7 péchés capitaux de la police lyonnaise #4 - Maintien de l’ordre : vers une « dislocation » du droit de manifester

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A Lyon comme à Paris, le dispositif de maintien de l’ordre mis en place lors des manifestations du 1er mai confirme la fuite en avant répressive du gouvernement. Il marque peut-être un tournant : tout devient prétexte à des charges brutales et arbitraires.

Après les improvisations consécutives au mouvement des Gilets Jaunes, après la validation du nouveau Schéma national de maintien de l’ordre (SNMO) en septembre 2020, après les débats puis le vote de la loi « sécurité globale » ces dernières semaines, le cortège du 1er mai 2021 à Lyon a révélé ce en quoi consiste désormais le maintien de l’ordre en manifestation. En l’espèce, la préfecture a choisi de recourir aux méthodes déjà usitées à Paris : c’est-à-dire à prendre prétexte de la formation de blocs pour conduire des agressions répétées, brutales et largement indifférenciées, et rejouer l’inusable partition qui oppose « bons » et « mauvais » manifestants.

Triste fête pour le travail policier

Alors que le cortège s’est élancé à 11h12, la première charge policière est intervenue à 11h30 – la fin du cortège quittait à ce moment tout juste la place Jean Macé. Elle a vu les CRS, les GM (gendarmes mobiles) et la CDI (compagnie départementale d’intervention) arracher les banderoles tenues par le Black et le Pink Blocs. La seconde est intervenue à partir de 11h46 : elle a duré plusieurs minutes et entraîné quatre interpellations (une cinquième personne sera interpellée peu après). Le vocabulaire policier parle de lui-même. Dans le « PV de contexte » (le document officiel dans lequel les policiers répertorient minute après minute leurs observations, et que le Comité s’est procuré), il est d’abord question de « disperser » le cortège de tête (terme officiel du jargon policier), puis carrément de le « disloquer ».

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Un agent de la BAC traîne une manifestante par la jambe © SurveillonsLes

Bornée par ce dispositif, la fête du travail aura livré une photographie de ce en quoi consiste désormais le travail… policier : vol de banderoles, manifestant acheminé aux urgences par les pompiers, photographe plaqué au mur, des dizaines de coups de matraques distribués à l’aveugle, etc. Un témoin rapporte l’atmosphère en ces termes : « Quand on disait ‘arrêtez’ parce qu’on ne pouvait pas reculer plus vite, les coups s’intensifiaient. La charge sur le trottoir a été d’une violence inouïe. Le policier de tête, il avait de la rage dans les yeux – c’était impressionnant » (1). Deux sœurs ont été prises à partie entre les charges après que la première ait filmé la police. Celle-ci raconte :

« Je vois l’équipe de la BAC que je filmais juste avant, qui arrive dans ma direction. […] Je les filme. Ils me voient et il y en a un qui s’approche de moi avec un regard noir. Il m’arrache mon téléphone des mains, je lui dis « hééee vous faites quoi avec mon téléphone ? », « rendez-moi mon téléphone ! » Et là, je ne comprends plus ce qu’il m’arrive, tout va très vite. Je me fais pousser, je tombe avec un flic au sol […]. Je le vois avec sa matraque, je me dis que je vais m’en prendre plein la tête. Ma sœur, qui voit l’action, dit aux flics, « hé, arrêtez ! ». Elle s’approche pour tenter de s’interposer mais le flic se retourne et s’en prend à elle. […] Elle prend plusieurs coups de matraque, elle tombe, elle se fait traîner au sol par les pieds entre deux voitures en stationnement, et heurte la bordure du trottoir avec son dos. […] Ils disaient « interpel’, interpel’ », ils s’apprêtaient à nous embarquer, et puis finalement ils nous ont relâché sans même nous contrôler. On n’a pas trop compris. »

Les deux sœurs ont chacune reçu 7 jours d’ITT. Les équipes de street médic ont aussi répertorié au moins trois blessures à la tête imputées à des coups de matraque, trois blessures à la main, ainsi qu’une personne dont l’épaule a été déboîtée.

La manif vue d’en bas

Le Comité a recueilli et consigné différents témoignages qui donnent à voir une autre réalité, un autre vécu de la manifestation. Certains sont consultables ici :

Camille : https://surveillonslesart.files.wordpress.com/2021/05/temoignage-camille-vdef.pdf

Joris : https://surveillonslesart.files.wordpress.com/2021/05/temoignage-jorris-vdef.pdf

Kevin & Melanie : https://surveillonslesart.files.wordpress.com/2021/05/temoignage-kevin-melanie-vdef.pdf

Marion : https://surveillonslesart.files.wordpress.com/2021/05/temoignage-marion-vdef.pdf

Robin : https://surveillonslesart.files.wordpress.com/2021/05/temoignage-robin-vdef.pdf

En avant pour les charges préventives

Des faits que s’est bien gardée de relayer la presse paresseuse, qui s’est à nouveau contentée de reproduire la version préfectorale et le chiffre – magique – de 27 blessés parmi les forces de l’ordre (dont aucun n’a dû se rendre à l’hôpital). Pour comprendre le caractère agressif du dispositif, la communication du Préfet est pourtant de peu d’intérêt. D’une part, elle est laconique : troistweets – qui ont donc suffi au bonheur de l’essentiel de la presse locale. D’autre part, elle est fallacieuse : en évoquant l’ « usage de mortiers à l’encontre de policiers », elle joue de l’ambiguïté du mot « mortier », qui peut désigner aussi bien une arme de guerre qu’un simple feu d’artifice tiré en l’air. Surtout, rien, au moment des tirs, n’indique que les engins pyrotechniques aient visé les forces de l’ordre.

Le « PV de contexte » ne mentionne aucun événement qui aurait légalement permis l’usage de la violence. Une instruction ministérielle du 21 avril 2017 relative au maintien de l’ordre public rappelle que « l’emploi de la force n’est possible par les représentants de la force publique que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public ». Or, le PV de contexte ne mentionne que la présence d’un « groupe à risque » de 60 puis 200 personnes en tête du cortège (devant la CGT), avec « 2 banderoles renforcées » et la présence de « clous et de vis dépassant » des banderoles, et de « fumigènes ». Deux tirs de « mortiers » sont recensés : l’un à 11h20 (sans plus de précision) ; le second à 11h23, les policiers reconnaissant qu’il était « sans cible définie ». Autrement dit : deux gros pétards ont fait boum quelque part dans la tête du cortège, point. Pourtant, sept minutes plus tard, la violence policière se déchaîne sur des personnes qui n’avaient donc rien fait.

« BACification » du maintien de l’ordre

S’agissant du cadre de l’intervention, le recours à la sommation a été pour le moins timide : lors de la première charge, à 11h30, les sommations (par mégaphone, et non par lancement d’une fusée rouge) ont été particulièrement peu audibles depuis le cortège, précipitant nombre de manifestant.es dans la panique et l’incompréhension (voir par exemple ce témoignage recueilli par le Comité). Elles n’ont surtout pas été prononcées lors de la seconde charge – alors même que c’est elle qui a entraîné les quatre interpellations, justifiées notamment par la « participation à un attroupement malgré les sommations ». Le PV de contexte légitime ce mutisme par le fait qu’il s’agissait de « la même manœuvre » que la première, qui était pourtant intervenue… 16 minutes plus tôt.

L’un des aspects les plus controversés des opérations de maintien de l’ordre depuis le mouvement des Gilets jaunes tient dans le recours massif aux BAC – des unités non-spécialisées en maintien de l’ordre et connues pour leur brutalité. Le Comité a eu l’occasion de documenter à plusieurs reprises les effets catastrophiques de cette stratégie (notamment ici). Cette fois, et comme lors de la manifestation hors norme du 16 janvier dernier, les CRS, les GM, les CDI et les BAC ont toutes cherché le contact durant près de trente minutes (sur un parcours pourtant réduit) : d’abord par l’irruption soudaine depuis les rues adjacentes, puis par l’encadrement latéral du cortège (dans le jargon policier, on appelle ça « flangarder »). Face aux controverses et aux critiques de ces derniers mois, le Préfet et le Directeur départemental de la sécurité publique ont donc fait le choix d’étendre les modalités d’intervention de la BAC (proximité à l’égard du cortège, opacité du dispositif, brutalité du mode opératoire) à l’ensemble du maintien de l’ordre : de « BACifier » le maintien de l’ordre, en somme.

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« Flangardage ». © SurveillonsLes

Moins gazer pour mieux diviser

La dislocation du cortège de tête s’est opérée en l’encerclant par l’avant et l’arrière. Une participante au Pink Bloc relate les effets de cette stratégie « depuis l’intérieur » :

« Moi je n’étais vraiment pas dans une ambiance ‘‘il faut faire gaffe’’. Je me disais que ça allait être tranquille. Mais la tension est montée très vite. Tu regardais des deux côtés t’avais des CRS, c’était un peu flippant. Et en fait ils nous ont chargé. Tout de suite, ou 10 secondes après. Et c’est très bizarre, ça ne m’était jamais arrivé en fait, de me faire charger des deux côtés. D’habitude, tu te fais charger – bon bah tu as un endroit où courir. Tu vas dans l’autre sens quoi. Là je me disais ‘‘reste calme’’, mais en même temps je me disais ‘‘je vais où ?!’’. ‘‘Reste calme’’… mais en même temps tu tournes la tête des deux côtés et il y a des CRS qui courent à toute vitesse dans ta direction. »

Si les manifestante.s présent.es dans le cortège de tête ont pu être paniqué.es par le dispositif, c’est que le cortège de la CGT a été enjoint de laisser passer un cordon de CRS entre les deux groupes. Le PV de contexte mentionne en effet qu’à 11h25, le commandement « demande à isoler le groupe hostile en stoppant le cortège CGT qui se trouve derrière ce groupe à risque. Les équipes chargées de la liaison et de l’information avec les organisateurs se chargent de transmettre ces éléments aux responsables de la CGT ». A 11h27, la CGT obtempère, à 11h28, un groupe de CRS s’interpose entre la CGT et le cortège de tête. Et trois minutes plus tard, la « dislocation » a lieu.

Déjà, en janvier 2021, un des organisateurs des manifestations contre la loi « Sécurité globale » expliquait au Comité que la préfecture avait tenté, lors d’une réunion, de diviser le cortège : « Ils nous ont dit qu’il fallait veiller à la distance avec le bloc. Si le bloc commence à se former et que la manif s’arrête, ça facilite leur intervention. Ce qui permettrait d’éviter les gazages ». Un véritable chantage à l’usage des gaz lacrymogènes, exercé à la lettre ce 1er mai. Dans ces conditions, on comprend mieux le rôle des nouvelles « équipes de liaison et d’informations » (ELI), issues du nouveau Schéma de maintien de l’ordre, et censées opérer la médiation entre la police et les organisateurs des manifestations. Le faible nombre de tirs de grenades lacrymogènes, justifié dans le PV « au regard du public très hétérogène » de la manifestation, se paye ainsi d’un travail policier plus intensif pour favoriser les tensions internes au cortège. Dans ce « nouveau schéma » du maintien de l’ordre, on trouve de bien vieilles recettes.

P.-S.

Alors que le gouvernement organise le « Beauvau de la sécurité », le Comité de liaison contre les violences policières souhaite apporter sa vision de ce qu’est la police française – et plus particulièrement la police lyonnaise. Car au même titre que le ministre de l’Intérieur, le Comité a lui aussi repéré – mais sous d’autres formes – toute une série de « péchés capitaux » qui caractérisent le maintien de l’ordre. Jusqu’à la fin de ce « Beauvau de la sécurité », nous publierons donc des informations – parfois inédites, toujours sourcées – permettant de décrire précisément ce en quoi consiste la police à Lyon.

https://surveillonsles.art.blog/ – surveillonsles@riseup.net – Twitter : @SurveillonsLes – Facebook : Comité de liaison contre les violences policières de Lyon.

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  • Le 21 mai 2021 à 11:54, par johnn

    Petite question : faut-il vraiment prendre en compte mot pour mot le Pc de contexte qui est écrit par les flics et donc fortement susceptible de ne pas contenir la vérité.
    Le Pc de contexte est une arme des forces de l’ordre pour diviser..
    Cela aurait sans doute été plus prudent de lettee tout ça au conditionnel.

  • Le 19 mai 2021 à 12:58, par P’tit Louis

    Quand on mobilise la BAC dans le « maintien de l’ordre » d’un rassemblement et/ou d’une manifestation, on peux en déduire que l’on criminalise cet événement... CQFD

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