"Des réunions ouvertes au public intitulées « vos libertés, votre sécurité, parlons-en ensemble » sont organisées du 16 mars au 18 mai, au niveau cantonal, sur l’ensemble du territoire", nous informe le ministère de l’intérieur [1]. Pour le premier arrondissement de Lyon, le forum a eu lieu à l’annexe de l’hôtel de ville mardi 14 avril [2]. C’est la seconde réunion du genre.
A l’entrée se construit déjà « la confiance dans les relations quotidiennes » avec les forces de l’ordre [3] : une policière à l’humour policier s’y assure que les participants au forum habitent bien le premier arrondissement. On peut toujours lire sur le site du ministère de l’intérieur que « ces forums sont ouverts à tous [...] Les forums sont libres d’accès ». Manque-t-on de place qu’il faille refuser l’accès aux étrangers du quartier ? A en juger par la taille de la salle choisie par la mairie, en tous cas, on ne s’attendait pas à une grande affluence populaire. La chefferie policière costumée, elle, s’y installe en masse, attifée de quelques élus, ce qui suffit à remplir la moitié des fauteuils. On y voit M. Jacques Géraut, Préfet de Région, qui parlera presque tout le temps ; Mme Isabelle Mercier, directrice de la police municipale ; un commissaire du premier arrondissement ; quelques volumineux supérieurs locaux de la Brigade Anti Criminalité et M. Leveque, rassurant élu communiste barbu. On déplore l’absence de la Mme Nathalie Perrin-Gilbert, maire du premier arrondissement. La salle se remplit de plusieurs représentants de comités de quartier, de patrons de bar et kébabs, d’un épicier malheureux en affaire et de quelques journalistes ; enfin, on est prêt à écouter l’Etat.
Le préfet est prêt mais ce n’est pas la fête.
« Vos libertés, votre sécurité », c’est le nom du forum mais, on s’en doute, c’est surtout de sécurité qu’il est question. Pour vos libertés, vous repasserez : M. le Préfet de Région Jacques Géraut nous le confie du bout de la table : « sans sécurité, pas de liberté ». On apprend de sa bouche que si la sécurité est un préalable à toute liberté, elle est aussi la première des libertés. Heureusement, beaucoup de ceux qui se sont déplacés pour entendre ce beau programme philosophique ne s’y sont pas trompés : ce n’est pas ici que l’on penserait à se plaindre, au hasard, des sirènes hurlantes des voitures de police ; encore moins des contrôles d’identité arbitraires.
Ce dont sont venus se plaindre les représentants de certains comités de quartier du bas de la Croix Rousse, c’est de ce que, chaque jour, le quartier tombe plus profondément, selon l’heure, entre les mains criminelles des tagueurs, des dealers, des épiciers hors-la-loi vendeurs d’alcool après dix heures et des faiseurs de pipi dans les cages d’escalier. Attentif à l’appel de ses administrés, M. Jacques Géraut laisse longtemps la parole puis répond presqu’invariablement par de nouvelles promesses de gourmandises sécuritaires avant d’affirmer être « prêt à aller jusqu’au bout » pour « reconquérir cet arrondissement. » D’ailleurs, « Les caméras de vidéosurveillance fonctionnent, s’il faut les renforcer, on le fera. »
« La rue Ste Catherine est une zone sinistrée. Il faut en relever le standing »
D’ailleurs, même pour M. le Préfet de Région, « [le] quartier est un quartier de délinquance notoire. » D’ici le mois prochain, il va essayer d’obtenir auprès du procureur la possibilité pour ses agents d’interpeller et fouiller tout le temps et plus uniquement entre sept heures et minuit. Et, bonus policier, il sera même possible aux forces de l’ordre d’ouvrir les coffres des voitures ! « Les policiers présents jusqu’à minuit alors que les trafics se déroulent à 4 heures du matin, c’est Kafka ou Courteline, alors assez d’hypocrisie. », hasarde le préfet. « Cette hypocrisie d’interpellation possible uniquement entre 7h et 24h doit cesser », précise-t-il. En effet, « il faut reconquérir cet arrondissement ». C’est d’ailleurs « la priorité numéro 1 », grâce à quoi « l’ordre et la sécurité sont en train de revenir. »
Mais à quoi servent tous ces moyens promis et souvent mis en œuvre ? Que peuvent toutes les promesses du monde contre, par exemple, ce témoignage d’un citoyen tremblant encore de l’effroi causé par un double vol d’une poubelle située sous l’œil d’une caméra de vidéosurveillance reliée à des justiciers de la BAC aux bras ballants ? Et pour commencer, comment croire que la mairie souhaite éradiquer la délinquance quand Madame Fabienne Levy [4], élue « de l’opposition » du 1er arrondissement, nous détaille l’indigence des subventions allouées au nettoyage des peintures murales ? En tous cas lorsqu’elles ne sont pas financées par la publicité comme les fresques du quai Saint Vincent ou du quai de la Pêcherie.
Il est pourtant très simple de régler tous ces problèmes. Un riverain de la rue Sainte Catherine propose une solution rapide et efficace : élever le niveau de vie des habitants du bas des pentes. Et pour cela, rien de plus simple : on peut donner aux Terreaux la beauté que le quartier mérite en augmentant les loyers, en installant des riches, et en envoyant les pauvres et les pubs « au sud de Perrache ». Il prend soin de préciser qu’il n’a rien de personnel contre les patrons de bars, auxquels il voue tout le respect dû à leur statut d’entrepreneurs. Brave homme. L’élu communiste adjoint au logement se tait. Personne ne sourcille : des voix doctes, plutôt, mentionnent les lois prévues à cet effet tandis que certains opinent du chef.
Se présente le cas d’un commerçant qui a payé des amendes pour avoir vendu de l’alcool aux heures illégales. Depuis, il est tout à fait honnête. Il est dans la salle, M. Jacques Géraut le félicite... Mais, coup de théâtre, une habitante se lève et affirme qu’elle a vu son magasin ouvert à trois heures du matin : « franchement, qu’achète-t-on dans des épiceries à 3h du matin ? » feint-elle de s’interroger. Un voisin s’enflamme, suivi par d’autres : « que vendez-vous dans les épiceries jusqu’à 6h du matin ? des chips ? » Dans le doute, le préfet se fâche contre l’épicier. Il nous pose la question : se sent-il moralement responsable lorsque des jeunes meurent par l’alcool et le volant au petit matin ? Et nous confie la réponse : oui, il se sent responsable : ses grands pouvoirs lui offrent, on le tient de sa bouche, de grandes responsabilités. Ainsi, une fois de plus, la question bien oubliée, M. Jacques Géraut saute sur l’occasion pour nous rappeler « [qu]’on va éradiquer la délinquance avec des actions opiniâtres », pour lesquelles, n’en doutons pas, il ira « jusqu’au bout ! »
Les tags le disputant à la drogue dans les préoccupations des comités de quartier, le préfet de région s’informe auprès de sa police : les tagueurs qui ont été interpellés sont-ils oui ou non sous les verrous ? L’énormité passe, il se reprend, on en reprend : « L’addition pour les tagueurs est lourde, donc n’hésitez pas à porter plainte. » (quel « donc » !) Ou encore, plus tard, « vous avez tous des portables avec des appareils photographiques (pour photographier les coupables). » Serait-ce un appel à la la délation ? Certes non, le mot blesse. D’ailleurs, ainsi que le précise M. Jacques Géraut, « si vous voyez quelque chose, informer la police, l’aider à reconnaître des visages, ce n’est pas de la délation. »
Mais c’est prêcher des convaincus : à peine l’appel est-il lancé que déjà un commerçant en propose, lui, des photos. Et la police qui n’en a pas voulu ! Il a ces photos sur lui, il peut les donner, main dans la main, au préfet. Mais le préfet refuse : c’est que le forum est déjà terminé. Et peut-être que les résultats ne sont pas aussi bons qu’on aurait pu l’espérer mais bientôt, c’est promis, il y aura des policiers plus présents encore et moins empêchés par la loi ; il y aura d’avantage de caméras et les habitants leur donneront la main pour que drogues, saleté, misère et chips après trois heures du matin disparaissent... dans un autre quartier. Eh oui, « c’est en marchant qu’on avance », comme le dit si bien M. Jacques Géraut, à condition, évidemment, de ne pas « regarder l’avenir dans un rétroviseur. »
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