Réforme de la « légitime défense » policière : l’inspecteur Harry débarque en France

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Alors que les affrontements et les manifestations en soutien au jeune Théo violé par un équipage de police à Aulnay-sous-bois (93) se multiplient dans tout le pays, le gouvernement est en train de faire passer une loi visant à réformer le statut de la légitime défense des policiers. Alors que les sévices et l’impunité policières trouvent une audience inédite depuis une semaine grâce aux réseaux sociaux et aux jeunes révoltés, le gouvernement se prépare à élargir une nouvelle fois le champ d’action de la police. Analyse d’une énième loi pro-flic.

Le philosophe Hegel dit quelque part que les grands événements historiques se répètent toujours deux fois. Et Marx d’ajouter que la seconde fois, c’est sous une forme comique. Ainsi, alors que le mouvement contre la loi Travail venait de s’achever, un éphémère mouvement de policiers a vu le jour fin 2016. Aux cris de « Français, réveillez-vous, on est chez nous ! », « francs-maçons en prison ! » ou encore « syndicats corrompus ! », des policiers ont manifesté nuitamment, trois semaines durant, dans plusieurs villes [1], pendant leur service et souvent masqués.

Le camp de la politique classique a témoigné beaucoup de sympathie à l’égard de ce mouvement. Chez les Républicains et au Front National, on était bien entendu ravi, on imaginait sans mal « l’exaspération » des fonctionnaires et on soutenait les revendications (plus de moyens, plus de reconnaissance, etc.). Rien de surprenant. Au PS, on était assez gêné devant un tel spectacle et on avait qu’une hâte : que tout ce bordel s’arrête. Dans le reste de la gauche, hormis quelques voix agacées de voir des policiers armés, manifester sans autorisation et sous état d’urgence (une critique de l’illégalité de leur démarche et leur absence de « sens républicain »), la réaction dominante fût la compréhension.

L’exemple le plus caricatural de cette position, qui veut que 1) les policiers soient en définitive des travailleurs comme les autres et qu’à ce titre leurs conditions de travail doivent être défendues et améliorées, et 2) qu’on ne puisse pas imaginer une société sans police (ce qui est vrai : les mondes sans police, comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, ne sont déjà plus tout à fait des sociétés) est la récente déclaration d’amour à la police de Jean-Luc Mélenchon. Dans une de ses vidéos Youtube, le leader de la gauche radicale témoigne on ne peut mieux de son attachement viscéral à l’ordre social et de son incapacité à en identifier les défenseurs les plus acharnés. Après le réjouissant mouvement du printemps – marqué par des affrontements massifs entre policiers et manifestants et des centaines d’arrestations et de condamnations partout en France –, le type ne trouve rien de mieux que de déclarer qu’il a « toujours montré la plus extrême distance vis-a-vis de ceux qui se livraient à des violences à l’égard des policiers » et de rendre hommage à cette « corporation essentielle à la vie quotidienne ». Les violences policières ? Il dédouane les policiers avec les mêmes arguments que n’importe quel tribunal dédouane un policier coupable d’une mutilation au flash-ball : « j’ai toujours dit que la responsabilité en revenait à ceux qui donnent les ordres, pas à ceux qui les exécutent ». Avant l’apothéose : « La population et la police républicaine, ça doit être une seule et même chose. Les uns surveillant les autres [petit rire grinçant]. Pour trouver le point d’équilibre qui permet que force reste à la loi […] donc on ne peut pas accepter que dure le divorce entre la police et le pays ».

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Même d’un point de vue de gauche, cette solidarité vis-à-vis des flics est problématique. D’une part, cette position nie la conflictualité à l’œuvre dans la rue chaque jour [2]. D’autre part, c’est bête parce que c’est peine perdue. Cette empathie basée sur de petits calculs foireux de politicien, comme quoi les policiers seraient avant tout des électeurs à courtiser, ne mènera nulle part. La police a fait son choix et ce n’est certainement pas celui de la « France insoumise ». Les derniers sondages (2015) sur le vote policier sont éloquents et ne laissent pas de place au doute : le FN y fait plus de 50 %. C’est enfin, et c’est sans doute le plus grave, un manque de respect total et impardonnable pour le mouvement contre la loi Travail et son slogan désormais international : « Tout le monde déteste la police ! »

Mais revenons à nos moutons. Ce mouvement de grogne policière, si radical dans ses propos mais assez inoffensif dans tout le reste (on va pas non plus aller au carton avec les collègues gendarmes mobiles), est terminé depuis plusieurs mois. Et une absurde association « apolitique » et « asyndicale » (« Mobilisation des policiers en colère ») a vu le jour. Cependant ses retombées sont loin d’être négligeables, et cela sur au moins deux points. Déjà, comme les participants des cortèges de tête contre la loi Travail, les policiers ont fait l’expérience de la puissance qu’on gagne à prendre la rue en s’émancipant de la tutelle syndicale. Mais surtout, le gouvernement, après avoir débloqué une enveloppe de 250 millions d’euros pour eux, s’apprête à faire passer très prochainement une réforme, chère au Front National, concernant la « légitime défense des policiers ». Ce projet de loi, déjà examiné en conseil des ministres et par le sénat, répond à une vieille revendication des syndicats policiers (« quinze ans de combat auront été nécessaires » selon un syndicat de cadres de la sécurité intérieure).

De quoi s’agit-il ? Jusqu’à présent, les règles qui autorisaient le tir à balles réelles, de la part des forces de l’ordre, n’étaient pas tout à fait les mêmes entre policiers et gendarmes. Ces derniers avaient, du fait de leur statut de militaires, des règles légèrement plus « permissives », concernant l’utilisation de leurs armes. En pratique, cela donne ce genre de choses : en 2010, la cour d’assises du Var a acquitté un gendarme qui avait tiré, à sept reprises, dans le dos d’un homme menotté qui s’enfuyait d’une gendarmerie. Et en effet, loi lui donnait – et lui donne encore – le droit de tirer sur n’importe quel individu, même désarmé, même dans le dos, à partir du moment où 1) ce dernier essaie de se « soustraire à son autorité » et 2) le gendarme a effectué les sommations d’usage. En tuant dans le dos Joseph Guerdner, son meurtrier-gendarme était dans la plus stricte légalité. Ce qu’a reconnu le tribunal de Draguignan en prononçant la relaxe de son assassin en uniforme.

Désormais, avec cette nouvelle loi, les policiers pourront ouvrir le feu dans plusieurs situations jusque-là réservées aux gendarmes. Par exemple lorsqu’ils ne peuvent « défendre autrement le terrain qu’ils occupent ». Lorsqu’une personne cherche à échapper à leur garde, qu’ils ne peuvent l’arrêter autrement et qu’elle « présente une menace ». Lorsqu’ils ne peuvent arrêter autrement un véhicule en fuite « présentant une menace ».

À la veille de l’élection présidentielle [3], le gouvernement se propose donc d’harmoniser « les conditions d’engagement pour les policiers » avec celles des gendarmes. À l’avenir, en droit, le tir devient donc possible pour les policiers après sommation pour arrêter une personne récalcitrante et qui s’enfuit et dans les situations de péril imminent. En fait, en réalité, ce droit est déjà effectif : déjà en 1997 à Dammarie-les-Lys, un équipage de la BAC abattait dans le dos (décidément c’est une habitude) le conducteur d’une voiture, Abdelkadher Bouziane, 17 ans, qui refusait de s’arrêter à un contrôle. Le policier a bien sûr bénéficié d’un non-lieu par la suite.

Dans les cas de morts du fait de policiers (tirs ou étranglements) sur les trente dernières années, moins d’un quart des policiers-meurtriers ont été condamné à une peine et seulement 5% à des peines (très légères) de prison. Si la justice se montre toujours si complaisante avec ces meurtres, qui au fil des acquittements répétés deviennent ni plus ni moins que légaux, c’est que le système pénal reconnaît finalement ces épisodes comme des sortes de dommages collatéraux du fonctionnement normal de la police. C’est aussi que la justice, historiquement, est au service de la police comme le remarquait il y a de ça 40 ans le camarade Foucault. Il faut noter que cette protection judiciaire dont bénéficient les flics concerne aussi d’autres pratiques comme celle des éborgnements à coup de flash-ball, comme à Nantes en 2007 ou encore à Montreuil en 2009).

Au vu de ce qu’on vient de dire, on pourrait se dire qu’avec cette loi, en matière d’usage des armes létales dans la rue, la situation sur le terrain ne devrait pas changer sensiblement. Et effectivement, d’un côté, c’est une mesure « symbolique » destinée à faire plaisir aux policiers et à répondre à leurs attentes, une manière pour un gouvernement en plein naufrage de dire : « regardez, comme nous sommes plus déterminés que nos prédécesseurs, nous vous donnons des droits et des protections que n’ont pas osés vous donner la droite ». Mais c’est oublier qu’en donnant le signal que « les règles d’engagement sont assouplies », le gouvernement fait plus que simplement réaffirmer le soutien moral [4] et pénal de l’État à son bras armé. Il ouvre également la possibilité pratique que les crimes policiers explosent [5]. Car, de même qu’en donnant des flash-balls aux policiers, le message était : « allez-y tirez, ça ne tue pas » et on a vu ce que ça donne dans les manifs et dans les quartiers, de même le message de cette loi sur la légitime défense est clairement : « allez-y tirez dès que vous vous sentez en danger, vous serez couverts ».

En ces temps où l’action de la police est régulièrement remise en cause, où le gendarme qui a tué à coup de grenade Rémi Fraisse sur la ZAD de Sievens fin 2014 va sans doute bénéficier d’un non-lieu, le gouvernement fait donc le choix de la fuite en avant en encourageant les forces de l’ordre à poursuivre sur leur lancée meurtrière (entre dix et quinze morts par an chaque année selon le décompte de Bastamag). Lesquelles forces de l’ordre semblent avoir très bien reçues le message puisque, pendant des affrontements à Aulnay-sous-Bois dans la nuit du 6 au 7 février, des policiers de la BAC ont fait des tirs de sommation à balles réelles.

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Décidément, la radicalisation [6] est manifestement le phénomène politique le plus partagé du moment.

Notes

[1À Lyon, ils défilaient sous l’oeil admiratifs de divers groupuscules nationalistes.

[2Un peu comme hier les sociaux-démocrates niaient l’existence de la lutte des classes et prônaient une improbable alliance des classes sociales en arguant que les uns – les prolétaires – ne pouvaient se passer des autres – les patrons.

[3L’histoire se répète : déjà en 2012, à la suite d’un mouvement de policiers juste avant la présidentielle, et peu après le meurtre d’une balle dans le dos d’Amine Bentounsi par un policier, il n’y avait qu’une Lepen et qu’un Sarkozy, candidat à sa succession, pour se prononcer en faveur d’une « présomption de légitime défense » devant tout crime policier. Même, l’ancien ministre de l’Intérieur Claude Guéant refusait de donner aux policiers un « permis de tirer ». Le candidat Hollande, pour sa part, n’y était pas non plus favorable mais « comprenait » la colère des policiers.

[4Bruno Le Roux, ministre de l’Intérieur, ne s’en cache même pas et déclarait devant la commission des lois du Sénat : « Ce texte offre une forme de reconnaissance du travail accompli sur le territoire national par les policiers. »

[5Dans la plus grande démocratie du monde (aux États-Unis), environ trois personnes sont tuées chaque jour par un agent de police.

[6C’est cette radicalisation qui permet à un porc du syndicat Unité SGP-FO de ne même pas anticiper l’énormité de son propos quand il se laisse aller à défendre ses collègues en affirmant dernièrement, sur France 5, que « bamboula, ça reste encore à peu près convenable ». C’est cette même radicalité qui est à l’œuvre quand des flics viennent mettre un coup de pression et porter plainte pour « outrage » contre la famille de Mehdi organisatrice d’une marche pour lui le mois dernier après que des slogans anti-flics aient été chanté.

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