l’avait déjà remarqué dans une gazette précédente, le conseil scientifique fait appel à très peu de travaux scientifiques pour étayer ses affirmations. Par ailleurs, il n’y a rien de « scientifique » dans les argumentaires déployés qui sont tellement vagues qu’on ne sait même pas à quels outils numériques ils font référence.

Si le texte ressemble plus à une copie de concours d’entrée à l’ENA qu’à un article de revue scientifique, c’est parce que son objectif n’est pas d’étudier des applications concrètes, pour peser le pour et le contre, mais de donner une caution scientifique à l’action gouvernementale à venir. Les limites à l’efficacité du traçage, posées par l’absence de libre-consentement, le faible nombre d’utilisateur·ices attendu·es et les détournements de l’application ne sont même pas évoquées... L’amateurisme des scientifiques du conseil sur les enjeux du traçage informatisé est flagrant, sans doute parce que le seul « spécialiste du numérique » parmi elleux est Aymeril Hoang, un habitué du pantouflage et ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi, véritable VRP du traçage. Le conseil scientifique permet au gouvernement de se défausser des responsabilités politiques concernant son action, de manière encore plus flagrante que d’habitude.

La suite à lire sur : https://ladeviation.com/agiter/gazette-confine-es-11-rentree-classes-1er-mai-surveillance

P.-S.

Consultez l’intégralité de La Gazette des confiné·es #11, dont cet article est extrait.

La Gazette des confiné·es est un collectif ouvert d’ami·es basé·es entre autres à Nantes, Tours et Paris qui souhaitent mutualiser la prise d’informations portant sur la crise du Covid-19 sur internet afin de ne pas rester chacun·e de son côté isolé·e face aux écrans et de nous libérer du temps pour faire et penser à autre chose. La Gazette paraît deux fois par semaines sur La Déviation et le réseau Mutu.

Consultez aussi nos précédents numéros et en particulier La Gazette des confiné·es #9 (Science, peurs et épandages) et La Gazette des confiné·es #10 (Émeutes, BlackRock et grève des loyers).

Tous les retours sont les bienvenus ! Écrivez-nous à gazette.des.confine.es at protonmail.com

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info

Derniers articles de la thématique « Covid-19 » :

>L’industrie du complotisme

Vous en avez marre des conspirationnistes qui voient des lézards géants partout ? Et en même temps vous ne supportez plus la petite musique des médias qui traitent de "complotiste" chaque personne qui remet en question l’ordre établi ? Pour nourrir la réflexion des mouvements sociaux...

› Tous les articles "Covid-19"

Derniers articles de la thématique « Surveillances / Fichages » :

>Darmanin, elle est où l’enquête sur Briefcam ?

Le 14 novembre dernier sortait une enquête du site Disclose qui démontrait que depuis 2015 les keufs utilisent en secret un logiciel d’analyse d’images israélien de la société Briefcam qui permet notamment l’emploi de la reconnaissance faciale. Gérald le violeur, notre sinistre de l’intérieur,...

› Tous les articles "Surveillances / Fichages"