Réunion publique sur la sécurité

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Jeudi 5 novembre, le préfet a convoqué une réunion publique sur la sécurité dans le 7e arrondissement. Récit d’une surenchère sécuritaire à donner des frissons.
En ce jeudi soir, l’ambiance à l’ENS est tendue : toute la sécurité incendie est là, les étudiant.e.s qui vont en cours sont détournés... dans une ambiance feutrée, on veille à la sûreté du beau linge qui va bientôt débarquer.

À 17h, seuls quelques vieux hommes blancs sont dans le bas de l’amphi, au plus près de la tribune ; bien habillés, ils se connaissent tous, s’interpellent, rient. Petit à petit la salle se remplit, toujours la même population arrivant : vieux, blancs, un peu moins bien habillés que les premiers.
Pour ma part, je me demande comment ils se sont tous mis au courant les uns les autres : je n’ai rien vu dans la presse, ni sur internet... comment diantre se sont-ils donnés rendez-vous ? Il paraît que c’est une réunion publique... l’info a-t-elle été déposée dans les boîtes aux lettres du quartier ? Ou seulement auprès des associations du coin ? Réunion publique... confidentielle. Plus tard, j’apprends qu’il y a eu un encart dans Le Progrès.

Echauffements...

17h40, une grappe de cravates fait face à la salle. Le préfet Jacques Gérault (ancien conseiller de M. Sarkozy) ouvre la réunion en présentant la tribune : Monsieur le Maire du 7e Jean-Pierre Flaconnèche, Monsieur le Député-adjoint au maire Jean-Louis Touraine, Monsieur le Député Michel Havard, Monsieur le Préfet délégué à la sécurité Olivier Magnaval, Monsieur le Procureur de la République Xavier Richaud, « et à l’extrême-droite, euh... à mon extrême droite, Monsieur le Directeur départemental de la sécurité publique Jacques Sigourel, donc vous avez en face de vous le chef de la police de Lyon, et même du Rhône ! ». Il donne aussi quelques indices sur la composition de la salle : Madame la commissaire de police du 7e arrondissement, Madame l’inspectrice d’académie, Monsieur le directeur de l’OPAC...

Notre préfet se lance dans un petit speech : « Nous sommes ici pour organiser une rencontre (c’est ça, la démocratie) avec vous, citoyens de toutes conditions, origines, tendances politiques et autres, pour savoir ce que vous ressentez sur la sécurité. » On n’a que des bailleurs d’immeubles, des Présidents des Comités d’Intérêt Local, des gendarmes, et leurs femmes... que des personnes âgées.
Le préfet développe : « La sécurité est un élément essentiel de la liberté dans un pays démocratique. […] Nous sommes là aux côtés des victimes, pas des délinquants. Nous travaillons aux mêmes horaires que les délinquants. Nous sommes là pour être efficaces. » Puis il évoque pêle-mêle le racolage publique (« inadmissible »), les squats, les nuisances sonores (« Vous avez le droit de vivre en sérénité et en tranquillité »), les pieds d’immeubles, le stationnement anarchique, les mendiants (« quelquefois agressifs »).
Monsieur le préfet se permet même une mise en garde à son auditoire : « Vous êtes des citoyens responsables », donc « pas de populisme, ni de chasse aux sorcières ». « Vous avez des droits, mais aussi des devoirs ». Là, je m’attends aux classiques avertissements : ne jetez pas de papier par terre, ramassez la merde de votre chien, etc... Mais NON ! Les « devoirs » des citoyen.ne.s-modèles convié.e.s à la réunion sont tout autres :
«  Allez au commissariat. Vous savez des choses que la police ne sait pas. La police sait des choses que vous ne savez pas. »
Quand on est vieille, vieux et blanc, notre devoir, c’est la délation.

... Curée...

Rapidement, la curée est ouverte et les questions fusent : Messieurs les Présidents des Comités d’Intérêt Local de Gerland-Guillotière et de Jean Macé-Universités-Berthelot commencent par fustiger l’ouverture tardive d’une boîte de nuit, du Quick, évoquent pêle-mêle bris de voitures, personnes alcoolisées, rodéos, coups de feu (on dirait Chicago), et finalement remercient la police municipale... Les réponses de Monsieur le préfet, de Monsieur Jean-Louis Touraine et de Monsieur le Procureur apportent des précisions sur les taux d’alcoolémie relevés lors de contrôles à la sortie de la boîte (!!!), sur les procédures judiciaires contre les gérants... Le préfet : « Ces gens-là méritent d’aller en prison ! » (pour avoir servi de l’alcool à des mineur.e.s). Le Président du Comité d’Intéret Local de Gerland-Guillotière prend la parole de force : « Si tout va bien dans la ville, tout va bien pour vous aussi ! »

***Applaudissements***

La discussion reprend sur la nécessité d’augmenter le nombre de flics (toutes les raisons sont bonnes : ouverture d’une gare (Jean Macé), boîte de nuit, personnes prostituées, personnes sans domicile fixe, …), ouvrir de nouveaux commissariats... On se plaint aussi de la justice : «  Il est temps que la magistrature française aille vers le peuple. Qu’elle ne soit plus systématiquement du côté des délinquants.  »

***Applaudissements***

On a aussi une définition de l’État par Monsieur le préfet « L’État, c’est le bras armé » (merci, pour une fois que c’est aussi clair !) ; il ne manque pas une occasion de rappeler que « Je suis là pour vous appeler à la raison » (L’État, c’est la Raison, la Raison, c’est l’État).
Monsieur le Président d’une association qui représente 300 FAMILLES décrète que « si l’on met des caméras partout, la délinquance ne se déporte nulle part. »

Monsieur le préfet distribuant la parole : Vous Monsieur, Vous Monsieur, Vous Monsieur...

... Prostitution...

Mais le plus important débat fut sur la prostitution :
Monsieur le représentant d’une filiale du Laboratoire Mérieux, au Parc de l’Artillerie (« Notre société oeuvre pour la santé »..........) lance le sujet. «  C’est un problème pour dire aux clients de faire attention de ne pas glisser sur les capotes » Et il enchaîne sur des malades chroniques avec des chiens et du vin qui plantent leur tente sur son parking... À l’entendre, sa société de high-tech de la santé pas-du-tout-mercantile a élu domicile dans un bidonville. Monsieur le représentant d’une autre boîte du quartier développe : «  Toute la pègre liée aux camionnettes. Je pourrais vous donner des détails » Le préfet le coupe, sur le ton de la plaisanterie « Pas trop ce soir »

***Rires gras dans la salle***

Monsieur le préfet reprend la main pour déclarer qu’ « il ne s’agit pas d’Ordre Moral », mais il faut virer ces personnes prostituées « à l’instar de ce qu’on a fait Cours Charlemagne »... et si elles vont ailleurs, on les expulsera aussi ! Donc il appelle à étendre les arrêtés municipaux anti-stationnement de camionnettes à toutes les zones où les personnes prostituées travaillent.

Monsieur Jean-Louis Touraine tente un peu de pédagogie, sur le fait que le dernier arrêté contre le stationnement de cammionnettes a été attaqué au Tribunal Administratif, et donc que l’Hôtel de Ville ne veut pas étendre la zone concernée avant le résultat du procès. Assumant que « nous sommes obligés d’utiliser des artifices » pour interdire la prostitution alors qu’elle est légale, il explique aussi qu’on ne peut pas interdire toute la ville de Lyon à toutes les camionnettes : Comment les artisans feront-ils ?
Alors là, Monsieur le préfet tient à exprimer son désaccord : il faut réprimer plus, tout de suite. On peut prendre de nouveaux arrêtés, ça ne sert à rien d’attendre le Tribunal ; et ça ne pose aucun problème de les étendre indéfiniment : «  Il faut adapter la répression à la réalité de la menace ! » [menace ???] «  La police sait faire la différence entre une camionnette de transport de pommes de terre et de carottes, et une camionnette de femme qui fait n’importe-quoi.  » Les flics ne sont pas des imbéciles : la discrimination, ça les connaît !

Dans la salle, le défoulement reprend de plus belle : Un gendarme déplore que « il faut qu’elles évacuent, et la bassine, elles la jettent par-dessus le grillage de la caserne » [une voix dans la salle : « C’est pas écologique ! »], et que sa femme, qui « fait partie de la France qui se lève tôt », est dérangée quand elle va au boulot. Un pompier enchaîne : « Je suis commandant de caserne, la sécurité on ne l’a plus... » À les entendre, les personnes prostituées sont non seulement sales, mais en plus elles prennent un malin plaisir à jeter (quotidiennement !?!) leurs excréments chez les uniformes !

Enfin une femme arrive à prendre la parole : « Je suis prostituée sur Gerland. » « Nous n’avons pas d’autres choses. » « Je n’ai entendu que répression ; que nous sommes des femmes sales […] J’ai toujours respecté » « Nous avons de bons rapports » avec les riverains et les commerçants. « Nous existons, […] nous ne sommes pas des victimes », « ça serait bien d’en parler avec nous ».
Et Monsieur le préfet, paternaliste au possible : « C’est bien madame, vous avez su prendre la parole simplement... »
Un gars de Cabiria arrive à prendre la parole quelques minutes plus tard : les personnes prostituées sont déplacées depuis 2002 de quartier en quartier. La solution sera au niveau de Lyon, ou du Grand Lyon, et rejeter les personnes prostituées pose des problèmes de sécurité, la leur, elles seront beaucoup plus vulnérables...
Monsieur le préfet lance en pâture : « Le général de Gaulle aurait dit, « vaste programme » ». Merci, Monsieur le préfet.

... Exécution

Un bailleur d’immeuble s’exprime ensuite, se plaignant des personnes qui occupent des locaux sans droit ni titre, à qui le préfet répond : « on expulse, on expulse ! On expulse les parents s’ils ne peuvent pas tenir leurs enfants ! » On ne sait plus s’il parle des squateureuses, des personnes sans-papiers, des personnes pauvres, des personnes prostituées... Ça n’a plus d’importance maintenant, « on expulse ».

Enfin, Monsieur le préfet conclue : « on doit respecter le peuple, notre peuple. » « Je suis très heureux de notre réunion. » « Malgré les passions vous avez su garder le sens du respect de l’autre ».

Rendez-vous dans 1 mois, pour un bilan. Tenez-vous bien les jeunes, ça va patrouiller sec dans le quartier !

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