Parution de « Mai 68 et le mai rampant italien »

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Les deux auteurs, Jacques Wajnsztejn et Jacques Guigou, sont cofondateurs de la revue Temps critiques. Jacques Wajnsztejn a fait partie de ceux qui ont été à l’origine du Mouvement du 22 Mars à Lyon, et on peut l’écouter raconter l’histoire de mai 68 à Lyon dans le cadre des matinales de Radio Canut tout ce mois de mai. Il sera à La Gryffe le samedi 14 juin à 15 h dans le cadre des 30 ans de la plus belle des librairies libertaires.

De nombreux ouvrages sortent aujourd’hui à l’occasion du « quarantième anniversaire » de Mai 68. Ils nous semblent marquer un tournant dans l’appréhension de l’événement.

A l’automne 1968, les protagonistes du mouvement étaient bien sûr au centre de l’événement avec la parution du livre des frères Cohn-Bendit Le gauchisme remède à la maladie sénile du communisme ou avec la brochure du groupe ICO La grève généralisée en France ou encore avec la relation, de l’intérieur, Des soviets à Saclay. La parole extérieure, se situait clairement dans le sens du mouvement comme Le journal de la commune étudiante de Schnapp et Vidal-Naquet qui laissait presque toute la place aux participants ou dans La brèche de Lefort-Morin-Castoriadis qui constituait une interprétation à chaud des événements ― particulièrement dans « La révolution anticipée » de Castoriadis ― de la part d’individus dont les idées circulaient, dans le milieu révolutionnaire, depuis le début des années 60.

En 1978, les protagonistes étaient encore au centre de la relation des événements comme le montre le livre de Baynac, ancien du comité ouvriers-étudiants de Censier, Mai retrouvé, dont le titre indiquait toutefois que Mai était en train de se perdre !

En 1988, la célébration tourne à la commémoration. Il ne s’agissait déjà plus, devant « le changer la vie » du pouvoir socialiste, que d’établir des lignes de défense contre les interprétations intéressées de la gauche ou contre les interprétations délirantes des néo-libéraux. Des livres à tirage réduit, dans de petites maisons d’édition Nanterre 1968, vers le Mouvement du 22 mars de JP.Duteuil, un des fondateurs du dit M22, ou même en auto-édition comme celui de JL.Roche Mai 68 ou la question de la révolution, ne cherchaient plus qu’à opposer une certaine vérité des anciens participants face aux médiatiques Hamon et Rotman et leur Génération, panégyrique des anciens de la « gauche syndicale », de l’UEC, puis de l’UJcml, qui nous présente un mai 68 de salons et des futurs cafés philosophiques. Interrogés, ils reconnaissent pour la plupart qu’ils n’ont que peu participé à l’événement et en tout cas qu’ils n’y ont rien compris. C’est le début d’une tentative rétrologique qui voit ceux qui n’ont pas fait l’événement le réécrire à partir de ce qu’ils ont fait après l’événement. Tout tourne alors autour de ce qui serait « l’esprit de Mai », une formule qui peut contenir tout et n’importe quoi à partir du moment où le contexte a changé. La libération des contestations et des refus dans la révolution de mai s’est transformée en libérations sans la révolution (le droit des femmes, des homosexuels, des enfants, le droit de l’environnement, l’autonomie des universités, des régions, etc.), soit ce que nous appelons « la révolution du capital ». Pendant ce temps, dans les sphères plus académiques, Castoriadis, encore imperturbable mais bientôt désabusé, (cf « Les mouvements des années 60 », in La brèche) tentait de ferrailler contre les nouveaux philosophes et des Ferry et Renaut qui présentaient la pensée anti-68 des Althusser, Bourdieu, Derrida, Foucault et Lacan, pour « la pensée-68 » .

En 1998, la commémoration n’est plus une célébration. Les ex-participants sont traités de « vieux soixante-huitards » (attardés est facultatif mais courant) comme on parlerait des anciens combattants de la guerre de 14. Il s’agit désormais d’oublier 68. Parallèlement, les sociologues commencent leur travail de mise en statistiques de la révolte ou d’enquête orale pour analyser la pratique de ceux qui ne sont plus que des « acteurs » de 68 et que l’on observe comme on observe la vie des fourmis, c’est-à-dire d’un point de vue d’entomologiste.

En 2008, nous atteignons le stade de la commémoration par embaumement. Les sociologues continuent leur travail de déconstruction-mystification, mais ils se trouvent concurrencés, sur le marché de l’exploitation de « la chose » (pour parler comme le père de la sociologie française) par l’arrivée d’historiens pour qui les ex-participants à l’événement ne sont même plus des « acteurs » mais seulement des « témoins ». Si les médias et leurs « experts » convoquent des « témoins » c’est qu’ils constituent leurs tables rondes et autres plateaux de télé comme des tribunaux de l’histoire. Car en désignant les individus impliqués dans Mai comme des « témoins » on les sépare du mouvement ; ils sont là parce qu’ils auraient assistés à un « accident » (de l’histoire), une catastrophe, un phénomène susceptible de faire de l’audimat... ils vont livrer leur « témoignage » sur le phénomène qu’ils ont vus... ils ont vu un OVNI en Mai 68 et ils viennent « témoigner » 40 ans après ! On comprend alors que des politiciens mal intentionnés comme un Président de la République, pour ne parler que du plus connu, puisse invoquer des « témoins »… à charge, comme Glücksman ou Finkielkraut.

Pour nous, mai 68 est d’abord un événement singulier, ni répétition des révolutions du passé, ni anticipation d’un futur déjà théorisé. Soudaine irruption du refus de l’existant et de sa reproduction, Mai 68 constitue un moment historique qui réalise la conjonction unique de deux mouvements de lutte jusque-là séparés. D’une part la contestation de toutes les institutions et des rôles traditionnels tenus par l’individu, d’autre part la critique du travail.
Il n’y a pas deux Mai 68 ; un « Mai étudiant » puis un « Mai ouvrier ». Le premier serait « petit bourgeois » pour l’idéologie prolétarienne ou « hédoniste et libertaire » pour l’imagerie médiatique ; le second serait la manifestation de la puissance de la classe ouvrière dans « la plus grande grève de son histoire ». Ces représentations, actives dès les lendemains de l’événement, n’ont fait que se renforcer jusqu’à constituer aujourd’hui le « socle du savoir commun » sur Mai 68,. celui qui pousse au dénigrement ou à la commémoration.

En Italie, la commémoration de la décennie de luttes (1968-78) s’avère impossible car son souvenir est rendu tragique par la violence de l’affrontement. C’est alors un processus de refoulement qui se met en place pour délimiter ce qui fut acceptable (le « Mai rampant » de 1968-78) de ce qui ne le serait pas (« les années de plomb » de 1973-78).

Mais, ce qui réunit ces mouvements, en France comme en Italie, c’est leur double dimension historique mise en avant par ce livre : la fin du cycle des révolutions prolétariennes et l’émergence de la révolution à titre humain.

P.-S.

Le livre, disponible dans les bonnes librairies lyonnaises est paru à L’Harmattan, en avril 2008 dans la collection Temps critiques. 370 p. et 33,50 € en librairie.
Il est possible de commander le livre au tarif auteur (22€) à j.wajnsztejn(arobaz)free.fr : pour la France 25€ port compris, pour l’étranger 22 € (nous consulter pour le port). Postez le chèque et vos noms et adresses à Jacques Wajnsztejn, 11 rue Chavanne 69001 LYON.

Vous pourrez trouver d’autres textes et d’autres ouvrages publiés par Temps Critiques sur leur site.

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