Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ACTUALITÉS CAPITALISME - GLOBALISATION
Publié le 24 septembre 2007 | Maj le 13 avril 2020

« Le petit chef et la police » ou « Incohérences et absurdités au campement No Border d’août 2007 en Ukraine ».


Retour sur la campement No Border en Ukraine (août 2007)

Ce campement avait été annoncé il y a quelques mois sur le site du Numéro Zéro (voir ici). En voici un compte-rendu, partiellement critique, rédigé par « un anarchiste français ».

Tandis que le campement No Border de Gatwick (Angleterre) fait face à la répression, voici un retour critique sur le campement qui s’est tenu il y a un mois dans l’ouest de l’Ukraine...

- Un contexte particulier...

Un campement No Border se tenait en Ukraine, du 11 au 20 août derniers, non loin des frontières slovaque, hongroise, polonaise et roumaine, tout près d’Uzhgorod (environ 150000 habitant-e-s) :
http://liege.indymedia.org/news/200...

Parti-e-s à neuf personnes dans deux vans depuis l’Allemagne, le No Border commence pour nous à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine : plusieurs heures d’attente, des files interminables de voitures et de camions, des gens pas énervé-e-s du tout... Cela semble habituel, et après quelques discussions avec des Ukrainien-ne-s et des Polonais-es, on s’aperçoit que c’est même pire d’habitude !

Nous arrivons à Uzhgorod le 10 août et nous mettons à peu près deux heures pour trouver le campement : nous sommes super nul-le-s en ukrainien et en russe, et à Uzhgorod on ne trouve personne sur la route qui parlerait à peu près l’anglais ou le français ou l’espagnol (ce qui nous a pas mal déstabilisé, mais quelque part c’est assez plaisant de savoir que l’impérialisme de ces trois langues n’a pas encore envahi la planète entière... à nous de parler ukrainien, ou russe). Après deux heures de recherche tout autour de la ville, nous trouvons le campement, du côté de Kamyanitsa, de l’autre côté d’un pont, derrière un petit bois. L’endroit est charmant, mais totalement bosselé (difficile de trouver un endroit correct pour dormir...). Le terrain appartient à l’université d’Uzhgorod (il semble que les quelques maisons en bois qui se trouvent sur le terrain servaient « au temps de l’Union Soviétique » de lieu de vacances pour les étudiant-e-s du coin).

Les quelques notes qui vont suivre s’attachent surtout à émettre des critiques sur ce qui s’est passé pendant ces quelques jours, mais je tiens à préciser que dans l’ensemble le campement a été pour moi une source de joie, de curiosité, de rencontres, de jeu, de réflexions, de découverte... Mais il aurait pu être encore plus enthousiasmant, en particulier en ce qui concerne l’organisation collective formelle et l’orientation politique du campement.

- ... ne justifie pas des pratiques politiques foireuses

Dès notre arrivée (avec un jour d’avance sur le commencement « officiel » du campement), nous nous rendons compte qu’il y a déjà pas mal de monde sur place, mais aussi, que le valeureux groupe qui s’est occupé de préparer le campement n’est pas au top de l’homogénéité : d’assez fortes divergences politiques se sont déjà faites sentir sur les questions d’organisation du campement, et cela ne fera qu’empirer jusqu’au 20 août...

Parmi les points matériels positifs, signalons les chiottes sèches et douches DIY (auxquelles s’ajoutent la rivière où l’on peut se baigner/laver et des chiottes sèches « vieille école » de l’université d’Uzhgorod). Une organisation assez pointue pour la bouffe, le bois (à apporter et couper pour alimenter les feux pendant la nuit – il n’y avait pas d’autre éclairage collectif, hormis certains moments où le groupe électrogène était en marche), le nettoyage, etc. Notons tout de même que la bouffe a été très souvent prise en charge par des gens de différents groupes Food Not Bombs, ce qui était chouette parce qu’on a pu manger « à l’ukrainienne » ou « à la russe », mais d’un autre côté ça signifie aussi que peu de gens d’Europe occidentale se sont impliqué-e-s dans cette tâche (ce qui est tout de même dommage).

Le 21 juillet dernier, un camp anti-nucléaire a été attaqué par des néo-nazis, en Sibérie. Un activiste a été tué, d’autres sérieusement blessé-e-s :
http://www.indymedia.org/fr/2007/07...
Cet événement a bien sûr été pris en compte dans l’organisation du campement No Border. Même si nous étions beaucoup plus nombreux (entre 300 et 400) que lors du camp anti-nucléaire en Sibérie (illes étaient une vingtaine), il était important de se préoccuper de comment réagir au cas où le campement se ferait attaquer.

L’ennui, c’est que cette préoccupation s’est résumée pour quelques personnes du groupe de préparation du campement à une peur difficile à contrôler... Peur d’une attaque de néo-nazis, peur de la répression policière, peur de débordements qui provoqueraient la fin du campement, etc.

A cette peur, s’ajoutait la décision préalable de se focaliser sur l’aspect « ateliers et rencontres » au sein du campement plutôt que de faire des actions en ville (en particulier, toute idée d’action directe offensive semblait malvenue – nous étions prévenu-e-s avant même de venir en Ukraine). Si cela pouvait être en partie critiquable, ça aura au moins eu l’avantage de pouvoir laisser une bonne place à des ateliers denses et parfois passionnants (notamment ceux concernant la situation des sans-papiers à travers l’Europe, y compris les pays d’Europe de l’Est ne faisant pas partie de la « Communauté Européenne » tels l’Ukraine, la Russie, la Moldavie, la Biélorussie, etc.).

Mais cette décision de faire un campement plutôt pas offensif s’est trouvée accompagnée d’autres décisions, bien plus pénibles celles-ci : les rares événements prévus en ville (à Uzhgorod) étaient co-organisés avec des ONG (organisations non-gouvernementales), notamment avec Amnesty International. Pourquoi serait-ce pénible ? Hé bien, parce que la plupart des ONG sont tellement dans la légalité et dans la coopération avec les autorités, qu’il a été demandé à la police de « protéger » le campement No Border ! Et effectivement, quand on est arrivé sur le campement, on a vu à l’entrée deux véhicules de police et des flics armés, avec leur uniforme particulier (parce qu’en plus il y avait trois différents corps de police – flics locaux, régionaux et police spéciale, etc.). Mais pourquoi avoir accepté cette « protection » ? Je me le demande encore. Nous n’avons pas réussi à comprendre mieux comment des ONG ont pu imposer cette présence policière permanente à l’entrée du campement...

Ce qui est sûr, c’est qu’on a vu très rapidement des flics patrouiller (à pieds) dans le campement ! Des Ukrainien-ne-s ou des Russes leur demandaient à chaque fois de sortir du campement, ce qu’ils faisaient, mais cela pouvait arriver plusieurs fois dans la même journée (à croire que les flics ne se sont pas passé le mot – à moins qu’ils n’obéissent simplement à des ordres venus de plus haut que nous...). Au bout du troisième ou quatrième jour, les flics n’entraient plus dans le campement et restaient « à l’entrée ».

- Nourrir les flics...

Mais même parmi nous (un « nous » qui s’est avéré bien confus politiquement), la volonté de repousser les flics le plus loin possible du campement n’était pas partagée par tout le monde : des gens parmi nous nourrissaient les flics à l’entrée du campement ! Avec la bouffe prévue pour les occupant-e-s du No Border, en plus...

Pour la plupart des gens sur le campement, il était évident que nourrir les flics semblait à la fois absurde et stupide, politiquement complètement aberrant, à moins de se considérer comme des hippies chrétien-ne-s...

Lors d’une habituelle assemblée plénière du matin, cette question a été posée : « Apparemment, des gens ici vont chaque jour donner à bouffer aux flics postés à l’entrée du campement. Comme nous avons des choses plus importantes à discuter, nous voudrions prendre à peine cinq minutes pour décider si nous devons ou non continuer de nourrir les flics. » Ce campement étant truffé d’anarchistes, ennemi-e-s permanent-e-s de la police, beaucoup de gens pensaient que la décision de ne pas nourrir les flics allait être prise rapidement, tellement cela paraissait gros. Pourtant, quelques personnes (dont une espèce de « leader anarchiste » ukrainien faisant partie du groupe de préparation du campement – ce qui, en plus de son charisme agaçant, lui donnait une pseudo-légitimité sur les rapports de force lors de difficultés à prendre des décisions collectives) ont réussi à transformer cette question en pseudo-débat, et au bout de deux heures de « discussion », aucune décision n’était prise...

Parmi les arguments « pour » :
- « Je suis allée nourrir les policiers à l’entrée du campement. C’est ma décision personnelle, et même si vous prenez une décision contraire, je continuerai à le faire parce que c’est une initiative personnelle. »
- « Ce ne serait pas anarchiste de l’empêcher de nourrir les flics, parce que vous porteriez alors atteinte à sa liberté d’agir. Chacun-e fait ce qu’ille veut. »
- « Ces flics sont des humains, comme nous. Il est normal de les nourrir. »
- « Nourrir les flics, ici, c’est une décision contextuelle et non idéologique. Ces flics sont des bons gars, des gars du coin, qui sont dans la police parce qu’ici c’est difficile de trouver un autre job, mais en fait ils sont sympas (...). Si on nourrit les flics, c’est pour qu’ils nous reconnaissent lors des actions Food Not Bombs qu’on va faire en ville, pour qu’ils soient sympas avec nous. »
- « Ici, on critique ceux qui déshumanisent les gens par exemple en expulsant les immigré-e-s, mais on ne fait pas mieux : en refusant de les nourrir, on déshumanise les flics. »
- « Je suis un des responsables / organisateurs du campement, et il faut nourrir les flics, ce sont des gars sympas du village [ce mec vient de Kiev, à plus de 600 km de là ]. Si on ne leur file pas à bouffer, ils vont devenir violents avec nous. »
- « Ce n’est pas de la faute des flics si on les nourrit, ce sont leurs chefs qui leur ont ordonné de nous demander de les nourrir. »

On sentait depuis notre arrivée une sorte de frilosité qui poussait les participant-e-s au campement à rester calmes, à ne pas commettre d’imprudences, mais là, c’était carrément du « restons soumis-es aux ordres de la flicaille et tout se passera bien... » !

- ... ou les manger ?

Cette déprimante discussion matinale lors de la plénière a donc donné lieu à une série d’arguments classiques en réponse aux « anarchistes humanistes » qui voulaient nourrir les flics... Sur le moment, c’était difficile à vivre parce que nous ne pensions pas avoir fait autant de kilomètres pour tomber aussi bas (on se serait cru dans une assemblée générale étudiante au départ d’un mouvement social en France, avec toute la naïveté pleine de bonté d’étudiant-e-s n’ayant pas encore eu à être confronté-e-s aux flics)... En parlant de kilomètres parcourus, je signale au passage que dans le campement, il n’y avait quasiment personne qui vivait à Uzhgorod ou aux alentours, donc personne pour nous assurer de la pseudo exceptionnelle gentillesse des flics locaux... Aussi, parmi les partisan-e-s du « pour » comme du « contre », se trouvaient aussi bien des Européen-ne-s de l’Est et de l’Ouest (globalement, il y avait lors de ce campement surtout des Ukrainien-ne-s et des Russes, également beaucoup d’Allemand-e-s, et des gens d’un peu partout en Europe – Lithuanie, Pologne, Biélorussie, Slovaquie, République Tchèque, Autriche, Roumanie, Moldavie, Grèce, Finlande, Pays-bas, Angleterre, Belgique, France, Espagne, Portugal, ainsi que de Nouvelle-Zélande, Israël, Palestine, Canada, Etats-Unis, etc.), et toutes les discussions se déroulaient en anglais et en russe (avec une traduction simultanée pour les quelques Français-es qui ne parlaient ni anglais ni russe – la tradition des Français-es nul-le-s en langues étrangères étant ainsi confirmée...).

Parmi les arguments « contre », donc, surtout en réponse au « pour » :
- « C’est une drôle de façon de considérer l’autogestion et l’anarchie que de prétendre que toute initiative personnelle est au-dessus des décisions collectives prises en assemblée plénière... Dans ce cas, pourquoi nous réunissons-nous ici ? »
- « Partout en Europe, et en Ukraine aussi, les flics répriment, envoient en prison des gens, parfois même les tuent. Ils contrôlent les gens et les expulsent s’ils sont des immigrés illégaux. Ils sont payés pour ça et partout ils obéissent aux ordres. Vous pensez que les nourrir les incitera à désobéir ? »
- « Vous prétendez que ces flics-là sont sympas parce que pour le moment ils n’ont rien à nous reprocher, parce que nous restons ici calmement, mais si comme dans d’autres campements No Border nous pratiquions des actions directes, peut-être seraient-ils moins sympas... Ce n’est pas les nourrir ou non qui les rend sympas ou non. »
- « Si leurs chefs leur demandent d’évacuer le campement, même si on leur a filé à bouffer toute la semaine, tu ne crois quand même pas qu’ils vont refuser de le faire ? De plus, ça ne serait pas cinq ou six flics prétendument rendus sympas par des repas qui empêcheraient les nombreux autres flics venus nous évacuer de faire leur sale boulot. »
- « A Lyon, en France, le collectif Food Not Bombs [De la bouffe, pas des bombes] s’appelait Food Not Cops [De la bouffe, pas des flics], c’était clair pour tout le monde que les flics étaient des ennemis. » [D’ailleurs, une énorme majorité des participant-e-s aux divers collectifs Food Not Bombs présent-e-s sur le campement – essentiellement en provenance d’Europe de l’Est, plus Paris et Londres – s’opposaient très clairement au fait de nourrir les flics. Les actions Food Not Bombs étant souvent confrontées à des restrictions policières, quand ce n’est pas carrément à de la répression claire et nette.]
- « La police n’est pas là pour nous protéger mais pour nous garder sous contrôle, pour maintenir l’ordre. Tous les flics sont payés pour ça. Si je me suis déplacé jusqu’ici, c’est dans l’idée de briser les frontières, troubler l’ordre étatique et capitaliste. Pas pour nourrir ceux qui maintiennent cet ordre et ces frontières. »
- « Si ce n’est pas anarchiste d’empêcher des gens de nourrir les flics, est-ce que c’est anarchiste de nourrir le bras armé de l’Etat ? »
- « Si quelqu’un ici décide de sa propre initiative de nourrir les flics, alors je pourrais aussi de ma propre initiative décider d’empoisonner la nourriture destinée à être donnée aux flics... »

Entre les « gentil-le-s humanistes » et les « vilain-e-s révolté-e-s », pas d’entente possible... Pas de décision collective à l’issue de ce faux débat. Ce clivage nous étonne, mais nous en prenons acte.

- Il n’y a pas de bon policier, ni ici ni ailleurs, ni hier ni demain

Quelques personnes, ne souhaitant pas déserter le campement malgré le désaccord profond entre elles et ceux qui considèrent que les flics sont des humains comme les autres, choisissent de réagir de manière légèrement provocatrice, en affichant sur le campement quelques grandes affiches ouvertement anti-flics (en anglais, russe et français), dont voici le contenu :

"In this No Border camp,
some of us fight the real enemy...
some others feed the real enemy...
Is this an anarchist camp or a hippie camp ?« [Ce texte n’était pas traduit en français, mais ça donne quelque chose comme : »Dans ce campement No Border,
Quelques-uns d’entre nous combattent le réel ennemi...
Quelques autres nourrissent le réel ennemi...
S’agit-il d’un campement anarchiste ou d’un campement hippie ?« ] »Mangez des flics, pas des animaux ! Food not cops«  »Don’t feed the cops...
But eat the cops...
Hit the cops...
Hate the cops...« [Ce texte n’était pas non plus traduit en français : »Ne nourrissez pas les flics,
Mais mangez les flics...
Frappez les flics...
Haïssez les flics...« ] »Un bon flic est un flic mort« Eldridge Cleaver (membre du Black Panther Party) »En nuisant à la police et plus largement aux tenants du maintien de l’ordre, nous sortons de la résignation et de l’impuissance habituellement ressenties. Destructions et transformation de la ville pacifiée en lieu d’émeute sont synonymes de création. Nous avons tou-te-s plus ou moins conscience que vivre dans un monde que nous choisirions devient impossible sans la destruction complète du monde actuel. Ainsi, lorsque nous détruisons ce qui nous opprime, nous participons à ouvrir les brèches qui nous permettent de créer de nouveaux rapports sociaux."
Les enragé-e-s ouvrent le bal (Grenoble, 2006)

Dans le même temps, sur une tente apparaît une espèce de bâche sur laquelle est inscrit en gros « Gegen hippies » [« Contre les hippies » en allemand].

Ces affiches auront permis de continuer le débat de manière assez « offensive », même si ça ne restait que des mots... Seule une des affiches aura été arrachée, les autres restant jusqu’à la fin du campement.

De toute façon, les quelques relations avec les flics se sont vite dégradées, puisque ceux qui étaient là pour « protéger le campement » ont vite montré leur nature profonde, insultant et menaçant des gens plus ou moins à base de délit de sale gueule à l’entrée du campement, adressant des remarques sexistes (allant jusqu’à la menace de viol) aux personnes qui se baignaient nues dans la rivière... Parfois, bien imbibés d’alcool, les flics agressaient des personnes isolées qui rentraient de la ville, au moment où elles allaient passer le pont qui mène au campement. Finalement, rien de grave n’est arrivé, mais ça ne donnait pas l’impression que les flics d’Uzhgorod étaient tellement différents des flics de Paris ou de Barcelone. Mais bon, peut-être que les flics avaient très faim et qu’ils ne savaient plus comment l’exprimer...

- Quand l’anarchie, c’est ne pas prendre en considération les décisions collectives

Le campement durait du samedi 11 au lundi 20 août. Le mardi matin, la décision est prise en assemblée plénière qu’aucun-e journaliste n’entrerait dans le campement avant la fin de celui-ci. Les journalistes peuvent être reçu-e-s par celles et ceux qui le souhaitent à l’extérieur du campement, et pourront aller sur le territoire du campement seulement le dernier jour, et sous certaines conditions.

La décision paraît claire, voire surprenante vu le désaccord survenu sur la question de nourrir les flics ou non... Mais le fameux « leader anarchiste » de Kiev n’était pas là, et on a beau être surtout entre anarchistes, ça aide (il y a d’ailleurs un boulot monstre à faire pour s’organiser et contrer les leaders au sein des mouvances anarchistes, y’a pas à dire).

Mais jeudi matin, en fin de plénière, alors que beaucoup de gens sont parti-e-s vers d’autres activités, le fameux « leader anarchiste » de Kiev (appelons-le M. pour aller plus vite) arrive et annonce que des journalistes viendront sur le campement vers 13h, c’est-à-dire à peine une heure plus tard !
Quelques personnes réagissent, mais M. rétorque qu’on est jeudi et que c’est presque la fin du campement, que vendredi c’est journée d’action et que le week-end il y aura moins de monde, et blablabla et blablabli. Ou comment se montrer totalement indifférent à une décision collective prise consensuellement deux jours avant... tout en donnant l’air de se préoccuper de la question.

Finalement, les journalistes viendront ce jeudi vers 13h, sans rébellion outre-mesure de la part des gens sur le campement... Tout le monde semble relativement blasé, ou absent. Le soleil tape fort et pas mal de monde est à la rivière, ou discute à l’ombre, loin des journaleux de passage.

- Quand un anarflic reproche à des anarchistes leurs actions directes

Vendredi matin, malgré les discours pacificateurs incitant à la plus grande des prudences, deux actions ont lieu simultanément hors du campement : d’une part, une quarantaine de personnes font un passage rapide face aux grilles des camps de rétention pour immigré-e-s qui se trouvent aux alentours d’Uzhgorod (histoire de montrer de la solidarité aux enfermé-e-s – ce qui a lieu sans aucun problème avec les flics), et d’autre part, une manif « No Border » de 200 à 300 personnes a lieu à Uzhgorod même. Une manif qui commence à la sortie des bus qui nous emmènent en ville, et hop ! on occupe les bâtiments de « l’office des migrations » (là où sont gérés administrativement les centres de rétention, les demandes d’asile politique, etc.) pendant une vingtaine de minutes, le temps de donner des tracts (en russe) à tou-te-s les « humain-e-s » du bâtiment (ainsi qu’à l’extérieur – le tract sera également diffusé pendant la manif), d’accrocher des banderoles un peu partout depuis les fenêtres et le toit, de remplacer les drapeaux ukrainiens par des drapeaux anarchistes, de tagger les murs extérieurs ici et là, et on repart en manif vers le centre-ville.

Une manifestation plutôt tranquille, assez énergique (quel plaisir de gueuler des slogans du type « Ni frontières ni nations, non aux expulsions [de sans-papiers] » en russe ou en ukrainien, moi qui ai souvenir des slogans en anglais lors du No Border de Strasbourg en 2002 – les passant-e-s ne captaient rien !) et vaguement suivie par des flics très discrets et peu nombreux (on ne va pas s’en plaindre). Sur le trajet, quelques tags sont inscrits sur les murs. La manif s’arrête sous un soleil de plomb en plein centre-ville, et les flics sont toujours aussi peu nombreux. L’ambiance est plutôt détendue, pas mal de monde achète des glaces ou se désaltère à sa façon (la bouffe en Ukraine est à peu près six fois moins chère qu’en France alors ça faisait bizarre des fois d’avoir l’impression d’être un gros bourge en vacances...).

Sur la place où la manif s’est arrêtée, un drapeau européen est érigé sur un monument... Quelqu’un grimpe et l’enlève, le ramène au sol, où il est brûlé joyeusement, sans que personne ne bronche. Sur cette place se trouve une tente orange du parti du président ukrainien Viktor Iouchtchenko (fin septembre 2007 ont lieu en Ukraine des élections législatives). Un graffiti anarchiste y est inscrit en ukrainien ou en russe, toujours dans la joie et la bonne humeur. Pourtant, nous voyons M. (encore lui) en grande conversation avec deux ou trois flics, l’air inquiet... Il arrive vers le gros groupe de manifestant-e-s posé à l’ombre et fait savoir que tout ceci a relativement énervé les nationalistes de la tente orange ainsi que les policiers (qui ne rêvent que d’ordre et de paix). Il indique que les flics demandent à tout le monde de se disperser... Une AG improvisée a alors lieu, vite fait, où se décide un retour groupé (plutôt que dispersé) vers le campement, d’autant que la manif était de toute façon bel et bien terminée. Le coup de pression policier aura donc été franchement minime...

Mais quelques heures après le retour au campement, M. arrive et convoque une assemblée générale exceptionnelle, autour du feu central (il fait alors totalement nuit). Son propos ? Faire la morale aux taggeurs et aux brûleurs de drapeau, car « à cause d’eux nous sommes sous la menace directe d’une attaque de nationalistes locaux ». Hé oui. L’heure n’est pas à la réjouissance d’une journée plutôt réussie, ou en tout cas terminée sans encombres, mais encore une fois à la peur-panique que ces tout petits débordements aient pu provoquer une offensive terrible envers le campement... M. nous assène ça pendant de longues minutes, avec sa lampe frontale allumée sur la tête, tel une incarnation de Dieu étincelant au milieu d’un tas d’ignares inconscients des conséquences de leurs actes. C’est à peine s’il n’appelle pas à la dénonciation des « malfaiteurs » (taggeurs et brûleurs de drapeau), en tout cas il leur reproche ouvertement leurs actes. Ensuite, il nous énumère les soi-disant conditions à respecter (édictées par un des chefs nationalistes du coin) pour que le campement ne soit pas attaqué par les nationalistes ukrainiens (plus modérés que les néo-nazis, mais quand même...). Aucune de ces conditions ne sera prise en compte (il fallait enlever les drapeaux anarchistes, cesser d’aller au village à côté, je ne sais plus quelle autre absurdité...). Bref, ce mec est doublement une calamité parce qu’il a une prise certaine sur une bonne partie des participant-e-s au campement (et la plupart de celles et ceux qu’il énerve ne sont pas suffisamment « uni-e-s » et/ou sont carrément blasé-e-s par son comportement – ce qui bien sûr est tout sauf une solution !) et parce qu’il raconte un tas de conneries qui montrent au fur et à mesure qu’un mec comme ça n’a décidément rien à faire dans un campement No Border ! Et pourtant...

- Quand il est temps de conclure...

Voilà. Ce récit est incomplet et bien sûr « subjectif ». De plus, je répète ce que je disais en intro, j’y ai passé de très bons moments, il n’y a pas que des critiques à en faire : j’ai rencontré du monde, des activistes d’Ukraine, de Russie et d’ailleurs, avec l’envie d’y retourner, avec toujours cette envie d’abattre toutes les frontières qui nous séparent... Ou des moments qui peuvent paraître plus futiles mais qui étaient plus qu’appréciables, comme le concert hardcore dans le campement (et la découverte jouissive qu’un circle pit n’est pas forcément un lieu où des jeunes machos se la pètent, puisque ce soir là c’était plutôt la franche rigolade au sein d’une déca-danse à laquelle tout le monde était invité), les jeux improvisés (« vecteur de rencontres » dirait un directeur de colonie de vacances ?), le tournoi de foot (qui n’a malheureusement pas pu être terminé) et puis ce sentiment de pouvoir tomber amoureux à chaque instant (sans pour autant que ça ne se réalise, mais ça c’est une autre histoire...).

Aussi, et ça me fait conclure sur un aspect qui vous semblera anecdotique mais qui m’a positivement impressionné, il y avait sur ce campement pas mal de personnes qui refusent les drogues, l’alcool, le tabac ou autres produits créant des dépendances (se réclamant de courants anarchistes « straight-edge » ou non). Et franchement, à mon avis ça a joué sur l’ambiance globale du campement, les participant-e-s étaient généralement attentionné-e-s, et même le soir du concert, il n’y avait pas de bar à alcool comme il y a quasi systématiquement dans les concerts en Europe de l’ouest, donc personne n’était complètement bourré en train de cuver par terre dans un coin, par exemple... Et il y avait « quand même » de la joie, de l’énergie et du n’importe quoi !

Pendant ce temps-là, leurs frontières se solidifient et se complexifient.
Nos solidarités aussi.

- Ailleurs sur le web :

Message from participants at the Ukraine No Border camp (14 août 2007)
http://www.indymedia.org.uk/en/2007...

Actions at the Ukraine No Border Camp (18 août 2007)
http://www.indymedia.org.uk/en/2007...

Photos du campement, des actions et d’Uzhgorod (août 2007)
http://www.indymedia.org.uk/en/2007...
http://poivron.org/~zanzara/2007-08...


Proposé par raoule
Partager cet article
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Comment publier sur lenumerozero.info?

Le Numéro Zéro n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez.
La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Voila quelques infos rapides pour comprendre la publication. Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir via notre mail lenumerozero [at] riseup.net

 

NEWSLETTER

Lire aussi dans CAPITALISME - GLOBALISATION

PROCHAINS RENDEZ-VOUS

À la une...

Conférence Aurélien Catin : Art Work is Work !
Publié le 27/03/2024

« La vie rêvée de Sainte Tapiole » : Rencontre avec Hervé BRIZON et Terrasses Éditions
Publié le 27/03/2024

Présentation du projet de bar associatif et imprimerie des associations Combat Ordinaire et Après la révolution
Publié le 27/03/2024

Repas-discussion, préparé par le collectif Contraceptions pour toustes 42
Publié le 24/03/2024

La région AURA vote le déploiement de la VSA dans les gares et les lycées
Publié le 22/03/2024

Tour Pour Gaza !
Publié le 22/03/2024